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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100720

Dossier : IMM-4115-10

Référence : 2010 CF 766

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2010

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

CHUYO CRUZ OSCAR ARTURO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.  Au préalable

[1]               L’agent chargé du renvoi n’avait devant lui aucune raison de reporter le renvoi en question. Le demandeur avait le fardeau de présenter des éléments de preuve justifiant le report du renvoi, mais il ne l’a pas fait. Tel qu’expliqué par cette Cour :

[2]        La demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait soumis à l’agent de renvoi des éléments de preuve qui auraient pu constituer une justification suffisante permettant à l’agent d’exercer son pouvoir discrétionnaire, qui se restreint à reporter le renvoi en raison de circonstances spéciales ou impérieuses :

 

[45]      En l'instance, la mesure dont on demande de différer l'exécution est une mesure que le ministre a l'obligation d'exécuter selon la loi. La décision de différer l'exécution doit donc comporter une justification pour ne pas se conformer à une obligation positive imposée par la loi. Cette justification doit se trouver dans la loi, ou dans une autre obligation juridique que le ministre doit respecter et qui est suffisamment importante pour l'autoriser à ne pas respecter l'article 48 de la Loi [sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2]. (La Cour souligne.)

 

(Duran c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 738).

 

[2]               Eu égard aux allégations du demandeur selon lesquelles son renvoi au Pérou l’exposerait à un danger pour sa sécurité, les risques allégués ont été examinés à diverses reprises, que ce soit par la Section du statut de réfugié (SSR) (Demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire (DACJ) rejetée par la Cour fédérale le 18 mars 1998) ou dans le cadre de l’évaluation des risques avant renvoi (ERAR). La décision négative ERAR en date du 26 mars 2010 n’a pas été contestée par le demandeur devant la Cour fédérale. Toutes ces instances ont rejeté les allégations du demandeur d’un risque pour sa vie et sa sécurité advenant son retour au Pérou.

 

II.  Introduction

[3]               Selon l’évaluation qui a été faite des risques de retour du demandeur, le demandeur déclare craindre pour sa vie au Pérou à cause des groupes terroristes « Sentier lumineux » et « Tupac Amaru » qui l’auraient menacé. Il avait été à l’emploi d’une agence de sécurité depuis mai 1989 et était affecté à la surveillance et la protection de diplomates, dignitaires et ambassades dont l’ambassade américaine. Ces groupements terroristes l’auraient menacé de mort et proféré des menaces contre sa famille s’il ne consentait pas à leur dévoiler des renseignements très sensibles.

[4]               Le Panel de Commissaires de la Section du statut (SSR) qui a entendu le sujet à l’audition de sa demande a conclu, après un examen soigneux, qu’il n’avait pas agi comme une personne ayant une crainte bien fondée. Le demandeur n’a pas cherché la protection des autorités péruviennes avant de décider de quitter pour l’étranger. De plus, il n’a pas démontré avoir été pressé de quitter son pays, car, il aurait commencé, selon ses dires, à recevoir des menaces dès l’année 1990.

 

[5]               L’examen d’ERAR a conclu que le demandeur ne court aucun risque dans le sens du règlement à retourner au Pérou. En effet, le demandeur n’a pas réussi à convaincre l’agent d’ERAR du bien-fondé de sa crainte de danger au Pérou. Le travail qu’il faisait comporte des risques. Cependant, l’agent d’ERAR ne croit pas aux dernières menaces qu’il dit avoir reçues. Les circonstances dans lesquelles elles s’étaient produites étaient considérées comme invraisemblables.

 

[6]               Le passeport du demandeur démontre qu’il a obtenu un visa US depuis le 24 octobre 1994 et qu’il y a séjourné de janvier à mars 1996. Le demandeur ne s’était pas prévalu de l’opportunité pour solliciter le refuge à l’étranger.

 

III.  Procédure judiciaire

[7]               Le 16 juillet 2010, le demandeur a déposé une DACJ à l’encontre de la décision de l’agent de renvoi, datée du 9 juillet 2010.

 

[8]               Par cette décision, l’agent refusait de différer le renvoi du demandeur vers le Pérou prévu pour le 21 juillet 2010.

[9]               Accessoirement à cette DACJ, le demandeur a présenté, le 16 juillet 2010, une requête en sursis d’exécution de son renvoi vers le Pérou.

 

Remarque préliminaire : Le demandeur ne se présente pas devant la Cour avec les mains propres

 

[10]           Dans l’affaire Castillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 172, la Cour précisait qu’elle refuse régulièrement d’entendre des personnes qui n’ont pas les mains propres.  Le défaut de se présenter à une convocation pour des arrangements de départ en vue de son renvoi en 1998, auquel s’ajoute le fait d’être resté illégalement au Canada pendant 11 ans en travaillant sous un alias suffit pour ne pas entendre une requête en sursis au mérite :

[1]        Le demandeur ne s’est pas présenté à son renvoi le 7 octobre 2006. Un mandat d’arrestation a été émis contre lui le 23 octobre 2006. Ce mandat d’arrestation a été exécuté le 31 octobre 2007, soit un an plus tard.

 

[2]        Son défaut de se présenter à l’aéroport, le 7 octobre 2006, suffit, en lui seul, de rejeter la présente requête en sursis.

 

[3]        Nul ne devrait être capable de profiter de sa propre turpitude. C’est la raison pour laquelle la Cour refuse régulièrement d’entendre des personnes qui ne se présentent pas devant elle avec les mains propres :

 

[2]        … Moreover, as the applicant failed to present himself to an interview with Citizenship and Immigration Canada officials, a warrant for arrest was issued against him on July 17, 2002 and executed almost six months later on January 14, 2003. Clearly, the applicant is not presenting himself with clean hands before the Court…

(Mohar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 952, [2005] A.C.F. no 1179 (QL); également, Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1464, [2003] A.C.F. no 1901 (QL), par. 3.) (La Cour souligne).

 

(Également : Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 569, par le juge Yvon Pinard).

[11]           Le demandeur ne saurait à la fois demander un remède extraordinaire à cette Cour tout en faisant fi de la loi. Il ne suffit pas pour le demandeur de faire une affirmation gratuite relativement à son ancien procureur, afin de justifier sa décision de se cacher de 1998 jusqu’à son arrestation en novembre 2009.

 

[12]           Non seulement l’affirmation du demandeur concernant son ancien procureur n’est pas étayée par de la preuve, mais également, il n’y a aucune indication sur le suivi de la demande d’enquête qui a été faite en 1998 : le demandeur a-t-il rencontré le syndic-adjoint? La plainte a-t-elle été retenue? Il n’y a aucune preuve relativement à cette accusation grave et surtout, il n’y a aucune preuve qu’il y a eu une plainte effectivement déposée devant le conseil de discipline suite à la demande d’enquête du demandeur.

 

[13]           Il y a abus de procédure en l’espèce et la Cour pourrait s’arrêter à ce point pour ne pas entendre cette requête. Néanmoins, la Cour a décidé de poursuivre pour que la matière à l’égard des faits et des points en droit adoptée par la Cour soit claire.

 

IV.  Faits

[14]           Le demandeur, citoyen péruvien, est arrivé au Canada le 31 mars 1997 et a revendiqué le statut de réfugié. Une mesure d’interdiction de séjour a été émise à cette date à l’encontre du demandeur.

 

[15]           Le 1er décembre 1997, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a informé le demandeur qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention, les comportements de ce dernier ne démontrant pas de crainte bien fondée de persécution et le demandeur ne s’étant pas acquitté de son obligation de se prévaloir de la protection de son pays.

 

[16]           Le 6 mars 1998, la demande du demandeur dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) a été rejetée, les risques soulevés n’étant pas démontrés.

 

[17]           Le 18 mars 1998, dans le dossier IMM-5419-97, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur à cause du défaut de ce dernier de déposer son dossier.

 

[18]           Le 5 novembre 1998, un mandat d’arrestation a été émis à l’encontre du demandeur, ce dernier ne s’étant pas présenté à sa convocation pour les arrangements de départ.

 

[19]           Le 25 novembre 2009, le demandeur a été arrêté et détenu jusqu’au 27 novembre 2009, date à laquelle il a été libéré sous conditions. Les circonstances de l’arrestation du demandeur ont révélé que ce dernier se cachait dans le logement de son fils; une entrevue subséquente avec le demandeur a révélé que le demandeur travaillait à son compte en se faisant payer comptant et qu’il utilisait un autre nom que le sien.

 

[20]           Le 26 mars 2010, une évaluation des risques avant renvoi (« ERAR ») a été faite et une décision négative a été rendue. Cette décision a été communiquée au demandeur le 15juin 2010.

 

[21]           Le 9 juillet 2010, l’agent de renvoi a refusé de reporter le renvoi du demandeur.

 

V.  Point en litige

[22]           Est-ce que le demandeur a démontré les trois éléments nécessaires pour obtenir un sursis judiciaire de l'exécution d'une mesure de renvoi ?

 

VI.  Analyse

[23]           Pour obtenir un sursis judiciaire de l’exécution d’une mesure de renvoi, le demandeur devait démontrer les trois éléments cumulatifs suivants, énoncés dans l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.) et constamment repris depuis lors :

a.       Premièrement, qu’ils ont soulevé une question sérieuse à trancher;

 

b.      Deuxièmement, qu'ils subiraient un préjudice irréparable si l'ordonnance n'était pas accordée; et

 

c.       Troisièmement, que la balance des inconvénients, compte tenu de la situation globale des deux parties, favorise l'octroi de l'ordonnance. 

 

(Par exemple, voir l’affaire Castillo c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 172 au par. 10).

 

[24]           Le demandeur ne satisfait pas au test établi dans l’arrêt Toth, ci-dessus, comme démontré par le défendeur avec lequel la Cour est entièrement d’accord.

A.  Question sérieuse

[25]           Le demandeur doit démontrer que sa demande n’est ni futile, ni vexatoire. Pour ce faire, il convient d’examiner de façon préliminaire le fond de l’affaire pour déterminer si elle recèle une question qui mérite d’être examinée :

[18]      Accueillir la présente requête reviendrait en fait à accorder la réparation sollicitée par le demandeur dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire principale (c’est-à-dire le report du renvoi). La Cour doit, par conséquent, se livrer à un examen plus approfondi du fond de la demande [...] (La Cour souligne).

 

(Patterson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 406).

 

[26]           Aucune des questions soulevées par le demandeur dans ses prétentions ne constitue une question sérieuse.

 

[27]           Un agent de renvoi a l’obligation d’exécuter toute mesure de renvoi validement émise. Néanmoins, le paragraphe 48(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) accorde tout de même une certaine discrétion aux agents dans l’exécution de leurs fonctions :  

Exécution des mesures de renvoi

 

48.      (1) Mesure de renvoi – La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

(2) Conséquence – L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent

Enforcement of Removal Orders

 

48.     (1) Enforceable removal order – A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

(2) Effect – If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable

 

[28]           Ainsi, les agents ont le pouvoir discrétionnaire de surseoir à un renvoi dans l’éventualité où les circonstances ne permettent pas le renvoi.

 

[29]           L’étendue de cette discrétion est cependant extrêmement limitée. En effet, la jurisprudence de cette Cour a établi qu’il convient de reporter un renvoi uniquement dans les cas où il existe un obstacle concret et sérieux au renvoi :

[7]        Ainsi que mon collègue le juge Barnes l’a signalé dans le jugement Griffiths c. Canada (Solliciteur général), [2006] A.C.F. no 182, au paragraphe 19, un report est « une mesure temporaire, appliquée pour composer avec un obstacle concret et sérieux à un renvoi immédiat ». (La Cour souligne).

 

(Uthayakumar c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 998, par la juge Eleanor Dawson).

 

[30]           Il est clairement établi qu’il revient à celui qui demande le report du renvoi de démontrer par des éléments de preuve que le report est justifié (Duran, ci-dessus).

 

[31]           Par conséquent, pour justifier le report de leur renvoi, le demandeur avait le fardeau de démontrer à l’agent l’existence d’un empêchement sérieux à son retour au Pérou. Cela n’a pas été fait. Tel qu’expliqué par cette Cour concernant une mesure de renvoi :

[19]      La validité de la mesure de renvoi n’est pas en cause. Les agents de renvoi sont tenus par la loi de renvoyer du Canada les personnes assujetties à des mesures de renvoi valides dès que les circonstances le permettent. (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), paragraphe 48(2).)

 

[20]      Le pouvoir discrétionnaire que peut exercer un agent de renvoi est très limité et, dans tous les cas, est restreint au moment auquel la mesure de renvoi sera exécutée. Lorsqu’il décide du moment où une mesure de renvoi doit être exécutée « dès que les circonstances le permettent », un agent peut prendre en compte différents facteurs comme la maladie, d’autres empêchements de voyager et des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire en instance. (Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 187 F.T.R. 219; Wang, précitée.) (La Cour souligne).

 

(Patterson, ci-dessus).

 

[32]           Une demande de résidence pour motifs humanitaires en traitement, l’allégation du dépôt d’une demande parrainée en faveur de l’épouse du demandeur, l’attachement allégué du demandeur pour sa nièce, la séparation de sa famille au Canada et les risques non démontrés invoqués par le demandeur, ne constituent pas des motifs justifiant le report du renvoi du demandeur.

 

[33]           La décision de l’agent de refuser de reporter le renvoi doit être considérée avec déférence par cette Cour :

[5]        Bien qu’il existe des divergences dans la jurisprudence au sujet de la norme de contrôle applicable, il semble que, suivant la jurisprudence dominante, la norme de contrôle appropriée dans le cas du refus d’un agent de reporter un renvoi soit celle de la décision manifestement déraisonnable (voir, par exemple, l’arrêt Zenunaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 2133, et l’analyse pragmatique et fonctionnelle que l’on trouve au paragraphe 21). [...] (La Cour souligne).

 

(Uthayakumar, ci-dessus).

 

[34]           Le demandeur allègue dans son affidavit que son avocat a communiqué avec l’agent pour demander un sursis au report du renvoi, en indiquant qu’une demande de résidence permanente pour motifs humanitaires avait été déposée, que toute sa famille était au Canada et qu’il n’y a personne pour l’héberger au Pérou, qu’il a été victime d’une erreur de son ancien procureur, qu’il est très attaché à l’enfant de sa nièce qui le considère comme son grand-père et finalement qu’il a déposé une demande d’autorisation en Cour fédérale de la décision négative ERAR.

 

[35]           Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, son avocat n’a pas déposé de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision négative ERAR. Le seul dossier devant la Cour fédérale porte le numéro IMM-4115-10 et concerne le refus de reporter le renvoi.

 

[36]           Le demandeur allègue aussi le dépôt d’une demande de résidence parrainée par son fils concernant la mère de ce dernier et épouse du demandeur, Mme Lydia Margarita Piaggio Humphery (l’épouse). L’épouse du demandeur est actuellement en visite au Canada.

 

[37]           Par ailleurs, une lettre du 13 juillet 2007 à ce sujet se limite à indiquer la réception d’une demande de parrainage pour des parents ou des grands-parents, sans dire qui elle concerne; de plus, selon les notes du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (notes SSOBL), il n’y a aucune preuve qui démontre que la demande à laquelle il est fait référence est en cours de traitement. Au surplus, le site de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour le traitement de ce type de demandes est très long, les demandes traitées actuellement par Mississauga étant celles de juin 2007. La demande est donc loin d’être finalisée comme le prétend le mémoire du demandeur, à la page 16 de son dossier.

 

[38]           Les raisons invoquées et l’absence de preuve démontrant que des circonstances ne permettraient pas l’exécution du renvoi justifient la décision de l’agent de ne pas reporter le renvoi.

 

[39]           Quant à la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires (« demande CH ») pendante qui a été déposée par le demandeur en décembre 2009 et qui est en cours de traitement, il est clairement établi que le fait que le demandeur doive quitter le Canada alors qu'aucune décision n'a pas encore été rendue sur sa demande CH ne constitue pas, en soi, un préjudice irréparable, ni une question sérieuse.  Cette demande suivra son cours (Villareal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1754 (QL) (C.F.)).

 

[40]           La preuve révèle, selon les notes SSOBL, que cette demande n’a pas encore été transférée au CIC local, à Montréal et est loin d’être complétée.

 

[41]           La législation ne prévoit aucun sursis en attendant l’étude d’une demande de parrainage (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés), DORS/2002-227 (Règlement), et il est établi qu’une demande de parrainage ne constitue pas un obstacle au renvoi :

[24]      Il est de droit constant qu'une demande pendante de parrainage n'est pas en soi un obstacle au renvoi.

 

[52] Quant à la question soumise au contrôle judiciaire sous-jacent, le refus de l'agent chargé du renvoi de différer l'exécution du renvoi jusqu'à ce qu'on ait tranché la demande invoquant des motifs d'ordre humanitaire, je considère qu'il n'y a pas de question sérieuse à trancher au sujet de sa conduite. Comme je l'ai expliqué plus tôt, une demande pendante invoquant des motifs d'ordre humanitaire fondée sur la séparation d'avec la famille n'est pas en soi un motif de remettre un renvoi à plus tard. La traiter comme étant un tel motif aurait pour résultat de créer un sursis que le législateur n'a pas voulu inclure dans la Loi : Green c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1984] 1 C.F. 441 (C.A.), (1983) 49 N.R. 225, cité dans Cohen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 589, (1995), 31 Imm. L.R. (2d) 134, le juge Noël (alors juge à la Section de première instance)...

 

(Wang, ci-dessus […]).

 

[42]           La demande de parrainage faite par le fils du demandeur suivra son cours, même lorsque ce dernier sera à l’extérieur du Canada (Règlement, article 117).

 

[43]           Il est clairement établi que l’agent dispose d’un pouvoir discrétionnaire très limité et que dès lors, son obligation de considérer l’intérêt de l’enfant (la nièce du demandeur) n’est pas comparable à celle d’un décideur dans le cadre d’une demande pour considérations humanitaires:

[9]        Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Varga, 2006 CAF 394, au paragraphe 16, la Cour d’appel fédérale a signalé le « peu de latitude dont jouit l’agent de renvoi » et a fait observer que « son obligation, le cas échéant, de prendre en considération l’intérêt des enfants touchés est minime ».

 

[...] 

 

[12]      Lorsqu’il examine une demande fondée sur des considérations humanitaires, l’agent doit, bien sûr, analyser et soupeser soigneusement l’intérêt supérieur à long terme des enfants touchés. Ce n’est cependant pas l’obligation à laquelle est soumise l’agent chargé du renvoi, qui doit, pour sa part, déterminer le moment où la mesure de renvoi doit être appliquée (« dès que les circonstances le permettent »). L’agent chargé du renvoi doit examiner l’intérêt à court terme de l’enfant dont l’un des parents risque d’être renvoyé. Pour ce faire, il doit essentiellement vérifier si, après le départ du parent, on s’occupera adéquatement de l’enfant. Cette vérification ne permet pas de faire l’économie d’une analyse détaillée des considérations d’ordre humanitaire. (La Cour souligne).

 

(Uthayakumar, ci-dessus).

 

[44]           En l’espèce, en l’absence de tout élément de preuve, la décision de refuser le report du renvoi était tout à fait raisonnable :

[4]        Dans la présente affaire, je ne suis pas convaincue, pour les raisons suivantes, de la vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie :

 

1.         L'agent chargé du renvoi n'était pas tenu de prendre en considération l'intérêt supérieur de l'enfant dans la présente affaire. Son pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi est restreint. L'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, ne s'applique pas à mon avis, au pouvoir discrétionnaire de l'agent chargé du renvoi, en particulier lorsque l'agent ne dispose d'aucune preuve manifeste quant aux conséquences du renvoi sur l'enfant (Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 936 (1re inst.) (QL); John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 420, [2003] A.C.F. 583 (QL)). En l'espèce, même si je présume qu'aucune demande précise n'était requise, l'agent ne disposait d'aucune autre preuve que celle de l'existence d'un enfant et d'une famille. (La Cour souligne).

 

[45]           Quant à la séparation du demandeur avec sa famille au Canada, la jurisprudence est abondante à l’effet que la séparation de la famille ne constitue pas un préjudice irréparable, mais plutôt une conséquence inévitable de tout renvoi (Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 427).

 

[46]           Ce que le demandeur allègue au niveau de la question sérieuse et du préjudice irréparable ne sont que les conséquences normales et inévitables de l’expulsion.  En l’espèce, ses allégations ne constituent pas une question sérieuse relativement à la décision de l’agent de ne pas reporter le renvoi et ne répondent pas à la notion de préjudice irréparable tel que maintes fois définie dans la jurisprudence de cette Cour :

[21]      Mais pour que l'expression « préjudice irréparable » conserve un peu de sens, elle doit correspondre à un préjudice au‑delà de ce qui est inhérent à la notion même d'expulsion. Être expulsé veut dire perdre son emploi, être séparé des gens et des endroits connus. L'expulsion s'accompagne de séparations forcées et de coeurs brisés. »  (La Cour souligne).

 

 

(Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 188 F.T.R. 39).

 

[13]      Le renvoi de personnes qui sont demeurées au Canada sans statut bouleversera toujours le mode de vie qu'elles se sont donné ici. Ce sera le cas en particulier de jeunes enfants qui n'ont aucun souvenir du pays qu'ils ont quitté. Néanmoins, les difficultés qu'entraîne généralement un renvoi ne peuvent à mon avis constituer un préjudice irréparable au regard du critère exposé dans l'arrêt Toth, car autrement il faudrait accorder un sursis d'exécution dans la plupart des cas dès lors qu'il y aura une question sérieuse à trancher [...]

 

(Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261).

 

[47]           Enfin, l’allégation concernant l’ancien procureur du demandeur est dénuée de tout fondement et permettait à l’agent de conclure que ce n’était pas non plus un motif pour reporter le renvoi.

 

B.  Préjudice irréparabe

[48]           La notion de préjudice irréparable a été définie par la Cour dans l’affaire Kerrutt c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 53 F.T.R. 93, comme étant le renvoi d’une personne vers un pays où il existe un danger pour sa vie et sa sécurité. Dans la même décision, la Cour a également conclu qu’il ne pouvait s’agir de simples inconvénients personnels ou de la division d’une famille.

 

[49]           Cette décision fut constamment reprise depuis, notamment par la juge Sandra Simpson dans l’affaire Calderon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 393 (QL). Elle y mentionnait d’ailleurs ce qui suit relativement à la définition du préjudice irréparable établie dans Kerrutt, ci-dessus :

[22]      Dans l'affaire Kerrutt c. MEI (1992), 53 F.T.R. 93 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay avait conclu que, dans le cadre d'une demande de sursis à exécution, la notion de préjudice irréparable sous-entend un risque grave de quelque chose qui met en cause la vie ou la sécurité d'un requérant. Le critère est très exigeant et j'admets son principe de base selon lequel on entend par préjudice irréparable quelque chose de très grave, c'est-à-dire quelque chose de plus grave que les regrettables difficultés auxquelles vont donner lieu une séparation familiale ou un départ. (La Cour souligne).

 

[50]           Le demandeur a le fardeau de présenter une preuve claire du préjudice qu’il allègue :

[23]      La preuve produite au soutien du préjudice doit être claire et évidente. (John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 915 (QL); Wade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 579 (QL).)

 

[…]

 

[25] De plus, pour établir l’existence d’un préjudice irréparable, les demandeurs doivent démontrer que, s’ils étaient renvoyés du Canada, ils subiraient un préjudice irréparable entre maintenant et le moment auquel sera rendue une décision favorable quant à leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Les demandeurs ne l’ont pas fait. (Reddy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 644 (QL); Bandzar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 772 (QL); Ramirez-Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 724 (QL).) (La Cour souligne).

 

(Adams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 256).

 

[51]           Le demandeur n’a pas démontré qu'un préjudice irréparable lui serait causé du fait de son renvoi au Pérou.

 

[52]           La cause Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 C.F. 206 (C.A.), citée par le demandeur, n’a pas d’application compte tenu des faits en l’espèce.

[53]           Par conséquent, cette allégation de risque pour sa sécurité ne peut servir à démontrer un préjudice irréparable pour obtenir un sursis de l'exécution de sa mesure de renvoi.

 

[54]           Le demandeur prétend enfin que son renvoi porterait atteinte à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982 (R.-U.), constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11. (Charte).

 

[55]           Il a de toute façon clairement été établi et répété par cette Cour que le renvoi n’entraîne pas de manquement à la Charte :

[52]      En outre, la Cour Suprême du Canada a récemment affirmé que la déportation, en soi, ne prive aucunement un non-citoyen de son droit à la vie, la liberté ou la sécurité de la personne. (Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] A.C.S. no 31(QL), au paragraphe 46; Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 272, [2001] A.C.F. no 1416 (QL).) (La Cour souligne).

 

(Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1274).

 

[56]           Au demeurant, une évaluation des risques a été effectuée et complétée le 26 mars 2010. Également, en 1997, la demande d’asile du demandeur a été rejetée, et la DACJ à l’encontre de cette décision a aussi été rejetée. Au surplus, une première évaluation des risques avant renvoi avait été effectuée en 1998 sous l’ancienne catégorie « Demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada » (DNRSRC), et dans le cadre de cet examen, il avait à nouveau été conclu que le demandeur n’était exposé à aucun risque advenant un renvoi vers le Pérou.

 

[57]           Par conséquent, cet argument ne peut tenir et doit être écarté. Les risques ont été analysés, et il est clair que le renvoi du demandeur ne porte aucunement atteinte à l’article 7 de la Charte canadienne. Cela ne soulève absolument aucune question sérieuse.

 

[58]           Le demandeur ne présente aucune preuve de préjudice irréparable. L’argument du demandeur doit donc échouer.

 

C.  Balance des inconvénients

[59]           En l’absence de question sérieuse et de préjudice irréparable, la balance des inconvénients penche en faveur de l’intérêt public, à ce que le processus d’immigration prévu par la LIPR soit respecté (Mobley c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 65 (QL). Tel que rappelé tout récemment par cette Cour :

[33]      La Cour d’appel fédérale a confirmé que dans le cas de l’obligation du ministre il ne s’agit « pas simplement d’une question de commodité administrative, il s’agit plutôt de l’intégrité et de l’équité du système canadien de contrôle de l’immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système ». (Selliah, précité, au paragraphe 22.)

 

[34]      Dans la présente affaire, le demandeur demande une mesure équitable extraordinaire. Il est de droit constant que l’intérêt du public doit être pris en compte dans l’évaluation de ce dernier critère. Pour établir que la prépondérance des inconvénients favorise le demandeur, ce dernier doit démontrer qu’il existe un intérêt pour le public à ce qu’il ne soit pas renvoyé comme prévu. (RJR-MacDonald, précité; Blum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1994), 90 F.T.R. 54, [1994] A.C.F. no 1990 (QL), le juge Paul Rouleau.). (La Cour souligne).

 

(Patterson, ci-dessus).

 

[60]           En effet, le paragraphe 48(2) de la LIPR prévoit qu’une mesure de renvoi doit être exécutée dès que les circonstances le permettent.

 

[61]           Le juge Reed, dans l'affaire Membreno-Garcia, a d'ailleurs élaboré sur la question de la balance des inconvénients en matière de sursis, et de l'intérêt public qui doit être pris en considération :

[18]      Cependant, d'après la prépondérance des inconvénients, il faut se demander à quel point le fait d'accorder des sursis risque de devenir une pratique qui contrecarre l'application efficace de la législation en matière d’immigration. Chacun sait que la procédure actuelle a été mise en place parce qu'une pratique s'était développée par laquelle de très nombreuses demandes, tout à fait dénuées de fondement, étaient introduites devant la Cour et encombraient les rôles, uniquement pour permettre aux appelants de demeurer plus longtemps au Canada. Il y va de l'intérêt public d'avoir un régime qui fonctionne de façon efficace, rapide et équitable, et qui, dans la mesure du possible, ne se prête pas aux abus. Tel est, à mon avis, l'intérêt public qu'il faut soupeser par rapport au préjudice que pourrait éventuellement subir le requérant si un sursis n'était pas accordé.

 

(Membreno-Garcia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 C.F. 306).

 

[62]           En l’espèce, le demandeur est arrivé au Canada en 1997 et a présenté une demande d’asile qui a été rejetée; la Cour fédérale a rejeté sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 18 mars 1998. Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente pour motifs humanitaires qui est présentement sous étude. Le demandeur a présenté une demande ERAR qui a été analysée et dont la décision est négative; la décision n’a pas été contestée devant la Cour fédérale. Le demandeur aurait pu utiliser tous les recours auxquels il avait droit.

 

[63]           Le demandeur a fait l’objet d’un mandat d’arrestation depuis 1998 et est demeuré illégalement au Canada jusqu’à ce jour, sous un nom d’emprunt, travaillant au noir, sans permis.

 

[64]           La balance des inconvénients penche dans le cas en l’espèce en faveur du Ministre.

 

VII.  Conclusion

[65]           Compte tenu de tout ce qui précède, le demandeur ne satisfait pas les critères de la jurisprudence relativement à l’obtention d’un sursis judiciaire.

 

[66]           Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de sursis du demandeur est rejetée.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de sursis de l’exécution d’une mesure de renvoi du demandeur.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4115-10

 

INTITULÉ :                                       CHUYO CRUZ OSCAR ARTURO

                                                            c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ

                                                            PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION

                                                            CIVILE

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 JUILLET 2010 (par téléconférence)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 20 JUILLET 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Anthony Karkar

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Sylviane Roy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ANTHONY KARKAR, Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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