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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100615

Dossier : IMM-4619-09

Référence : 2010 CF 650

[Traduction FRANÇAISE certifiée non révisée]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2010

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

HOUSHAN HOUSHAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 18 août 2009, qui a refusé au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi. La Commission avait fondé sa décision sur la conclusion que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté.

 

[2]               Le demandeur demande que la décision de la Commission soit annulée et que la demande soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire. 

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur, un citoyen de la Syrie, affirme craindre d’être persécuté dans son pays parce qu’il appartient à un groupe social à cause de son orientation sexuelle : il est homosexuel.

 

[4]               Le demandeur soutient avoir eu connaissance de son orientation sexuelle à quatorze ans. Il prétend qu’en Syrie, les homosexuels ne sont ni acceptés ni tolérés par la population, y compris par les policiers, et que les meurtres et les passages à tabac d’homosexuels sont monnaie courante. Il affirme avoir rencontré un homme en 2003, puis avoir amorcé une relation amoureuse de courte durée avec lui en 2005. Le 30 septembre 2006, son partenaire et lui ont été découverts par une personne, qui a révélé ce qu’elle a vu à d’autres. Le lendemain, plusieurs hommes se sont rendus à la résidence du demandeur pour l’agresser. Il a pu fuir avec l’aide de sa famille et se rendre à Damas, où il est demeuré jusqu’à son départ pour le Canada, le 22 décembre 2006.

 

La décision de la Commission

 

[5]               La Commission a refusé la demande du demandeur au motif qu’il ne craignait pas avec raison d’être persécuté en Syrie. La principale question soulevée concernait l’identité du demandeur en tant qu’homosexuel de même que la crédibilité de son récit. 

 

[6]               Dans sa déposition, le demandeur a déclaré qu’il lui était impossible de s’adresser à la police en Syrie à la suite de l’agression parce que la police aurait profité de lui ou l’aurait fait chanter. La Commission a conclu que cette explication était insuffisante puisqu’elle renfermait peu de détails sur la façon dont la police s’y serait prise. Par conséquent, la Commission a tiré la conclusion qu’il n’existait pas de preuve crédible suffisante pour montrer la persécution que subirait le demandeur en Syrie. Cela dit, la Commission a cité des éléments de la preuve documentaire qui révèlent que l’homosexualité constitue une infraction criminelle en Syrie et que les personnes qui désirent pratiquer l’homosexualité doivent le faire en secret, bien qu’il soit rare que des accusations soient portées. 

 

[7]               D’abord, la Commission était préoccupée par les réponses du demandeur aux questions en ce qui a trait à ses activités au Canada. Il a soutenu être entré au Canada afin de mener une vie ouvertement homosexuelle. Le demandeur a cependant déclaré n’avoir eu aucune relation homosexuelle, occasionnelle ou non, depuis son arrivée et n’avoir pas fréquenté d’établissements gais parce qu’il désirait travailler et apprendre l’anglais. La Commission a estimé que ces activités étaient hautement incompatibles avec les désirs exprimés lors de son entrée au Canada, étant donné que ce dernier demeurait au Canada depuis plusieurs années. La Commission n’a pas cru à son homosexualité, et a également conclu que le fait qu’il ne soit pas entré en contact avec son ancien partenaire, ainsi que l’absence de documentation étayant ses allégations, affaiblissaient davantage la crédibilité de son récit. 

 

Questions en litige

 

[8]               Les questions en litige sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la protection de                                 l'État?

            3.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur                                   n'était pas homosexuel?

 

Question préliminaire

 

[9]               Au début de l’audience, l’avocat du défendeur a admis l’inexistence de la protection de l’État compte tenu des faits en l’espèce. Ainsi, je ne traiterai pas de cette question.

 

Les observations écrites du demandeur

 

[10]           Le demandeur soutient que la Commission a commis d’importantes erreurs dans l’analyse de sa crédibilité, et que la conclusion de la Commission était déraisonnable. Par exemple, la Commission n’a pas justifié le doute émis quant au fait que le demandeur ait pu perdre contact avec son ancien partenaire. Le demandeur a déclaré avoir fui à Damas. Il croyait que son partenaire avait également pu fuir, mais sans en être certain. De plus, la Commission n’a pas précisé au demandeur quel document il aurait pu obtenir pour appuyer son récit. Même s’il est vrai que certaines organisations de défense des homosexuels sont en mesure de fournir des lettres attestant l’adhésion de leurs membres, le demandeur a expliqué que sa mauvaise connaissance de l’anglais l’empêchait de se joindre à une telle organisation, une explication tout à fait raisonnable qui explique également pourquoi le demandeur n’avait amorcé aucune relation depuis son entrée au Canada.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[11]           Le défendeur affirme que la conclusion de la Commission quant à la crédibilité était raisonnable compte tenu de l’ensemble de la preuve. La Commission a fait valoir de nombreux motifs pour appuyer sa conclusion finale que le demandeur manquait de crédibilité.

 

Analyse et décision

 

[12]           Question no 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            La Commission est mieux placée qu’une cour de révision pour juger de la crédibilité et de la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile. Une conclusion quant à la crédibilité ne constitue pas une conclusion mixte de fait et de droit, mais de fait, purement et simplement. Une cour de révision ne peut modifier les conclusions de fait de la Commission que si celle-ci les tire de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose (voir la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d)). En effet, le législateur a exprimé explicitement l’intention qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. no 12 (QL), au paragraphe 46).

 

[13]           Par conséquent, les conclusions de la Commission quant à la crédibilité doivent être contrôlées suivant la norme de contrôle judicaire prévue à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales (voir Diabo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2004 CF 1772, [2004] A.C.F. no 2168 (QL), au paragraphe 3).

 

[14]           Les décisions finales de la Commission relatives au statut de réfugié doivent être contrôlée d’après la norme de la décision raisonnable (voir Kaleja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2010 CF 252, [2010] A.C.F. no 291, au paragraphe 19, Sagharichi c. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] F.C.J. No. 796, au paragraphe 3, 182 N.R. 398 (C.A.)).

 

[15]           Puisque la Commission a fondé sa décision à la fois sur la conclusion quant à la crédibilité et sur celle quant à la protection de l’État, mais que ces conclusions sont indépendantes, le

demandeur doit écarter les deux conclusions séparément avant d’être en mesure de faire annuler la décision (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) c. Carrillo, 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, au paragraphe 14).

 

[16]           Question no 2

La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la protection de l'État?

            Comme je l’ai signalé au paragraphe 9, la présente question a été admise.

 

[17]           Question no 3

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur n'était pas homosexuel?

            La Commission a indiqué un motif principal de sa conclusion que le demandeur n’était pas homosexuel, contrairement à ses allégations. Le demandeur a déclaré et expliqué, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), être entré au Canada afin de mener une vie ouvertement homosexuelle. Il y indiquait également qu’après avoir réalisé la joie que lui apportait la présence d’un autre homme dans sa vie, il savait qu’il lui serait impossible de vivre dans le secret en Syrie, et qu’il serait éventuellement découvert et persécuté. Pourtant, lorsqu’il a été interrogé, le demandeur a révélé n’avoir amorcé aucune relation homosexuelle depuis son entrée au Canada, ni être devenu membre d’une organisation de défense des homosexuels ou avoir fréquenté d’établissements gais. Bref, rien n’indiquait que le demandeur menait une vie ouvertement homosexuelle, ce qu’il a déclaré vouloir faire dans son FRP, même s’il demeurait au Canada depuis plusieurs années. Il s’agissait d’une contradiction sérieuse, étant donné la déférence à laquelle la Commission a droit en ce qui a trait aux conclusions de fait, elle était suffisante pour justifier la conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité. Compte tenu des déclarations du demandeur, j’estime que la Commission n’a pas imposé au demandeur d’opinions stéréotypées à l’égard d’un mode de vie homosexuel.

 

[18]           La conclusion de la Commission qu’il était improbable que le demandeur n’ait pas communiqué avec son ancien partenaire ni fourni de preuve pour corroborer ses mésaventures en Syrie venait également étayer la conclusion susmentionnée.

 

[19]           Le demandeur doit s’acquitter du fardeau de montrer que la conclusion défavorable quant à la crédibilité a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve, ce qu’il n’a pas réussi à établir. Le demandeur attribue l’échec de son objectif de mener une vie ouvertement homosexuelle au Canada à son incapacité à parler anglais. Malgré le désir du demandeur que la Commission accepte cette explication, elle n’est pas tenue par la loi de le faire. La Commission a le droit de tirer ses propres conclusions. Un désaccord motivé envers une conclusion de la Commission est insuffisant.

 

[20]           En terminant, je ne peux pas accepter que le demandeur s’appuie sur Sadeghi-Pari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 282, [2004] A.C.F. no 316 (QL). Dans cette décision, le juge Mosley a estimé que, puisque les déclarations sous serment et non contredites d’un demandeur d’asile crée une présomption de véracité (voir Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.)), en soi, l’absence de preuve corroborant l’orientation sexuelle d’un individu, en l’absence de conclusions défavorables et rationnelles quant à la crédibilité ou à la vraisemblance qui concernent cette question, ne suffit pas à réfuter la présomption de véracité (au paragraphes 21 et 38). Toutefois, la Commission a tiré en l’espèce des conclusions raisonnables, décrites ci-dessus, quant à la vraisemblance en ce qui a trait à la question précise.

 

[21]           Je suis donc d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

[22]           Aucun des parties n'a souhaité soumettre à mon attention une question grave de portée générale à certifier.

 

 

JUGEMENT

 

[23]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 

 


ANNEXE

 

Les dispositions légales pertinentes

 

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4619-09

 

INTITULÉ :                                       HOUSHAN HOUSHAN

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 25 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge O’Keefe

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 15 juin 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine MacDonald

 

POUR LE DEMANDEUR

Neal Samson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Geraldine MacDonald

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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