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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20100826

Dossier : IMM-6290-09

Référence : 2010 CF 849

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 août 2010

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

VIPUL NISANTHA KUMARA HETTIGE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 27 novembre 2009 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux fins des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27, parce que celui-ci n’avait pas raison de craindre d’être persécuté, que le risque allégué de persécution était général et qu’il disposait à Colombo d’une possibilité de refuge intérieur (PRI).

 

LES FAITS

Le contexte

[2]               Le demandeur, âgé de 34 ans, est un citoyen cinghalais du Sri Lanka (les Cinghalais constituent le groupe ethnique majoritaire de ce pays, alors que les Tamouls y sont en minorité). Le demandeur est marié, et il a une épouse, un fils et une fille au Sri Lanka. Le 15 septembre 2008, le demandeur est arrivé au Canada en provenance du Sri Lanka et il a présenté une demande d’asile.

 

[3]               Le demandeur habitait à l’origine à Chilaw, une ville sur la côte ouest du Sri Lanka située au nord de la capitale Colombo. En 1994, il est allé vivre à Trincomalee, dans le nord-ouest du pays, afin d’y travailler, pour le compte de l’Administration nationale, comme mécanicien d’automobiles civil sur une base navale. Le demandeur fut blessé le 1er août 2007, lorsqu’une bombe a été lancée sur la base par les « Tigres de libération de l’Eelam tamoul » (les TLET). Le demandeur dit craindre pour sa vie au Sri Lanka.

 

[4]               Le 19 juin 2008, le demandeur a assisté à une fête organisée par un ami tamoul. De l’alcool et de l’héroïne ont été consommés pendant la soirée et il s’en est suivi une violente bagarre. Le demandeur a aidé à y mettre fin et il a dû affronter deux jeunes Tamouls nommés « Arun » et « Bala ». Les deux jeunes gens ont plus tard croisé le demandeur sur la route, après la fête, et ils ont menacé de le tuer. Le demandeur a signalé l’incident à la police et un rapport a été établi le 19 juin 2008. Le lendemain, les mêmes jeunes hommes ont frappé le demandeur avec un morceau de bois alors qu’il se rendait à la ville en marchant. Pendant que les jeunes gens frappaient le demandeur, une jeep de la police est soudainement apparue sur la route; les deux assaillants ont alors pris la fuite. Le demandeur a été conduit à l’hôpital pour y recevoir des soins et, plus tard le même jour, il s’est présenté à la police pour faire établir un second rapport. Quelques jours plus tard, les policiers ont capturé Arun dans sa demeure, où ils ont découvert de grandes quantités d’héroïne. Les policiers ont informé le demandeur qu’Arun et Bala avaient des liens avec un gang tamoul de trafic de drogue clandestin qui fournissait de l’argent aux TLET pour l’achat d’armes. Les policiers ont informé le demandeur qu’ils se mettraient à la recherche de Bala, mais pas du reste du gang ou de l’agent de liaison des TLET, parce qu’une telle opération était d’une trop grande envergure pour eux. Le demandeur craignait que les TLET ou le gang tamoul le prennent pour cible. Après qu’il eut reçu des appels de menaces sur son cellulaire, le demandeur est parti se cacher avec sa famille chez son frère à Ambalagoda, au sud-ouest de Colombo. Le demandeur a démissionné de son poste de mécanicien à la base navale puis, le 15 septembre 2008, il s’est enfui du Sri Lanka avec l’aide d’un agent.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[5]               Le 29 novembre 2009, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, aux motifs que la demande n’était pas bien fondée, que le risque allégué avait un caractère général et que le demandeur disposait d’une PRI à Colombo. La question du « bien-fondé » de la demande d’asile a été déclarée être déterminante.

 

[6]               La SPR a estimé que le demandeur n’était pas crédible pour les motifs suivants :

  1. il n’était fait état dans les rapports de police d’aucun lien d’Arun ou de Bala avec les TLET ou encore un gang clandestin de trafic de drogue;
  2. la lettre de l’Officier d’administration de la base navale de Trincomalee reconnaissait l’existence d’un lien entre Arun et les TLET, mais cette lettre était datée du 20 août 2009, une date précédant de peu celle de l’audience relative au statut de réfugié;
  3. une lettre du frère du demandeur était datée du 10 octobre 2009, une date aussi de peu antérieure à celle de l’audience (le 12 novembre 2009);
  4. il était improbable que le demandeur puisse être retrouvé par Bala, qui vraisemblablement était mort ou vivait dans un camp de détention dans le nord du pays par suite de la dernière grande offensive de l’armée contre les TLET;
  5. Arun ne pouvait causer de souci au demandeur, puisqu’il était détenu.

 

La SPR a conclu que les mentions faites du gang de trafic de drogue et des TLET avaient été ajoutées pour embellir le récit du demandeur ou étayer la demande d’asile. La SPR a aussi conclu qu’Arun et Bala pouvaient bien n’avoir jamais existé.

 

[7]               La SPR a également statué que Colombo constituait une PRI valable pour le demandeur. Elle a conclu que rien ne laissait croire que les personnes d’un profil semblable à celui du demandeur, un Cinghalais et ancien fonctionnaire, faisaient l’objet de persécution à Colombo. Selon la SPR, l’on pouvait supposer que le demandeur obtiendrait des autorités soutien et protection, comme les policiers avaient déjà capturé Arun et que la famille du demandeur avait pu vivre en paix dans la ville d’Ambalagoda sous contrôle cinghalais. La SPR a également statué que le risque allégué par le demandeur était de caractère général pour les motifs suivants :

  1. les TLET ont disparu en tant que force combattante depuis que le demandeur a fui le Sri Lanka;
  2. il était improbable que les organisations de trafic de drogue restantes ou nouvelles aient des liens actuels avec les TLET;
  3. même si Arun et Bala étaient bien membres d’un gang de trafic de drogue, aucune preuve ne démontrait que le demandeur était pris pour cible en raison d’opinions politiques affichées ou présumées.

 

[8]               Puisque le risque de persécution par des gangs criminalisés de trafic de drogue était de caractère général, la SPR a conclu que l’article 97 de la LIPR ne pouvait servir de fondement à la demande d’asile, et qu’il n’existait aucun lien entre cette demande et l’un quelconque des cinq motifs de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention. La demande d’asile du demandeur a par conséquent été rejetée.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[9]               L’article 96 de la LIPR confère protection, comme suit, aux réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au

sens de la Convention — le

réfugié — la personne qui,

craignant avec raison d’être

persécutée du fait de sa race,

de sa religion, de sa

nationalité, de son

appartenance à un groupe

social ou de ses opinions

politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout

pays dont elle a la nationalité

et ne peut ou, du fait de cette

crainte, ne veut se réclamer de

la protection de chacun de ces

pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de

nationalité et se trouve hors du

pays dans lequel elle avait sa

résidence habituelle, ne peut

ni, du fait de cette crainte, ne

veut y retourner.

96. A Convention refugee is a

person who, by reason of a

well-founded fear of

persecution for reasons of race,

religion, nationality,

membership in a particular

social group or political

opinion,

 

(a) is outside each of their

countries of nationality and is

unable or, by reason of that

fear, unwilling to avail

themself of the protection of

each of those countries; or

 

(b) not having a country of

nationality, is outside the

country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[10]           L’article 97 de la LIPR confère pour sa part protection aux catégories suivantes de personnes :

97. (1) A qualité de personne à

protéger la personne qui se

trouve au Canada et serait

personnellement, par son

renvoi vers tout pays dont elle

a la nationalité ou, si elle n’a

pas de nationalité, dans lequel

elle avait sa résidence

habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des

motifs sérieux de le croire,

d’être soumise à la torture au

sens de l’article premier de la

Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie

ou au risque de traitements ou

peines cruels et inusités dans

le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la

protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout

lieu de ce pays alors que

d’autres personnes originaires

de ce pays ou qui s’y trouvent

ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne

résulte pas de sanctions

légitimes — sauf celles

infligées au mépris des normes

internationales — et inhérents

à celles-ci ou occasionnés par

elles,

(iv) la menace ou le risque ne

résulte pas de l’incapacité du

pays de fournir des soins

médicaux ou de santé

adéquats.

97. (1) A person in need of

protection is a person in

Canada whose removal to their

country or countries of

nationality or, if they do not

have a country of nationality,

their country of former

habitual residence, would

subject them personally

 

(a) to a danger, believed on

substantial grounds to exist, of

torture within the meaning

of Article 1 of the Convention

Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a

risk of cruel and unusual

treatment or punishment if

(i) the person is unable or,

because of that risk, unwilling

to avail themself of the

protection of that country,

(ii) the risk would be faced by

the person in every part of that

country and is not faced

generally by other individuals

in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or

incidental to lawful sanctions,

unless imposed in disregard

of accepted international

standards, and

(iv) the risk is not caused by

the inability of that country to

provide adequate health or

medical care.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]           Le demandeur soulève la question qui suit :

1.      La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit, manqué à l’équité ou outrepassé sa compétence lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’était pas crédible?

La Cour fait observer que le demandeur soulève un certain nombre d’autres questions dans ses observations. J’y substituerai les questions qui suivent, qui recouvrent l’ensemble des questions individuelles énumérées par le demandeur :

1.      Était-il raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur n’était pas crédible?

2.      Était-il raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur disposait à Colombo d’une possibilité de refuge intérieur valable?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[12]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a statué (au paragraphe 62) que la première étape à suivre lorsqu’on procédait à l’analyse relative à la norme de contrôle consistait à vérifier « si la jurisprudence établi[ssait] déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (se reporter également à l’arrêt Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, paragraphe 53).

 

[13]           Les questions concernant la crédibilité, la protection de l’État et la PRI nécessitent de trancher des questions de fait et des questions mixtes de droit et de fait. Il est manifeste, par suite des arrêts Dunsmuir et Khosa, que la norme de contrôle applicable à de telles questions est la raisonnabilité. La jurisprudence récente a confirmé que c’était là la norme appropriée lorsqu’il s’agissait d’établir si un demandeur disposait d’une PRI valable (Mejia c. Canada (MCI), 2009 CF 354, le juge Russell, paragraphe 29; Syvyryn c. Canada (MCI), 2009 CF 1027, 84 Imm. L.R. (3d) 316, la juge Snider, paragraphe 3; Perea c. Canada (MCI), 2009 CF 1173, le soussigné, paragraphe 23.

 

[14]           En examinant la décision de la SPR en fonction de la norme de la raisonnabilité, la Cour s’attardera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, paragraphe 47; Khosa, précité, paragraphe 59).

 

ANALYSE

Première question – Était-il raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur n’était pas crédible?

 

[15]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas crédible, et ce, en se fondant sur les éléments erronés suivants :

1.      La SPR a mal interprété la preuve que constituaient les rapports de police en estimant que le demandeur aurait dû faire allusion, lorsqu’il a porté plainte, aux TLET ou aux gangs de trafic de drogue, alors qu’en fait, la police avait seulement découvert que ceux‑ci étaient en cause après l’arrestation d’Arun et la perquisition dans sa maison;

2.      La SPR a fait des conjectures sur l’éventuelle mort ou détention de Bala par suite de la victoire décisive du gouvernement contre les TLET.

 

Le demandeur prétend que les erreurs commises par la SPR au sujet de la crédibilité étaient d’importance et ont miné ses conclusions subsidiaires quant à la PRI et au risque général.

 

[16]           Le témoignage donné sous serment est présumé véridique à défaut de raisons de douter de sa véracité (Maldonado c. Canada (MEI), [1980] 2 C.F.. 302 (C.A.F.), le juge Heald, paragraphe 5. Lorsqu’elle apprécie la solidité du témoignage du demandeur d’asile, la SPR peut tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité en tenant compte de l’imprécision du témoignage, des hésitations du demandeur d’asile, de ses incohérences, de ses contradictions et de son comportement (Zheng c. Canada (MCI), 2007 CF 673, 158 A.C.W.S. (3d) 799, le juge Shore, paragraphe 17). La Cour n’est pas aussi bien placée que la SPR pour apprécier la crédibilité de la preuve (Aguebor c. Canada (MEI) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Si, en tirant une conclusion quant à la crédibilité, la SPR a fondé son raisonnement sur plusieurs éléments, la cour de révision n’a pas à établir dans son analyse si chaque élément satisfaisait au critère de la raisonnabilité (Jarada c. Canada (MCI), 2005 CF 409, le juge de Montigny, paragraphe 22).

 

[17]           La SPR a examiné ensemble la crédibilité du demandeur et le « bien-fondé » de sa crainte. Or les deux questions sont liées, mais elles ne sont pas identiques. La crédibilité est un facteur permettant de juger si la crainte est fondée. Le manque de crédibilité était l’un des motifs pour lesquels la SPR a conclu que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté. Pour les motifs qui vont suivre, la Cour conclut qu’il n’était pas raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur n’était pas crédible, mais qu’il lui était néanmoins raisonnable de conclure en l’absence de crainte fondée de persécution du demandeur.

 

[18]           En l’espèce, la conclusion quant à la crédibilité se fondait sur la preuve documentaire produite par le demandeur et constituée des éléments qui suivent :

a)      deux rapports de police, l’un daté du 19 juin 2008 et l’autre du 20 juin 2008;

b)      une lettre de l’Officier d’administration de la base navale de Trincomalee;

c)      une lettre du 10 octobre 2008 du frère du demandeur;

d)      une lettre de démission du demandeur datée du 21 juin 2008.

 

[19]           La SPR a relevé qu’on ne faisait pas état, dans les rapports de police, des liens d’Arun et de Bala avec les TLET, non plus que de leur rôle au sein du gang clandestin de trafic de drogue. Cette omission a conduit la SPR à conclure que le demandeur avait allégué l’existence de liens d’Arun et de Bala avec les TLET et les gangs de trafiquants pour embellir son récit en ajoutant au contenu des lettres susmentionnées, et ce, pour étayer sa demande d’asile. La conclusion défavorable quant à la crédibilité, par conséquent, se fondait sur le manque de corroboration, par les rapports de police, de certains éléments de la demande d’asile.

[20]           Les deux rapports de police portent l’empreinte d’une date antérieure à l’arrestation d’Arun et de la découverte d’héroïne dans sa demeure. On a consigné dans ces rapports les plaintes portées à la police par le demandeur, et non un résumé officiel de l’enquête. Il n’était pas raisonnable pour la SPR de fonder son appréciation de la crédibilité sur l’omission dans les rapports de renseignements qui n’avaient pas encore été découverts. L’interprétation erronée des rapports de police par la SPR a constitué une erreur importante viciant en son entier son appréciation de la crédibilité.

 

 

[21]           La SPR a toutefois déterminé sur un fondement distinct, au paragraphe 14 de la décision, que le demandeur n’avait pas raison de craindre d’être persécuté au Sri Lanka, parce que la situation y avait changé depuis son départ en 2008 :

14      Le demandeur d’asile a également mentionné qu’il avait été blessé par une bombe lancée par les TLET sur la base navale de Trincomalee en août 2007, mais cet incident est survenu deux ans avant que les forces du gouvernement ne démantèlent les TLET en mai 2009. Puisque les TLET ne sont plus une force de combat opérante ou une organisation viable, étant donné que les chefs ont été tués ou qu’ils ne sont plus membres et que la structure des TLET a été démantelée et est désorganisée, le tribunal estime qu’il est difficile de croire qu’ils seraient toujours à la recherche du demandeur d’asile parce que celui-ci s’était trouvé sur le chemin d’Arun et de Bala, même si les trafiquants de drogue de ce gang et les TLET avaient des liens, surtout si le demandeur d’asile évite d’aller à Trincomalee, qui est situé au nord-est du pays.

 

 

[22]           Dans l’arrêt Hassan c. Canada (MEI) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.), le juge Heald a statué qu’un changement de situation dans le pays d’origine du demandeur, depuis que ce dernier l’avait quitté, avait une incidence sur la question du bien-fondé de la crainte :

[traduction]

 

9        En concluant comme elle l’a fait que la situation en Ouganda avait changé, toutefois, il est bien clair que la Commission concluait simplement qu’il manquait à la crainte de persécution du demandeur, si sincère fût-elle, l’élément objectif nécessaire pour en assurer le bien-fondé.

 

[23]           Il ne fait aucun doute que la situation a radicalement changé au Sri Lanka depuis mai 2009. Il était ainsi raisonnable pour la SPR de conclure que, si la crainte alléguée du demandeur venait de ce qu’il avait été la cible en août 2008 d’un gang de trafic de drogue appuyé par les TLET, cette crainte n’était plus fondée depuis la défaite des TLET en mai 2009. Si elle reconnaît que la SPR a fait des conjectures sur le sort éventuel d’Arun et de Bala après l’offensive de mai 2009, la Cour estime néanmoins que ce n’était pas là une erreur importante, puisqu’elle n’enlevait rien au caractère raisonnable de son appréciation. Il est manifeste qu’Arun est emprisonné et que Bala est un jeune Tamoul.

 

Deuxième question –   Était-il raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur disposait à Colombo d’une possibilité de refuge intérieur valable?

 

[24]           Le demandeur soutient que la SPR a formulé erronément le critère de la PRI lorsqu’elle a établi, au paragraphe 18 de la décision, que le « profil et les antécédents du demandeur ne correspond[aient] pas à ceux d’une personne qui ferait l’objet de persécution à Colombo, la capitale du pays ».

 

[25]           Dans la décision Farias c. Canada (MCI), 2008 CF 1035, j’ai résumé comme suit, au paragraphe 34, la liste des critères juridiques concernant l’existence ou non d’une PRI :

1.         Si la PRI est une question litigieuse, la Commission du statut de réfugié doit en aviser le demandeur d’asile avant l’audience (Rasaratnam, [1991] A.C.F. n° 1256, précité, par le juge Mahoney au paragraphe 9, Thirunavukkarasu, [1993] A.C.F. n° 1172) et identifier des lieux précis comme PRI dans le pays d’origine du demandeur d’asile (Rabbani c. Canada (MCI), [1997] 125 F.T.R. 141 (C.F.), précitée, au paragraphe 16, Camargo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 472, 147 A.C.W.S. (3d) 1047, aux paragraphes 9 et 10);;

 

2.         Il convient d’appliquer un test disjonctif à deux volets afin de déterminer s’il existe une PRI. Voir, p. ex., Rasaratnam, précité; Thirunavukkarasu, précité; Urgel, [2004] A.C.F. n° 2171, précitée, au paragraphe 17.

 

i.          La Commission doit avoir été persuadée par le demandeur d’asile, selon la prépondérance de la preuve, qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté dans les lieux qu’elle a proposés comme PRI; ou

 

ii.          Compte tenu de la situation propre au demandeur, il serait déraisonnable que le demandeur cherche refuge dans les lieux proposés comme PRI;

 

3.         Le demandeur a la charge de prouver qu’il n’existe pas de PRI ou que cette PRI est déraisonnable dans les circonstances. Voir Mwaura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 748, par la juge Tremblay-Lamer, au paragraphe 13; Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 130 A.C.W.S. (3d) 1010, 2004 CF 601, par le juge Mosley, au paragraphe 17;

 

4.         Le critère est élevé pour déterminer ce qui rend une PRI déraisonnable dans la situation du demandeur d’asile : voir Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, par le juge Russell, au paragraphe 41. Selon Mwaura, précitée, au paragraphe 16, et Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 12, il convient d’appliquer un critère souple pour déterminer si une PRI est déraisonnable en tenant compte de la situation particulière au demandeur. C’est un critère objectif;

 

5.         La PRI doit être réalistement accessible au demandeur, p. ex. le demandeur n’est pas censé s’exposer à un grand danger physique ou subir des épreuves indues lorsqu’il se rend dans un lieu de PRI ou y demeure. Le demandeur ne devrait pas être tenu de se cacher dans une région isolée, par exemple dans une caverne, dans le désert ou dans la jungle. Voir : Thirunavukkarasu, précitée, au paragraphe 14;

 

6.         Le fait que le demandeur d’asile n’a ni amis ni parents dans le lieu proposé comme PRI ne rend pas cette PRI déraisonnable. Le demandeur d’asile n’a probablement pas d’amis ni de parents au Canada. Le fait que le demandeur d’asile ne soit pas en mesure de se trouver un emploi approprié dans son domaine de profession peut ou non rendre la PRI déraisonnable. Cela vaut également pour le Canada.

 

 

 

[26]           La jurisprudence a établi un critère élevé que le demandeur doit remplir, selon la prépondérance des probabilités, pour prouver qu’il ne peut raisonnablement disposer d’une PRI. Le demandeur doit démontrer l’existence des conditions qui mettraient sa vie et sa sécurité en danger s’il devait s’installer dans la PRI proposée.

 

[27]           En l’espèce, le demandeur est membre du groupe cinghalais majoritaire au Sri Lanka, il a obtenu dans le passé la protection de la police, et c’est un ancien fonctionnaire. Le demandeur n’a pu mentionner aucune raison l’empêchant de se réinstaller à Colombo, ou d’ailleurs à Ambalagoda, si ce n’était qu’il craignait Arun, Bala, les TLET et le gang clandestin de trafic de drogue. Le demandeur n’a produit aucune preuve montrant que ses persécuteurs prétendus s’intéressaient toujours à lui ou qu’ils pourraient le retracer à Colombo. Il était raisonnable pour la SPR de conclure que la vie et la sécurité du demandeur ne seraient pas en péril s’il devait se réinstaller à Colombo. Bien que la SPR ait mal formulé le critère juridique applicable à la PRI, il est clair que cette erreur n’aurait pu avoir d’incidence sur l’issue de l’affaire. Ce motif de contrôle judiciaire doit par conséquent être rejeté.

 

AUCUNE QUESTION CERTIFIÉE

[28]      Les deux parties ont informé la Cour qu’à leur avis, la présente affaire ne soulevait aucune question grave de portée générale qu’il y aurait lieu de certifier en vue d’un appel. La Cour est du même avis.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 


Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6290-09

 

INTITULÉ :                                       VIPUL NISANTHA KUMARA HETTIGE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 AOÛT 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 26 AOÛT 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

Khatidja Moloo

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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