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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court

 


 

Date : 20100720

Dossier : T-2092-09

Référence : 2010 CF 762

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2010

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

DAVID R. JOLIVET

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               David R. Jolivet (le demandeur) sollicite, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le sous-commissaire principal (le SCP) du Service correctionnel du Canada (le SCC) a rejeté le grief présenté par le demandeur au dernier palier de la procédure. Le grief portait sur la décision prise par le directeur de l’Établissement Mountain (le directeur) de ne pas autoriser le demandeur à retourner travailler aussi tôt que d’autres détenus, à la suite de l’isolement cellulaire à l’Établissement Mountain.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est détenu à l’Établissement Mountain, un pénitencier à sécurité moyenne. Il y occupe le poste de coordonnateur de l’eau de Javel. Il a reçu la cote de sécurité moyenne.

 

[3]               Le 29 mars 2008, une émeute à l’Établissement Mountain a provoqué un arrêt des activités du pénitencier. Le demandeur n’a pas participé à l’émeute.

 

[4]               À la suite de l’arrêt des activités, le directeur a élaboré un plan échelonné de reprise des occupations habituelles. Ce plan prévoyait que les détenus ayant reçu la cote d’adaptation au milieu carcéral « faible » étaient autorisés à retourner travailler le 21 mai 2008. Les détenus ayant reçu la cote d’adaptation au milieu carcéral « modérée » devaient retourner travailler le 17 juin 2008. Le demandeur, qui avait aussi reçu la cote d’adaptation au milieu carcéral « modérée », a toutefois été autorisé à retourner travailler le 6 juin 2008.

 

[5]               Durant l’arrêt des activités et jusqu’à son retour au travail, le demandeur recevait la moitié de son salaire quotidien, en application de l’alinéa 45(a)2) de la Directive du commissaire 730 (la DC 730).

 

[6]               En mai 2008, le demandeur, ayant appris qu’il ne lui serait pas permis de retourner travailler en même temps que les détenus ayant reçu la cote d’adaptation au milieu carcéral « faible », a déposé un grief à cet égard. Il sollicite à présent le contrôle judiciaire du rejet définitif de son grief.

 

[7]               Le sous-commissaire principal a rejeté l’argument du demandeur voulant que la DC 730 ne permette pas un arrêt partiel des activités. Il soutient que le terme « arrêt des activités » employé au paragraphe 45(a) de la directive [traduction] « englobe tous les types d’arrêt des activités, y compris les arrêts partiels des activités ». Le directeur, aux termes du paragraphe 13(b) de la CD 567, est chargé « de gérer les difficultés qui se présentent de manière à rétablir le plus rapidement possible un environnement correctionnel sûr et sécuritaire » à la suite d’un incident. Il est aussi chargé de la surveillance de tous les détenus du pénitencier, de la gestion du pénitencier et de la direction des agents, aux termes des alinéas a) à c) de l’article 4 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement). Il lui était ainsi loisible, à la suite de l’émeute à l’Établissement Mountain, d’établir un programme échelonné de reprise des activités habituelles et de décider que les détenus dont la cote d’adaptation au milieu carcéral indiquait qu’ils exigeaient davantage de surveillance ne pourraient pas retourner travailler aussi tôt que les détenus exigeant un moindre degré de surveillance.

 

[8]               En l’espèce, la seule question en litige est de savoir si le SCP a commis une erreur en concluant que le directeur était habilité à décider que les détenus qui avaient reçu une cote d’adaptation au milieu carcéral plus élevée ne seraient pas autorisés à retourner travailler en même temps que les détenus qui avaient reçu la cote « faible ».

 

ANALYSE

 

[9]               La question, qui porte sur les pouvoirs qu’accordent au directeur la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), et le Règlement connexe, est une question de compétence. La norme de contrôle qui s’y applique est ainsi la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 59).

 

[10]           L’essentiel de l’argument du demandeur réside en ceci : le directeur a outrepassé ses pouvoirs en créant [traduction] « une sous-classification de la cote de sécurité moyenne ». Les détenus de l’Établissement Mountain ayant tous reçu la cote de sécurité moyenne, le fait de leur accorder un traitement différent en fonction du risque qu’ils présentent pour la sécurité contrevient aux dispositions de la Loi, qui établit la classification de sécurité, et contrevient à l’obligation d’agir équitablement que la Loi impose au directeur. Qui plus est, le directeur n’est pas habilité à imposer un arrêt partiel des activités d’un pénitencier, lors duquel seuls certains détenus sont autorisés à retourner travailler. L’arrêt des activités ne peut être que complet.

 

[11]           Le demandeur se fonde sur les bulletins des Recours des délinquants (les bulletins), publiés par le Service correctionnel du Canada (le SCC), qu’il dit interdire l’utilisation de la cote d’adaptation au milieu carcéral pour [traduction] « augmenter ou diminuer la cote de sécurité dans les établissements à sécurité moyenne ». Il s’appuie également sur une lettre interne du SCC, dans laquelle le directeur de la Division des recours des délinquants exprime des réserves quant à savoir si le directeur a agi dans le cadre de ses pouvoirs.

 

[12]           Le défendeur soutient que le directeur était habilité à modifier l’horaire de travail des détenus, notamment par l’imposition d’un programme échelonné de reprise du travail, dans le cadre duquel les détenus qui exigent un moindre degré de surveillance retournent travailler plus tôt. Le directeur, devant veiller à la santé et à la sécurité des détenus et du personnel de l’Établissement Mountain, dispose d’un [traduction] « vaste pouvoir discrétionnaire d’établir des plans qui favorisent les objectifs de l’établissement en matière de sécurité ». Le directeur pouvait valablement prononcer, par l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, un [traduction] « arrêt partiel des activités », étant donné que la DC 730 ne restreint pas la portée du terme « arrêt des activités » ni n’exige qu’un tel arrêt soit complet.

 

[13]           Le défendeur soutient que certaines dispositions de la Loi sur lesquelles se fonde le demandeur, qui traitent des placements aux pénitenciers et des transfèrements, ne sont pas pertinentes en l’espèce. L’obligation légale d’agir équitablement n’est pas non plus en cause, parce qu’elle a trait à la façon dont sont prises les décisions qui touchent les détenus et qu’elle [traduction] « n’exige pas que tous les détenus soient traités exactement de la même façon ». Finalement, l’établissement, par le législateur, d’une cote de sécurité n’empêchait pas le directeur de considérer d’autres facteurs liés à la sécurité pour réagir à l’émeute à l’Établissement Mountain. La cote d’adaptation au milieu carcéral est fondée sur un [traduction] « jugement clinique » relatif au degré de surveillance qu’exige un détenu. Bien que cette cote ne constitue pas un classement de sécurité distinct, elle constitue un facteur pertinent dont pouvait légitimement tenir compte le directeur.

 

[14]           Je suis d’accord avec le défendeur pour les motifs qui suivent.

 

[15]           Ni la Loi, ni le Règlement, ni aucune des directives du commissionnaire ne définissent le terme « arrêt des activités ». La DC 568-1, Consignation et signalement des incidents de sécurité, comporte une annexe A intitulée « Définitions aux fins du signalement des incidents de sécurité ». Y est défini le terme « isolement cellulaire », qui consiste en une « situation non courante qui donne lieu à une suspension complète de l’ensemble des activités ou privilèges des détenus, qui sont tous enfermés dans leur cellule ». Cette définition ne s’applique toutefois « [qu’]aux fins du signalement des incidents de sécurité » et ne restreint pas le pouvoir du directeur. Ni la DC 568-1 ni quelque autre disposition de la Loi, du Règlement, ou des Directives du commissionnaire n’interdisent au directeur d’ordonner la levée progressive d’un « isolement cellulaire ».

 

[16]           Aux termes de l’alinéa 4d) de la Loi, le SCC doit suivre le principe selon lequel « les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible ». Je suis ainsi d’avis que le directeur doit pouvoir ordonner la levée partielle de l’isolement cellulaire lorsque le fait de permettre uniquement à certains détenus de reprendre leurs activités habituelles est compatible avec l’objectif de protection du public, des agents et des détenus eux-mêmes, cette mesure étant la moins privative de leur liberté résiduelle.

 

[17]           La cote d’adaptation des détenus au milieu carcéral est un facteur pertinent quant à la prise d’une telle décision. Le SCP n’a pas commis d’erreur en concluant que le directeur en avait tenu compte à bon droit. La cote est assignée selon l’évaluation du « degré [...] de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier » qu’exige un détenu, soit l’un des facteurs qui doit être pris en compte dans l’évaluation de la cote de sécurité attribuée à un détenu en application de l’article 18 du Règlement. Il était raisonnable que le directeur, dans l’établissement d’un plan échelonné de reprise des activités après un incident de sécurité, tienne compte du degré de surveillance et de contrôle qu’exigent les détenus pour déterminer lesquels d’entre eux peuvent, en toute sécurité, être autorités à reprendre leurs activités habituelles les premiers.

 

[18]           Ce faisant, le directeur n’a pas créé une nouvelle cote de sécurité en contravention du régime établi par le législateur : il n’a fait que considérer un facteur pertinent dans l’élaboration d’une mesure temporaire en réaction à une situation d’urgence. La législation et les bulletins sur lesquels s’appuie le demandeur ne restreignent pas le pouvoir du directeur d’agir ainsi.

 

[19]           L’article 28 de la Loi prévoit que « le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible », compte tenu de plusieurs éléments. De même, les bulletins traitent du placement et du transfèrement des détenus dans divers établissements à sécurité moyenne. Ni ces bulletins ni l’article 28 de la Loi ne s’appliquent aux faits de l’espèce.

 

[20]           L’article 30 de la Loi prévoit que les détenus se voient assigner une cote de sécurité selon les catégories dites maximale, moyenne et minimale. Le directeur n’a pas dérogé à cet article. Il n’a pas assigné au détenu une nouvelle cote de sécurité. Comme je l’ai expliqué précédemment, le directeur n’a fait que prendre une mesure temporaire en réaction à une situation d’urgence. Il convient de souligner que le demandeur a été autorisé à retourner au travail un peu plus de deux semaines après que l’avaient été les détenus qui avaient reçu la cote d’adaptation au milieu carcéral « faible ».

 

[21]           Finalement, le principe suivant lequel les décisions du SCC « doivent être claires et équitables », établi à l’alinéa 4g) de la Loi, se rapporte au processus décisionnel. De ce principe découlent, par exemple, le droit des détenus d’être entendus avant que soient prises certaines décisions les concernant et leur droit de connaître les motifs de telles décisions. Toutefois, ce principe n’exige pas que ces décisions respectent une conception précise de l’équité quant au fond, voulant, par exemple, que tous les détenus d’un pénitencier en isolement cellulaire soient traités de la même façon. Ce principe ne permet pas non plus à la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de substituer ce qu’elle estime être un résultat équitable quant au fond à la décision qu’a légalement prise un directeur ou toute autre personne que le législateur a investie du pouvoir de prendre une telle décision.

 

[22]           Le directeur était habilité à ordonner une levée progressive de l’arrêt des activités et à permettre ainsi à certains détenus de retourner travailler avant les autres. Plus encore, en prenant cette décision en l’espèce, le directeur ne s’est pas fondé sur des facteurs dénués de pertinence ni n’a créé une cote de sécurité en contravention de la Loi. Ainsi, le SCP n’a pas commis d’erreur en rejetant le grief du demandeur.

 

[23]           Pour ces motifs, la Cour rejettera la demande de contrôle judiciaire de la décision sans adjudication de dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire de la décision est rejetée; aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

        « Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2092-09

 

INTITULÉ :                                       DAVID R. JOLIVET c. PG

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 JUILLET 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 20 JUILLET 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David R. Jolivet

 

POUR LE DEMANDEUR

Charmaine de Los Reyes

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David R. Jolivet

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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