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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100707

Dossier : DES-1-10

Référence : 2010 CF 733

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2010

En présence de Monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur/intimé

et

 

ABDULLAH ALMALKI, KHUZAIMAH KALIFAH, ABDULRAHMAN ALMALKI, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, SAJEDA ALMALKI, représentée par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, MUAZ ALMALKI, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, ZAKARIYY A ALMALKI, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, NADIM ALMALKI, FATIMA ALMALKI, AHMAD ABOU‑ELMAATI, BADR ABOU-ELMAATI, SAMIRA AL SHALLASH, RASHA ABOU-ELMAATI, MUAYYED NUREDDIN, ABDUL JABBAR NUREDDIN, FADILA SIDDIQU, MOFAK NUREDDIN, AYDIN NUREDDIN, YASHAR NUREDDIN,

AHMED NUREDDIN, SARAB NUREDDIN, BYDA NUREDDIN

 

défendeurs/requérants

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le procureur général du Canada a demandé à la Cour fédérale, en application de l’article 38.04 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R. 1985, ch. C-5 (la Loi sur la preuve), d’autoriser la non-divulgation de renseignements visés par le processus d’enquête préalable dans des actions déposées devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Par requête écrite datée du 13 mai 2010, les défendeurs sollicitent une ordonnance enjoignant que soient considérés confidentiels les documents déposés par le procureur général au soutien de la demande déposée au greffe de la Cour fédérale.

 

[2]               La Cour, une fois informée de l’intention des défendeurs d’introduire la présente requête, a enjoint au greffe d’interdire la consultation des documents par le public avant qu’une décision ne soit rendue.

 

Le contexte

 

[3]               Les défendeurs sont des citoyens canadiens qui ont intenté devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario des actions contre le gouvernement du Canada et certains fonctionnaires désignés, représentés par le présent demandeur, pour complicité dans la torture infligée aux trois demandeurs principaux, M. Almalki, M. Elmaati et M. Nureddin. Ces actions ont été laissées en suspens jusqu’à ce que soient menés à bien la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, ainsi que le rapport devant en résulter (le Rapport O’Connor), et l’Enquête interne sur les actions des responsables canadiens relativement à Abdullah Almalki, Abou-Elmaat et Muayyed Nureddin, ainsi que le rapport devant en résulter (le Rapport Iacobucci).

 

[4]               Une fois le Rapport Iacobucci publié, les défendeurs ont sollicité la communication de documents liés aux actions, particulièrement des documents auxquels le commissaire Iacobucci renvoyait lorsqu’il a tiré ses conclusions. Le 17 juillet 2009, les avocats du procureur général ont produit environ 400 documents, dont des parties étaient expurgées, en vue de la préparation à la médiation dans les actions au civil. Pour des raisons qui n’importent pas aux fins de la présente demande, la médiation n’a pas eu lieu.

 

[5]               Le 9 février 2010, le procureur général du Canada a déposé une demande, en application de l’article 38.04 de la Loi sur la preuve, pour obtenir une ordonnance relativement à la divulgation de renseignements expurgés dans les documents en cause, au motif qu’il s’agissait de renseignements sensibles ou préjudiciables au sens de cette loi. 

 

[6]               Vers le 19 mars 2010, le procureur général a déposé au greffe de la Cour fédérale des documents à verser au dossier de la procédure visée à l’article 38. Ces documents, en une version non raturée ou expurgée, étaient joints comme pièces à des affidavits confidentiels et ex parte en application de l’article 38.11 de la Loi sur la preuve. La version non expurgée des documents est conservée dans des locaux protégés de la Cour et le public n’y a pas accès.

 

[7]               Le procureur général a déposé une version expurgée des documents à titre de pièce jointe, sous forme de disque, à l’affidavit public de Pamela Dawson; ces documents sont en principe accessibles au public. Ce sont ces documents que les défendeurs veulent faire tenir confidentiels. Les défendeurs proposent que la délivrance de l’ordonnance en cause soit assortie de certaines conditions, soit qu’il leur soit enjoint de déposer dans les 60 jours une version des documents comportant de nouvelles ratures, que la nature de celles-ci soit circonscrite et qu’avis de l’ordonnance soit donné aux principaux médias canadiens. L’effet pratique de cette demande, si on y accédait, serait de permettre aux défendeurs d’expurger des renseignements dont le gouvernement ne demande pas d’empêcher la divulgation dans la version publique des documents.

 

La question en litige

 

[8]               Dans le cadre de la présente requête, la question en litige est de savoir si les défendeurs ont démontré qu’était satisfait le critère prévu pour la délivrance d’une ordonnance de confidentialité.

 

Analyse

 

[9]               Les défendeurs ont fait valoir les motifs exposés ci-après au soutien de leur requête.

a.       L’article 151 des Règles des Cours fédérales autorise la Cour à rendre une ordonnance de confidentialité lorsqu’elle est convaincue de la nécessité de considérer les documents en cause comme confidentiels, indépendamment l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

 

b.      En l’espèce, les documents sont visés par le processus d’enquête préalable dans des actions au civil intentées par les défendeurs devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario et, dans le cours normal de ces actions, ils ne seraient pas versés au dossier de la cour ni ne pourraient être consultés par le public avant d’y être présentés en preuve.

 

c.       Dans les circonstances, ne pas préserver la confidentialité des documents mettrait en danger les proches et les associés des défendeurs, et le gouvernement du Canada ne pourrait alors pas apporter son aide à ces personnes.

 

d.      Les défendeurs, particulièrement les défendeurs mineurs, ont droit au respect de leur vie privée, et ce droit serait enfreint si les documents étaient accessibles au public.

 

e.       Les conditions proposées pour l’ordonnance de confidentialité suffisent pour assurer qu’il n’y ait pas atteinte importante au principe de la publicité des débats judiciaires.

 

[10]           Le procureur général soutient pour sa part que la partie non expurgée de la version des documents joints aux affidavits publics n’a pas un caractère secret et que les documents déposés sont en principe accessibles au public, tel que la Cour en a déjà statué (Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada, 2007 CF 128, [2007] A.C.F. n° 165 (Toronto Star). La prétention des défendeurs quant à la nécessité de tenir ces renseignements confidentiels n’est pas fondée, selon le défendeur, comme il n’est pas satisfait aux critères juridiques de la délivrance d’une ordonnance de confidentialité.

 

[11]           Je désire souligner qu’à première vue, le procureur général n’a pas d’intérêt direct dans l’issue de la présente requête. Dans leur plaidoyer, les avocats des défendeurs ont critiqué le procureur général pour s’être opposé à la présente requête. Cela n’était pas à-propos, selon moi, comme il incombe au procureur général d’aider la Cour à interpréter et à appliquer la loi correctement.

 

[12]           La Cour suprême du Canada a énoncé comme suit, dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] A.C.S. n° 42, paragraphe 53, les conditions de délivrance d’une ordonnance de confidentialité :

Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

 

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

 

 

(b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[Non souligné dans l’original.]

 

[13]           L’objet d’une ordonnance de non-divulgation est de permettre l’échange de documents confidentiels entre les parties tout en empêchant l’accès par des tiers à ces documents (Procter & Gamble Co. c. Kimberly-Clark of Canada Ltd. (C.A.F.), (1989) 25 C.P.R. (3d) 12, [1989] A.C.F. n° 134. La procédure applicable au dépôt et au traitement de documents visés par une telle ordonnance est énoncée à l’article 152 des Règles. Sauf ordonnance contraire de la Cour, seuls un avocat inscrit au dossier et un avocat participant à l’instance peuvent avoir accès à un document confidentiel. Un engagement écrit de non-divulgation est requis pour qu’un avocat puisse recevoir pareil document. Selon le paragraphe 152(3), l’ordonnance de confidentialité demeure en vigueur jusqu’à ce que la Cour en ordonne autrement, y compris après le jugement final et pendant la durée de l’appel. De telles ordonnances peuvent ainsi demeurer indéfiniment en vigueur.

 

[14]           Les défendeurs soutiennent qu’ils sont sous la mire du public depuis des années et qu’on n’a eu de cesse de les associer publiquement au terrorisme. Malgré les enquêtes O’Connor et Iacobucci qui ont fait grand bruit, disent-ils, ils continuent de faire l’objet d’allégations de terrorisme. Selon les défendeurs, aucune procédure judiciaire ne peut empêcher que des renseignements, une fois rendus publics, ne soient utilisés à mauvais escient contre eux. L’on ne peut plus contrer les violations passées de leur droit au respect de la vie privée, font valoir les défendeurs, mais le dépôt public des documents de la pièce 1 entraînerait de nouvelles violations. Les défendeurs craignent qu’eux-mêmes et les membres de leur famille fassent l’objet de représailles dans des circonstances où le gouvernement canadien ne disposerait d’aucun pouvoir pour les protéger du risque couru ou pour le faire diminuer.

 

[15]           Je souligne que les défendeurs de la famille Elmaati ont déposé certains des documents expurgés au soutien d’une requête soumise à la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vue de la production de documents. Une question préliminaire de compétence a par la suite été soulevée. Les documents en cause étaient joints à un affidavit du 19 mars 2010 d’Ephry Mudryk. La délivrance d’aucune ordonnance de confidentialité ne semble avoir été demandée pour cet affidavit dans le cadre de l’instance devant la Cour supérieure. En réponse à la demande qu’en a faite le juge en chef de la Cour fédérale au cours d’une téléconférence de gestion de l’instance dans le cadre de la procédure visée à l’article 38 de la Loi sur la preuve, les défendeurs ont ensuite déposé auprès de la Cour, pour information, le même affidavit d’Ephry Mudryk.

 

[16]           Le procureur général soutient qu’on traite de renseignements figurant dans les pièces également dans d’autres documents publics, comme le Rapport Iacobucci et divers documents déposés auprès de tribunaux, dont la déclaration et la défense dans les actions au civil sous-jacentes.

 

[17]           La Cour a déjà statué qu’une ordonnance de confidentialité « ne sera pas rendue à la légère, et elle ne le sera pas sur la foi d’une simple affirmation selon laquelle une telle protection est nécessaire » (Rivard Instruments, Inc. c. Ideal Instruments Inc., 2006 CF 1338, [2006] A.C.F. n° 1711, paragraphe 2; Lundbeck Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 412, [2007] A.C.F. n° 564, paragraphe 18). Le fardeau qui pèse sur la partie requérante, les défendeurs en l’espèce, est « très lourd », et une preuve doit être présentée démontrant la nécessité d’une telle ordonnance (Abbott Laboratories Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 989, [2005] A.C.F. n° 1319, paragraphe 68, où l’on cite A.C. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1452, [2003] A.C.F. n° 1861, paragraphes 18 et 19).

 

[18]           Je prends également en compte la déclaration suivante de la juge Eleanor Dawson dans la décision McCabe c. Canada (Procureur général) (2000), 99 A.C.W.S. (3d) 241, [2000] A.C.F. n° 1262, paragraphe 8, selon laquelle invoquer son intérêt personnel à garder ses affaires privés ne constitue pas un motif en droit pour obtenir une ordonnance de confidentialité.

8     Le désir légitime de tout un chacun de garder privées ses affaires ne constitue pas en droit un motif suffisant pour solliciter une ordonnance de confidentialité. La Cour n'ordonne la mesure de protection prévue à la règle 151 que si elle est convaincue que la partie requérante satisfait au double critère subjectif et objectif à observer en la matière; cf. AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (A-289-98, A-315-98, A-316-98, 11 mai 1999, C.A.F.) confirmant la décision rapportée dans (1998), 81 C.P.R. (3d) 121. Sur le plan subjectif, la partie requérante doit prouver qu'elle est convaincue que la divulgation nuirait à ses intérêts. Objectivement, elle doit prouver, selon la norme de la probabilité la plus forte, que les renseignements en question sont en fait confidentiels.  [Non souligné dans l’original.]

 

 

[19]           Dans le cours normal du processus d’enquête préalable dans les actions au civil, il n’est pas nécessaire de délivrer une ordonnance de confidentialité puisque les documents produits par les parties ne sont pas déposés devant la Cour, et font l’objet en common law d’un engagement implicite de non-divulgation à des tiers et de non-utilisation à d’autres fins. En vertu du paragraphe 30.1.01 (3) des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194, toutes les parties et leurs avocats sont réputés s’engager à ne pas utiliser les éléments de preuve ou les renseignements obtenus dans le cadre de l’enquête préalable à des fins autres que celles de l’instance au cours de laquelle les éléments de preuve ont été obtenus (Règl. de l’Ont. 575/07, art.4). En vertu de l’article 152 des Règles des Cours fédérales, par ailleurs, un engagement écrit est nécessaire avant que puisse être remis à un avocat un document déposé aux termes d’une ordonnance de confidentialité.

 

[20]           Les documents produits aux fins de l’enquête préalable demeurent la propriété de la partie qui les a produits (Vickery c. Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (Protonotaire), [1991] 1 R.C.S. 671, [1991] A.C.S. n° 23; R. c. Ellard, 2001 BCSC 470, [2001] B.C.J. n° 722, paragraphe 43; R. c. Canadian Broadcasting Corp. (2006), 208 C.C.C. (3d) 257, [2006] O.J. n° 1685, paragraphes 13 et 14; R. c. Giles, 2008 C.S. C.-B. 1900, [2008] B.C.J. n° 2830, paragraphe 64).

 

[21]           Avant que n’ait été rendue la décision Toronto Star, précitée, la question de l’accès par le public aux documents déposés comme pièces au soutien de demandes présentées en application de l’article 38.04 de la Loi sur la preuve n’avait jamais été soulevée. Cela venait de ce que cette loi exigeait la confidentialité de l’instance et des renseignements faisant l’objet de l’instance. Dans Toronto Star, le juge en chef Lutfy a statué que cette obligation de confidentialité portait atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires. Il a donné une interprétation atténuante aux restrictions à l’accès public de manière que ne soient visées que les audiences à huis clos et les dossiers judiciaires qui renferment des renseignements secrets.

 

[22]           Le principe de la publicité des débats judiciaires, une valeur démocratique de base, est lié aux libertés fondamentales d’expression et de la presse que protège l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (Toronto Star, précitée, paragraphes 2 et 24).

 

[23]           Compte tenu du principe de la publicité des débats judiciaires (Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, [2002] A.C.S. n° 73, paragraphe 59) et du fait que la pièce contestée demeure la propriété de la personne qui l’a produite aux fins de l’enquête préalable, je souscris à la déclaration faite par le juge en chef Lutfy dans Toronto Star (paragraphe 80) selon laquelle les « paragraphes 38.04(4) et 38.12(1) reflètent l’intention du législateur d’accorder au juge désigné le pouvoir discrétionnaire d’adopter toute mesure de confidentialité qui s’avère nécessaire pour la sauvegarde de renseignements secrets ». [Non souligné dans l’original.] 

 

[24]           Le principe énoncé dans la décision Toronto Star a, depuis, été suivi en jurisprudence dans les autres affaires touchant l’article 38 (se reporter, par exemple, à Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CF 490, [2007] A.C.F. n° 622; Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar), [2008] 3 R.C.F. 248, [2007] A.C.F. n° 1081, paragraphe 22; Abdullah Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 549, [2008] A.C.F. n° 770).

 

[25]           Par conséquent, et conformément au principe de la publicité des débats judiciaires, dans les instances visées à l’article 38, le greffe de la Cour fédérale tient désormais un dossier public en sus du dossier privé. Dans le dossier public sont versés des documents tels que l’avis de demande du procureur général, les affidavits et les observations écrites des parties qui ne renferment pas de renseignements de nature délicate et que le public peut consulter. Il  y a également dans le dossier public la version non expurgée et en principe accessible au public des documents faisant l’objet de la demande et joints comme pièces aux affidavits des témoins du procureur général.

 

[26]           Dans l’arrêt Vickery, précité, la Cour suprême du Canada a souligné au paragraphe 9 que la Cour était dépositaire de ses dossiers et qu’il relevait de sa discrétion d’en interdire l’accès au public lorsque les circonstances l’exigeaient. Tel que l’a aussi dit le juge en chef Dickson dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S.  175, à la page 149, « [...] une cour possède le pouvoir de surveiller et de préserver ses propres dossiers ». La Cour a le droit de s’enquérir de l’usage qu’on entend faire de la communication d’une pièce, et le droit de réglementer cet usage (Giles, précitée, paragraphe 64, où l’on cite Blue Line Hockey Acquisition Co. c. Orca Bay Hockey Limited Partnership, 2007 BCSC 1483, [2007] B.C.J. n° 2167, paragraphe 37; Ellard, précitée, paragraphe 43; Canadian Broadcasting Corp., précitée, paragraphes 13 et 14).

 

[27]           La Cour suprême du Canada a également déclaré dans Vickery, précité, au paragraphe 19 que quatre facteurs importants entraient en jeu lorsqu’il s’agissait de décider s’il y avait lieu de permettre l’accès aux pièces (et notamment de copier et de diffuser celles-ci) : (1) la nature des pièces en tant que partie du dossier du tribunal; (2) le droit du tribunal de s’enquérir de l’usage qu’on entend faire de la communication des pièces, et son droit de réglementer cet usage; (3) le fait que les pièces ont été produites au procès et que le public a pu en prendre connaissance et en discuter, de sorte qu’il y a eu respect de l’exigence de transparence des procédures judiciaires; (4) le fait que des considérations différentes puissent s’appliquer lorsque le processus est complété et que la discussion ne se fait plus dans le cadre de l’audition (se reporter également à la décision Hyde (Re), 2010 NSPC 21, [2010] N.S.J. n° 109, paragraphe 11).

 

[28]           Pour ce qui est de l’affaire qui nous occupe, je souscris aux vues récemment exprimées par la juge Anne Derrick de la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse dans la décision Hyde (Re), précitée, au paragraphe 12, où celle-ci a résumé comme suit les importantes observations formulées par les juges de la majorité dans l’arrêt Vickery, précité :

 

[traduction]

a.       Les pièces ne sont pas la propriété du tribunal; d’autres disposent sur elles d’un droit de propriété « Une fois que les pièces ont servi leur objet au sein du processus judiciaire, perd quelque peu de sa prééminence l’argument fondé sur le libre accès comme partie intégrante de la transparence du processus judiciaire qui est au cœur même de l’administration de la justice » (paragraphes 20 et 23).

 

b.      Le tribunal est le dépositaire des pièces et il a « pleins pouvoirs » pour réglementer l’usage qu’entend en faire la personne demandant à y avoir accès « en obtenant les engagements et les garanties utiles à la protection des droits en présence » [...] Il incombe au tribunal de « protéger [la personne ayant des droits légitimes] tout en respectant l’intérêt du public à ce qu’il y ait accès aux pièces » (paragraphes 24 et 25).

 

c.       L’exigence de transparence des procédures judiciaires a été respectée lorsque les pièces ont été produites au procès et que le public a pu en prendre connaissance et en discuter. Il est possible de renoncer au droit à la protection de la vie privée pendant la durée du procès, mais il n’y est « pas renoncé pour toujours » (paragraphes 26 et 29).

 

d.      L’accès du public aux procédures et la publicité qu’elles reçoivent est le prix à payer afin d’assurer que soient redevables de leurs actes ceux qui sont chargés de l’administration de la justice. « [L]a diffusion et la publication subséquentes de pièces choisies risquent fort d’être entachées de partialité et d’un manque d’équité » (paragraphes 30 et 31).

 

[29]           En l’espèce, les défendeurs ont renoncé dans une certaine mesure à leur droit à la vie privée en recourant au processus judiciaire, plus précisément en poursuivant le gouvernement du Canada devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Conformément à la règle de droit bien connue, l’accès du public à ces procédures et la publicité qu’elles reçoivent est le prix à payer par les défendeurs afin d’assurer que soient redevables de leurs actes ceux qui sont chargés de l’administration de la justice (Vickery, précité, paragraphe 31; Hyde (Re), précitée, paragraphe 12). 

 

[30]           Dans l’affaire Khawaja, précitée, la Couronne, pour se conformer à son obligation de communication de la preuve, avait communiqué à M. Khawaja et à son avocat les documents visés par la demande d’ordonnance de non-divulgation présentée par le procureur général. Ces documents, en version expurgée et non expurgée, avaient été déposés au greffe de la Cour fédérale à titre de pièces jointes à des affidavits publics et confidentiels. Des représentants de la presse ont demandé à consulter la version expurgée des documents, mais j’ai enjoint au greffe de ne pas permettre l’accès à ceux-ci. Mon principal motif a été que ces documents ne feraient pas partie du dossier du tribunal dans le cadre des procédures pénales à moins que l’une ou l’autre partie ne les introduise en preuve. Ainsi, permettre l’accès aux renseignements déposés devant la Cour fédérale aurait pu porter atteinte au droit à un procès équitable de l’accusé devant un autre tribunal. Ce facteur n’est pas à prendre en compte en l’espèce.

 

[31]           Même si je compatis avec les défendeurs qui disent avoir gravement souffert de la publication incontrôlée de renseignements à leur sujet, je ne puis conclure, vu leur participation à des procédures de nature très publique, qu’ils ont démontré l’existence d’un risque « réel et important » et « bien étayé par la preuve [...] » (Abbott Laboratories Ltd., précitée, paragraphe 68, où l’on cite A.C., précitée, paragraphes 18 et 19). C’est aux défendeurs qu’il incombe de démontrer qu’a été satisfait le critère de délivrance d’une ordonnance de confidentialité.

 

[32]           En l’espèce, les préoccupations exprimées par les défendeurs ne semblent pas suffire, sans la présence des critères subjectif et objectif, pour que soit délivrée l’ordonnance demandée (Charkaoui (Re), 2009 CF 342, [2009] A.C.F. n° 396, paragraphe 39, où l’on cite  McCabe, précitée, paragraphe 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fazalbhoy (1999), 162 F.T.R. 57, [1999] A.C.F. n° 51, paragraphe 11).

 

[33]           Dans le cadre de la présente requête, les défendeurs n’ont pas mentionné à la Cour quels renseignements précis devaient être considérés comme confidentiels; ils ont seulement demandé que soit tenu [traduction] « confidentiel le disque renfermant les documents publics expurgés que le procureur général a déposés à titre de pièce 1 jointe à l’affidavit de Pamela Dawson » et de pouvoir déposer [traduction] « dans les 60 jours une version de ces documents comportant de nouvelles ratures ». On n’a pas indiqué dans la présente demande d’ordonnance de confidentialité, selon moi, de quels renseignements précis il fallait préserver la confidentialité (Burnett c. Canada (Ministre du Revenu national) (1998), 158 F.T.R. 146, [1998] A.C.F. n° 1678, paragraphes 20 et 21).

 

[34]           Cela étant, je n’estime pas être saisi d’éléments de preuve suffisante pour pouvoir octroyer l’ordonnance de confidentialité demandée. Je reconnais toutefois que, si on leur en accordait l’occasion, les défendeurs pourraient être en mesure de présenter des éléments de preuve suffisants pour démontrer que la divulgation des renseignements en cause mettrait gravement en péril un intérêt important. Je suis également conscient du fait que la présente procédure a lieu tôt au cours d’un processus d’enquête préalable susceptible de prendre beaucoup de temps et de viser des milliers de documents. Si l’on devait aller à procès, tous les documents produits en preuve seront présentés dans le cadre d’une audience à caractère public.

 

[35]           La présente requête est par conséquent ajournée sine die, sans préjudice de la possibilité pour les défendeurs de la soumettre de nouveau au juge soussigné, accompagnée d’une liste détaillée des renseignements dont ils souhaitent préserver la confidentialité et d’éléments de preuve quant au préjudice qu’occasionnerait la divulgation de ces renseignements. Dans l’intervalle et en attendant que soit tranchée la présente demande, la directive donnée au greffe d’empêcher l’accès du public aux pièces est maintenue.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête des défendeurs soit ajournée sine die. Il est enjoint au greffe d’empêcher l’accès du public aux pièces jointes à l’affidavit public de Pamela Dawson, jusqu’à ce que la Cour n’en ordonne autrement.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    DES-1-10

 

INTITULÉ :                                                   PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                             et

                                                                        ABDULLAH ALMALKI ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA ET TORONTO

 

DATE DES AUDIENCES PUBLIQUES :   LE 6 AVRIL 2010 (TORONTO)

                                                                        LE 23 JUIN 2010 (OTTAWA)

 

DATE DES AUDIENCES IN CAMERA :   LES 19 ET 21 AVRIL 2010

                                                                        LES 3, 4, 5 ET 11 MAI 2010

                                                                        LE 24 JUIN 2010

                                                                       

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                         LE 7 JUILLET 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Linda Wall                                                        POUR LE DEMANDEUR

Catherine Lawrence

 

Aaron Dantowitz                                              POUR LES DÉFENDEURS Abdullah Almalki,

M. Philip Tunley                                               Khuzaimah Kalifah, Abdulrahman Almalki,

Owen Rees                                                      représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah; Sajeda Almalki, Sajeda Almalki représentée par son tuteur à l’instance   Khuzaimah Kalifah, Muaz Almalki, représenté par   son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Zakariyya Almalki, représenté par son tuteur à l’instance

Khuzaimah Kalifah, Nadim Almalki et Fatima Almalki

 

Aaron Dantowitz                                              POUR LES DÉFENDEURS Ahmad Abou-Elmaati,

M. Philip Tunley                                               Badr Abou-Elmaati, Samira Al-Shallash et Rasha

Owen Rees                                                      Abou-Elmaati

Barbara Jackman

 

Aaron Dantowitz                                              POUR LES DÉFENDEURS Muayyed Nureddin,

M. Philip Tunley                                               Abdul Jabbar Nureddin, Fadila Siddiqu, Mofak

Owen Rees                                                      Nureddin, Aydin Nureddin, Yashar Nureddin,

Barbara Jackman                                              Ahmed Nureddin, Sarab Nureddin, Byda

Hadayt Nazami                                                 Nureddin

 

François Dadour                                               Amici curiae

Bernard Grenier

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

Stockwoods LLP, Avocats                               POUR LES DÉFENDEURS

Toronto (Ontario)

 

Jackman and Associates LLP

Toronto (Ontario)

 

 

Poupart, Dadour et associés                             Amici curiae

Montréal (Québec)

 

Schurman, Longo, Grenier

Montréal (Québec)

 

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