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Date : 20100609

Dossier : DES-7-08

Référence : 2010 CF 787

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2010

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

 

ENTRE :

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR);

 

ET le dépôt d’un certificat à la Cour fédérale conformément au paragraphe 77(1) de la LIPR;

 

ET Mohamed Zeki Mahjoub,

 

 

 

[Les mots entre crochets ont été insérés par la Cour et sont : (1) soit des sommaires de portions retranchées des motifs très secrets de l’ordonnance et ordonnance; (2) soit des substituts de mots des motifs très secrets de l’ordonnance et ordonnance, qui seraient préjudiciables à la sécurité nationale ou à la sécurité de quiconque si ces portions ou mots étaient divulgués. En outre, la longueur de certaines portions retranchées, qui sont dénotées par un surlignement noir dans les présents motifs, ne correspond pas exactement à la longueur réelle des portions retranchées des motifs très secrets de l’ordonnance et ordonnance.]

 


INDEX

(par numéro de paragraphe)

 

 

 

I.                   Introduction

 

II.                Contexte

 

III.             Question en litige

 

IV.             Cadre juridique

 

A.           Norme de preuve

 

B.           Fardeau de la preuve

 

C.           Preuve dérivée

 

V.                Politique du Service concernant la torture

 

VI.             Approche analytique et facteurs à prendre en compte

 

A.           L’applicabilité des facteurs considérés dans les décisions Almrei (Re) et Harkat (Re)

 

B.           L’utilité de la jurisprudence en matière de non-refoulement

 

C.           La nature des renseignements obtenus

 

VII.          Catégories de renseignements en cause

 

A.    Renseignements provenant de ^^^^^^^^^^^^^ de source inconnue

 

B.     Renseignements provenant de ^^^^^^^^^^^^^ par suite d’un interrogatoire

 

C.     Déclarations de culpabilité prononcées en Égypte à l’issue du procès des rapatriés d’Albanie

 

VIII.       Conclusion

 

 

1

 

2-20

 

21

 

22-71

 

29-30

 

31-59

 

60-72

 

73-95

 

96-115

 

 

99

 

100-103

 

104-115

 

116-229

 

117-168

 

 

169-207

 

 

208-229

 

 

230

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS ^^^^^^^^^^^^^ DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

 

[traduction]

 

« Le recours à la torture est déshonorant. La torture corrompt et avilit l’État qui y recourt, ainsi que le système juridique qui l’admet. »

 

Lord Hoffmann

(arrêt A & Ors, au paragraphe 82)

 

 

I.         Introduction

[1]               Le 22 février 2008, un certificat désignant Mohamed Zeki Mahjoub comme personne interdite de territoire au Canada pour raisons de sécurité nationale a été déposé devant la Cour fédérale, conformément à l’article 77 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). L’audience portant sur le point de savoir si le certificat est ou non raisonnable n’a pas encore commencé. Les présents motifs concernent une requête préliminaire déposée par M. Mahjoub contestant la recevabilité de renseignements qui sont invoqués par les ministres et qui ont été obtenus d’organismes étrangers. M. Mahjoub voudrait que soient exclus du dossier les renseignements en cause dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, selon les termes du paragraphe 83(1.1) de la LIPR.

 

II.        Contexte

[2]               L’audience portant sur le caractère raisonnable ou non du certificat devait à l’origine commencer le 22 février 2010; cette date avait été fixée le 18 juin 2009. Les événements subséquents, qui sont bien connus des parties, ont nécessité le report de cette date et l’ajournement du début de l’audience. Lorsque fut fixée à nouveau la date de l’audience, s’est posée la question de savoir à quel moment serait débattue l’applicabilité du paragraphe 83(1.1) de la LIPR. Le 11 mars 2010, les parties ont convenu que l’applicabilité du paragraphe 83(1.1) de la LIPR était une question distincte et qu’aucun préjudice ne serait causé à M. Mahjoub ou aux ministres si la question était traitée par voie de requête préliminaire. Le consentement de M. Mahjoub était subordonné à ce que le Service canadien du renseignement de sécurité (le Service) rende disponible un témoin pour qu’il puisse être contre-interrogé. Les ministres ont acquiescé à cela. Sur ce fondement, les parties ont décidé d’examiner l’applicabilité du paragraphe 83(1.1) de la LIPR par voie de requête préliminaire.

 

[3]               Les parties ont produit des éléments de preuve et ont été entendues en séance publique sur la requête. De la preuve a également été reçue au cours d’une séance à huis clos, suivie des conclusions des avocats spéciaux et des ministres.

 

[4]               Les ministres ont produit deux témoins qui se sont exprimés au nom du Service, Paul Vrbanac, durant la portion publique de l’audience, et ______________, au cours de la séance à huis clos. M. Vrbanac est agent du renseignement auprès du Service depuis 1985, et il est intervenu à ce titre dans des opérations de contre-espionnage et de contre-terrorisme. Il occupe actuellement le poste de directeur général de la Région de Toronto. Avant cela, il a occupé plusieurs postes, notamment le poste de directeur général de la Direction de la liaison avec l’étranger et des visites à Ottawa, le poste de chef de la Direction du contre-espionnage à Ottawa, le poste d’enquêteur en matière de contre-espionnage et d’anti-terrorisme à Ottawa, et le poste d’agent de liaison pour le Service à Washington, D.C. M. Vrbanac s’est exprimé sur le mandat du Service, sur ses politiques et pratiques concernant les enquêtes, sur les arrangements avec les organismes étrangers et sur le partage de renseignements avec ces organismes. Il a aussi témoigné à propos des politiques et pratiques du Service concernant les renseignements suspectés d’avoir été obtenus par la torture.

 

[5]               ______________ est agent du renseignement auprès du Service depuis 1991. Il occupe actuellement le poste de ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––-––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––-

 

[6]               M. Mahjoub a produit les dépositions des six témoins experts suivants : le professeur Fawaz Gerges, John Sifton, le professeur Wesley Wark, Henry Garfield Pardy, Ahmed Ghappour et Ezat Mossallanajed. Les ministres ont accepté que l’affidavit de M. Mossallanajed soit produit comme preuve et n’ont pas demandé à ce qu’il soit contre‑interrogé. M. Sifton, le professeur Gerges et M. Ghappour ont été reconnus aptes à témoigner comme experts, par consentement des parties. L’habilitation de M. Pardy et du professeur Wark a été contestée. Dans chaque cas, la Cour a procédé à un voir-dire et, se fondant sur les critères énoncés dans l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 RCS 9, a déterminé les domaines d’expertise dans lesquels M. Pardy et le professeur Wark étaient qualifiés pour produire des témoignages d’opinion (voir Mahjoub (Re), 2010 CF 379; Mahjoub (Re), 2010 CF 380). J’examinerai les domaines d’expertise pour chacun des témoins experts.

 

Le professeur Gerges

[7]               Le professeur Gerges est un spécialiste en sciences sociales, titulaire d’un doctorat en philosophie de l’Université d’Oxford, qui a une connaissance intime de la politique des pays arabes et islamiques, des mouvements sociaux, de l’islam politique, de la politique étrangère des États-Unis dans le monde musulman, enfin des relations entre l’Occident et le monde islamique. Il détient aussi une maîtrise en histoire internationale de la London School of Economics and Political Science, Université de Londres, avec pour centre d’intérêt les relations entre les puissances coloniales européennes et le monde musulman. Il détient une deuxième maîtrise en relations internationales de l’Université du Sud de la Californie, axée en particulier sur la politique musulmane et sur les relations internationales du Moyen-Orient. Il enseigne actuellement la politique du Moyen-Orient et les relations internationales à la London School of Economics and Political Science, Université de Londres. De 1994 à 2009, il a occupé la chaire Christian A. Johnson en études du Moyen-Orient et en affaires internationales au Sarah Lawrence College, à New York. Il est l’auteur des ouvrages suivants : Journey of the Jihadist: Inside Muslim Militancy (Orlando : Harcourt Press, 2006) et The Far Enemy: Why Jihad Went Global (Cambridge : Cambridge University Press, 2005). Le professeur Gerges a consacré plusieurs années à des recherches approfondies sur le terrain en Égypte, et à des interviews d’activistes politiques et de chefs de file de la société civile.

 

[8]               Les parties ont accepté que le professeur Gerges soit reconnu comme expert apte à témoigner sur les questions suivantes, pour les besoins de la présente requête :

1.  Les violations des droits de la personne en Égypte à l’endroit des islamistes et des djihadistes, y compris le sort de ceux qui sont rendus à l’Égypte.

 

2.  Les répercussions des mouvements djihadistes et islamistes sur les relations entre les États-Unis et le monde arabe.

 

M. Sifton

[9]               M. Sifton est un avocat qui remplit actuellement les fonctions de directeur de One World Research, un cabinet international d’enquêtes et de recherches. Il a travaillé, de 2001 à 2007, comme recherchiste principal en matière de terrorisme et de contre-terrorisme pour l’organisme Human Rights Watch basé aux États-Unis. Sa recherche effectuée pour Human Rights Watch de 2005 à 2007 a porté sur le bilan du gouvernement de l’Égypte en matière de droits de la personne, dans le cadre de l’arrestation et de la détention de personnes suspectées de terrorisme. Il a mené des recherches approfondies en 2007 en vue du rapport de Human Rights Watch intitulé Anatomy of a State Security Case: The ‘Victorious Sect’ Arrests (décembre 2007), où il est question d’une série particulière d’arrestations de terroristes prétendus ayant eu lieu au Caire en 2006. À l’occasion de ses activités de recherche pour Human Rights Watch, il a interviewé des spécialistes égyptiens des droits de la personne, des avocats exerçant en Égypte, des victimes de violations des droits de la personne, des personnes ayant déjà été détenues par les autorités égyptiennes, de même que d’autres experts et sources ayant une connaissance directe des pratiques des autorités égyptiennes en matière d’application de la loi et de collecte de renseignements.

 

[10]           M. Sifton a également dirigé, de 2004 à 2007, le projet de recherche de Human Rights Watch sur le programme des sites noirs et des restitutions appliqué par la Central Intelligence Agency (CIA) des États‑Unis, et il continue de travailler sur cette question auprès de Human Rights Watch, à titre de consultant. Il a témoigné devant la sous-commission du Parlement européen et devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à propos de la méthodologie du programme des restitutions de la CIA et à propos des activités de restitution menées par la CIA en Europe.

 

[11]           Les parties ont accepté que M. Sifton soit reconnu comme expert, au titre de son expérience de procureur et de travailleur des droits de la personne auprès de Human Rights Watch, apte à témoigner sur les aspects suivants, pour les besoins de la présente requête :

1.  La méthodologie suivie par Human Rights Watch dans ses recherches sur les violations des droits de la personne.

 

2.  Les divers organismes de renseignement en Égypte, y compris le service égyptien du renseignement civil (l’ESS), ainsi que les tribunaux militaires et les cours de sûreté.

 

3.  La relation, en Égypte, entre les enquêtes sur la sécurité de l’État et le cadre juridique des lois d’urgence et des lois antiterroristes.

 

4.  L’ESS en tant qu’organisme d’enquête des tribunaux militaires et des cours de sûreté.

 

5.  Les dossiers de sûreté et l’ESS.

 

6.  La question de savoir si les méthodes employées par l’ESS ont conduit à de fausses informations ou de faux aveux.

 

7.  Le projet de Human Rights Watch, qui s’est déroulé de 2004 à 2007, et qui comportait l’enquête sur les sites noirs de la CIA, les renseignements erronés qui émanent de tels sites et les restitutions de la CIA.

 

M. Ghappour

[12]           M. Ghappour travaille actuellement comme avocat associé pour le cabinet Swift & McDonald à Seattle. Il a travaillé de septembre 2008 à décembre 2009 comme avocat pour Reprieve UK, une organisation basée à Londres, en Angleterre, qui, entre autres choses, fournit des services juridiques aux prisonniers de la « guerre contre le terrorisme » menée par les États‑Unis. Reprieve UK enquête également sur les sites noirs de la CIA, sur le programme des restitutions et sur les pays qui sont complices des États‑Unis ou qui ont coopéré avec eux dans ces activités. À l’occasion de son travail pour Reprieve UK, M. Ghappour a contesté la détention illégale de plus de 35 prisonniers, détenus à Guantanamo Bay. Il s’est donc rendu à Guantanamo Bay et a travaillé depuis cet endroit. Il continue de représenter pro bono des prisonniers de Guantanamo Bay. Il a collaboré dans des actions en responsabilité civile des entreprises, intentées par Reprieve UK et l’Union américaine des libertés civiles, où était mis en cause le rôle de constructeurs d’aéronefs dans le programme des restitutions appliqué par la CIA. M. Ghappour a aussi participé à des missions d’établissement des faits en vue de poursuites engagées contre le Portugal, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume‑Uni pour leur complicité dans le programme des restitutions de la CIA.

 

[13]           Les parties ont accepté que M. Ghappour soit reconnu apte à produire un témoignage d’opinion sur les aspects suivants, dans la mesure où ils concernent la « guerre contre le terrorisme » menée par les États‑Unis :

1.   La pratique des autorités des États‑Unis en ce qui concerne le recours à des techniques physiquement et mentalement coercitives, et à d’autres pratiques semblables, telles que les restitutions et les sites noirs.

 

2.   Les réponses qui prennent forme au sein du système judiciaire des États‑Unis devant les pratiques en question.

 

M. Pardy

[14]           M. Pardy a travaillé pour le ministère des Affaires étrangères de 1967 à 2003. Tout au long de sa carrière, il a exercé diverses fonctions qui l’obligeaient à interagir avec des gouvernements étrangers, ainsi qu’avec des organismes étrangers et canadiens de renseignement. Il a travaillé de 1972 à 1975 à la Section de la sécurité nationale de la Direction de liaison en matière de sécurité du ministère des Affaires étrangères. En cette qualité, il a obtenu des renseignements sur de possibles menaces terroristes, communiqués par des missions des Affaires étrangères à l’étranger et par des organismes nationaux, aux fins d’informer le gouvernement canadien pour que les politiques et mesures requises en matière de sécurité puissent être élaborées en vue des Jeux olympiques de Montréal. Lorsqu’il a été affecté à Washington, D.C., entre 1978 et 1982, en sa qualité d’officier de liaison – Renseignement, il a échangé avec des organismes américains, y compris la CIA, informations et renseignements au nom du gouvernement du Canada sur des questions de non-prolifération. Entre 1992 et 1995, il a été directeur de la Direction des opérations consulaires aux Affaires étrangères, et, entre 1995 et 2003, directeur général du Bureau des affaires consulaires. En tant que directeur général, il gérait tous les aspects du programme consulaire d’aide aux Canadiens à l’étranger, y compris l’assistance aux Canadiens détenus à l’étranger.

 

[15]           La Cour a jugé M. Pardy apte à produire un témoignage d’opinion, compte tenu de son expérience des fonctions diplomatiques et consulaires, à propos de ce qui suit :

1.   Les services consulaires et le programme consulaire du Canada.

 

2.   Le flux de l’information de nation à nation par l’entremise des canaux diplomatiques et/ou consulaires.

 

3.   Le volume du partage de l’information par l’entremise des canaux diplomatiques et/ou consulaires.

 

4.   Les facteurs qui influent sur la fiabilité des informations reçues par l’entremise des canaux diplomatiques et/ou consulaires.

 

5.   L’évaluation des informations, y compris des renseignements, reçus par l’entremise des canaux diplomatiques et/ou consulaires.

 

6.   Les conditions de détention et de traitement des personnes détenues à l’étranger.

 

Le professeur Wark

[16]           Le professeur Wark est professeur agrégé au département d’histoire de l’Université de Toronto et professeur-chercheur invité au sein de l’École supérieure des affaires publiques et internationales à l’Université d’Ottawa.

 

[17]           Le professeur Wark a une considérable expérience professionnelle des affaires touchant la sécurité et le renseignement. Il est membre du comité consultatif de rédaction de plusieurs revues, dont Intelligence and National Security. De 1994 à 2002, il a été rédacteur responsable de la série Studies in Intelligence, publiée par Frank Cass and Co., Londres, Royaume‑Uni, une publication renfermant des études sous forme de livres sur des questions intéressant le renseignement et la sécurité nationale. Il a été président de l’Association canadienne pour les études de renseignement et de sécurité, une organisation nationale dont l’objet est de mobiliser les intellectuels, les spécialistes et autres dans une étude multisectorielle et un dialogue public sur le renseignement et la sécurité.

 

[18]           Le professeur Wark a été nommé pour deux mandats, de 2005 à 2009, au sein du Conseil consultatif du premier ministre sur la sécurité nationale. De 1996 à 1998, il a été consultant pour le Secrétariat de l’évaluation du renseignement du Bureau du Conseil privé. Il a témoigné devant les comités du Sénat et de la Chambre des communes sur des questions intéressant la sécurité et la défense nationale, la Loi antiterroriste et l’Afghanistan. Il a rédigé, pour l’enquête judiciaire sur la tragédie du vol d’Air India, un document de recherche portant sur la coopération entre le Service et la Gendarmerie royale du Canada (la GRC). Il a été expert invité lors d’une table ronde de spécialistes canadiens sur la responsabilité en matière de sécurité nationale pour la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar (l’Enquête Arar). Le professeur Wark a aussi produit un témoignage d’opinion dans le cas de M. Harkat, sur la nature de l’appartenance à al-Qaeda et sur l’évolution de cette organisation.

 

[19]           La Cour a jugé le professeur Wark apte à produire un témoignage d’opinion, compte tenu de sa connaissance des informations qui sont dans le domaine public, de ses expériences personnelles et de ses observations découlant de son examen de documents non classifiés et déclassifiés, à propos de ce qui suit :

1.   Les politiques et pratiques du Service en matière de partage de l’information.

 

2.   Les sources d’informations et de renseignements accessibles au Service concernant les organisations et activités terroristes implantées en Égypte.

 

3.   La capacité du Service d’enquêter indépendamment et d’évaluer ces informations et renseignements.

 

M. Mossallanejed

[20]           M. Mossallanejed est conseiller et analyste des politiques auprès du Centre canadien pour les victimes de torture (le Centre); il travaille pour le Centre depuis 1992. Le Centre aide les survivants d’actes de torture à surmonter les effets durables de la torture et de la guerre. Grâce à cette expérience, M. Mossallanejed a été en relation quotidienne avec des personnes qui ont survécu à la torture. De 1991 à 1992, il a travaillé auprès du Service jésuite des réfugiés comme analyste des politiques, éducateur et coordinateur. Il détient un doctorat en économie politique et une maîtrise en affaires internationales. Il est l’auteur de Torture in the Age of Fear (Hamilton, Ontario : Seraphim Editions, 2005). Il est un survivant de la torture. Son affidavit est fondé sur sa recherche et ses écrits, sur son expérience auprès de victimes de torture, et sur son expérience personnelle de la torture. Il y examine la pratique de la torture et autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants, y compris son usage répandu, sa nature et son objet.

 

III.      Question en litige

[21]           La présente requête soulève la question suivante : les renseignements invoqués par les ministres dans leurs arguments à l’encontre de M. Mahjoub sont-ils irrecevables aux termes de l’alinéa 83(1)h) et du paragraphe 83(1.1) de la LIPR, du fait qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture au sens de l’article 269.1 du Code criminel, ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, au sens de la Convention contre la torture?

 

IV.      Cadre juridique

[22]           Les dispositions applicables de la LIPR sont les suivantes :

76. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.

 

[...]

 

76. The following definitions apply in this Division.

 

 

[...]

« renseignements » Les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité et ceux obtenus, sous le sceau du secret, de source canadienne ou du gouvernement d’un État étranger, d’une organisation internationale mise sur pied par des États ou de l’un de leurs organismes.

 

[...]

 

"information" means security or criminal intelligence information and information that is obtained in confidence from a source in Canada, the government of a foreign state, an international organization of states or an institution of such a government or international organization.

 

 

 

[...]

 

77(2) Le ministre dépose en même temps que le certificat les renseignements et autres éléments de preuve justifiant ce dernier, ainsi qu’un résumé de la preuve qui permet à la personne visée d’être suffisamment informée de sa thèse et qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon le ministre, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

 

 

[...]

 

77(2) When the certificate is referred, the Minister shall file with the Court the information and other evidence on which the certificate is based, and a summary of information and other evidence that enables the person who is named in the certificate to be reasonably informed of the case made by the Minister but that docs not include anything that, in the Minister’s opinion, would be injurious to national security or endanger the safety of any person if disclosed.

 

[...]

 

83. (1) Les règles ci-après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2:

 

a) le juge procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive;

 

[...]

 

h) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément — même inadmissible en justice — qu’il estime digne de foi ct utile et peut fonder sa décision sur celui-ci;

 

 

(1.1) Pour l’application de l’alinéa (l)h), sont exclus des éléments de preuve dignes de foi et utiles les renseignements dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours a la torture, au sens de l’article 269.1 du Code criminel, ou a d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, au sens de la Convention contre la torture.

 

 

83. (1) The following provisions apply to proceedings under any of sections 78 and 82 to 82.2;

 

 

(a) the judge shall proceed as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness and natural justice permit;

 

 

 

[...]

 

(h) the judge may receive into evidence anything that, in the judge’s opinion, is reliable and appropriate, even if it is inadmissible in a court of law, and may base a decision on that evidence;

 

(1.1) For the purposes of paragraph (l)(h), reliable and appropriate evidence docs not include information that is believed on reasonable grounds to have been obtained as a result of the use of torture within the meaning of section 269.1 of the Criminal Code, or cruel, inhuman or degrading treatment or punishment within the meaning of the Convention Against Torture.

 

 

[23]           L’article 269.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, dispose :

269.1 (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans le fonctionnaire qui — ou la personne qui, avec le consentement exprès ou tacite d’un fonctionnaire ou a sa demande — torture une autre personne.

 

269.1 (1) Every official, or every person acting at the instigation of or with the consent or acquiescence of an official, who inflicts torture on any other person is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding fourteen years.

 

(2) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

« fonctionnaire » L’une des personnes suivantes, qu’elle exerce ses pouvoirs au Canada ou a l’étranger :

a)   un agent de la paix;

b)  un fonctionnaire public;

c)   un membre des forces canadiennes;

d)  une personne que la loi d’un État étranger investit de pouvoirs qui, au Canada, seraient ceux d’une personne mentionnée a l’un des alinéas a), b) ou c).

 

(2) For the purposes of this section,

"official" means

(a)   a peace officer,

(b)  a public officer,

(c)   a member of the Canadian Forces, or

(d)  any person who may exercise powers, pursuant to a law in force in a foreign state, that would, in Canada, be exercised by a person referred to in paragraph (a), (b), or (c), whether the person exercises powers in Canada or outside Canada;

 

« torture » Acte, commis par action ou omission, par lequel une douleur ou des souffrances aigues, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne :

a) soit afin notamment :

(i) d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou une déclaration,

(ii) de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis,

(iii) de 1’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider une tierce personne ou de faire pression sur celle-ci;

b) soit pour tout autre motif fonde sur quelque forme de discrimination que ce soit. La torture ne s’entend toutefois pas d’actes qui résultent uniquement de sanctions légitimes, qui sont inhérents a celles-ci ou occasionnés par elles.

 

"torture" means any act or omission by which severe pain or suffering, whether physical or mental, is intentionally inflicted on a person

(a)  for a purpose including

(i) obtaining from the person or from a third person information or a statement,
(ii) punishing the person for an act that the person or a third person has committed or is suspected of having committed, and

(iii) intimidating or coercing the person or a third person, or

(b) for any reason based on discrimination of any kind, but does not include any act or omission arising only from, inherent in or incidental to lawful sanctions.

 

(3) Ne constituent pas un moyen de défense contre une accusation fondée sur le présent article ni le fait que l’accusé a obéi aux ordres d’un supérieur ou d’une autorité publique en commettant les actes qui lui sont reproches ni le fait que ces actes auraient été justifiés par des circonstances exceptionnelles, notamment un état de guerre, une menace de guerre, l’instabilité politique intérieure ou toute autre situation d’urgence,

 

(3) It is no defence to a charge under this section that the accused was ordered by a superior or a public authority to perform the act or omission that forms the subject-matter of the charge or that the act or omission is alleged to have been justified by exceptional circumstances, including a state of war, a threat of war, internal political instability or any other public emergency.

 

(4) Dans toute procédure qui relève de la compétence du Parlement, une déclaration obtenue par la perpétration d’une infraction au présent article est inadmissible en preuve, sauf a litre de preuve de cette infraction.

(4) In any proceedings over which Parliament has jurisdiction, any statement obtained as a result of the commission of an offence under this section is inadmissible in evidence, except as evidence that the statement was so obtained.

 

[24]           Les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après les TCID) ne sont pas explicitement définis dans la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, RT Can 1987, n° 36 (la CCT). Le seul article de la CCT qui parle des TCID est l’article 16, qui oblige les États signataires à interdire dans tout territoire sous leur juridiction les « peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture », lorsque de tels actes sont commis par un agent de la fonction publique à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Il est donc nécessaire d’examiner ce en quoi consistent les TCID selon l’interprétation qu’a donnée de l’article 16 de la CCT le Comité contre la torture (le Comité).

 

[25]           Le Comité n’a pas expressément défini les TCID dans ses travaux. Dans sa jurisprudence, il n’a explicitement conclu à une violation de l’article 16 que dans l’affaire Hajrizi Dzemajl et consorts c Yougoslavie (2002), UN Doc CAT/C/29/D/161/2000. Dans cette affaire, le Comité concluait que :

[...] le fait d’incendier et de détruire des maisons [dans un quartier rom] est en l’espèce un acte constitutif de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant. Cet acte est d’autant plus grave que certains des requérants étaient encore cachés dans le quartier lorsque les maisons ont été incendiées et détruites, que les victimes présumées étaient particulièrement vulnérables et que les motifs des assaillants étaient en grande partie raciaux (au paragraphe 9.2).

 

[26]           Le Comité a donné de nombreux exemples de ce qu’il considère être des TCID dans ses conclusions et recommandations sur l’observation de la CCT par les États signataires. Ces exemples donnent des indications sur le sens des TCID selon la CCT. Je reproduis ci-après certains des exemples en question :

·          Recours à des dispositifs d’électrochocs pour maîtriser des personnes sous garde (Comité contre la torture, Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention : États-Unis, UNCAT 36th Sess, (2006) UN Doc CAT/C/USA/CO/2, au paragraphe 35)

·          Conditions déplorables de détention à des températures extrêmement froides, avec privation d’eau potable et absence d’électricité (Comité contre la torture, Rapport du Comité contre la torture, UNCAT 56th Sess, (2001) Un Doc A/56/44, au paragraphe 183).

·         Rigoureuses mesures disciplinaires infligées à des soldats durant leur service militaire obligatoire, mesures qui ont causé de graves blessures, voire des pertes de vie (Ibid., au paragraphe 95).

·         Longues périodes de détention avant procès, et lenteurs de la procédure judiciaire, ce qui, outre un surpeuplement des prisons, avait eu pour effet que les prisonniers en attente de leur procès étaient détenus dans des postes de police et autres lieux de détention insuffisamment équipés pour de longues périodes de détention (Ibid., au paragraphe 119).

·         Certaines méthodes d’application de la peine capitale (Comité contre la torture, Rapport du Comité contre la torture, UNCAT 51st Sess, (1996) UN Doc A/51/44, au paragraphe 148).

·         Recours excessif à la force par des organismes chargés de l’application de la loi pour mettre fin à des émeutes et manifestations (Manfred Nowak & Elizabeth McArthur, The United Nations Convention against Torture: a Commentary (Oxford : Oxford University Press, 2008), page 567).

 

[27]           La réponse à la question de savoir si des traitements allégués constituent des TCID au sens de la CCT dépendra des circonstances de chaque cas, auxquelles s’ajouteront les décisions et observations passées du Comité.

 

[28]           Des indications utiles sont également offertes par Manfred Nowak, rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il fait observer que le critère fondamental permettant de distinguer les TCID de la torture n’est pas l’intensité des douleurs ou souffrances infligées, mais plutôt [TRADUCTION] « l’objet de la conduite, l’intention de l’auteur et l’impuissance de la victime » (Manfred Nowak, Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, AGNU, Conseil des droits de l’homme, 13e Sess, (2010) UN Doc A/HRC/13/39/Add.5, au paragraphe 188 (le Rapport du Rapporteur spécial)). Il écrit que les peines ou traitements cruels et inhumains désignent donc le fait d’infliger de graves douleurs ou souffrances, sans objet ni intention, et en dehors d’un cas où une personne est sous le contrôle de facto d’une autre, encore que cela puisse aussi se produire lorsque la personne est sous le contrôle d’une autre (Ibid.). Il fait aussi observer que des peines ou traitements dégradants peuvent être définis comme [TRADUCTION] « le fait d’infliger des douleurs ou souffrances, physiques ou psychologiques, dans le dessein d’humilier la victime », même lorsque les douleurs ou souffrances infligées ne sont pas sévères (Nowak & McCarthur, page 558; Manfred Nowak, Les droits civils et politiques, y compris la question de la torture et de la détention, UNESC, Commission des droits de l’homme, 66e Sess, (2006) Un Doc E/CN.4/2006/6, au paragraphe 38).

 

A. Norme de preuve

[29]           Le paragraphe 83(1.1) expose clairement la norme de preuve, à savoir l’existence de « motifs raisonnables de croire » que les renseignements ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. Les parties ne sont pas en désaccord sur l’interprétation de cette norme. Toutes deux ont invoqué les décisions suivantes dans l’explication de la norme des « motifs raisonnables de croire » : Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 114; Chiau c Canada, [2001] 2 CF 297 (CA), au paragraphe 60; Jaballah (Re), 2010 CF 79 (Jaballah I), au paragraphe 43.

 

[30]           La norme des « motifs raisonnables de croire » exige davantage qu’un simple soupçon, mais reste moins stricte que la norme applicable dans les affaires civiles, à savoir la prépondérance des probabilités (arrêt Mugesera, au paragraphe 114). La norme suggère un degré de probabilité fondé sur une preuve crédible, bien que le degré de probabilité soit moindre que celui exigé dans le cas de la prépondérance des probabilités (décision Jahallah I, au paragraphe 43). Dans l’arrêt Mugesera, la Cour suprême du Canada écrivait que « [l]a croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » (au paragraphe 114, (renvoi omis)).

 

B. Fardeau de la preuve

[31]           Le paragraphe 83(1.1) de la LIPR prévoit explicitement l’exclusion de la preuve obtenue par recours à la torture ou à des TCID, mais il ne dit pas à qui incombe le fardeau d’établir que les renseignements ont été ainsi obtenus. Pour répondre à la question du fardeau de la preuve, je commencerai par exposer les positions respectives des parties.

 

La position des ministres

[32]           Les ministres font valoir que, compte tenu des alinéas 83(1)a) et 83(1)h) de la LIPR, ainsi que du contexte de la section 9 de la LIPR, il est clair que le législateur ne voulait pas que la Cour soit entravée par les restrictions en matière de preuve imposées dans d’autres cours de justice. Les ministres font aussi valoir que, dans l’arrêt Charkaoui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CSC 38 (l’arrêt Charkaoui II), au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada prescrivait une approche plus nuancée dans le contexte des certificats de sécurité. Sur ce fondement, les ministres soutiennent que le législateur ne voulait pas que s’appliquent les règles normales du fardeau de la preuve se rapportant à la recevabilité de tel ou tel élément de preuve. Ils prétendent donc que c’est à la personne nommément désignée dans le certificat qu’il appartient de montrer que la preuve est irrecevable du fait qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle a été obtenue par recours à la torture ou à des TCID.

 

[33]           Les ministres invoquent un arrêt rendu par la Chambre des lords, A & Ors v Secretary of State for the Home Department, [2005] UKHL 71, pour soutenir que l’allégation généralisée et non étayée de la personne nommément désignée selon laquelle elle a été soumise à la torture ne devrait pas obliger l’État à prouver l’absence de torture, car ce serait là un fardeau excessif, compte tenu qu’il sera sans doute impossible à l’État de connaître ou d’établir les circonstances dans lesquelles les renseignements ont au départ été obtenus (au paragraphe 119). Dans l’arrêt A & Ors, les personnes visées par un certificat délivré en vertu de l’article 21 de l’Anti-terrorism, Crime and Security Act 2001, (R-U), 2001, c 24, en vigueur à l’époque, affirmaient que la preuve utilisée contre elles avait été obtenue au moyen de la torture.

 

[34]           Les ministres affirment aussi cependant que la conclusion de la Chambre des lords, dans l’arrêt A & Ors, selon laquelle le fardeau de la preuve ne saurait reposer sur la personne visée par le certificat, n’est pas applicable dans le contexte canadien. Les ministres se fondent sur la décision Almrei (Re), 2009 CF 1263, au paragraphe 487, pour soutenir que, contrairement au système en vigueur au Royaume‑Uni, la procédure canadienne des certificats de sécurité offre à la personne qui en est l’objet un niveau beaucoup plus élevé de divulgation et, grâce aux avocats spéciaux, une protection accrue, et qu’il est par conséquent indiqué de faire reposer le fardeau sur la personne désignée dans le certificat.

 

La position de M. Mahjoub

[35]           M. Mahjoub fait valoir que le fardeau de la preuve repose sur les ministres. D’abord, il dit que, puisque ce sont les ministres qui veulent produire les preuves, alors ils doivent établir leur recevabilité. M. Mahjoub se réfère au principe exposé dans l’arrêt R c Darrach, [2000] 2 RCS 443, au paragraphe 46, selon lequel c’est à la partie qui veut produire des preuves d’en établir la recevabilité. Deuxièmement, M. Mahjoub soutient que, puisqu’il n’a pas accès aux renseignements invoqués par les ministres, et puisqu’il ne connaît pas l’identité des organismes étrangers qui ont communiqué une portion appréciable des renseignements en question, il n’est pas en position d’établir la probabilité que la validité de tel ou tel renseignement soit viciée par des actes de torture ou par des TCID.

 

[36]           M. Mahjoub demande lui aussi à la Cour de considérer l’arrêt A & Ors, plus précisément la conclusion des lords juges selon laquelle il était excessif de faire reposer le fardeau de la preuve sur la personne visée par le certificat (voir les paragraphes 55 et 116 de l’arrêt). M. Mahjoub reconnaît et convient qu’il doit établir un fondement sur lequel puisse être mise en doute la recevabilité de la preuve, mais il affirme que le fardeau de persuasion repose sur les ministres. Invoquant l’arrêt A & Ors, au paragraphe 56, M. Mahjoub soutient qu’il devrait être tenu uniquement de s’acquitter du fardeau consistant à avancer une [traduction] « raison vraisemblable » montrant que les renseignements invoqués par les ministres ont été obtenus par recours à la torture ou à des TCID.

 

La position des avocats spéciaux

[37]           Les avocats spéciaux appuient la position de M. Mahjoub sur le fardeau de la preuve. Ils se réfèrent eux aussi à l’arrêt A & Ors, mais affirment que la conclusion des lords juges consistant à faire reposer le fardeau sur la Special Immigration Appeals Commission (la SIAC) est inapplicable dans le contexte canadien. Ils soutiennent que, dans le contexte canadien, le seul principe pertinent et important qui puisse être tiré de l’arrêt A & Ors est que le fardeau de la preuve ne saurait reposer sur la personne visée par le certificat.

 

[38]           Les avocats spéciaux font valoir que ce principe est validé par la jurisprudence canadienne. Ainsi, dans l’arrêt R c Oakes, [1986] 1 RCS 103, la Cour suprême du Canada avait confirmé qu’une disposition imposant à l’accusé la charge de la preuve à l’égard d’un fait dont, logiquement, il n’était pas à même de prouver l’existence ou l’inexistence n’était guère justifiable. Les avocats spéciaux font aussi observer que, dans la décision Mahjoub (Re), 2006 CF 1503, aux paragraphes 33 à 36, la juge Tremblay‑Lamer a suivi l’approche de l’arrêt A & Ors, en exigeant seulement de la personne visée par le certificat qu’elle avance une raison vraisemblable montrant que la preuve avait pu être obtenue au moyen de la torture.

 

[39]           Répondant aux ministres, les avocats spéciaux font valoir que leur rôle ne leur permet pas d’aider suffisamment M. Mahjoub pour compenser les limites intrinsèques auxquelles il doit s’accommoder, et c’est pourquoi le fardeau de la preuve devrait reposer sur les ministres.

 

[40]           Les avocats spéciaux soutiennent aussi qu’il n’est pas déraisonnable de faire reposer le fardeau sur les ministres si l’on considère la capacité supérieure des ministres, par rapport à celle de la personne concernée ou à celle des avocats spéciaux, de soumettre à la Cour des éléments concernant la recevabilité des preuves au regard du paragraphe 83(1.1). Les ministres, et plus précisément le Service, peuvent s’enquérir auprès d’organismes étrangers sur la provenance de renseignements qu’il a reçus de tels organismes, présenter des preuves intéressant la conduite des organismes étrangers à l’origine des renseignements, comme le fait le Service quand il veut faire approuver une entente conclue avec un gouvernement étranger, en application de l’article 17 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C-23 (la Loi sur le SCRS) et faire appel au personnel spécialisé du Service, lequel est particulièrement bien placé pour exprimer un avis sur les renseignements reçus ainsi que sur la conduite et les pratiques de l’organisme d’origine à la date où les renseignements ont été reçus, en particulier les agents de liaison en matière de sécurité (ALS), aujourd’hui appelés agents de collecte étrangers (ACE), qui pouvaient être en service à la date où les renseignements ont été communiqués.

 

Analyse

[41]           L’absence, dans le paragraphe 83(1.1), d’une disposition précise concernant le fardeau de la preuve appelle un examen des principes de base.

 

[42]           Le principe général qui s’applique à la recevabilité de la preuve est que la preuve pertinente est recevable à moins qu’elle ne soit l’objet d’une règle d’exclusion (R c Morris, [1983] 2 RCS 190, à la page 201). Il existe une règle fondamentale de preuve selon laquelle la partie qui cherche à présenter un élément de preuve doit convaincre le tribunal de sa recevabilité (arrêt Darrach, au paragraphe 46). Dans le contexte d’une procédure portant sur un certificat de sécurité, puisque la LIPR ne dit pas explicitement le contraire, c’est aux ministres qu’il appartient de convaincre la Cour de la recevabilité des renseignements figurant dans le Rapport de renseignements de sécurité (le RRS) concernant M. Mahjoub.

 

[43]           L’alinéa 83(1)h) de la LIPR dispose que le juge désigné « peut recevoir et admettre en preuve tout élément – même inadmissible en justice – qu’il estime digne de foi et utile et peut fonder sa décision sur celui-ci ».

 

[44]           Dans la décision Jaballah (Re), 2010 CF 224 (Jaballah II), aux paragraphes 62 à 64, la juge Dawson, examinant l’alinéa 83(1)h), qualifiait ainsi la disposition :

[62] À première vue, l’alinéa 83(1)h) semble destiné à faciliter l’admission d’éléments de preuve qui seraient par ailleurs inadmissibles. Cette disposition reconnaît le type d’informations et de renseignements que l’on recueille dans le contexte d’une enquête en matière de sécurité nationale. Un exemple de cela serait les informations obtenues d’un organisme étranger digne de confiance. Il est fort possible que la Cour soit convaincue que l’information est digne de foi et utile mais, selon les règles de preuve classiques, elle serait inadmissible car il s’agirait de ouï‑dire.

 

[63] Indépendamment de cette fin, l’emploi de mots larges et permissifs comme « peut », « qu’il estime » et « digne de foi et utile » confère au juge désigné le vaste pouvoir discrétionnaire de contrôler, d’une manière rationnelle, les informations et les éléments de preuve que reçoit la Cour.

 

[64] Cette opinion s’appuie sur le paragraphe 83(1.1) de la Loi, dont le texte est le suivant :

 

Précision

83 (1.1) Pour l’application de l’alinéa (1)h), sont exclus des éléments de preuve dignes de foi et utiles les renseignements dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture, au sens de l’article 269.1 du Code criminel, ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, au sens de la Convention contre la torture.

 

Clarification

83 (1.1) For the purposes of paragraph (l)(h), reliable and appropriate evidence does not include information that is believed on reasonable grounds to have been obtained as a result of the use of torture within the meaning of section 269.1 of the Criminal Code, or cruel, inhuman or degrading treatment or punishment within the meaning of the Convention Against Torture.

 

 

 

[45]           Je souscris à la manière dont la juge Dawson qualifie l’alinéa 83(1)h) de la LIPR. La disposition confère au juge désigné un large pouvoir d’appréciation, mais elle exige aussi que les renseignements devant être reçus comme preuve soient dignes de foi et utiles.

 

[46]           Il s’ensuit que les ministres, à qui il appartient de convaincre la Cour de la recevabilité des preuves qu’ils souhaitent produire au soutien de leurs arguments contre la personne visée par le certificat, doivent persuader la Cour que les renseignements sont à la fois dignes de foi et utiles pour qu’ils puissent être reçus comme preuve.

 

[47]           Le paragraphe 83(1.1) de la LIPR dispose que les renseignements dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID ne sont pas dignes de foi et utiles aux fins de l’alinéa 83(1)h). Le paragraphe 83(1.1) a été examiné par la juge Dawson dans la décision Jaballah II. Au paragraphe 65 de ses motifs, elle a adopté l’interprétation suivante de la disposition, interprétation à laquelle je souscris :

L’analyse article par article du projet de loi C‑3 indique que le paragraphe 83(1.1) a été ajouté pour préciser que les éléments de preuve dignes de foi et utiles n’incluent pas les informations qui, a‑t‑on des motifs raisonnables de croire, ont été obtenues sous la torture. Le fait que le paragraphe 83(1.1) soit simplement une « clarification » reflète à mon sens l’intention du législateur selon laquelle la Cour ne devrait pas recevoir d’informations ou d’éléments de preuve entachés par le fait qu’ils ne sont pas dignes de foi ou utiles.

 

[48]           Les ministres font valoir que la charge d’établir des « motifs raisonnables de croire » aux termes du paragraphe 83(1.1) repose sur la personne visée par le certificat. Je ne partage pas cet avis. L’objet de l’alinéa 83(1)h), précisé par le paragraphe 83(1.1), est de faire état explicitement d’une catégorie de renseignements qui sont irrecevables parce que considérés comme non dignes de foi et non utiles. La disposition ne fait pas reposer sur la personne visée par le certificat la charge d’établir des « motifs raisonnables de croire ». En fait elle ne dit rien sur la question de savoir qui supporte la charge d’établir des « motifs raisonnables de croire ». Par conséquent, elle ne dispense nullement les ministres du fardeau de la preuve, et c’est à eux qu’il revient d’établir la recevabilité des preuves sur lesquelles ils se fondent.

 

[49]           Au demeurant, la nature exceptionnelle de la procédure relative aux certificats de sécurité valide l’interprétation ci-dessus de l’alinéa 83(1)h) et du paragraphe 83(1.1). La personne désignée dans le certificat ignore la plupart des renseignements que les ministres invoquent à son encontre. Dans la décision Mahjoub, la juge Tremblay‑Lamer a reconnu les limites intrinsèques auxquelles elle fait face dans une telle procédure. Au paragraphe 33 de ses motifs, elle s’exprimait ainsi :

À mon avis, la démarche adoptée par mes collègues à l’égard du fardeau de la preuve indique qu’ils ont dûment tenu compte de la nature spéciale des affaires de ce genre, et qu’ils ont reconnu les limites intrinsèques imposées aux personnes comme le demandeur. J’estime qu’une telle démarche est préférable à celle qui a été proposée par les défendeurs dans les circonstances spéciales du contexte actuel.

 

[50]           Les ministres, en revanche, qui voudraient produire comme preuve les renseignements contenus dans le RRS sont mieux placés pour faire connaître à la Cour l’origine de tels renseignements.

 

[51]           Comme il est indiqué plus haut, les parties, tout comme les avocats spéciaux, se fondent sur l’arrêt A & Ors de la Chambre des lords pour appuyer leurs positions respectives. Les avis des lords juges dans l’arrêt A & Ors étaient exprimés dans le contexte de régimes législatifs qui diffèrent notablement de celui que j’ai devant moi, mais leurs avis font ressortir la nécessité d’être sensible aux intérêts en jeu. Plus exactement, d’une part l’intérêt de la personne visée par le certificat, une personne qui n’est pas en mesure d’accéder à bon nombre des renseignements invoqués à son encontre, et d’autre part l’obligation de l’État de préserver la sécurité du public au Canada. À la base de l’appréciation de ces intérêts se trouve la nécessité fondamentale de garantir l’équité de la procédure et l’intégrité de l’administration de la justice.

 

[52]           Dans l’arrêt A & Ors, la Chambre des lords n’a pas fait reposer le fardeau sur le détenu. Au paragraphe 116, lord Hope of Craighead, s’exprimant pour les juges majoritaires, écrivait que :

[traduction]

 

[...] Il serait tout à fait irréaliste de s’attendre à ce que le détenu puisse prouver quoi que ce soit, étant donné qu’on  lui  refuse l’accès à une grande partie des renseignements qui sont utilisés contre lui. On ne peut s’attendre qu’il indique d’où provient la preuve, et encore moins l’identité des personnes qui l’ont fournie. Tout ce que l’on peut raisonnablement attendre de sa part, c’est qu’il soulève la question en demandant que ce point soit examiné par la SIAC. [...]

 

[53]           Dans la décision Mahjoub, la juge Tremblay‑Lamer, examinant les avis rendus par les lords juges sur cette question, a adopté une approche semblable. Après avoir examiné la jurisprudence de la Cour, elle s’exprimait ainsi, au paragraphe 34 de ses motifs :

À mon avis, au vu de la jurisprudence que je viens de citer, lorsque la question est soulevée par un demandeur qui explique de manière plausible pourquoi il est vraisemblable que la preuve a été obtenue par la torture, le décideur doit ensuite examiner cette question en tenant compte des renseignements publics et confidentiels. Si le décideur estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que cette preuve a vraisemblablement été obtenue par la torture, il ne doit pas la retenir pour rendre une décision.

 

[54]           Ici, M. Mahjoub ne conteste pas que la personne désignée dans le certificat a l’obligation de soulever la question. À mon avis, l’approche adoptée par la juge Tremblay‑Lamer et par la Chambre des lords est applicable dans le contexte du paragraphe 83(1.1).

 

[55]           L’approche exposée par la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Mahjoub s’accorde aussi avec le cadre analytique suivi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt British Columbia Securities Commission c Branch, [1995] 2 RCS 3. Ce précédent, qui concernait une affaire criminelle, examinait le fardeau de la preuve imposé à l’accusé en matière d’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée. Je conviens que les principes du droit criminel ne trouvent pas nécessairement une application directe dans les procédures intéressant les certificats de sécurité, mais ils peuvent donner des indications utiles sur le cadre analytique et les principes de base (voir la décision Charkaoui II, aux paragraphes 47 à 55). Au paragraphe 5 de l’arrêt British Columbia Securities Commission, la Cour suprême du Canada écrivait ce qui suit :

Aux pages 565 et 566 de l’arrêt S. (R.J.), le juge Iacobucci a examiné le fardeau de la preuve imposé à l’accusé en matière d’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée. Il a affirmé qu’il y aurait alors application de la règle générale de la Charte selon laquelle la partie qui allègue une violation de la Charte doit en prouver l’existence selon la prépondérance des probabilités. Le juge Iacobucci a ensuite affirmé qu’en pratique ce fardeau risquera d’être assumé par le ministère public puisqu’on peut s’attendre à ce que ce soit lui qui sache comment les éléments de preuve ont été ou auraient pu être obtenus. Cela signifie que l’accusé a la charge de démontrer l’existence plausible d’un lien entre le témoignage forcé et les éléments de preuve que l’on cherche à présenter. Une fois cela établi, le ministère public devra, pour que ces éléments de preuve soient admis, convaincre le tribunal, selon la prépondérance des probabilités, que les autorités auraient, en l’absence du témoignage forcé, découvert la preuve dérivée que l’on conteste.

 

[56]           Dans le passage cité, la Cour suprême reconnaissait la pertinence de faire reposer le fardeau sur le ministère public, puisqu’il était en meilleure position de savoir « comment les éléments de preuve ont été ou auraient pu être obtenus ». En définitive, l’accusé ne fut tenu que de démontrer « l’existence plausible d’un lien » entre le témoignage forcé et les éléments de preuve que l’on cherchait à présenter. Les circonstances dont il s’agit ici sont différentes, mais l’analogie est néanmoins utile. En l’espèce, les ministres sont pareillement en bien meilleure position que M. Mahjoub pour connaître et régler les aspects intéressant l’origine des renseignements et les circonstances dans laquelle ils ont été recueillis.

 

[57]           Je reconnais que, depuis qu’a été rendue la décision Mahjoub, le programme des avocats spéciaux a été institué à la suite de l’adoption du projet de loi C-3, en même temps que d’autres modifications apportées à la LIPR. Les ministres font valoir que l’aptitude de la personne désignée dans le certificat à vérifier la pertinence, la véracité et l’adéquation des preuves est renforcée par les avocats spéciaux, à qui il appartient de protéger son intérêt au regard des renseignements confidentiels.

 

[58]           Les avocats spéciaux ont accès aux renseignements exclusifs, mais les ministres conservent un avantage notable. Non seulement connaissent-ils l’origine des renseignements, mais encore ils ont les moyens de s’adresser à nouveau aux organismes soupçonnés d’obtenir des renseignements par la torture ou par des TCID pour en savoir davantage.

 

[59]           En conclusion, dans les procédures touchant les certificats de sécurité, les ministres ont le fardeau d’établir que les renseignements sur lesquels ils se fondent sont dignes de foi et utiles. Ils doivent établir que les renseignements sont recevables. En vertu de l’alinéa 83(1)h) et du paragraphe 83(1.1), les renseignements dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par le recours à la torture ou à des TCID ne sont pas recevables. Lorsque la personne désignée dans le certificat allègue avoir subi la torture ou des TCID, il lui appartient de faire valoir que les renseignements invoqués par les ministres ont été obtenus par de tels moyens. À mon avis, pour s’acquitter de cette obligation initiale, la personne visée par le certificat doit uniquement établir l’existence plausible d’un lien entre le recours à la torture ou à des TCID et les renseignements invoqués par les ministres. Selon la force de la preuve présentée par la personne visée dans le certificat, les ministres pourront réagir par de nouveaux éléments de preuve. Après avoir entendu les observations des parties, la Cour, se fondant sur l’ensemble de la preuve soumise, décidera alors s’il existe des motifs raisonnables de croire que les éléments de preuve proposés ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID.

 

C. Preuve dérivée

[60]     La prochaine question qu’on doit aborder concerne la preuve dérivée, notamment à savoir si elle doit aussi être exclue au titre de l’article 83 de la LIPR. Par définition, une preuve dérivée est une preuve matérielle découverte à la suite d’une déclaration obtenue illégalement (R c Grant, 2009 CSC 32, au paragraphe 116). Dans le contexte de la présente requête, la preuve dérivée est constituée de renseignements ou d’éléments de preuve découverts à la suite d’une information obtenue en conséquence du recours à la torture ou à des TCID. M. Mahjoub soutient que la preuve dérivée est visée au paragraphe 83(1.1), tandis que les ministres prétendent qu’elle n’est pas visée par ce paragraphe de la LIPR.

[61]     Une bonne partie de la jurisprudence entourant la preuve dérivée concerne des contestations judiciaires au titre du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, c 11. Dans le cas d’une contestation au titre du paragraphe 24(2) de la Charte, le juge doit dorénavant prendre en compte un certain nombre de facteurs avant de décider d’admettre ou de rejeter une preuve dérivée. Au nombre de ces facteurs figurent la conduite de la police dans l’obtention de la déclaration, l’impact de la violation sur l’accusé eu égard à ses intérêts protégés par la Charte et l’intérêt du public à ce qu’une cause soit jugée sur le fond. La pondération des facteurs est toujours laissée à la discrétion du juge, et il pourrait en résulter qu’une preuve dérivée soit ainsi admise conformément au paragraphe 24(2) de la Charte, dans des cas où une preuve digne de foi a été obtenue à la suite d’une violation ayant été faite de bonne foi et n’ayant pas eu pour effet de porter gravement atteinte aux intérêts protégés de l’accusé.

[62]     Ici les circonstances sont tout autres. À mon avis, la règle constitutionnelle énoncée ci‑dessus ne s’applique pas à la situation en cause et n’est pas d’une grande utilité aux fins d’interpréter le paragraphe 83(1.1).

[63]     Dans mon interprétation de la disposition, je me guide sur les principes de l’interprétation législative établis par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27. Selon ces principes, l’interprétation d’une loi ne peut être fondée uniquement sur son libellé. Il faut interpréter les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens courant et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[64]     Le libellé du paragraphe 83(1.1) vise à préciser que « des renseignements dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture [...], ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » sont exclus des éléments de preuve dignes de foi et utiles pour les besoins de l’alinéa 83(1)h).

 

[65]      Le terme « renseignements » a une portée plus large que le terme « déclaration » utilisé dans l’article 15 de la CCT et le paragraphe 269.1(4) du Code criminel, qui prévoient l’exclusion de toute déclaration obtenue par suite du recours à la torture. Ainsi, l’intention des législateurs aurait été de ne pas limiter l’exclusion prévue au paragraphe 83(1.1) aux déclarations obtenues par la coercition, c’est-à-dire aux renseignements obtenus directement par la torture. Le libellé de la disposition s’appliquerait plutôt à toute forme de renseignements obtenus par la torture, y compris ceux obtenus par la coercition.

 

[66]      Les buts de la disposition à l’étude sont bien documentés et se reflètent dans les trois propositions suivantes : premièrement, les renseignements obtenus par suite du recours à la torture sont intrinsèquement peu fiables; deuxièmement, l’exclusion de tels renseignements des instances judiciaires représente un outil efficace pour décourager le recours à la torture; troisièmement, l’admission de tels renseignements en preuve va à l’encontre des principes judiciaires et porte atteinte à l’intégrité de la procédure judiciaire.

 

[67]      De plus, un examen du contexte législatif de la disposition contribue à mieux comprendre l’intention des parlementaires eu égard à la question. Le paragraphe 83(1.1) ne figurait pas dans le texte du projet de loi C-3 à l’étape de la première lecture. L’ajout de ce paragraphe résulte d’un amendement apporté par le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambres des communes. Après l’appréciation d’un certain nombre d’options, c’est l’actuel libellé de la disposition que la Chambre des communes a ultimement adopté.

 

[68]     Il appert sans aucun doute que les législateurs étaient très sensibilisés à la question de la preuve dérivée enchâssée dans l’amendement proposé. Le débat a porté en partie sur la nécessité, non pas d’empêcher les autorités policières de poursuivre des pistes d’enquête découlant d’une preuve dérivée, mais de reconnaître que l’amendement risquait fort bien de rendre la preuve subséquemment inadmissible en cour. L’échange suivant éclaire bien la question :

Honorable Roy Cullen : Je voudrais demander aux fonctionnaires de donner leur opinion.  Si nous adoptons cet amendement, un juge pourrait-il exclure tout renseignement valide dérivé d'une déclaration faite sous la torture? Il s'agirait de preuves dérivées, je suppose.

M. Daniel Therrien : La principale différence que nous constatons entre ce libellé, d'une part, et l'amendement de M. Ménard et l'amendement du gouvernement, d'autre part, se situe précisément au niveau de l'utilisation dérivée des renseignements dont vous avez parlé.

Les deux autres motions excluent les déclarations obtenues sous la torture. Celle-ci parle de façon plus générale des renseignements obtenus en utilisant la torture. Du point de vue purement pratique, ce libellé semble empêcher les autorités policières — ou du moins les tribunaux pourraient en faire cette interprétation — à poursuivre la piste d'enquête dont vous avez parlé tout à l'heure.

Honorable Ujjal Dosanjh : Monsieur Therrien, est-il exact de dire que cela n'empêcherait pas vraiment les enquêteurs de poursuivre leur enquête, mais que cela pourrait nuire à la recevabilité de cette preuve devant un tribunal?

M. Daniel Therrien : C’est bien cela.

Honorable Ujjal Dosanjh : Par conséquent, cela n'empêche pas de poursuivre l'enquête. Cela permet d'empêcher qu'un crime soit commis. Si la police obtient ces renseignements, elle peut s'en servir.

M. Daniel Therrien : Cela pourrait l'empêcher de les utiliser, en effet.

Honorable Ujjal Dosanjh : Ultérieurement, devant un tribunal.

M. Daniel Therrien : Oui.

Honorable Ujyal Dosanjh : C'est ce que nous essayons de faire. Nous essayons d'empêcher que des preuves obtenues sous la torture soient présentées contre des gens.

M. Daniel Therrien : Cela pourrait exclure non seulement la preuve directe obtenue sous la torture, mais également les autres renseignements recueillis par les enquêteurs, parce qu'un tribunal pourrait...

Honorable Ujjal Dosanjh : Je vous comprends, mais cela n'empêchera pas les autorités policières de poursuivre des criminels et d'empêcher qu'un crime soit commis à ce moment-là, ce qui n'est pas la même chose.

Le président : Vous pouvez y réfléchir, monsieur Therrien, et nous donner votre avis un peu plus tard.

Monsieur Cullen.

Honorable Roy Cullen : Cela pose également un problème, mais disons que des renseignements soient présentés à un juge de la Cour fédérale au sujet d'une personne qui va peut-être être détenue en vertu d'un certificat de sécurité. L'avocat de l'intéressé dit que les renseignements soumis au juge ont été obtenus sous la torture.  Disons que cela ne prête pas à contestation. Néanmoins, grâce aux renseignements obtenus sous la torture, les autorités ont pu recueillir des preuves qui n'étaient pas de simples ouï-dire ou des renseignements non corroborés, mais des preuves qui reliaient clairement la personne en question à des activités terroristes. Un habile avocat pourrait dire que ces preuves sont dérivées, qu'elles ont été obtenues indirectement ou directement sous la torture et qu'elles sont donc irrecevables.

Voilà ce qui m'inquiète. Cela pourrait-il se produire?

M. Daniel Therrien : Je pense que oui.

Le président : Très bien. C'était une excellente discussion. Si elle est terminée, nous allons voter.

(Chambre des communes, Comité permanent de la sécurité publique et nationale, « Preuve » dans le Compte rendu officiel des délibérations de la Chambre des communes (jeudi 6 décembre 2007), page 12)

 

[69]     De toute évidence, la question de la preuve dérivée a été portée à l’attention des parlementaires. L’honorable Ujjal Dosanjh, dans son rapport à la Chambre des communes sur l’amendement, a affirmé ceci :

Quatrièmement, et c'est le plus important, nous avons en fait été capables d'élaborer un amendement de portée générale permettant de régler le problème des preuves susceptibles d'avoir été obtenues par la torture, qu'il s'agisse de preuves primaires ou de preuves dérivées. En vertu de cet amendement, si le juge saisi d'une affaire avait des motifs raisonnables de croire que certaines preuves ont été obtenues directement ou indirectement par la torture, il pourrait décider que ces preuves ne sont pas admissibles dans le cadre des procédures entamées contre le détenu concerné (Débats de la Chambre des communes, no 041 (31 janvier 2008), page 1550 [non souligné dans l’original]).

 

[70]      Les parlementaires savaient que l’amendement portait sur l’inadmissibilité d’une preuve pouvant avoir été obtenue « directement ou indirectement par la torture ». Si l’on tient compte de la totalité des délibérations sur la question, en adoptant l’amendement, le législateur avait l’intention manifeste d’exclure de la présente instance toute preuve primaire ou dérivée obtenue par suite du recours à la torture ou à des TCID.

 

[71]      En conséquence, après avoir examiné le libellé de la loi dans son contexte global, en suivant le sens courant et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur, j’interprète l’alinéa 83(1)h) et le paragraphe 83(1.1) comme excluant toute preuve primaire ou dérivée obtenue par suite du recours à la torture ou à des TCID de la présente instance. Une conclusion similaire a été tirée dans le contexte de l’immunité contre l’utilisation d’une preuve dérivée dans l’affaire Jaballah II (aux paragraphes 103 à 105).

 

[72]      Pour qualifier une preuve de preuve dérivée, une conclusion de fait doit être tirée en fonction des renseignements présentés dans chaque cas. Si la preuve qu’on allègue avoir été obtenue par suite du recours à la torture ou à des TCID est celle qu’invoquent les ministres, le fardeau de la faire admettre repose sur les ministres. Dans ce cas, il suffit que la personne désignée établisse un lien plausible entre la preuve précédemment exclue et la preuve offerte. Ce sera ensuite à la Cour de mener l’analyse conformément au paragraphe 59 ci-dessus.

V.        Politique du Service concernant la torture

[73]      Dans leurs observations, les ministres affirment que les politiques et les lignes directrices du Service visent à assurer que les renseignements obtenus par le Service d’organismes étrangers n’ont pas été obtenus par l’emploi de la torture. M. Mahjoub soutient que les politiques et pratiques du Service ne contribuent aucunement à prévenir la réception par le Service de renseignements obtenus par suite du recours à la torture.

 

[74]     La question est de savoir si les politiques et pratiques du Service suffisent à garantir que les renseignements obtenus par le Service satisfont les critères d’admissibilité énoncés à l’alinéa 83(1)h) et au paragraphe 83(1.1) de la LIPR. Pour les besoins de l’analyse, il convient en premier lieu d’examiner le mandat conféré au Service par la loi, lequel mandat définit la portée de ses activités, de même que ses politiques et pratiques concernant le partage de renseignements avec des pays qui ont de mauvais antécédents en matière de respect des droits de la personne.

 

[75]     Les articles suivants de la Loi sur le SCRS définissent l’essence même des fonctions du Service :

 

 Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.

 The Service shall collect, by investigation or otherwise, to the extent that it is strictly necessary, and analyse and retain information and intelligence respecting activities that may on reasonable grounds be suspected of constituting threats to the security of Canada and, in relation thereto, shall report to and advise the Government of Canada.

 

 (1) Le Service peut fournir des évaluations de sécurité aux ministères du gouvernement du Canada.

 

(2) Le Service peut, avec l’approbation du ministre, conclure des ententes avec :

 

a) le gouvernement d’une province ou l’un de ses ministères;

 

b) un service de police en place dans une province, avec l’approbation du ministre provincial chargé des questions de police.

 

Ces ententes autorisent le Service à fournir des évaluations de sécurité.

 

(3) Le Service peut, avec l’approbation du ministre, après consultation entre celui-ci et le ministre des Affaires étrangères, conclure avec le gouvernement d’un État étranger ou l’une de ses institutions, ou une organisation internationale d’États ou l’une de ses institutions, des ententes l’autorisant à leur fournir des évaluations de sécurité.

 (1) The Service may provide security assessments to departments of the Government of Canada.

 

(2) The Service may, with the approval of the Minister, enter into an arrangement with

 

(a) the government of a province or any department thereof, or

 

(b) any police force in a province, with the approval of the Minister responsible for policing in the province,

 

 

authorizing the Service to provide security assessments.

 

 

(3) The Service may, with the approval of the Minister after consultation by the Minister with the Minister of Foreign Affairs, enter into an arrangement with the government of a foreign state or an institution thereof or an international organization of states or an institution thereof authorizing the Service to provide the government, institution or organization with security assessments.

 

 Le Service peut :

 

a) fournir des conseils à un ministre sur les questions de sécurité du Canada;

 

b) transmettre des informations à un ministre sur des questions de sécurité ou des activités criminelles,

 

dans la mesure où ces conseils et informations sont en rapport avec l’exercice par ce ministre des pouvoirs et fonctions qui lui sont conférés en vertu de la Loi sur la citoyenneté ou de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

 The Service may

 

(a) advise any minister of the Crown on matters relating to the security of Canada, or

 

(b) provide any minister of the Crown with information relating to security matters or criminal activities,

 

that is relevant to the exercise of any power or the performance of any duty or function by that Minister under the Citizenship Act or the Immigration and Refugee Protection Act.

 

 Le Service peut mener les enquêtes qui sont nécessaires en vue des évaluations de sécurité et des conseils respectivement visés aux articles 13 et 14.

 

[...]

 

 The Service may conduct such investigations as are required for the purpose of providing security assessments pursuant to section 13 or advice pursuant to section 14.

 

[...]

 

 (1) Dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi, le Service peut :

 

a) avec l’approbation du ministre, conclure des ententes ou, d’une façon générale, coopérer avec :

 

(i) les ministères du gouvernement du Canada, le gouvernement d’une province ou l’un de ses ministères,

(ii) un service de police en place dans une province, avec l’approbation du ministre provincial chargé des questions de police;

 

b) avec l’approbation du ministre, après consultation entre celui-ci et le ministre des Affaires étrangères, conclure des ententes ou, d’une façon générale, coopérer avec le gouvernement d’un État étranger ou l’une de ses institutions, ou une organisation internationale d’États ou l’une de ses institutions.

 

 

(2) Un exemplaire du texte des ententes écrites conclues en vertu du paragraphe (1) ou des paragraphes 13(2) ou (3) est transmis au comité de surveillance immédiatement après leur conclusion.

 (1) For the purpose of performing its duties and functions under this Act, the Service may,

 

 

(a) with the approval of the Minister, enter into an arrangement or otherwise cooperate with

 

(i) any department of the Government of Canada or the government of a province or any department thereof, or

(ii) any police force in a province, with the approval of the Minister responsible for policing in the province; or

 

(b) with the approval of the Minister after consultation by the Minister with the Minister of Foreign Affairs, enter into an arrangement or otherwise cooperate with the government of a foreign state or an institution thereof or an international organization of states or an institution thereof.

 

(2) Where a written arrangement is entered into pursuant to subsection (1) or subsection 13(2) or (3), a copy thereof shall be given forthwith to the Review Committee.

 

[76]     L’exercice des activités du Service est également régi par les limites et les contrôles énoncés dans les directives ministérielles (au paragraphe 6(2) de la Loi sur le SCRS) ainsi que par les politiques et lignes directrices opérationnelles adoptées par le Service même.

 

[77]      Conformément à l’article 17 de la Loi sur le SCRS, le Service doit obtenir l’approbation du ministre de la Sécurité publique et consulter le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international avant de conclure une entente d’échange de renseignements avec un organisme étranger. Ce faisant, le Service doit informer le ministre des antécédents en matière de respect des droits de la personne de l’organisme pour lequel l’autorisation d’échanger des renseignements est demandée. Conformément à la politique opérationnelle intitulée OPS-402 : Ententes au titre de l’article 17 avec des États étrangers et leurs institutions et datée du 21 mai 2002, aucune entente avec des pays qui ne partagent pas le respect du Canada pour les droits démocratiques et les droits de la personne ne peut être approuvée, sauf si cela est clairement nécessaire pour protéger la sécurité nationale du Canada. Une évaluation au cas par cas est menée afin de déterminer s’il y a lieu, sur la base des critères susmentionnés, d’autoriser le Service à conclure une entente d’échange de renseignements avec un tel pays.

 

[78]     La directive ministérielle transmise au directeur du Service, intitulée Information Sharing with Foreign Agencies et datée du 14 mai 2009 (la directive ministérielle), précise que le gouvernement continue d’exécrer la torture et de s’opposer catégoriquement à son utilisation par quelque pays ou service et pour quelque raison que ce soit, y compris la collecte de renseignements. Par conséquent, pour éviter d’être complice de quelque façon que ce soit du recours à la torture, le Service doit :

[traduction]

Prendre toute autre mesure raisonnable pour réduire les risques qu’une action du Service prône ou tolère, concrètement ou en apparence, le recours à la torture, y compris, s’il y a lieu, obtenir les assurances nécessaires au moment de partager des renseignements avec des organismes étrangers.

De plus, la directive ministérielle précise que le Service [traduction] « ne doit pas sciemment utiliser des renseignements obtenus par suite du recours à la torture et doit mettre en place des mesures raisonnables et appropriées permettant d’identifier tout renseignement ayant été obtenu probablement par la suite du recours à la torture ».

 

[79]      Avant la transmission de la directive ministérielle, le sous-directeur des Opérations avait également donné la directive intitulée Directive on Information Sharing with Agencies with Poor Human Rights Records, datée du 19 novembre 2008 (la directive du SDO), laquelle prescrit que les employés doivent informer leur supérieur s’ils savent ou soupçonnent qu’un organisme étranger a maltraité quiconque (au paragraphe 6). Aussi, il est attendu que les employés du Service connaissent les profils en matière de respect des droits de la personne des organismes et des pays, et qu’ils tiennent compte de ces antécédents au moment de solliciter ou d’accepter des renseignements d’organismes étrangers (au paragraphe 8). Sur réception de tels renseignements, les employés doivent évaluer les antécédents en matière de respect des droits de la personne de l’organisme ainsi que la provenance des renseignements. S’il est soupçonné que les renseignements ont pu avoir été obtenus par l’emploi de techniques menant à de mauvais traitements, une mise en garde doit accompagner les renseignements. S’il existe [traduction] « une indication ou une preuve » de l’obtention des renseignements par l’emploi de techniques menant à de mauvais traitements, l’autorisation de recevoir des renseignements supplémentaires de l’organisme doit être obtenue du ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ (au paragraphe 17).

 

[80]      La politique opérationnelle intitulée OPS-501: Operational Reporting et datée du 27 mars 2009 a eu pour effet d’ajouter une autre exigence selon laquelle, au moment de télécharger de la banque de données du Service des renseignements provenant d’un organisme étranger ayant des antécédents documentés en matière de mauvais traitements, le rédacteur d’un rapport doit accompagner les renseignements d’une mise en garde, à savoir qu’ils ont pu avoir été obtenus par suite du recours à la torture (au paragraphe 4.3). Cette exigence ne figurait pas dans les trois politiques opérationnelles antérieures (OPS-501), datées ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^

 

Position des ministres

[81]      À l’appui de leur position selon laquelle le Service n’utilise aucun renseignement obtenu par suite du recours à la torture, les ministres invoquent les politiques et directives susmentionnées. Les ministres soutiennent que, bien que la directive ministérielle et la directive du SDO ne soient entrées en vigueur qu’après 2008, elles enchâssent les pratiques antérieures du Service. À l’appui de cet argument, les ministres invoquent la politique opérationnelle intitulée OPS-201 : Conduct of Operations – General et datée du 28 août 2003, laquelle prescrit que le Service doit respecter la primauté du droit dans l’ensemble de ses opérations.

 

[82]      De plus, les ministres font valoir qu’en vertu de son mandat, le Service peut être contraint d’obtenir des renseignements de pays qui ont de mauvais antécédents en matière de respect des droits de la personne, car il est tenu d’informer le gouvernement fédéral de toute menace présumée envers la sécurité du Canada. En raison des particularités de son mandat, qui est différent du mandat d’application de la loi conféré aux services de police, le Service a l’obligation de recueillir des renseignements sur une plus large échelle. Les ministres soutiennent qu’un tel mandat est conforme à la Loi sur le SCRS et que personne ne voudrait restreindre l’étendue des renseignements que le Service serait autorisé à obtenir.

Position de M. Mahjoub

[83]     M. Mahjoub soutient que, nonobstant la politique énoncée du Service de [traduction] « ne pas sciemment utiliser des renseignements obtenus par suite du recours à la torture », le Service ne saura jamais si, dans les faits, les renseignements ont été obtenus par suite du recours à la torture.

 

[84]      M. Mahjoub prétend que les renseignements fournis par un organisme étranger ne seront jamais accompagnés d’une indication explicite qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. Il ajoute que le Service n’a ni la capacité ni le désir d’apprécier la question de savoir si les renseignements qui lui sont fournis ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. À l’appui de cette deuxième prétention, M. Mahjoub invoque le témoignage de M. Vrbanac, qui a reconnu, pendant son contre-interrogatoire, que le Service ne mène pas lui‑même ses enquêtes en cas d’allégations de torture et qu’il ne dispose pas, en fait, des moyens nécessaires pour confirmer ou infirmer des allégations de torture de façon indépendante. M. Vrbanac a également affirmé pendant son témoignage qu’il ne pouvait confirmer si des employés du Service avaient la formation ou l’expertise nécessaires pour déterminer si un renseignement avait été obtenu par suite du recours à la torture. Également pendant son contre‑interrogatoire, il a reconnu que le Service n’avait effectivement aucun moyen de déterminer si des renseignements avaient été obtenus par suite du recours à la torture (Transcription des audiences, volume  8, page 18).

 

[85]      M. Mahjoub soutient donc que le Service n’a adopté aucune mesure raisonnable ou appropriée visant à identifier des renseignements ayant été obtenus probablement par suite du recours à la torture. Il prétend que, dans les faits, la politique de ne pas sciemment utiliser la torture ne prévient aucunement, dans les faits, les risques que le Service reçoive des renseignements obtenus par suite du recours à la torture. M. Mahjoub ajoute que ce fut d’autant plus le cas durant la période précédant la mise en œuvre de la politique susmentionnée, période au cours de laquelle le Service avait pour politique de simplement respecter la primauté du droit.

 

[86]     M. Mahjoub soutient également que la préoccupation première du Service, lorsqu’il obtient des renseignements de pays qui ont de mauvais antécédents en matière de respect des droits de la personne, est la fiabilité des renseignements et la possibilité de les corroborer. Il prétend que le Service ne fait rien pour s’assurer que les renseignements qui lui sont fournis n’ont pas été obtenus par la torture. À cet égard, M. Mahjoub invoque le rapport sur l’Enquête Arar, dans lequel le commissaire O’Connor mentionne ceci :

Un autre représentant du SCRS a confirmé que le SCRS n’a pas de personnel formé pour évaluer si le renseignement est le fruit de la torture. L’évaluation du SCRS se concentre davantage sur la question de savoir si le Service est en mesure de corroborer l’information. (Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Les faits, volume 1 [Ottawa, la Commission, 2006], page 349)

M. Mahjoub invoque également le document intitulé Enquête interne sur les actions des responsables canadiens relativement à Abdullah Almalki, Ahmad Abou‑Elmaati et Muayyed Nureddin (Ottawa, Travaux publics et services gouvernementaux Canada, 2008), notamment la page 173 dudit document (l’« Enquête Iacobucci »), où le commissaire Iacobucci mentionne ceci :

Quand on lui a demandé si le SCRS avait songé à vérifier les allégations de M. Elmaati auprès des autorités syriennes, un responsable du SCRS a répondu que ce n’était pas quelque chose dont il se préoccupait à l’époque et il ne se rappelait pas en avoir discuté; il pensait, comme la GRC, que c’était la responsabilité du MAECI.

[87]     M. Mahjoub maintient donc qu’au moment de déterminer les renseignements parmi ceux obtenus qu’il utiliserait et inclurait dans le RRS, le Service avait l’obligation d’examiner et d’exclure tous les renseignements pour lesquels il existait des motifs raisonnables de croire qu’ils avaient été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. En cas de doute quant à la provenance de tout renseignement qu’il jugeait utile, le Service devait demander et obtenir de l’organisme étranger des détails quant à la provenance du renseignement. M. Mahjoub soutient que les ministres n’ont fourni aucune preuve que de telles mesures avaient été prises pour s’assurer que les renseignements utilisés satisfaisaient aux critères énoncés dans le paragraphe 83(1.1) de la LIPR.

Analyse

[88]     Il est largement reconnu que le partage d’information à l’échelle internationale est essentiel à la sauvegarde de la sécurité nationale du Canada. Ainsi, conformément à l’article 17 de la Loi sur le SCRS et aux directives ministérielles, le Service peut être autorisé à conclure des ententes d’échange de renseignements avec des organismes étrangers, dont des organismes de pays qui ont de mauvais antécédents en matière de respect des droits de la personne. De telles ententes sont nécessaires pour permettre au Service d’informer et de conseiller le gouvernement du Canada sur toute activité pour laquelle il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elle constitue une menace pour la sécurité du Canada.

 

[89]     À ce stade‑ci, je dois mentionner que rien dans les présents motifs ne doit être interprété de façon à nuire au travail du Service dans l’acquittement de ses responsabilités prévues à la Loi sur le SCRS. Ce n’est pas la question dont la Cour est saisie. La question ici concerne l’admissibilité en preuve de renseignements obtenus par le Service et utilisés par les ministres pour les besoins d’une procédure judiciaire, plus particulièrement une procédure judiciaire visant à statuer sur le caractère raisonnable d’un certificat de sécurité émis contre M. Mahjoub.

 

[90]      Dans le cadre de la présente instance, les ministres soutiennent qu’ils n’ont pas utilisé des renseignements obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID à la lumière des politiques et pratiques du Service présentées ci‑dessus. À mon avis, ces politiques et pratiques ne prévoient aucun mécanisme efficace visant à garantir que de tels renseignements sont vraiment exclus de la preuve sur laquelle s’appuient les ministres et qu’ils vont présenter à la Cour.

 

[91]      Le processus décrit ci-haut, concernant l’obtention de renseignements de pays qui ont de mauvais antécédents en matière de respect des droits de la personne, ne donne aucune indication quant à la façon dont les renseignements sont, dans les faits, ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ [filtrés] afin d’y exclure tout renseignement obtenu par suite du recours à la torture. Conformément aux politiques et pratiques du Service, les employés du Service doivent informer leurs supérieurs s’ils savent ou soupçonnent qu’un organisme a usé de techniques menant à de mauvais traitements contre quiconque. De plus, les employés doivent évaluer si les renseignements obtenus d’un organisme étranger ont pu avoir été obtenus par l’emploi de techniques menant à de mauvais traitements. En effectuant leur évaluation, les employés doivent tenir compte des profils en matière de respect des droits de la personne de l’organisme et du pays préparés par le Service. ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^Souvent, il s’avère que les profils d’organismes sont contraires à ce que rapportent des organisations de défense des droits de la personne et des rapports dignes de foi sur la situation des pays, comme les rapports produits par Amnesty International. ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^

 

[92]      Il appert que le Service se fie à l’expérience de ses employés pour évaluer et ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ [filtrer] des renseignements provenant d’un pays ou d’un organisme qui a des antécédents douteux en matière de respect des droits de la personne. Rien ne prouve que les employés, formés dans l’art de la collecte de renseignements, ont une expertise particulière pour évaluer si des renseignements ont été obtenus par suite du recours à la torture. La preuve présentée à l’Enquête Arar indique que le Service n’avait aucune expertise interne, avant 2005, lui permettant de déterminer si des renseignements avaient été obtenus par suite du recours à la torture. À cet égard, M. Vrbanac n’a pas été en mesure de confirmer si le Service possédait maintenant une telle expertise.

 

[93]     Par ailleurs, il ressort du dossier que le Service ne dispose d’aucun moyen de mener des enquêtes indépendantes afin de déterminer si les renseignements ont été obtenus par suite du recours à la torture. En effet, dans son témoignage, M. Vrbanac laisse entendre que le Service serait mal outillé pour enquêter sur la provenance de renseignements afin de s’assurer qu’ils n’ont pas été obtenus par suite du recours à la torture.

 

[94]      Nonobstant la mise en œuvre des politiques susmentionnées, le processus utilisé pour ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ [filtrer] l’information se limite encore aujourd’hui essentiellement à un exercice de corroboration aux fins de confirmer la fiabilité des renseignements recueillis. Le dossier dont je dispose m’indique que l’information obtenue de pays qui ont de mauvais antécédents en matière de respect des droits de la personne est ainsi ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ [filtrée]. S’il est possible de corroborer un renseignement, en fait, il est jugé fiable et utilisé par le Service dans l’exercice de son mandat conformément à la Loi sur le SCRS.

 

[95]      Selon moi, nonobstant les politiques et pratiques mises en œuvre par le Service, l’approche adoptée par le Service pour ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ [filtrer] des renseignements obtenus dans le cadre de son mandat est insuffisante pour garantir que l’ensemble des renseignements obtenus de pays qui ont de mauvais antécédents en matière de respect des droits de la personne satisfont aux critères d’admissibilité énoncés à l’alinéa 83(1)h) et au paragraphe 83(1.1). C’est notamment le cas des renseignements présentés par les ministres dans le cadre de la présente procédure, lesquels avaient été obtenus avant la mise en œuvre des politiques décrites ci‑haut.

VI.        Approche analytique et facteurs à prendre en compte

[96]     Maintenant, j’aborde l’approche à adopter et les facteurs à prendre en compte pour déterminer s’il existe des motifs raisonnables de croire que des renseignements utilisés par les ministres ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. Les parties affirment qu’une décision rendue par la Cour au titre du paragraphe 83(1.1), concernant l’admissibilité ou l’inadmissibilité d’une preuve ou de renseignements en particulier, est l’aboutissement d’une analyse factuelle. Je suis d’accord avec cette affirmation.

 

[97]      Les deux parties ainsi que les avocats spéciaux ont fait valoir certains facteurs qu’ils jugent pertinents à l’analyse de la Cour en vue d’établir si des renseignements ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. Les parties ne prétendent pas avoir dressé une liste exhaustive de tels facteurs pertinents.

 

[98]      Les facteurs précis invoqués par les parties et les avocats spéciaux seront analysés en tenant compte du contexte de la preuve présentée pour chaque catégorie de renseignements pertinents faisant l’objet de la présente requête. Cependant, il vaut mieux traiter en premier lieu certaines propositions ou certains facteurs mis de l’avant par les parties aux fins d’établir de façon appropriée si des renseignements ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. Ce sont :

a)      l’applicabilité des facteurs pris en compte dans les affaires Almrei (Re) et Harkat (Re);

b)      la pertinence de la jurisprudence concernant le non-refoulement;

c)      la nature des renseignements obtenus.

A. Applicabilité des facteurs pris en compte dans les affaires Almrei (Re) et Harkat (Re)

[99]     Les ministres soutiennent que les facteurs pris en compte par la Cour dans les affaires Almrei (Re) (aux paragraphes 59 et 60) et Harkat (Re), 2005 CF 393 (aux paragraphes 94 et 95), eu égard à l’évaluation de renseignements confidentiels, s’appliquent également aux fins d’établir si des renseignements ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. Dans ces deux affaires, il était question de l’évaluation de renseignements confidentiels afin d’établir le caractère raisonnable du certificat. Les facteurs pris en compte dans le cadre de ces décisions portent sur la pertinence, la fiabilité et la pondération de la preuve dans l’évaluation globale des renseignements présentés. Le contexte est très différent de celui en cause dans la présente procédure, où il est plutôt question d’établir si des renseignements sont inadmissibles en preuve du fait qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture. À mon avis, les facteurs pris en compte dans les affaires Almrei (Re) et Harkat (Re) peuvent difficilement être appliqués à la présente procédure. Un exercice exigeant l’analyse de la pertinence, de la fiabilité et de l’évaluation globale des renseignements ne contribue pas à établir si les renseignements ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID.

B. L’utilité de la jurisprudence en matière de non-refoulement

[100]   À la fois M. Mahjoub et les ministres invoquent de la jurisprudence canadienne concernant le non-refoulement ainsi que des conclusions du Comité contre la torture dans des affaires relatives à l’article 3 de la CCT, laquelle enchâsse le principe de non-refoulement.

 

[101]    Les ministres invoquent cette jurisprudence à l’appui de leur argument selon lequel il ne suffit pas de faire état des mauvais antécédents d’un pays donné en matière de respect des droits de la personne pour établir que des renseignements ont été obtenus par suite du recours à la torture. M. Mahjoub invoque la même jurisprudence à l’appui de son affirmation selon laquelle, dans certains cas, des renseignements sur la situation d’un pays peuvent être suffisants pour établir que le requérant risque d’être torturé et que, par analogie, la situation du pays peut suffire aux fins d’établir que les renseignements qui y proviennent ont probablement été obtenus par suite du recours à la torture.

 

[102]   Je suis d’avis que la jurisprudence concernant le non-refoulement est d’une pertinence limitée dans le cadre de la présente procédure. Dans le cas d’une instance de non-refoulement, le requérant doit faire la preuve qu’il court un risque personnel d’être torturé pour éviter d’être refoulé. Le cas échéant, il est nécessaire d’évaluer les risques futurs que le requérant soit torturé et de prendre en compte la situation personnelle du requérant relative au pays de destination. La question en cause ici est différente. Il n’est pas vraiment question d’évaluer les risques futurs que court un requérant donné d’être torturé s’il est renvoyé, mais plutôt d’établir si les renseignements qu’on cherche à faire admettre en preuve ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID.

 

[103]   Les affaires de non-refoulement peuvent s’avérer utiles pour apprécier une preuve établissant la situation d’un pays. Cependant, il semble évident qu’aucune règle générale ne puisse être établie à partir de cette jurisprudence quant à savoir si la preuve concernant la situation d’un pays est suffisante, en soi, pour établir que des renseignements ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID.

C. La nature des renseignements obtenus

Position des ministres

[104]    Les ministres soutiennent que la nature des renseignements représente un indicateur pertinent pour évaluer si les renseignements fournis par un organisme étranger ont été obtenus par suite du recours à la torture. À cet égard, ils invoquent à la fois le niveau de spécificité des renseignements ainsi que leur fiabilité.

 

[105]    Les ministres prétendent que, si les renseignements sont d’ordre général, il est plus probable qu’ils n’aient pas été obtenus par suite du recours à la torture. À l’opposé, si les renseignements obtenus d’un organisme étranger consistent à un compte rendu d’événements détaillé, il est plus probable qu’ils aient été soutirés sous la torture. À l’appui de leurs prétentions, les ministres invoquent le témoignage livré par le professeur Richard J. Ofshe dans le cadre de l’Enquête Arar, le 8 juin 2005 (page 6023), et ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ [un rapport qui ressemble à un document d’information, de l’information sur une enquête qui] ne semble pas avoir être obtenue par suite du recours à la torture, parce que ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^

 

[106]    Les ministres soutiennent aussi que la fiabilité est un indicateur que des renseignements n’ont pas été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. Ils prétendent que, s’il est possible de corroborer les renseignements et que ces derniers peuvent donc être considérés fiables, cela indique qu’ils n’ont pas été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. Les ministres utilisent la preuve fournie par ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^, qui a affirmé que certains renseignements provenant de ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ ne semblaient pas avoir été soutirés sous la torture, parce qu’ils avaient été corroborés ultérieurement par le Service ou qu’ils concordaient avec les conclusions de l’enquête menée par le Service. Les ministres invoquent également le témoignage d’expert livré par le professeur Ofshe dans le cadre de l’Enquête Arar, à la page 5984 du rapport, ainsi que la déclaration suivante de M. Sifton :

[traduction]

[...] certains éléments pouvant mettre la puce à l’oreille quant au recours à la torture sont l’incohérence, l’apparente absurdité des renseignements, l’apparente, l’évidente absurdité des renseignements; la nature extraordinaire des renseignements, tout cela peut certainement mettre la puce à l’oreille... Une dernière chose, non corroborée, est le fait qu’un renseignement est sorti de nulle part et n’est corroboré par aucun autre renseignement, cela aussi peut être un indicateur. (Transcription des audiences, volume 12, page 44)

[107]   À la lumière de ce qui précède, les ministres soutiennent que, lorsque les renseignements ont été corroborés et jugés fiables, ils sont moins susceptibles d’avoir été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID.

Position des avocats spéciaux

[108]   Les avocats spéciaux soutiennent que la corroboration et l’exactitude des renseignements ne sont pas des facteurs importants quant à savoir si les renseignements sont admissibles en preuve aux termes du paragraphe 83(1.1). Ils prétendent que, si des renseignements sont obtenus par suite du recours à la torture, la possibilité de corroboration ou l’exactitude des renseignements n’importent pas. De tels renseignements sont inadmissibles quoi qu’il en soit. De même, les avocats spéciaux soutiennent que le niveau de précision des renseignements ne permet aucunement de conclure qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture.

 

[109]   Quant à la preuve de ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^, les avocats spéciaux mentionnent d’abord que ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ n’a aucune expertise dans l’identification d’indices de torture et que les ministres n’ont pas non plus tenté de faire reconnaître ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ comme un expert en la matière. Les avocats spéciaux prétendent qu’il a livré un témoignage d’une perspective opérationnelle en fournissant de l’information sur les moyens que prend le Service pour vérifier la fiabilité de renseignements au lieu de soumettre les renseignements à une analyse « judiciaire ».

Analyse

[110]   Eu égard à la question de la fiabilité, la preuve permet d’établir que l’incohérence et l’absence de corroboration peuvent être des indicateurs que les renseignements ont été obtenus par suite du recours à la torture. Cependant, à mon avis, la preuve ne permet pas d’établir le contraire. Le témoignage livré par M. Sifton, qu’invoquent les ministres, est clair à cet égard, à savoir que la fiabilité d’une preuve ne permet pas de conclure qu’elle n’a été pas été soutirée sous la torture. Dans son témoignage, il a affirmé ceci : [traduction] « Si quelqu’un avoue un ensemble cohérent de faits que vous savez réels, cela ne signifie pas que la personne n’a pas été torturée. » (Transcription des délibérations, volume 12, pages 56 et 57) Le professeur Ofshe a aussi souligné dans son témoignage à l’Enquête Arar que : [traduction] « [...] Le recours à la torture peut produire des résultats et peut certainement, je pense, produire des renseignements fiables également » (page 6021). ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ a reconnu, pendant son contre-interrogatoire, qu’il était possible qu’une personne victime de la torture dise la vérité et que la torture puisse donc produire à la fois des résultats dignes de foi et des résultats non dignes de foi ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^

 

[111]    Eu égard à l’argument invoqué par les ministres concernant le manque de détails, le témoignage livré par le professeur Ofshe apporte très peu pour appuyer la position des ministres sur la question. Le professeur Ofshe a fourni une preuve précise dans le cadre de l’Enquête Arar selon laquelle le manque de détails dans les renseignements ne permet pas d’établir s’il y a eu ou non recours à la torture :

[traduction]

M. Fothergill : Dans la mesure où une déclaration manque de détail, cela vous donne-t-il une indication quant à la probabilité qu’elle ait été obtenue par la coercition?

M. Ofshe : Pas qu’elle a été obtenue par la coercition. Cela me donne une indication quant aux aptitudes des interrogateurs. Ça pourrait donner une indication de ce que les interrogateurs tentaient d’accomplir, mais ça ne dirait pas nécessairement quelque chose à propos de la coercition elle-même. (page 6025)

[112]    De plus, M. Vrbanac, témoignant pour les ministres, a précisément reconnu que le niveau de détail d’une déclaration ou d’un renseignement ne permettait pas de tirer une inférence quant à savoir si la déclaration ou le renseignement résultait ou non du recours à la torture. M. Vrbanac a convenu que le manque de détails pourrait s’expliquer par les aptitudes déficientes de l’interrogateur et a ajouté que [traduction] « cela pourrait aussi être le reflet de ce que l’organisme [étranger] a bien voulu fournir » (Transcription des audiences, volume 8, page 100). Par conséquent, un manque de détails ne permet pas de conclure qu’il n’y a pas eu recours à la torture ou à des TCID pour obtenir les renseignements.

 

[113]   À mon avis, l’information à sa face même, abstraction faite du contexte dans lequel elle a été obtenue, ne donne aucune indication quant à sa provenance. Le professeur Ofshe a soutenu qu’il n’était pas possible d’évaluer si la coercition avait été utilisée sur la seule base de la déclaration en cause, sans connaître la méthode utilisée pour obtenir la déclaration. À cet égard, il a affirmé ceci :

[traduction]

Je ne crois tout simplement pas qu’il y ait une façon de remonter de la déclaration jusqu’aux circonstances dans lesquelles elle a été obtenue en l’absence d’information indépendante sur les circonstances dans lesquelles l’interrogatoire s’est déroulé. (page 6022)

[114]    M. Vrbanac, témoignant pour le Service, a accepté l’observation susmentionnée et reconnu que le renseignement ou la déclaration, en soi, ne permettait pas d’évaluer les circonstances ayant mené à l’obtention de ce renseignement ou de cette déclaration.

 

[115]   Compte tenu de la preuve, je conclus que le niveau de détail et la fiabilité de l’information ne représentent pas, en eux‑mêmes, des facteurs utiles pour évaluer s’il existe des motifs raisonnables de croire que l’information ait été obtenue par suite du recours à la torture ou à des TCID.

VII.       Catégories de renseignements en cause

[116]    Les renseignements faisant l’objet de la présente requête sont les renseignements ayant été obtenus directement ou indirectement de ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^. Les renseignements confidentiels et la preuve démontrent que les renseignements ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ ont été fournis au Service par ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^. Les avocats spéciaux soutiennent que les renseignements obtenus directement ou indirectement de ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ peuvent être classés dans deux catégories : renseignements obtenus de sources inconnues et renseignements obtenus dans le cadre d’un interrogatoire. Après avoir pris connaissance du dossier, je suis d’avis que ces deux catégories s’appliquent bien aux renseignements en question. Aux fins de l’étude, j’ajouterais une autre catégorie de renseignements : les déclarations de culpabilité prononcées en Égypte à l’issue du procès des rapatriés d’Albanie. Je propose d’étudier ces catégories de renseignements séparément l’une de l’autre et, ce faisant, je prendrai en compte l’application des divers facteurs proposés par les parties relativement aux catégories de renseignements énoncées, autrement dit des facteurs autres que ceux mentionnés et traités à partir du paragraphe 98 ci-dessus.

A. Renseignements provenant de ^^^^^^^^^^^^^^^^^ de sources inconnues

[117]    Cette catégorie englobe les renseignements utilisés par les ministres, lesquels proviennent de ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^, mais dont la source exacte est inconnue. Les renseignements classés dans cette catégorie seraient essentiellement des renseignements contenus dans ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^. La source de ces renseignements est considérée inconnue, parce que l’organisme les ayant fournis n’a donné aucune indication quant au moyen utilisé pour les obtenir. Dans leurs échanges de renseignements, les organismes étrangers ne précisent pas toujours, voire précisent rarement, la source à laquelle ils se fient pour obtenir leurs renseignements, à savoir si ces derniers ont été obtenus par une technique d’interception, une source humaine, un interrogatoire, etc. En conséquence, une bonne partie de la preuve est constituée d’information brute à laquelle aucune source précise n’a été attribuée.

Position de M. Mahjoub

[118]   Pour déterminer si de tels renseignements de source inconnue ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID, M. Mahjoub prétend que la Cour doit évaluer si le pays ou l’organisme ayant fourni lesdits renseignements a recours à la torture. M. Mahjoub soutient que les facteurs suivants, tirés du témoignage de M. Pardy, sont pertinents et que la Cour doit les prendre en compte aux fins de procéder à une telle détermination :

         Une preuve que l’État viole les droits de la personne de façon systématique, grossière, flagrante ou massive, d’après les rapports d’organismes des droits de la personne, d’organisations internationales ou d’État, comme les rapports annuels sur la situation des pays du Département d’État des États‑Unis (US DOS);

         La structure du gouvernement, c’est-à-dire si le gouvernement est un régime civil ou militaire et s’il est dirigé par une structure dictatoriale;

         La stabilité de l’État (notamment tout conflit armé interne, état de siège ou d’urgence ou acte de violence politique contre le gouvernement);

         Si l’État cible des personnes correspondant à un profil particulier ou appartenant à une classe particulière;

         La façon dont l’État gère les questions de sécurité. Ce facteur tient compte notamment de la présence au sein de l’État d’organismes chargés de la sécurité nationale, de cours ou de tribunaux distincts pour traiter les infractions compromettant la sécurité ainsi que des zones de détention séparées pour les personnes représentant une menace pour la sécurité;

         L’indépendance du pouvoir judiciaire;

         L’existence ou l’absence de mesures visant à protéger les personnes contre la torture, dont des mécanismes de plainte efficaces pour les victimes de torture, des contrôles de la détention comme l’habeas corpus, des exigences et la tenue de dossiers en matière d’avis de détention, la minimisation de la durée des gardes à vue, l’inadmissibilité en preuve de renseignements obtenus par suite du recours à la torture ainsi que l’accès à des avocats et à de l’aide juridique;

         L’indépendance des médias et des juristes.

[119]    M. Mahjoub soutient qu’il n’est pas nécessaire que tous les critères décrits ci‑dessus aient été satisfaits pour conclure qu’un État a recours à la torture. À cet égard, il invoque l’observation suivante formulée par M. Pardy :

[traduction]

Il n’est pas nécessaire d’utiliser l’ensemble de ces facteurs pour établir si un gouvernement étranger a recours à la torture. Les facteurs doivent plutôt être appliqués individuellement et, dans certains cas, un facteur ou un autre peut suffire à établir que l’État a recours à la torture ou à des TCID.

[120]    M. Mahjoub soutient également que, si la preuve établit qu’un État utilise la torture de façon systématique et généralisée, la Cour peut raisonnablement en déduire que les renseignements précis dont elle dispose, provenant de cet État, mais dont la source est inconnue, ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. M. Mahjoub prétend qu’une telle conclusion ne serait pas spéculative et il invoque les observations du commissaire Iacobucci dans le cadre de l’Enquête Iacobucci, à la page 358 de son rapport :

Ce n’est toutefois pas des conjectures que de tirer des inférences raisonnables des éléments de preuve qui m’ont été soumis. Conjoncturer veut dire faire des suppositions en l’absence de preuve. Tirer des inférences suppose d’établir des liens rationnels entre des faits avérés et d’autres faits au sujet desquels aucune preuve directe n’est disponible. Cette méthode est bien acceptée dans les milieux juridiques et autres...

[121]    ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ [Ce paragraphe contient un résumé d’une partie de la preuve publique qui est pertinente à la décision.]

 

[122]    Les avocats spéciaux partagent l’avis de M. Mahjoub, à savoir qu’il est possible, à partir de la preuve qu’un État utilise la torture, d’en déduire raisonnablement que des renseignements particuliers provenant de cet État ont été obtenus par suite du recours à la torture, à moins qu’une preuve contraire ne soit présentée. Toujours à l’appui de cette position, les avocats spéciaux invoquent l’arrêt Al-Sirri v Secretary of State for the Nome Department (United Nations High Commissioner for Refugees intervening), [2009] All ER (D) 220 (Mar), dans lequel la Cour d’appel anglaise a tiré une telle inférence dans l’appréciation de la déclaration de culpabilité de M. Al-Sirri par la Cour militaire égyptienne.

 

[123]    Dans cette affaire, la preuve sur laquelle la Cour militaire égyptienne s’est fondée pour déclarer M. Al-Sirri coupable était inconnue. Au terme de son examen, le tribunal a conclu que la preuve présentée à la Cour militaire égyptienne avait probablement été obtenue par suite du recours à la torture. Sur ce fondement, la Cour d’appel a statué qu’il était fort probable que la preuve utilisée pour prononcer la déclaration de culpabilité de M. Al-Sirri avait été soutirée par la torture et que la déclaration de culpabilité rendue en Égypte contre lui devait donc être exclue. Les avocats spéciaux soutiennent que la Cour d’appel a tiré une inférence rationnelle, en se fondant sur la preuve générale que la Cour militaire égyptienne utilise des renseignements obtenus par suite du recours à la torture, pour conclure que M. Al-Sirri avait été déclaré coupable sur la base de renseignements soutirés par la torture, bien qu’aucune preuve directe n’ait appuyé cette conclusion.

 

[124]   Les avocats spéciaux invoquent également les paragraphes 149 à 153 de la décision Almrei (Re), où le juge Mosley déclare, sans toutefois rendre de décision dans l’affaire, qu’il était loisible à la Cour de conclure que les renseignements obtenus par des membres des forces armées ou d’organismes de renseignements des États‑Unis de détenus arrêtés dans la foulée des événements du 11 septembre avaient été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID, car les interrogateurs américains avaient été autorisés à utiliser de prétendues « techniques poussées d’interrogation » dans les circonstances. Les avocats spéciaux reconnaissent que le juge Mosley a formulé ses commentaires de façon incidente, mais soulignent néanmoins que c’est en raison du fait que les ministres ont « judicieusement » retiré les renseignements en cause, rendant ainsi non nécessaire que la Cour se prononce sur la question.

 

[125]   À la lumière de ce qui précède, les avocats spéciaux soutiennent qu’étant donné que les ministres n’ont présenté aucune preuve établissant le contraire, une inférence rationnelle devrait être tirée de la preuve générale de torture en ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les renseignements de source inconnue provenant de ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ aient été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID.

Position des ministres

[126]    Les ministres répondent que la preuve générale présentée en regard de ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ ne permet pas de conclure qu’il existe des motifs raisonnables de croire que tout renseignement provenant de ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ ait été obtenu par suite du recours à la torture ou à des TCID. Les ministres soutiennent que la norme des motifs raisonnables de croire oblige le juge à évaluer s’il existe un fondement objectif reposant sur une preuve crédible et probante que les renseignements ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. Les ministres prétendent que la preuve générale concernant la situation du pays, dans ce cas, ne satisfait pas à cette norme.

 

[127]   Les ministres font valoir qu’on ne peut conclure que des renseignements ont été obtenus par l’emploi de la torture seulement sur la base de rapports faisant état de violations passées des droits de la personne. À cet égard, les ministres soulignent qu’au moment d’évaluer les rapports sur les droits de la personne d’organismes internationaux comme Human Rights Watch et Amnesty International, il faut garder à l’esprit que de tels organismes s’appuient sur une preuve anecdotique et ont pour objectif d’inciter les pays en question à ne plus recourir à la torture. Les ministres plaident qu’une analyse détaillée au cas par cas s’impose.

 

[128]   À mon avis, les ministres ne mettent pas en doute la fiabilité des rapports pour autant, mais ils laissent simplement entendre qu’il faut tenir compte de la mise en garde formulée ci‑dessus au moment d’en prendre connaissance et qu’une [traduction] « analyse détaillée au cas par cas» s’impose.

 

[129]    De plus, les ministres font valoir qu’il existe une preuve probante que ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ n’utilisent pas la torture comme mode de fonctionnement principal et qu’ils ont plutôt recours au large éventail d’outils à leur disposition. À l’appui de leur position, les ministres invoquent une preuve documentaire, soit la preuve obtenue de ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ la preuve de ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ ainsi que la documentation du Service.

 

[130]    À savoir s’il est possible de conclure que les renseignements de source inconnue en cause, provenant de ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^, ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID, je prendrai en compte les facteurs présentés ci-dessus ainsi que la preuve déposée par les parties. Je suis d’avis qu’il est approprié de prendre en compte les facteurs énoncés par M. Pardy au paragraphe 118 ci‑dessus et invoqués par M. Mahjoub.

Preuve présentée par M. Mahjoub

[131]    ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ M. Mahjoub a présenté une preuve concernant la situation du pays ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^. Comme il est mentionné ci-dessus, cette preuve est constituée notamment de rapports d’Amnesty International, de Human Rights Watch et du Comité contre la torture de l’ONU, couvrant les années pour lesquelles des renseignements ont été recueillis et sont utilisés par les ministres dans le cadre de la présente procédure. Il est largement reconnu que ces rapports constituent les éléments de preuve les plus probants qui existent, étant donné que les preuves directes de torture sont rares. Les rapports versés au dossier sont bien connus, crédibles et beaucoup utilisés partout dans le monde. Ce sont les mêmes rapports que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration invoque régulièrement sous le régime de la LIPR, dans le cadre d’affaires concernant des réfugiés entendues par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ainsi que la Cour (voir aussi les paragraphes 72 et 73 de la décision Mahjoub).

 

[132]   Je conclus également que ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ [la preuve] soumise au nom de M. Mahjoub, ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ est crédible et ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ probante.

 

[133]   Dans l’ensemble, la preuve présentée par M. Mahjoub établit que la torture est employée systématiquement ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^  Pour la période comprise entre ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^, Human Rights Watch et Amnesty International rapportent constamment que des détenus sont systématiquement torturés par ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^

 

[134]   ^^^^^^^^                                                                                              ^^^^^^^^^^^^^^^^^^

^^^^^^^^                                                                                              ^^^^^^^^^^^^^^^^            ^^

^^^^^^^^                                                                                              ^^^^^^^^^^^^^^^^           ^^

 

^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^

[135]    La preuve établit que les personnes les plus ciblées par l’utilisation de la torture en ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ sont des détenus politiques, et plus précisément des personnes qu’on allègue être membres ou sympathisants de groupes armés ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^, ou les proches de ces personnes ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ des personnes visées plus particulièrement qui sont liées à ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^  Ces affirmations sont corroborées par la preuve de ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^.

 

[136]    ^^^^^^^^                                                                                              ^^^^^^^^^^^^^^^^^^

 

[137]    ^^^^^^^^                                                                                              ^^^^^^^^^^^^^^^^^^

 

[138]    ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^                                                                        ^ Cela est confirmé par Amnesty International, ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^

 

[139]    La preuve établit également que ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ agissent impunément. Amnesty International rapporte que l’utilisation de la torture à grande échelle ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ a été facilitée par l’échec de l’État à faire enquête sur des allégations de torture ^^^^^^^^^^^                                                                                         ^^^^^^^^^^^^^^^

 

[140]    Au soutien de la position de M. Mahjoub, les avocats spéciaux font valoir ^^^^^^^^ ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^. La preuve en cause figure dans ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^. Cette preuve atteste du fait que ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––.

 

Preuve des ministres

[141]    Au soutien de leur prétention selon laquelle la torture n’est pas l’outil principalement utilisé par ___________, les ministres renvoient à l’évaluation du Service ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^.


 

[142]    ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^.


 

[143]    Les ministres s’appuient également sur la déposition de _____________, qui a déclaré ce qui suit au sujet de ______________.


 

[144]    Lorsqu’on a demandé à ____________ de commenter l’allégation selon laquelle _________________ recourait couramment à la torture, il a déclaré ce qui suit :


 


 

[145]    Les ministres font également remarquer le fait que –––––––––- ce ne sont pas toutes les sources d’information utilisées par –––––––- pratiquent la torture. Ils soulignent ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––.

 

[146]    Selon les ministres, _____________________________________________ _________________________________ un éventail varié d’outils et de méthodes sophistiqués, autres que la torture, pour obtenir des renseignements et notamment _____________________________________________________________________________ ___________________________________________________________.

 

[147]    _______________, témoin des ministres, a déclaré dans sa déposition que ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––.

 

[148]    Les ministres soutiennent _______________________________ démontre que le recours à des méthodes, autres que la torture ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– ne semblaient pas avoir été obtenus par la torture, mais plutôt par d’autres méthodes de collecte des renseignements. Selon le témoignage de _________, il semble quant à _________ que les renseignements provenaient ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– a également déclaré dans sa déposition que les renseignements figurant dans _____________ avaient probablement été obtenus par ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––.

 

Réponse des avocats spéciaux à la preuve présentée à huis clos par les ministres

[149] Les avocats spéciaux soulèvent nombre d’arguments pour contester la preuve des ministres. Pour ce qui est ___________________, les avocats spéciaux relèvent que, pendant la période allant du _______________________________________________ ___________________________. Les avocats spéciaux font remarquer que _________________________ le Service invoque ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––. Les avocats spéciaux prétendent qu’il n’est pas possible de tirer une telle conclusion, compte tenu ________ rapports d’Amnistie internationale _____________ _______________________ l’utilisation de la torture est systématique à l’endroit des détenus politiques.

 

[150]    Pour ce qui est __________, les avocats spéciaux font des rapprochements entre __________________________________________________________________________________ et la politique du Service consistant à ne pas invoquer « sciemment » des renseignements obtenus par la torture. Les avocats spéciaux soutiennent que les conclusions tirées par le Service dans ___________ sont sans fondement, puisque le Service n’a ni la volonté ni la capacité d’enquêter pour savoir si les renseignements qui leur sont fournis sont ou non le fruit de violations des droits de la personne.

 

[151]    Pour ce qui est de la déposition de __________, les avocats spéciaux soutiennent qu’on devrait reconnaître peu de valeur probante à la déposition de ____________ quant au professionnalisme de ___________,, puisqu’il s’agit d’un témoignage non convaincant de profane se fondant uniquement sur l’expérience très restreinte acquise par ___________ en matière de _____________. Les avocats spéciaux font valoir, au soutien de cette prétention, que ____________ n’a jamais eu affaire à __________ [traduction] « sur le terrain » ______________________________. Les avocats spéciaux soulignent que ______________ ne possède absolument aucune expérience en __________, et qu’il ne s’est occupé que de manière restreinte de ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––. Les avocats spéciaux font remarquer que l’expérience acquise de ces deux manières était postérieure à la période pertinente où _____________ a recueilli les renseignements sur lesquels les ministres s’appuient dans la présente affaire.

 

[152]    Les avocats spéciaux soutiennent que l’opinion de ____________ selon laquelle _________________ de manière sophistiquée et nuancée se fonde uniquement sur _______________________________________________________________________ sophistication à cet égard est sans pertinence.

 

[153]    Pour ce qui est finalement des conclusions de ______________ selon lesquelles certains renseignements de __________________ semblent provenir de ______________ plutôt qu’ils n’auraient été obtenus sous la torture, les avocats spéciaux soulignent que _____________ ne connaît pas, en fait, la provenance de ces renseignements. Ils estiment qu’on aurait aussi bien pu avoir obtenu les renseignements sous la contrainte et que rien dans les renseignements mêmes ne fait voir que ceux-ci provenaient en fait de _______________________________. On l’a dit, les avocats spéciaux soutiennent également que ____________________ ne dispose pas de compétences particulières lui permettant d’analyser la provenance des renseignements et que sa déposition constituait l’expression d’un point de vue opérationnel, et non pas une analyse « judiciaire » des renseignements.

 

Analyse

[154]    __________________________ [La preuve présentée pour le compte de M. Mahjoub est claire.] _______________ non seulement ____ en toute impunité, mais ______ la torture comme ______ principal moyen de collecte d’information et de renseignements ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––. J’estime qu’il est démontré par la preuve qu’au moment de la collecte des renseignements invoqués par les ministres au soutien de leurs prétentions contre M. Mahjoub, la torture était systématiquement utilisée  ___________ contre les personnes placées en détention ou sous le contrôle de ____________. À mon sens, M. Mahjoub a proposé un lien plausible entre le recours à la torture et à des TCID en ____________ et les renseignements de source inconnue émanant de ______________ et présentés par les ministres.

 

[155]    Les ministres ont présenté très peu d’éléments de preuve pour contrer la preuve des experts relativement à l’utilisation systématique de la torture en ________. Je n’ai pas été convaincu par ailleurs par la preuve présentée à huis clos par les ministres et constituée ____________________________ et du témoignage de ____________.

 

[156]    Les profils des organismes _________________ pour les années en cause se fondent sur des rapports publiés par Amnesty International. Tous les rapports d’Amnesty International pour ces années font état d’un recours systématique et en toute impunité à la torture _____________. La conclusion du Service ____________________________ n’est pas étayée par les rapports d’Amnesty International. Selon la preuve non contestée, en outre, le Service n’est pas en mesure de faire enquête de manière indépendante sur les allégations de torture. Par conséquent, je ne reconnais guère de valeur probante à l’évaluation par le Service de __________________ ____________________________________.

 

[157]    En ce qui concerne ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––. On l’a dit, les politiques et les pratiques du Service en matière d’échange de renseignements avec les pays ayant un piètre bilan dans le domaine des droits de la personne ne permettaient pas, à l’époque en cause, d’évaluer de manière efficace si les renseignements transmis par ces pays avaient ou non été obtenus sous la torture. Par conséquent, _____________________ de peu d’utilité pour déterminer si ___________________ torture.

 

[158]    Pour ce qui est de la déposition de _________________________, je relève que ________________________ au moment de la collecte des renseignements invoqués par les ministres dans la présente affaire. Le dossier révèle en outre que _________________ ______ n’a pas acquis d’expérience en _____________ ________________ fait valoir essentiellement ce qui suit dans sa déposition : _____________________________de manière nuancée et sophistiquée et ______________ ne compte pas la torture parmi ses modes opératoires principaux. Étant donné qu’il n’a pas acquis d’expérience en ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ et vu la preuve abondante au dossier montrant le recours systématique de ________________ à la torture contre les personnes d’intérêt sous ______ contrôle, je conclus que la déposition de ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ sur la question n’est pas convaincante et je ne lui reconnais donc guère de valeur probante.

 

[159]    Les conclusions de ____________ selon lesquelles certains renseignements __________ semblent provenir de __________ ne sont pas non plus convaincantes. L’examen de ________________ en cause ne nous apprend rien sur la provenance de ces renseignements.

 

[160]    Je vais maintenant me pencher sur d’autres éléments de preuve, en regard de la question à trancher relativement aux renseignements de source inconnue. Compte tenu du bilan dans le domaine des droits de la personne de ______________ , il est particulièrement utile d’examiner les méthodes de collecte de renseignements utilisées par ____________.

 

[161]    Le dossier révèle qu’à l’époque en cause, ________________ recourait à d’autres moyens que la torture pour obtenir des renseignements.

 

[162]    On l’a dit, ___________________________________________________ utilisent divers outils autres que la torture pour recueillir des renseignements ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– –.

 

[163]    ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––.

 

[164]    ___________ a déclaré dans sa déposition que ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––.

 

[165]    ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––.

 

[166]    La preuve révèle également que ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––- –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––.

 

[167]    La preuve susmentionnée démontre que __________ de manière sophistiquée et en disposant de ressources suffisantes et _________ en toute impunité. En outre ________. Elle établit également que ______________ recueillait des renseignements grâce à des méthodes autres que la torture ou les TCID. Les renseignements obtenus par suite de __________________________. Cela est révélateur quant au type de renseignements ayant pu être obtenus _______________________ et qui sont invoqués par les ministres dans la présente instance. Il ressort également du dossier qu’en _____ __________________________________________________________________. Cela étaie davantage l’affirmation selon laquelle ________ dans ________ enquête visant de telles organisations terroristes ______________ une méthode ne faisant pas directement appel à la torture.

 

[168]    On l’a dit, pour que soit respecté le critère des « motifs raisonnables de croire », il faut qu’on ait davantage que de simples soupçons, sans qu’il soit toutefois nécessaire d’atteindre la norme de preuve de la prépondérance des probabilités, qui s’applique habituellement dans les affaires civiles. Essentiellement, il existe des motifs raisonnables lorsque ce que l’on croit repose – sur la foi de renseignements déterminants et crédibles – sur un fondement objectif. Or au vu du dossier dont je suis saisi, je conclus en l’absence de fondement objectif permettant de croire que tous les renseignements de source inconnue émanant de __________ ont été obtenus par recours à la torture ou à des TCID. La preuve démontre qu’une part importante des renseignements recueillis ______________ le sont par des méthodes autres que la torture ou les TCID. Selon certains éléments de preuve, en outre, des renseignements relatifs aux organisations terroristes islamiques, essentiellement le type de renseignements obtenus __________ et sur lesquels les ministres se sont fondés dans la présente instance, ont été obtenus tel qu’on l’a dit grâce à _______________________________________________________.

 

B.         Renseignements provenant de ____________ par suite d’un interrogatoire

 

[169]    Je vais maintenant me pencher sur les renseignements que l’on sait résulter d’un interrogatoire. Cette catégorie de renseignements vise essentiellement ceux fournis par un individu identifiable sous la garde ou le contrôle de __________________. Dans le cadre de la présente instance, cette catégorie vise essentiellement les renseignements fournis par ___________________________________________________________________ _______________________________________________________________________. Les renseignements relatifs à l’interrogatoire de _________ sont des renseignements classifiés et, par conséquent, inconnus de M. Mahjoub. Les observations présentées par ce dernier concernent donc des renseignements émanant d’individus identifiables sous la garde d’un État étranger, et la preuve qu’il a produite relativement au traitement des détenus __________.

 

Position de M. Mahjoub

[170]    M. Mahjoub soutient que, lorsque des renseignements sont obtenus d’un individu identifiable sous le contrôle ou la garde d’un État étranger, l’organisme étranger qui partage ces renseignements ne va vraisemblablement pas divulguer les circonstances entourant la détention et l’interrogatoire de cet individu. M. Mahjoub soutient que faute d’une preuve directe de torture, la Cour doit tenir compte de l’ensemble des circonstances pour décider s’il y a lieu d’inférer, au vu de la preuve dont elle est saisie, que la personne ayant fourni les renseignements a fait l’objet d’actes de torture ou d’autres TCID. Il fait valoir, pour en décider, la pertinence des facteurs exposés ci-après, qui s’inspirent essentiellement des facteurs énoncés par M. Pardy dans sa déposition :

·         La personne était-elle détenue au moment ou avant le moment où elle a fourni les renseignements?

·         Dans quelle mesure les renseignements fournis par la personne sont-ils de nature inculpatoire?

·         La personne s’est-elle adonnée, dans l’État concerné ou ailleurs, à des activités politiques ou autres qui l’exposeraient tout particulièrement à subir des actes de torture ou d’autres formes de TCID de la part de cet État?

·         De par leur nature, les allégations portées contre la personne sont-elles liées à des questions de sécurité nationale ou à des crimes contre l’État? En outre, ces allégations ont-elles été divulguées?

·         La personne détenue a-t-elle eu accès à des tiers de l’extérieur, comme des avocats ou des membres de sa famille? A-t-on tardé à permettre au détenu de communiquer avec l’extérieur? Le détenu n’a-t-il pu communiquer avec des tiers qu’en présence de représentants de l’État?

·         Si la personne a été détenue, quelle a été la durée de sa détention, et un processus légal conforme aux normes internationales de justice fondamentale a-t-il entouré l’arrestation initiale puis la détention?

·         A-t-on mis en place des mesures de protection contre le recours à la torture ou à des TCID?

·         Des membres du même groupe ou de la même catégorie que la personne ont-ils allégué avoir été victimes de torture?

 

[171]    M. Mahjoub soutient que, pour ce qui est de certains pays, ___________, c’est au lieu de détention que l’intéressé devient vulnérable à la torture. ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^


 

[172]    M. Mahjoub appuie également ses prétentions sur ________________________ de nombreux rapports publiés par divers groupes de défense des droits de la personne, comme Amnesty International, Human Rights Watch, des groupes locaux de défense de ces droits et les Nations Unies, ainsi que sur des rapports du Département d’État des États‑Unis, où a été abordée la question des mauvais traitements infligés aux personnes détenues _____________________________. On a recensé et étayé dans ces rapports un nombre important de cas où ___________________________ a violé à répétition et systématiquement les droits humains fondamentaux des personnes sous la garde de ___________. __________________ a un bilan particulièrement médiocre pour ce qui est du recours à des formes particulières de torture, tel qu’en attestent des documents de groupes de défense des droits de la personne et d’organismes internationaux ainsi que des rapports du Département d’État des É.‑U.. Parmi les traitements infligés dont on fait état, il y a le passage à tabac, la suspension de détenus par les bras ou les jambes, l’enchaînement de détenus dans des positions douloureuses, l’utilisation de câbles ou de sangles pour fouetter les détenus, la privation prolongée de sommeil de détenus et le recours aux électrochocs à des fins de torture.

 

[173]    M. Mahjoub soutient qu’au vu d’une telle preuve, _________________________ __________________________________________________________________________________ il est possible d’inférer que l’intéressé a été torturé ou a fait l’objet de TCID.

 

[174]    M. Mahjoub soutient que, parmi les circonstances entourant la détention de l’intéressé, d’autres éléments peuvent dénoter le recours à la torture. Ainsi, lorsqu’il n’a pas été possible pour une personne de communiquer avec un avocat ou les membres de sa famille, ou lorsqu’on a tardé à lui accorder cette possibilité, la probabilité est plus grande que des actes de torture ou des mauvais traitements aient été infligés. M. Mahjoub fait valoir que, selon la plupart des organismes de protection des droits de la personne, le risque de torture est plus élevé pendant les périodes où le détenu est maintenu au secret sans contact avec l’extérieur.

 

[175]    Quant à la nature des renseignements fournis, M. Mahjoub soutient que, plus cette nature est inculpatoire, moins il est probable que les renseignements ont été communiqués volontairement, particulièrement lorsqu’ils permettent d’intenter une poursuite pouvant donner lieu à une déclaration de culpabilité et à la condamnation à une longue peine d’emprisonnement, à une peine de travaux forcés ou à la peine de mort. Ce qu’il faut ainsi se demander, c’est s’il est plausible que l’intéressé ait fourni volontairement les renseignements en cause.

 

[176]    Pour ce qui est de groupes particuliers ciblés par l’État, M. Mahjoub soutient que s’il relève d’une catégorie ainsi prise pour cible ________________________ personnes liées au terrorisme, l’intéressé est particulièrement vulnérable face à la torture ou aux mauvais traitements.

 

[177]    M. Mahjoub soutient également que le risque de torture est plus grand lorsqu’aucune procédure légale n’a encadré la détention, que ce soit lors de l’arrestation initiale de l’intéressé ou de la détention comme telle. M. Mahjoub évoque l’extradition extraordinaire pour illustrer son propos, en faisant valoir qu’elle est presque devenue synonyme de torture et de TCID selon les dépositions de MM. Sifton et Ghappour. M. Sifton a ainsi donné en exemple de nombreux cas notoires de personnes extradées vers l’Égypte, lesquelles ont allégué avoir été torturées. _______________________________________ _________________________________________________________________________________________________________________________________.

 

[178]    M. Mahjoub soutient également que lorsqu’un État a pris peu ou pas de mesures pour assurer la protection contre la torture, il y a un plus fort risque qu’un détenu y soit mis à la torture pour en obtenir des éléments de preuve. M. Mahjoub renvoie à cet égard au Rapport du Rapporteur spécial, où M. Nowak, le rapporteur spécial des Nations Unies, a décrit (aux par. 45 à 56) les facteurs qui favorisent selon lui le recours à la torture. On compte parmi ces facteurs l’impunité, l’absence de mécanismes de recours valables pour les victimes, l’absence de mesures de protection préventives, comme l’existence d’une notification ou de dossiers de détention, la durée de la garde à vue, l’admissibilité de la preuve obtenue sous la torture, l’accès restreint aux avocats et à l’aide juridique ainsi que l’absence de recours à l’expertise judiciaire (ibid.).

 

[179]    M. Mahjoub soutient que le récit d’autres personnes qui prétendent avoir été victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements dans des situations semblables peut dénoter le recours à la torture. Il fait remarquer que dans le cadre de l’Enquête Arar, l’enquêteur désigné, le Pr Stephen J. Toope, s’était fondé en partie sur la similarité de l’expérience d’Abdullah Almalki, de Muayyed Nureddin, d’Ahmed El Maati et de M. Arar pour conclure en la crédibilité de l’allégation de torture faite par ce dernier (Rapport du Pr Stephen J. Toope – Enquêteur (Ottawa : la Commission, 2005), p. 5).

 

[180]    Au soutien de la position de M. Mahjoub, les avocats spéciaux soutiennent qu’il y aurait lieu d’exclure les renseignements obtenus par suite de l’interrogatoire de ___________ puisque la procédure ayant encadré la détention de _________, ____________, ainsi que sa détention et son interrogatoire subséquents _____________ permettent d’inférer qu’il a été torturé et qu’en conséquence, les renseignements fournis par lui l’ont été sous le coup de la torture.

 

[181]    Les avocats spéciaux soutiennent que _______________________________ _________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________.


 

[182]    Les avocats spéciaux ajoutent que _______________________________ _________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________.

 

[183]    Les avocats spéciaux allèguent que _______________________________ _________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________.

 

[184]    Les avocats spéciaux soulignent également que lors de son contre-interrogatoire, _________________ a convenu que ________________________________________ __________________.

 

[185]    Pour ce qui est de la détention de ______________, les avocats spéciaux font valoir qu’il ressort de la preuve présentée dans le cadre de la partie publique de l’instance que torturer les détenus pendant les interrogatoires constitue une pratique habituelle de ____________, particulièrement lorsqu’on interroge des membres de ______________ ______________. Les avocats s’appuient, au soutien de cette prétention, sur le ________ rapport d’Amnesty International _______ qui vise la période en cause, ________ lorsque __________ aurait été détenu et interrogé. On déclare ce qui suit dans ce rapport :


 

                        _________

 


 


 

Position des ministres

[186]    Les ministres soutiennent que, bien que la détention puisse être prise en compte pour établir si une personne a ou non été torturée, il ne s’agit pas là d’un facteur déterminant. Ils soulignent, en citant SPA c Canada (2006) Un Doc CAT/C/19/57/1996, que le Comité contre la torture est aussi de cet avis.

 

[187]    Pour ce qui est plus particulièrement de __________, les ministres soutiennent que le fait que ___________ ait été détenu _____________ n’est pas concluant quant à savoir si _____ a été torturé. Les ministres avancent que _________________________ et non qu’il a été torturé lors de son interrogatoire.

 

[188]    Les ministres ajoutent qu’une preuve démontrant que _____________________ _____________ ne suffit pas pour conclure que l’intéressé a été torturé ou s’est vu infliger des TCID _________________________ et qu’il y a des motifs raisonnables de croire que les renseignements en cause ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID. Les ministres soutiennent qu’il ne découle pas de _____­­­­­­­___________ _______________ également ___________ systématiquement à la torture.

 

[189]    Les ministres soutiennent qu’il est très improbable que _____________ ait été victime de torture __________________________________________. Les ministres appuient leur prétention sur le témoignage de ____________ selon lequel les renseignements fournis par __________ ne semblaient pas avoir été obtenus par la torture :


 

[190]    Les ministres soutiennent qu’on n’a aucunement allégué ______________ qu’il avait été torturé lors de sa détention _____________. Les ministres mettent en contraste ______________________________________________________. En outre, selon les ministres, dans aucun rapport sur les droits de la personne, comme ceux d’Amnesty International ou d’Human Rigjts Watch, on n’allègue ni n’affirme expressément que __________ a été victime de torture.

 

[191]    Compte tenu de ce qui précède, les ministres affirment que rien dans la preuve ne permet à la Cour d’inférer des circonstances que _____________ a été victime de torture.

 

Réponse des avocats spéciaux à la preuve présentée à huis clos par les ministres

[192]    Les avocats spéciaux soutiennent que les ministres n’ont produit aucune preuve permettant de contrer la preuve de M. Mahjoub, ni portant sur les circonstances particulières qui ont entouré l’interrogatoire ________________.

 

[193]    Les avocats spéciaux contestent le témoignage de _____________ selon lequel il ne semble pas que les renseignements provenant de _____________ aient été soutirés par la torture parce que _____________ lorsqu’ils ont été obtenus. Les avocats spéciaux soulignent le fait que, lors de son contre-interrogatoire, _____________ a reconnu que les personnes détenues par les services étrangers _____________ étaient soumises à la torture :


 

                        ________________________________________

                        _________________________________________________

 

[194]    Les avocats spéciaux soutiennent que, compte tenu de ce qui précède, la seule conclusion pouvant être tirée c’est que _____________ a été torturé et qu’il faut par conséquent exclure tous les renseignements reçus _____________ qui ont été obtenus au moyen de son interrogatoire.

 

Analyse

[195]    M. Mahjoub a établi un lien plausible entre le recours à la torture et à des TCID contre les personnes détenues et interrogées _____________ et les renseignements fournis par _____________ lorsqu’il était sous la garde _____________. La question à trancher est par conséquent de savoir si, compte tenu des circonstances entourant la détention et l’interrogatoire de _____________, il y a des motifs raisonnables de croire que les renseignements fournis par _____________ ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID.

 

[196]    Compte tenu des facteurs pertinents susmentionnés proposés par M. Mahjoub, je conclus en la pertinence des circonstances et faits exposés par la suite et ayant entouré la détention et l’interrogatoire de _____________ pour établir s’y a des motifs raisonnables de croire que _______ a subi des actes de torture ou des TCID.

 

[197]    Nul n’a contesté la preuve selon laquelle _____^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^_____ ______________________________. Le dossier révèle que _____^^^^^^^^^^^________ a été détenu ___________________________________________________________. Par conséquent, du point de vue de _____________ avait manifestement des liens avec _________ ____ et il était donc détenu pour des motifs politiques et de sécurité.

 

[198]    Human Rights Watch rapporte que la plupart des individus ________________ _______________________________________________________________________ ____________________________________________________________________________________________. Human Rights Watch a tout particulièrement fait enquête sur les circonstances ayant entouré ____________________________________________ ________________________________________________________  ______________ gardés au secret en longue détention _______________________________________ ________ sans pouvoir communiquer avec leurs avocats ou les membres de leur famille ________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________. En outre, la preuve non contestée ___________________________ _____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________.

 

[199]    Un individu ayant le profil _____________ et dans la situation de ___________ serait vraisemblablement soumis à la torture ___________. La preuve documentaire établit que _____________ soumet systématiquement les détenus à la torture. La preuve révèle également que les personnes gardées en détention au secret et celles associées à des groupes _____________, c’est-à-dire les détenus politiques, risquent tout particulièrement d’être victimes de torture _____________. Amnesty International a ainsi rapporté ce qui suit :

______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

 

[200]    _________________________________________________________________ ______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ Human Rights Watch a également signalé que le recours à la torture _____________ constituait une pratique particulièrement généralisée et persistante lorsqu’on interrogeait les personnes soupçonnées de menacer la sécurité _____________.

 

[201]    Tant Amnesty International qu’Human Rights Watch ont souligné que la détention au secret facilitait la perpétration de la torture, et que la torture dans une telle situation ________________________________________________________________ _____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________.

 

[202]    La preuve documentaire démontre que les personnes ______________ et détenues dans des situations semblables à celles de ______________ étaient soumises à la torture. Certaines personnes qui ont ________________ ont prétendu avoir été torturées, et elles ont présenté des éléments de preuve crédibles attestant qu’elles avaient bel et bien été torturées. ______________________________________________________________ ________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________.

______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

[203]    ________________________________________________________________ _______________________________________________________________________. Il a prétendu qu’on l’avait sauvagement torturé __________________________, notamment en lui infligeant des décharges électriques et en le passant à tabac. Les dossiers médicaux _______________________________________________________ attestent du fait qu’il a subi diverses blessures compatibles avec ses allégations, ainsi qu’un certain nombre de problèmes de santé physique et mentale découlant d’actes de torture.

 

[204]    Je conclus, sur la foi de la preuve présentée, qu’il y a des motifs raisonnables de croire que _____________ a été gardé en détention au secret et torturé _____________ ___________________________. Reste alors la question de savoir si les renseignements obtenus de ______________ l’ont été par suite du recours à la torture ou à des TCID.

 

[205]    Les ministres soutiennent qu’il est très improbable que ______________ ait été torturé ______________ pendant l’interrogatoire au cours duquel ________ a fourni les renseignements, parce que ______________. Cet argument ne me convainc pas. À mon avis, ______________.

 

[206]    Cela ne changerait pas grand-chose, en outre, même s’il était établi que _____________ n’avait pas été torturé pendant que ______________. ______________ a néanmoins été détenu et interrogé _____________________________ célèbre pour son recours à la torture. La question est de savoir si, dans les conditions de détention où s’est trouvé ______________, il est possible d’affirmer que les renseignements fournis par lui ______________ ont été obtenus sans coercition. Cela n’est pas possible selon moi, au vu du dossier dont je suis saisi. Même si l’on démontrait que ______________ n’a pas été torturé, ______________ cela ne voudrait pas dire que les renseignements n’ont pas été obtenus par suite du recours à la torture. __________________________ ________________________________________________________________________ En outre, l’on dispose de peu d’éléments de preuve quant aux circonstances dans lesquelles ______________. Aucun élément de preuve n’a non plus été présenté selon lequel ______________________________________________________________________________________________________________________.

 

[207]    J’estime, compte tenu de l’ensemble des circonstances, qu’il y a des motifs raisonnables de croire que les renseignements recueillis lors de l’interrogatoire de ______________ ont été obtenus par la torture. Ces renseignements ne peuvent donc pas être admis en preuve, en application de l’alinéa 83(1)h) et du paragraphe 83(1.1).

 

C.      Déclarations de culpabilité prononcées en Égypte à l’issue du procès des rapatriés d’Albanie

[208]    Je vais maintenant me pencher sur les déclarations de culpabilité prononcées en Égypte à la suite de ce que l’on appelle le procès des expulsés d’Albanie.

 

[209]    Le procès s’est déroulé de février à avril 1999 devant la Haute Cour militaire d’Égypte (résumé public consolidé du RRS, par. 30; Amnesty International 2001, p. 28). Il y avait au procès 107 accusés, 44 étant présents et les autres, y compris M. Mahjoub, étant jugés par contumace. D’après le résumé public consolidé du RRS, les accusés étaient accusés de participation aux activités du Jihad islamique égyptien, ou al‑Jihad, d’incitation à la réalisation d’opérations violentes en Égypte et d’établissement à l’étranger de camps d’entraînement militaire en vue de la réalisation d’opérations terroristes en Égypte. M. Mahjoub a été reconnu coupable par contumace en Égypte de participation aux activités du al‑Jihad et condamné à 15 années d’emprisonnement. ______________ [d’autres personnes mentionnées dans le RRS public] ont également été reconnus coupables à ce procès; ces déclarations de culpabilité sont aussi mentionnées dans le RRS et les ministres les ont invoquées au soutien de leur argumentation contre M. Mahjoub.

 

Position de M. Mahjoub

[210]    M. Mahjoub prétend qu’entachée par le recours à la torture, sa déclaration de culpabilité en Égypte, lors du procès des expulsés d’Albanie, n’est pas admissible en preuve. Selon lui, la preuve démontre que ce procès n’a pas respecté les normes internationales d’application régulière de la loi et qu’il était irrémédiablement entaché par le recours à la torture. M. Mahjoub fait valoir les dépositions du Pr Gerges, de M. Sifton et du Pr Wark ainsi que la preuve documentaire pertinente au soutien de cette position. Dans le domaine public, ajoute M. Mahjoub, des sources crédibles rapportent que bien des personnes jugées et déclarées coupable à ce procès avaient été remises à l’Égypte, et qu’on les avait détenues et torturées pour leur soustraire des confessions et des renseignements qui ont ensuite été utilisés en preuve au procès.   

 

[211]    M. Mahjoub soutient aussi que divers facteurs permettent de conclure qu’il y a des motifs raisonnables de croire que toute déclaration de culpabilité prononcée lors du procès des expulsés d’Albanie ou de tout autre procès instruit par un tribunal militaire ou de sécurité égyptien a reposé sur l’utilisation de la torture : le recours à de tels tribunaux distincts pour poursuivre des prétendus terroristes, l’absence de mesures garantissant un procès équitable, l’utilisation de la preuve obtenue au moyen de la torture et l’impunité devant le système judiciaire ordinaire. M. Mahjoub invoque à cet égard les dépositions des témoins experts sur ces facteurs.

Position des ministres

[212]    Les ministres soutiennent que, si l’Égypte a un piètre bilan en matière de droits de la personne, cela ne veut pas dire que les déclarations de culpabilité prononcées par les tribunaux égyptiens sont nécessairement entachées par la torture et donc non admissibles en preuve. Il faut analyser avec soin, selon les ministres, les déclarations de culpabilité ici en cause. Les ministres font par ailleurs remarquer que M. Agiza a intenté une poursuite contre le gouvernement suédois, au motif qu’il aurait été torturé par les autorités de l’Égypte, alors qu’il était détenu dans ce pays. Cela démontre, prétendent les ministres, qu’il n’y a pas effondrement complet du système de justice en Égypte.

 

Analyse

[213]    J’estime qu’a été démontrée l’existence d’un lien plausible entre l’infliction de la torture ou des TCID par les autorités égyptiens et les déclarations de culpabilité, avancées comme preuve par les ministres, prononcées lors du procès des expulsés d’Albanie. La question à trancher est de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que ces déclarations de culpabilité prononcées par la Haute Cour militaire d’Égypte ont résulté de l’utilisation d’éléments de preuve obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID.

 

[214]    M. Mahjoub a présenté divers éléments de preuve pour étayer les assertions suivantes au sujet des tribunaux militaires et de sécurité égyptiens : (1) ils ne respectent pas de règles procédurales garantissant un procès équitable; (2) ils admettent souvent en preuve des renseignements et des confessions qu’on prétend avoir été obtenus au moyen de la torture; (3) les personnes reconnues coupables par ces tribunaux étaient souvent gardées en détention au secret avant la tenue du procès. Ces éléments de preuve, ce furent les dépositions de M. Sifton, du Pr Gerges et du Pr Wark ainsi que des rapports publiés par Human Rights Watch et Amnesty International.

 

[215]    M. Sifton a déclaré que les détenus traduits en justice devant les tribunaux militaires et de sécurité égyptiens n’avaient pas valablement accès aux services d’un avocat. Bien souvent ces tribunaux n’autorisaient pas les avocats de la défense à assigner des témoins, en plus de leur restreindre l’accès à des documents clés sur lesquels se fondait la poursuite. Aucune voie d’appel non plus n’était prévue. Human Rights Watch et Amnesty International ont fait état de telles pratiques observées dans divers procès particuliers (Human Rights Watch, p. 33; Amnesty International 2001, p. 28).

 

[216]    La preuve révèle également que bien des accusés traduits en justice devant les tribunaux militaires ou de sécurité sont gardés en détention au secret avant leur procès. M. Sifton a déclaré dans son témoignage que, bien souvent dans les affaires de sécurité renvoyées à ces tribunaux, l’avocat de l’accusé était incapable de communiquer avec ce dernier ou ignorait même où il était détenu. Amnesty International a également fait état de ce qui suit dans son rapport de 1994 sur l’Égypte : « Les accusés ont fréquemment été maintenus en détention prolongée au secret avant leur procès et contraints sous la torture à faire des aveux » (Amnesty International, 1994).

 

[217]    Amnesty International déclare par ailleurs ce qui suit au sujet des tribunaux militaires et de sécurité admettant des éléments de preuve ou des renseignements qui auraient été obtenus au moyen de la torture :

Dans de nombreuses affaires politiques ou relatives à la sûreté de l’État, des déclarations qui auraient été obtenues à la suite de mauvais traitements ou de torture sont retenues à titre de preuve par les tribunaux et servent de fondement aux déclarations de culpabilité, même lorsque les accusés les ont rétractées à l’audience. (Amnesty International, Égypte – Atteintes systématiques aux droits humains au nom de la sécurité (2006), p. 28)

 

[218]    Quant aux allégations de torture portées par ses accusés devant ces tribunaux, Amnesty International fait état de ce qui suit :

[traduction]

 

[...] bien souvent les tribunaux ne mènent pas d’enquête approfondie sur les allégations de torture ou de mauvais traitements formulées par les accusés, ni ne veillent à s’assurer que les « aveux » ou autres déclarations incriminantes ont librement été faits. Les tribunaux ont maintes fois infligé la peine de mort ou de longues peines de prison à des accusés sur le fondement d’ « aveux » ou d’autres déclarations que ceux-ci alléguaient avoir été soutirés, pendant qu’ils étaient gardés en détention au secret avant le procès, par recours à la torture ou à d’autres types de mauvais traitements. (Amnesty International, Egypt – Justice subverted : trials of civilians before military courts (2007), p. 4).

 

[219]    En plus de la preuve ci-dessus sur les pratiques générales des tribunaux militaires et de sécurité, le dossier renferme des éléments de preuve précis montrant que des personnes accusées dans le cadre du procès des expulsés d’Albanie ont été remises par des pays tiers à l’Égypte, où ils ont subi en détention des actes de torture avant la tenue du procès.

 

[220]    D’après M. Sifton, le Pr Gerges et le Pr Wark, ainsi que les rapports d’Human Rights Watch et d’Amnesty International, bien des personnes jugées lors du procès des expulsés d’Albanie ont été capturées à l’étranger et livrées aux autorités égyptiennes par des pays tels que l’Albanie, l’Arabie saoudite et l’Azerbaïdjan (Human Rights Watch, Human Rights Watch World Report 2000 – Egypt (1er décembre 1999); Amnesty International, Amnesty International’s Briefing to the Human Rights Committee on the Arab Republic of Egypt (2002), p. 23).

 

[221]    Le Pr Gerges a fait état dans sa déposition de l’établissement par Hafez Abu Saada, l’avocat de nombreux détenus lors du procès, d’un rapport sur les allégations de torture formulées par ces détenus. Essentiellement, chacun des détenus a prétendu avoir été victime d’actes de torture, notamment des décharges électriques sur les organes génitaux et du tabassage. Le Pr Gerges a déclaré ce qui suit sur le sujet dans sa déposition :

[traduction]

 

Nous savons que nombre d’entre eux, sinon la plupart, ont subi de la torture. Plusieurs vous le savez, même en salle d’audience, ont crié à l’intention des journalistes : « Nous avons été torturés ». Les avocats ont également rapporté de tels actes de torture. (Transcription des débats, vol. II, p. 125).

 

 

[222]    Un document d’Human Rights Watch fait état de l’extradition et du procès de cinq des accusés dans l’affaire des expulsés d’Albanie. On y mentionne que tous les cinq ont été maintenus en détention prolongée au secret avant leur procès, sans avoir accès ni à leurs avocats ni aux membres de leurs familles. Les cinq ont soutenu qu’on les avait torturés et tous ont donné un compte rendu semblable de la torture qu’ils avaient subie. Les accusés ont aussi affirmé que leurs aveux avaient été extorqués par la force (Human Rights Watch 2005, p. 22 et 23). Amnesty International a en outre déclaré ce qui suit :

Plus d’une douzaine d’accusés dans ce qui a été appelé « le procès des expulsés d’Albanie », pour lequel la Haute Cour militaire a rendu ses verdicts le 18 avril 1999, ont déclaré avoir été torturés au cours de leurs détention préventive dans les locaux du Service de renseignements de la sûreté de l’État. Les registres du ministère public chargé de l’enquête contiennent des allégations de torture formulées par plusieurs accusés. Certains accusés ont déclaré au tribunal avoir été torturés lors de leur détention au secret, notamment par des décharges électriques [...] (Amnesty International 2001, p. 28).

 

 

[223]    Le Pr Wark a traité dans sa déposition des allégations de torture proférées par Ibrahim al‑Najjar, un des principaux accusés lors du procès. Le Pr Wark rapporte qu’au cours de son interrogatoire, M. al-Najjar a révélé le nom d’un grand nombre de ses associés et décrit dans le détail les mesures prises par les leaders de l’organisation islamique pour le soutenir. Selon le Pr Wark, les aveux de M. al-Najjar ont constitué pour le gouvernement de l’Égypte un élément essentiel de sa preuve, et lui ont permis d’aller de l’avant avec le procès et d’en élargir la portée.

 

[224]    Le Pr Wark a ajouté qu’aucune information du domaine public ne venait réfuter les allégations de torture des accusés lors du procès des expulsés d’Albanie. Le Pr Wark a conclu son rapport comme suit : [traduction] « [...] le procès des expulsés d’Albanie, dans lequel M. Mahjoub s’est retrouvé pris au piège, est selon moi entaché de manière irrémédiable dans son fondement par les allégations de torture et par la preuve des extraditions ».

 

[225]    Des détails concernant la déclaration de culpabilité de M. Mahjoub figurent dans l’« aide-mémoire » égyptien au sujet de ce dernier établi par le ministère public égyptien et invoqué par les ministres. L’aide-mémoire fait état du fait qu’un autre accusé dans l’affaire des expulsés d’Albanie, [traduction] « l’accusé numéro 58 », a fourni aux autorités égyptiennes des renseignements sur lesquels la Haute Cour militaire s’est fondée pour prononcer la déclaration de culpabilité de M. Mahjoub.

 

[226]    Je désire mentionner que M. Mahjoub conteste l’exactitude de la traduction réalisée de ce document. M. Mahjoub a présenté une autre traduction, faite par un traducteur agréé, du document original en langue arabe. J’ai examiné les deux traductions et en ai relevé les divergences, particulièrement celles concernant les renseignements fournis par l’accusé numéro 58. Or, j’estime que ces divergences n’importent pas aux fins de la présente requête.

 

[227]    Quelle que soit la traduction utilisée, il est manifeste que l’accusé numéro 58 a fourni aux autorités égyptiennes des renseignements sur lesquels la Haute Cour militaire s’est fondée pour prononcer la déclaration de culpabilité de M. Mahjoub.

 

[228]    Compte tenu de la preuve susmentionnée, montrant que les autorités égyptiennes ont pour habitude d’extorquer des aveux et des renseignements des accusés traduits en justice devant les tribunaux militaires pour des motifs politiques et de sécurité, et de la preuve du recours à la torture dans le cas particulier des accusés dans l’affaire des expulsés d’Albanie, je suis forcé de conclure qu’il y a des motifs raisonnables de croire que l’accusé numéro 58 avait subi des actes de torture ou des TCID lorsqu’il a fait aux autorités égyptiennes les déclarations inculpatoires qui ont entraîné la déclaration de culpabilité de M. Mahjoub. Je conclus par conséquent qu’il y a des motifs raisonnables de croire que la déclaration de culpabilité de M. Mahjoub au procès des expulsés d’Albanie a été obtenue par suite du recours à la torture et n’est ainsi pas admissible en preuve.

 

[229]    Pour ce qui est des déclarations de culpabilité de _________________________ [d’autres personnes mentionnées dans le RRS public], je conclus également, sur le fondement de la preuve susmentionnée, qu’elles ne sont pas admissibles. Je ferai remarquer que dans l’arrêt Al‑Sirri, précité et examiné plus tôt, la Cour d’appel de l’Angleterre a inféré de manière raisonnable de la preuve générale selon laquelle la Cour militaire égyptienne se fondait sur des éléments de preuve obtenus par la torture la conclusion voulant que, fort probablement, la preuve utilisée pour prononcer la déclaration de culpabilité de M. Al-Sirri avait, elle aussi, été obtenue par la torture. J’adopte un raisonnement similaire en l’espèce. Je reconnais que les tribunaux militaires égyptiens ont pour habitude de se fonder sur la preuve extorquée par la torture, et qu’une preuve crédible montre qu’ils se sont effectivement fondés sur une telle preuve dans l’affaire des expulsés d’Albanie. Cela étant, je conclus qu’il y a des motifs raisonnables de croire que la preuve ayant servi à prononcer la déclaration de culpabilité _______________ ______ [d’autres personnes mentionnées dans le RRS public] a été obtenue par la torture, et que les déclarations de culpabilité de ces personnes ne sont donc pas admissibles en preuve à l’encontre de M. Mahjoub.

 

VIII. Conclusion

[230]    Compte tenu de la preuve dont je suis saisi et des motifs précédemment exposés, mes conclusions dans le cadre de la présente requête se résument ainsi :

1.      Il incombe aux ministres de démontrer que les renseignements qu’ils invoquent sont dignes de foi et valables. Ils doivent établir l’admissibilité de ces renseignements. Lorsque la personne visée allègue la torture ou des TCID, c’est à elle qu’il revient de faire valoir l’obtention par suite du recours à la torture ou à d’autres TCID des renseignements invoqués par les ministres. Pour s’acquitter de ce fardeau initial, la personne visée n’a qu’à démontrer l’existence d’un lien plausible entre le recours à la torture ou à des TCID et les renseignements présentés par les ministres. Ceux-ci peuvent alors produire, en fonction de la force de la preuve de la personne visée, les éléments de preuve appropriés en réponse. La Cour décidera ensuite, après avoir entendu les arguments des parties et pris en considération l’ensemble de la preuve dont elle est saisie, s’il y a des motifs raisonnables de croire que la preuve proposée a été obtenue par suite du recours à la torture ou à des TCID.

2.      Compte tenu des éléments dont la Cour dispose, l’approche adoptée par le Service pour ____________ [filtrage] des renseignements qu’il recueille pour s’acquitter de son mandat ne suffit pas, malgré les politiques et pratiques mises en œuvre, pour s’assurer que tous les renseignements obtenus de pays ayant un piètre bilan en matière de droits de la personne et invoqués par les ministres en l’instance satisfont au critère d’admissibilité énoncé à l’alinéa 83(1)h) et au paragraphe 83(1.1) de la LIPR.

3.      L’alinéa 83(1)h) et le paragraphe 83(1.1)  prescrivent d’exclure de l’instance relative au certificat de sécurité les éléments de preuve primaire et de preuve dérivée dont on a des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture ou à des TCID.

4.      Au vu du dossier, il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que tous les renseignements d’origine inconnue émanant de ______________ ont été obtenus grâce à la torture ou à des TCID.

5.      Il y a des motifs raisonnables de croire que les renseignements tirés de l’interrogatoire de __________ ont été obtenus au moyen de la torture. Ces renseignements sont par conséquent non admissibles en preuve, en application de l’alinéa 83(1)h) et du paragraphe 83(1.1) de la LIPR.

6.      Il y a des motifs raisonnables de croire que les déclarations de culpabilité de M. Mahjoub, _____________ [et d’autres personnes mentionnées dans le RRS public] dans le cadre du procès des expulsés d’Albanie ont découlé du recours à la torture. Les renseignements en cause sont par conséquent non admissibles en preuve, en application de l’alinéa 83(1)h) et du paragraphe 83(1.1) de la LIPR.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE QUE la requête soit accueillie selon les conditions suivantes :

  1. Conformément aux motifs et aux conclusions qui précèdent, les ministres devront passer en revue les renseignements invoqués dans le Rapport de renseignements de sécurité (le RRS) afin d’en exclure tout renseignement non admissible en application de l’alinéa 83(1)h) et du paragraphe 83(1.1) de la LIPR.
  2. Les ministres et les avocats spéciaux devront, dans les dix jours de la présente ordonnance, déposer conjointement un tableau précisant les renseignements ainsi que les renvois de source correspondants dans le RRS qu’ils ont convenu d’exclure, en vue de l’établissement par les ministres d’un RRS modifié et d’un RRS public révisé.
  3. Advenant tout désaccord quant aux renseignements et aux renvois de source à exclure, les ministres et les avocats spéciaux devront, dans les dix jours de la présente ordonnance, déposer des tableaux distincts faisant état des renseignements et des renvois de source contestés.
  4. On discutera de tout calendrier requis des procédures pour les renseignements contestés, le cas échéant, une fois instruite, à Toronto, le 14 juin 2010, la requête présentée par l’avocat pour l’audience publique.
  5. De nouvelles directives seront données le 14 juin 2010 relativement à l’éventuel prononcé d’une version publique des présents motifs de l’ordonnance et ordonnance.
  6. Les parties et les avocats spéciaux pourront demander à la Cour, le cas échéant, de plus amples précisions sur la présente ordonnance.

 

            « Edmond P. Blanchard »       

                              Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                               DES-7-08

 

INTITULÉ :                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE c MOHAMED ZEKI MAHJOUB

 

LIEU DE L’AUDIENCE :     TORONTO (ONTARIO) ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE

PUBLIQUE :                            LES 24, 25, 26, 29, 30, 31 MARS ET LES 1er, 12, 14, 15 ET 16 AVRIL 2010

 

DATES DE L’AUDIENCE

À HUIS CLOS :                       LES 19, 20, 21 ET 23 AVRIL 2010

 

MOTIFS DE

L’ORDONNANCE :               LE JUGE BLANCHARD

 

DATE :                                     LE 9 JUIN 2010

 

COMPARUTIONS :

Donald MacIntosh

Marcel Larouche

Rhonda Marquis

Sharon Stewart Guthrie

Danie Engel

Nimanthika Kaneira

 

POUR LES DEMANDEURS

Barbara Jackman

Marlys Edwardh

Adriel Weaver

 

Anil Kapoor

Gordon Cameron

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS SPÉCIAUX

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myless Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DEMANDEURS

Jackman & Associates

 

Marlys Edwardh

Barristers Professional Corporation

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS SPÉCIAUX :

 

Gordon Cameron

Anil Kapoor

 

 

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