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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100823

Dossier : IMM-6504-09

Référence : 2010 CF 833

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 août 2010

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

SOFIA SOFI PEREZ

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Le contexte

 

[1]               La demanderesse est une citoyenne de Cuba qui est arrivée au Canada en novembre 2008 munie d’un visa de résidence temporaire. Au Canada, elle a demandé l’asile en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Elle soutient qu’elle craint d’être persécutée par le gouvernement cubain en raison de son opinion politique perçue et parce qu’elle a dépassé le séjour permis par son visa de sortie cubain.

[2]               Dans une décision datée du 5 novembre 2009, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

 

[3]               La demanderesse demande le contrôle judiciaire de cette décision.

 

II.        Les questions en litige

 

[4]               La demande soulève les questions suivantes :

 

1.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’une peine d’emprisonnement pour avoir violé les lois de sortie de Cuba ne constitue pas de la persécution au sens de l’article 96 de la LIPR ni des « traitements ou peines cruels et inusités », au sens de l’article 97 de la LIPR?

2.                  La Commission a-t-elle omis de tenir compte de la preuve de la demanderesse et de la preuve documentaire lorsqu’elle a conclu que les mauvais traitements que l’époux et la fille de la demanderesse avaient subis n’étaient pas motivés par des opinions politiques?

 

III.       La décision de la Commission

 

[5]               Les arguments que la demanderesse a présentés à la Commission se séparent en deux catégories. Premièrement, la demanderesse a soutenu qu’elle et sa famille avaient subi de la persécution en raison de leurs opinions politiques. Cette persécution s’est poursuivie contre son époux et sa fille même après le départ de la demanderesse de Cuba. Deuxièmement, la demanderesse a soutenu qu’elle subirait de la persécution parce qu’elle serait emprisonnée à son retour à Cuba pour avoir dépassé la durée de séjour autorisée par son visa de sortie cubain.

 

[6]               La Commission a examiné la preuve dont elle était saisie pour déterminer « la gravité, la persistance et la répétitivité des mauvais traitements subis, ainsi que leur systématicité ». La Commission a conclu que « même en les cumulant », aucune preuve convaincante ne démontrait que la demanderesse subirait de la persécution. À ce sujet, la Commission a tiré les conclusions suivantes :

 

·                    La Commission a noté que l’amende que la demanderesse avait dû payer pour avoir vendu des articles au marché noir était imposée par les lois cubaines dont l’objectif était d’éliminer les activités du marché noir. Par conséquent, la Commission a conclu que « la demandeure d’asile craint des sanctions légitimes dont l’objectif est valable ».

·                    Les troubles de comportement et les problèmes d’adaptation de sa fille à l’école sont typiques d’une adolescente de 13 ans qui est séparée de sa mère, et les appels téléphoniques de l’école à la maison au sujet de l’absence de sa fille n’ont causé aucune difficulté. La Commission a conclu que la fille de la demanderesse n’était pas persécutée à l’école.

·                    Bien que l’époux de la demanderesse eût perdu son emploi, rien dans la preuve, sauf des hypothèses, ne donnent à penser que cette perte d’emploi a été causée par la présence de la demanderesse au Canada.

·                    Comme la demanderesse a pu quitter Cuba en 2008 en possession d’un visa légitime, la Commission a conclu que « si la demandeure d’asile était une personne d’intérêt à Cuba, il est peu probable qu’elle aurait eu l’autorisation de partir ». Si les membres de sa famille étaient persécutés en raison des croyances de la demanderesse, il est « raisonnable de s’attendre à ce que l’époux de la demandeure d’asile ait connu davantage de difficulté [« lorsqu’il a été arrêté pour possession d’une connexion Internet illégale] ».

 

[7]               La demanderesse a aussi soulevé la possibilité qu’elle serait emprisonnée si elle retournait maintenant à Cuba après avoir dépassé le séjour permis par son visa de sortie cubain. La Commission a reconnu qu’elle serait peut-être emprisonnée à son retour à Cuba. Cependant, la Commission a conclu que la peine pour cette contravention aux lois cubaines n’était pas « répétitive, persistante ou extrême, et ne peut donc pas être considérée comme de la persécution ». De plus, la Commission a noté que la LIPR ne distinguait pas les motifs prévus dans la Convention. Qui plus est, la situation du dépassement de séjour découlait des décisions de la demanderesse. Citant l’arrêt Valentin c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 390, 167 N.R. 1 (C.A.F.), demande d’autorisation de pourvoi rejetée, [1991] R.C.S. no 430, (1992) 138 N.R. 406 (note), la Commission a expliqué qu’« elle ne peut pas maintenant créer une raison de craindre d’être persécutée en se rendant elle-même passible, librement et sans raison, d’une sanction pour avoir violé une loi d’application générale ».

 

[8]               La Commission a examiné séparément la demande de la demanderesse en vertu de l’article 97 et a conclu qu’elle n’était pas une personne à protéger au sens de l’article 97.

 

IV.       Analyse

 

A.         La question en litige no 1 : Le dépassement de séjour autorisé par le visa de sortie

 

[9]               La demanderesse soutient que la Commission a connu une erreur en concluant que l’emprisonnement pour avoir violé les lois de sortie de Cuba ne constitue pas de la persécution au sens de l’article 96 de la LIPR ni une peine cruelle et inusitée au sens de l’article 97 de la LIPR.

 

[10]           Je supposerai, sans trancher la question, que la norme de la décision correcte s’applique à la décision de la Commission pour la première question en litige. En d’autres termes, la Commission a-t-elle correctement conclu que le risque d’emprisonnement de la demanderesse à Cuba à son retour ne constitue pas de la persécution au sens de l’article 97 de la LIPR ni un risque de traitement cruel et inusité au sens de l’article 97? Comme la Cour suprême du Canada l’a enseigné dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CFC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 50 :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte  n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

 

[11]           La demanderesse est arrivée au Canada le 18 novembre 2008 munie d’un visa de résidence temporaire canadien. Pour quitter Cuba, elle avait obtenu un permis de sortie, valide initialement pour presque trois mois (dossier certifié du tribunal (DCT), p. 17). La demanderesse n’a pas tenté de renouveler son visa de sortie.

 

[12]           Le DCT contient des preuves documentaires portant sur les exigences cubaines en matière de déplacements (voir, en particulier, CUB101911E, Réponse aux demandes d’information (RDI), DCT, pages 107 à 109). Un visa de sortie peut être renouvelé après la période initiale jusqu’à 11 mois. Cependant, après 11 mois, le citoyen cubain doit demander un permis spécial pour retourner vivre à Cuba, qui doit être délivré par la mission diplomatique cubaine à l’étranger. Un rapport de 2005 de Human Rights Watch indique que, conformément à l’article 215 du Code criminel de Cuba, [traduction] « [l]es personnes qui entrent à Cuba  “sans se soumettre aux formalités juridiques ou au exigences en matière d’immigration” s’exposent à des peines d’emprisonnement de un à trois ans » (DCT, page 225). Cependant, le rapport de Human Rights Watch ne donnait aucune explication de la loi ni aucun exemple de son application. La demanderesse n’a pas présenté de copie des dispositions légales pertinentes ni d’autres preuves documentaires démontrant que des personnes dans sa situation avaient été emprisonnées à leur retour.

 

[13]           L’arrêt Valentin de la Cour d’appel fédérale, précité, s’applique directement en l’espère. L’arrêt Valentin interdit le statut de réfugié volontaire. Il commence par la prémisse selon laquelle un demandeur possède un visa de sortie valide. Il empêche alors le demandeur de dépasser la durée de séjour autorisée par son visa et de se fonder sur ce dépassement de séjour volontaire comme motif de persécution. En l’espèce, la demanderesse avait un visa de sortie valide. Elle n’a pas renouvelé son permis, ce qu’elle aurait pu faire. Elle ne peut pas se fonder sur ce dépassement volontaire de la durée de séjour comme motif de persécution. La Cour a toujours suivi les enseignements de l’arrêt Valentin lorsque les faits sont semblables à ceux de l’affaire en l’espèce; voir par exemple, Jassi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 356, [2010] A.C.F. no 412 (QL).

 

[14]           La jurisprudence va dans le même sens dans le contexte d’une demande d’asile au sens de l’article 97. Dans la décision Zandi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 411, [2004] A.C.F. no 503 (QL), le juge Kelen a examiné la situation d’un Iranien qui avait fait défection alors qu’il se trouvait au Canada pour une compétition d’athlétisme. Examinant si le demandeur pouvait réclamer l’asile au motif qu’il serait puni pour sa défection à son retour en Iran, le juge Kelen a déclaré :

Pour reprendre les propos de la Cour d'appel fédérale dans Valentin, précité, un transfuge ne peut acquérir de statut juridique au Canada en vertu de la LIPR en créant un « besoin de protection » au sens de l'article 97 de la LIPR en se rendant librement, de son propre chef et sans raison, passible de sanctions pour transgression d'une loi pénale d'ordre général de son pays d'origine visant le respect des conditions d'un visa de sortie, c'est‑à‑dire le retour au pays.

 

[15]           Bref, la jurisprudence est claire : la demanderesse, qui n’a pas renouvelé son visa de sortie valide, ne peut pas se fonder sur la possibilité d’être punie conformément au Code criminel de Cuba comme motif de protection au sens des articles 96 et 97.

[16]           De plus, il n’est absolument pas certain que la demanderesse sera accusée et déclarée coupable en vertu de la loi applicable. La preuve documentaire démontre que la demanderesse peut toujours présenter une demande de permis spéciale d’entrée pour retourner à Cuba. Rien ne donne à penser que la demanderesse, avec un tel permis, ferait l’objet d’une poursuite judiciaire en vertu des lois cubaines. La preuve documentaire ne mentionne aucun cas d’une personne se trouvant dans une situation semblable à celle de la demanderesse qui ait été emprisonnée en vertu de cette loi. Compte tenu des faits qui m’ont été présentés, l’allégation d’emprisonnement n’est qu’une hypothèse. Il n’y a pas suffisamment de preuves pour me permettre de conclure que la crainte d’emprisonnement de la demanderesse est fondée.

 

[17]           Je conclus que la Commission a correctement tranché que le risque d’emprisonnement à Cuba à son retour ne constituait pas de la persécution au sens de l’article 96, ni un risque de traitement cruel et inusité au sens de l’article 97.

 

B.         La 2e question en litige : Le défaut de tenir compte de la preuve

 

[18]           Malgré le fait que la conclusion de la Commission au sujet de la première question en litige est correcte, est‑il tout de même possible que la demanderesse aurait pu convaincre la Commission qu’elle subirait de la persécution – au‑delà de la peine d’emprisonnement conjecturale – à son retour à Cuba. La demanderesse ne conteste pas les conclusions de la Commission selon lesquelles le traitement qu’elle a subi avant de quitter Cuba n’était pas de la persécution. Cependant, elle soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve qui portait sur la période suivant son départ de Cuba. En particulier, la demanderesse soutient que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve qu’elle a présentée au sujet du traitement que son époux et sa fille ont subi à Cuba après son départ.

 

[19]           La norme de la décision raisonnable s’applique à la conclusion de la Commission à ce sujet. Selon cette norme, la Cour ne doit pas intervenir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité au paragraphe 47). De plus, la Cour peut intervenir si elle est convaincue que le tribunal a pris sa décision sans tenir compte des éléments dont il disposait (Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, alinéa 18.1(4)d)).

 

[20]           Après avoir examiné la décision de la Commission, je ne suis pas convaincue qu’elle a omis de tenir compte d’éléments de preuve. La Commission a mentionné explicitement les problèmes que l’époux et la fille de la demanderesse ont eus après le départ de celle‑ci.

 

[21]           La demanderesse a simplement présenté à la Cour des interprétations de la preuve différentes de celles de la Commission. Les conclusions de la demanderesse peuvent être raisonnables. Cependant, compte tenu de la norme de la décision raisonnable, il peut y avoir différentes issues possibles. Comme le juge Binnie l’a déclaré dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59 :

Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

[22]           La demanderesse ne m’a pas convaincue que les conclusions de la Commission ne relèvent pas des issues possibles acceptables. Par exemple, il n’est pas déraisonnable de conclure que les problèmes de la fille sont liés, en grande partie, à sa séparation de sa mère et non à de la persécution de la part de ses professeurs ou de ses camarades de classe. Dans un même ordre d’idées, la preuve appuie la conclusion selon laquelle le congédiement de son époux découlait d’un changement à Cuba qui a entraîné la perte d’emploi pour de nombreuses personnes. La Cour ne peut pas substituer son propre avis à celui de la Commission.

 

V.        Conclusion

 

[23]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[24]           La demanderesse propose la question suivante aux fins de la certification :

 

[traduction]

Une sanction d’emprisonnement imposée à un demandeur d’asile qui a quitté illégalement ou qui est illégalement resté à l’extérieur de son pays est-elle automatiquement qualifiée à titre de sanction « infligée au mépris des normes internationales » au sens du sous‑alinéa 97(1)b)(iii) de la LIPR?

 

[25]           Je ne suis pas prête à certifier cette question. En l’espèce, la preuve qui m’a été présentée n’est pas suffisante pour me permettre de conclure que la demanderesse subirait la sanction d’emprisonnement à son retour. Par conséquent, la question n’est pas déterminante quant à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6504-09

 

INTITULÉ :                                       SOFIA SOFI PEREZ c.

                                                            Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 AOÛT 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 AOÛT 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Wells

 

POUR LA DEMANDERESSE

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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