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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100625

Dossier : IMM-5379-09

Référence : 2010 CF 699

[traduction certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

KURANAGE SARATH PERERA

THENNAKOON HALUGE THENNAKOON

 

demandeurs

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE

LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision défavorable prise par un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR). L’agent a conclu que les éléments de preuve additionnels soumis par les demandeurs étaient insuffisants pour renverser la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Selon cette conclusion, les demandeurs ne courraient aucun risque s’ils retournaient au Sri Lanka, et ce, même si la situation dans le pays a changé.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Le contexte

[3]               Kuranage Sarath Perera et Thennakoon Haluge Thennakoon sont citoyens du Sri Lanka. Ils sont aussi Cinghalais.

 

[4]               Les demandeurs exploitaient une ferme au Sri Lanka où ils avaient à leur emploi deux jeunes tamouls qui avaient déserté l’organisation des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). Ce fait ne leur a jamais été mentionné. Les demandeurs ont affirmé qu’ils étaient persécutés à la fois par les TLET car ceux-ci croyaient qu’ils cachaient les deux déserteurs et à la fois par les forces de sécurité du pays, en raison de leur présumé appui aux TLET. Les demandeurs se sont enfuis au Canada et y ont demandé l’asile.

 

[5]               L’audience relative à la demande d’asile des demandeurs a eu lieu le 10 janvier 2008. Ceux‑ci y ont été représentés par un avocat. La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs le 30 mai 2008. Elle a conclu que les demandeurs manquaient de crédibilité, que les événements décrits n’ont pas eu lieu et que les demandeurs ne craignaient pas avec raison d’être persécutés. La Commission a également conclu que les demandes présentées par les demandeurs n’avaient aucun minimum de fondement au sens du paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Par conséquent, la Commission a rejeté leur demande. Les demandeurs ont demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision, mais la Cour a rejeté cette demande.

 

[6]               En décembre 2008, les demandeurs ont présenté une demande d’ERAR. Ils ont joint à cette demande différents documents dont la Commission ne disposait pas, notamment (1) une lettre, datée du 5 novembre 2008, provenant d’un avocat au Sri Lanka, selon laquelle la police recherchait toujours les demandeurs; (2) un affidavit émanant du demandeur principal, daté du 4 décembre 2008, selon lequel son frère, le 22 août 2008, alors qu’il allait s’occuper de sa propriété, a été atteint par des coups de feu tirés par des personnes qui, sans aucun doute, étaient à sa recherche; (3) un billet de diagnostic émis par l’hôpital de la base de Negombo, daté du 26 août 2008, relatif à la blessure par balle subie par le frère du demandeur principal; (4) un extrait du rapport de police concernant la blessure du frère du demandeur principal, daté du 10 novembre 2008; (5) une assignation, datée du 14 mai 2008, délivrée au demandeur principal l’enjoignant à comparaître comme témoin; (6) un avis de comparution, daté du 25 septembre 2008, au nom du demandeur principal afin qu’il fournisse des renseignements relatifs à une enquête spéciale.

 

[7]               Le 15 septembre 2009, l’agent a rejeté la demande d’ERAR des demandeurs.

 

[8]               L’agent a examiné la décision de la Commission. Il a souligné que la question déterminante dans cette décision était la crédibilité et que la Cour avait rejeté la demande d’autorisation de présentation d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[9]               L’agent a évalué les éléments de preuve soumis par les demandeurs quant à savoir si ceux-ci constituaient de nouveaux « éléments de preuve » au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR. L’agent a cité la décision Kaybaki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 32, à l’appui de l’argument voulant qu’une demande d’ERAR ne saurait se transformer en une seconde demande d’asile. L’agent a souligné que les nouveaux éléments de preuve soumis portent une date ultérieure à la date de la tenue de l’audience relative aux demandes d’asile. L’agent a toutefois conclu que ceux-ci ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve. L’agent a affirmé ce qui suit : [traduction] « J’ai toutefois examiné les documents et j’ai conclu qu’ils n’apportent aucune nouvelle information. »

 

[10]           Malgré cette conclusion, l’agent a examiné les nouveaux éléments de preuve soumis par les demandeurs.

 

[11]           L’agent a cité la décision Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1385, à l’appui de l’argument voulant que la question n’est pas de savoir si les renseignements sont ultérieurs à l’audience relative aux demandes d’asile, mais bien de savoir si ceux-ci fournissent des informations qui ont une incidence importante sur la décision prise par la Commission.

 

[12]           L’agent a conclu que les pièces (1) et (2) portent sur des [traduction] « incidents qui ne constituent pas de nouveaux éléments de preuve relatifs à la situation des demandeurs, et qu’elles constituent plutôt une mise à jour de la preuve dont la Commission a déjà été saisie et dont elle a fait l’examen ». De plus, l’agent a conclu que [traduction] « ces documents ne dissipent pas les préoccupations de la Commission quant à la crédibilité ».

 

[13]           L’agent a conclu que les pièces (3) et (4), relatives aux coups de feu qui ont atteint le frère du demandeur principal, ne contenaient aucune information sur les motifs pour lesquels on avait tiré sur le frère, motifs qui auraient étayé une conclusion selon laquelle les demandeurs étaient exposés à des risques.

 

[14]           L’agent a affirmé qu’il était préoccupé par les pièces (5) et (6), l’assignation à comparaitre émise au nom du demandeur principal et son avis de comparution devant une unité antiterroriste car il avait du mal à comprendre pourquoi le demandeur avait promis de comparaître devant une cour au Sri Lanka alors qu’il se trouvait au Canada. L’agent a peut-être mal compris la chronologie des événements. L’agent a souligné que l’avis de comparution de la police ne mentionnait pas que le demandeur principal était accusé de quelque agissement fautif. L’agent n’a accordé aucun poids à ces documents et a conclu qu’ils ne [traduction] « dissipent pas les importantes préoccupations de la Commission quant à la crédibilité ».

 

[15]           L’agent a examiné le cartable de documents relatifs à la situation au Sri Lanka présenté par les demandeurs. L’agent a reconnu [traduction] « que, depuis la fin de la guerre civile, le gouvernement du Sri Lanka doit relever de nombreux défis ». L’agent a toutefois affirmé ceci : [traduction] « On ne m’a pas soumis suffisamment d’éléments de preuve objectifs démontrant que le gouvernement sri‑lankais prive de façon continue et générale ses citoyens de leurs droits fondamentaux de la personne. »

 

[16]           L’agent a conclu ceci : [traduction] « Les demandeurs vivent à l’extérieur du Sri Lanka depuis plus de quatre ans et ils n’ont pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs démontrant qu’il seraient exposés au risque d’être ciblés par le gouvernement ou par les TLET ». L’agent a également conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à plus qu’une simple possibilité d’être persécutés et qu’il n’y a aucun motif sérieux selon lequel ils risqueraient d’être soumis à la torture ou de voir leur vie menacée ou de subir des peines cruelles et inusitées s’ils retournaient au Sri Lanka.

 

[17]           L’agent a finalement conclu que [traduction] « les demandeurs ne sont pas des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR ».

 

La question en litige

[18]           En l’espèce, la question soulevée par les demandeurs est de savoir si l’agent d’ERAR a commis une erreur dans sa décision.

 

[19]           Les demandeurs prétendent que l’agent a commis une erreur susceptible de révision sur deux points : (1) il a conclu que les observations additionnelles formulées par les demandeurs n’étaient pas de [traduction] « nouveaux éléments de preuve »; (2) il a mal interprété la preuve et n’en a pas tenu compte.

 

L’analyse

[20]           Les demandeurs affirment que les éléments de preuve soumis constituaient de nouveaux éléments de preuve, qu’ils portaient des dates ultérieures à la date de l’audience relative aux  demandes d’asile, qu’ils étaient suffisants pour prouver les allégations antérieures des demandeurs relativement au risque et qu’ils auraient dû être pris en compte. Les demandeurs prétendent que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui contredisaient sa conclusion déterminante. Ils affirment que, [traduction] « comme l’agent a rejeté à tort les éléments de preuve soumis pas les demandeurs parce que, selon lui, ils n’étaient pas nouveaux, il ne leur a pas accordé le poids opportun ou ne leur en a accordé aucun » et que, ainsi [traduction] « il n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants ». Les demandeurs affirment que l’agent a omis de tenir compte de la preuve documentaire et qu’il a examiné la preuve documentaire de façon sélective.

 

[21]           Les défendeurs renvoient à Mikhno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 385, paragraphe 25, à l’appui du point de vue selon lequel « une décision non contestée de la Commission fait office de point de départ à partir duquel le demandeur peut soumettre la preuve de faits nouveaux » et que lorsque la nouvelle preuve ne corrige pas adéquatement les lacunes ou problèmes signalés par la Commission, l’agent ne peut que rendre une décision défavorable. Les défendeurs affirment que la conclusion de l’agent selon laquelle les éléments de preuve n’apportaient aucun nouveau renseignement était raisonnable. Ils ajoutent que, malgré cette conclusion, l’agent a examiné les nouveaux renseignements et a conclu qu’ils ne dissipaient pas les préoccupations de la Commission quant à la crédibilité. Ils affirment que l’agent n’a commis aucune erreur dans son appréciation des nouveaux renseignements et qu’il leur a accordé le poids approprié. Les défendeurs prétendent que l’agent a tenu compte des éléments de preuve et que son appréciation des [traduction] « nouveaux éléments de preuve », tout comme sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’étaient pas des personnes à protéger étaient raisonnables.

 

[22]           La question de savoir si les éléments de preuve soumis par les demandeurs constituaient de nouveaux « éléments de preuve » au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR, est une question mixte de fait et de droit susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable. La question de savoir si l’agent a correctement évalué la preuve est une question de fait susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable.

 

[23]           À mon avis, l’agent a commis une erreur en concluant que les éléments de preuve soumis par les demandeurs ne constituaient pas de « nouveaux éléments de preuve », mais cette erreur n’est pas susceptible de révision en l’espèce car l’agent a examiné ces éléments de preuve.

 

[24]           L’agent a accepté le fait que les éléments de preuve en question sont apparus après le rejet de la demande d’asile présentée par les demandeurs. Dans De Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 841, au paragraphe 17, le juge suppléant Teitelbaum a conclu que les nouveaux éléments de preuve peuvent comprendre « les éléments de preuve nouveaux concernant d’anciens risques ». Il a également souligné, au paragraphe 17, que les agents d’ERAR ne doivent pas « confondre la question de savoir si des éléments de preuve sont de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 133a) et celle de savoir si les éléments de preuve établissent l’existence d’un risque ». C’est l’erreur qu’a commise l’agent en l’espèce.

 

[25]           Cependant, l’erreur commise par l’agent n’est pas susceptible de révision car il n’a pas rejeté d’emblée les éléments de preuve soumis par les demandeurs. Il a plutôt étudié ces éléments de preuve afin de déterminer s’ils réfutaient les conclusions de la Commission et s’ils permettaient de conclure que les demandeurs étaient des personnes à protéger. L’agent a suivi à la lettre les directives destinées aux agents d’ERAR énoncées par la Cour d’appel fédérale dans Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 13, où la Cour d’appel fédérale a conclu que « [s]i les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles) ».

 

[26]           Dans la décision Mikhno, précitée, au paragraphe 25, le juge O’Keefe a conclu ce qui suit :

[…] une décision non contestée de la Commission fait office de point de départ à partir duquel le demandeur peut soumettre la preuve de faits nouveaux. Lorsque la nouvelle preuve ne corrige pas adéquatement les lacunes ou problèmes signalés par la Commission, l’agent ne peut que rendre une décision négative.

 

 

 

[27]           Malgré les observations habiles et détaillées des avocats, et après avoir lu les motifs de l’agent en tenant compte des nouveaux éléments de preuve soumis, je dois conclure que l’agent a expliqué de manière transparente, intelligible et suffisante pourquoi les nouveaux éléments de preuve soumis par les demandeurs n’ont pas réfuté la conclusion défavorable importante quant à la crédibilité tirée par la Commission.

 

[28]           La décision de la Commission et ses conclusions quant à la crédibilité des demandeurs sont assez claires. Les avocats des défendeurs ont soumis un résumé des conclusions de la Commission à cet égard qui était révélateur. Le résumé comprenait, notamment, sept conclusions d’invraisemblance, six d’incohérence et deux d’exagération. Compte tenu de ces conclusions, les nouveaux éléments de preuve requis pour réfuter la conclusion de manque de crédibilité devaient être importants. L’agent a conclu qu’ils ne l’étaient pas. Compte tenu du dossier dont j’ai été saisi, cette conclusion était raisonnable. Par conséquent, les conclusions de l’agent quant au poids à accorder aux nouveaux éléments de preuve et quant à leur pertinence sont déterminantes quant aux allégations de risque qui ont déjà soulevées par les demandeurs.

 

[29]           Les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer comment les récents troubles internes au Sri Lanka les exposaient, en tant que Cinghalais, à des risques au sens des articles 96 et 97 de la LIPR, s’ils devaient y retourner. Les demandeurs n’ont présenté aucune preuve documentaire à l’appui d’une conclusion selon laquelle ils courraient des risques, indépendamment de leurs allégations antérieures qui ont été jugées non crédibles.

 

[30]           L’agent n’a pas examiné de façon sélective la preuve documentaire pour conclure que les récents troubles internes au Sri Lanka n’exposeraient pas les demandeurs à de la persécution ou à des risques s’ils y retournaient. L’agent a convenu qu’il y avait des problèmes au Sri Lanka, mais a conclu qu’ils ne représentaient pas un risque particulier pour les demandeurs. Je souscris à l’affirmation des défendeurs selon laquelle les motifs de l’agent [traduction] « font preuve d’un examen minutieux, réfléchi et équilibré de la preuve dont il disposait et que les demandeurs n’ont pas démontré que l’agent a commis une erreur dans son appréciation de la preuve ».

 

[31]           Aucune partie n’a proposé qu’une question soit certifiée. À mon avis, compte tenu des faits dont la Cour a été saisie, aucune question ne satisfait au critère exigé en matière de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.               La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.               Aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclrec, LL.B.

Réviseur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5379-09

 

INTITULÉ :                                       KURANAGE SARATH PERERA et al c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et al

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 21 JUIN 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 25 JUIN 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maureen Silcoff                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        POUR LES DEMANDEURS

 

POUR LES DEMANDEURS

Jamie Todd

Veronica Cham

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maureen Silcoff                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        POUR LES DEMANDEURS

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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