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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100622

Dossier : IMM-4435-09

Référence : 2010 CF 682

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON-RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2010  

En présence de monsieur le juge Harrington

 

 

ENTRE :

ROSALINA AGUINALDO

demanderesse

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mme Aguinaldo, une citoyenne des Philippines, travaille depuis quelques années comme infirmière à l'hôpital de La Loche, situé à environ 600 kilomètres au nord de Saskatoon.

 

[2]               Le Nord de la Saskatchewan est touché par une importante pénurie d'infirmières, à un point tel que la demanderesse est souvent la seule infirmière en service, et travaille par conséquent beaucoup d'heures supplémentaires afin que l'hôpital puisse rester ouvert. Sinon, il faudrait transférer les patients à Saskatoon par avion ou par ambulance.

 

[3]               Étant donné la pénurie, elle essuie souvent des refus lorsqu'elle demande des vacances. Au cours des dernières années, elle n'a passé que 37 jours avec son époux et avec son jeune fils, Jon, aux Philippines. Elle a demandé le statut de résidente permanente, afin que son époux et son fils puissent immigrer au Canada. Malheureusement, Jon est atteint de trouble du spectre autistique. Un agent des visas a rejeté sa demande, puisque le paragraphe 38(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit que l'état de santé de l'étranger risquant d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé emporte interdiction de territoire pour des motifs sanitaires. En vertu de l'article 42, cette interdiction s'étend à la famille entière : si l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'un membre de la famille entraîne un tel fardeau excessif, les autres membres de la famille, tels que les parents dans la présente affaire, sont aussi interdits de territoire. 

 

[4]               Une médecin au bureau médical régional à Ottawa a fait une Déclaration médicale fondée, dans une certaine mesure, sur un rapport qu'elle avait reçu du médecin de Jon aux Philippines, voulant que son état pathologique soit chronique et qu'il ait besoin de services d'éducation spécialisée, dont le coût excéderait probablement la moyenne par habitant au Canada sur une période de cinq ans.  

 

[5]               Le dossier indique que, selon l'évaluation qui sera faite de son état de santé ici, le coût annuel en dollars courants pourrait varier entre 6 000 $ à 12 000 $. Cependant, aucune analyse n'a été conduite relativement à la moyenne canadienne des coûts des services sociaux.  

 

[6]               L'agent des visas, dans un affidavit produit après que la demande d'autorisation de contrôle judiciaire ait été accueillie, a essayé de justifier sa décision en renvoyant à des objets n'étant pas inclus aux notes qu'il avait consignées au STIDI. Il a notamment écrit ce qui suit :

[traduction]

Après avoir examiné les informations fournies par la demanderesse, il semblait à première vue que celle-ci ait démontré qu’elle était capable de payer les frais additionnels liés à son fils interdit de territoire pour des raisons médicales. Toutefois, après examen du dossier, il est devenu manifeste que les intentions de la demanderesse relative à l'endroit où elle, ainsi que sa famille, prévoyaient demeurer étaient soit contradictoires, soit floues. Cette question est devenue importante, pour l'évaluation de la capacité de la demanderesse de payer les frais additionnels liés à l'état de santé de son fils. J'étais préoccupé par le fait que si la demanderesse choisissait de ne pas demeurer à Saskatoon avec sa famille, son revenu serait amputé de manière substantielle, puisqu'il a été mentionné qu'une grande partie de ses présents revenus étaient attribuables aux heures supplémentaires, qu'elle ne pouvait seulement faire qu’en raison de la pénurie de personnel infirmier dans le Nord de la Saskatchewan.

 

Selon les pièces fournies par la demanderesse, il n'était pas certain si son intention était de faire en sorte que sa famille s'établisse à Saskatoon alors qu'elle continuerait à vivre à La Loche, ou si elle avait l'intention de déménager à Saskatoon avec sa famille. Si la demanderesse devait demeurer à La Loche alors que sa famille établirait résidence à Saskatoon, le lourd fardeau financier de subvenir aux besoins de deux ménages compromettrait gravement sa capacité de payer tous les frais d'études ou médicaux additionnels.

 

 

[7]               Même si on a donné à Mme Aguinaldo une lettre d'équité pour répondre aux préoccupations de l'agent relativement à l'état de santé de Jon, on ne lui a donné aucune occasion de répondre à ces préoccupations relativement à sa capacité de payer et, plus précisément, à l’incidence que ses projets au sujet de son lieu d'établissement ainsi que celui de sa famille pourraient avoir sur sa capacité de payer. Suivant l'arrêt de la Cour suprême Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706, la capacité de payer pour des services sociaux, y compris les besoins spéciaux en matière d'éducation, doivent être pris en considération lorsque l'on examine si une personne est interdite de territoire pour des raisons médicales. Mme Aguinaldo a évoqué plusieurs possibilités. L'une d'elles était que son époux et Jon prennent demeure à Saskatoon, où Jon pourrait fréquenter une école privée. Une autre est que l'époux de Mme Aguinaldo suit des cours spéciaux, et qu'il soit bientôt capable d’enseigner à Jon à la maison.

 

[8]               La préoccupation de l'agent que Mme Aguinaldo puisse déménager à Saskatoon, ce qui aurait pour effet d'amputer son revenu (et, par conséquent, sa capacité de payer pour les services sociaux dont bénéficierait Jon), puisqu'elle n'effectuerait pas le même nombre d'heures supplémentaires, n'est que pure conjecture, tout comme l’hypothèse que Jon soit envoyé à l'école publique si la famille devait s'établir à La Loche.

 

[9]               De plus, il ne découle pas de ces hypothèses que la famille ne pourrait pas assumer les frais de services sociaux, si la demanderesse devait continuer de travailler à La Loche pendant que son conjoint et son fils vivent à Saskatoon. Aucune enquête n'a été conduite relativement à son coût de la vie à La Loche, ainsi que sur ce que serait son coût de la vie à Saskatoon. Le dossier indique qu'elle gagne environ 150 000 $ par année à La Loche. Rien dans le dossier ne laisse entendre que cette somme ne serait pas suffisante pour subvenir aux besoins de son époux et de son fils à Saskatoon, en plus de ses propres besoins à La Loche, pour payer les frais des services sociaux dont bénéficierait Jon et pour l’aller-retour entre La Loche et Saskatoon. 

 

[10]           Cette décision, qui ne repose sur aucune preuve, était injuste d'un point de vue procédural. Il s'ensuit que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, puisque la Cour n'a pas le droit de formuler des hypothèses sur ce qui aurait pu se produire, si ces questions avaient été soulevées (Cardinal c. Directeur de L'Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643).

 

[11]           Lors de l'audience, j'ai dit estimer que la présente affaire menait à une impasse. Le gouvernement de la Saskatchewan appuie la demande de Mme Aguinaldo! Les frais associés au fardeau excessif pour les services sociaux seront principalement assumés par la province qui, selon son ministre responsable de l’immigration, conclut qu'il serait moins coûteux d'assumer les frais pour les besoins particuliers de Jon, si ce devait être le cas, plutôt que d'engager des dépenses plus importantes pour le transport des patients à Saskatoon.  

 

[12]           Je refuse d'admettre que le droit canadien en matière d'immigration est rigide au point d'empêcher les habitants d'une collectivité nordique de bénéficier des services d'une infirmière dont ils ont cruellement besoin, parce que l'état de santé du fils de celle-ci pourrait entraîner un fardeau excessif sur les services sociaux, dont le fournisseur, soit le gouvernement, serait heureux d'assumer les frais en cas de besoin. Notre droit de l’immigration offre au moins trois voies pouvant mener à une issue favorable. Premièrement, elle peut avoir la possibilité et l'intention de payer ces frais, comme l'énonce Hilewitz. Deuxièmement, l'article 24 de la LIPR permet à un agent de délivrer un permis de séjour temporaire, qui peut mener à la résidence permanente. Finalement, l'article 25 de la LIPR permet au ministre d'octroyer le statut de résident permanent à un étranger, ou de lever tous les critères applicables ou une partie de ceux-ci, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire, y compris l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché, le justifient. Est-il dans l'intérêt supérieur de Jon de ne pas pouvoir voir sa mère plus souvent que quelques semaines par année? Est-il dans l'intérêt supérieur de la collectivité de La Loche, qui a désespérément besoin des services de Mme Aguinaldo, de voir cette dernière plier bagage par frustration et retourner chez elle pour vivre avec sa famille?


ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS;

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision de l'agent des visas est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision.

3.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4435-09

 

INTITULÉ :                                       AGUINALDO c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DEL ‘IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 juin 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Harrington

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 22 juin 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Haidah Amirzadeh

 

POUR LA DEMANDERESSE

Michelle Baldwin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Haidah Amirzadeh

Avocat

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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