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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date :  20100914

Dossier :  IMM-801-10

Référence :  2010 CF 914

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2010

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

KARLA YANIRA HIDALGO CARRANZA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               [3]        [...] Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

 

(Comme spécifié dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Sellan, 2008 CAF 381, 384 N.R. 163, par le juge Marc Nadon avec concurrence de ses collègues, le juge Alice Desjardins et le juge en chef Pierre Blais).

 

II.  Procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch.27 (LIPR), à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (SPR), rendue le 25 janvier 2010, selon laquelle la demanderesse n’est ni une « réfugiée au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

III.  Faits

[3]               La demanderesse, madame Karla Yanira Hidalgo Carranza, est une citoyenne du Salvador âgée de 27 ans qui affirme craindre d’être persécutée en raison de ses opinions politiques.

 

[4]               Elle aurait été membre du « Centro Social Comunitario Zacatecoluca » (Centre) à partir de janvier 2004. En mars 2007, elle en devenait la directrice. Ce Centre avait pour but de développer des activités socioculturelles, ainsi que de dénoncer les violations des droits humains commises par l’armée et les militaires.

 

[5]               Le 5 mars 2008, à titre de directrice du Centre, madame Hidalgo Carranza aurait fait une apparition à la télévision au cours de laquelle elle aurait accusé le gouvernement salvadorien de protéger les criminels qui persécutaient et extorquaient les citoyens. Suite à cette apparition, elle aurait reçu quatre appels téléphoniques anonymes de menaces de mort.

 

[6]               Le 20 mars 2008, le bureau du Centre aurait été détruit par l’armée salvadorienne.

[7]               Suite aux événements, madame Hidalgo Carranza a habité dans la ville de San Vincente. Le 20 juin 2008, elle a quitté le Salvador pour le Canada.

 

[8]               Madame Hidalgo Carranza craint les mauvais traitements aux mains de l’armée, de la police et du gouvernement salvadorien.

 

IV.  La décision faisant l’objet de la demande

[9]               Après étude de la preuve documentaire et testimoniale, la SPR a conclu, en se fondant sur l'absence de crédibilité, que madame Hidalgo Carranza n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de la LIPR.

 

[10]           Madame Hidalgo Carranza ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir qu’elle est persécutée en raison de ses opinions politiques ou qu’elle serait exposée à une menace à sa vie, de traitements ou peines cruelles et inusitées si elle retournait au Salvador. La SPR n’a pas cru l’histoire de madame Hidalgo Carranza et est d’avis que celle-ci a inventé une histoire de toutes pièces afin d’obtenir un statut au Canada.

 

V.  Point en litige

[11]           La SPR a-t-elle rendu une décision fondée sur des conclusions de fait et/ou de droit erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait en vertu du sous-alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. (1985), ch. F-7 (Loi)?

 

VI.  Dispositions législatives pertinentes

[12]           Madame Hidalgo Carranza a le fardeau de présenter le dossier le plus complet possible pour permettre de corroborer sa version des faits. La règle 7 des Règles de la section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (Règles) dispose que:

Documents d’identité et autres éléments de la demande d’asile

 

 

7.      Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer

Documents establishing identity and other elements of the claim

 

7.     The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

[13]           La règle 7 découle du paragraphe 100(4) de la LIPR qui se lit tel que suit :

Obligation

 

100.    (4) La preuve de la recevabilité incombe au demandeur, qui doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées et fournir à la section, si le cas lui est déféré, les renseignements et documents prévus par les règles de la Commission.

Duty of claimant

 

100.     (4) The burden of proving that a claim is eligible to be referred to the Refugee Protection Division rests on the claimant, who must answer truthfully all questions put to them. If the claim is referred, the claimant must produce all documents and information as required by the rules of the Board.

 

 

 

VII.  Prétentions des parties

[14]           La demanderesse allègue que la SPR a omis de prendre en compte l’ensemble de la preuve et qu’elle aurait dû accorder le bénéfice du doute relativement à la question de la crédibilité.

 

[15]           Le défendeur allègue que la décision de la SPR était parfaitement justifiée, à la lumière d’un certain nombre de contradictions et d’incohérence dans le témoignage et la preuve documentaire.

 

VIII.  Norme de contrôle

[16]            La question de l’appréciation de la crédibilité de madame Hidalgo Carranza est une question de fait au sens d’une jurisprudence constante au sein de la Cour fédérale. (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 16 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.) au par. 4; Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 673, 158 A.C.W.S. (3d) 799). La norme de contrôle à appliquer aux conclusions de fait de la SPR, notamment les questions en matière de crédibilité, est la norme de la décision raisonnable. (Wa Kabongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 348, 166 A.C.W.S. (3d) 327).

 

[17]           Le contrôle judiciaire ne permet pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve. (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190). La Cour ne doit pas réviser les faits ou soupeser les éléments de preuve. Elle ne pourra agir que lorsque la décision de la SPR est jugée déraisonnable. Une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, 2009 CSC 12 au par.  46).

 

IX.  Analyse

[18]           La décision de la SPR est fondée sur l’absence de crédibilité de madame Hidalgo Carranza. Pour tirer cette conclusion, la SPR s’est appuyée sur des contradictions et invraisemblances relevées dans la preuve documentaire et dans la preuve testimoniale dont elle a fait l’analyse. La SPR, en sa qualité de tribunal spécialisé chargé d’apprécier les faits, peut à bon droit soupeser les éléments de preuve qu’elle juge appropriés. La SPR a énuméré une série de contradictions et d'invraisemblances figurant dans la preuve soumise par madame Hidalgo Carranza, lesquelles étayent la conclusion défavorable qu'elle a tirée au sujet de la crédibilité.

 

Le manque de crédibilité subjective de la demanderesse

 

[19]           Il n’existe aucune preuve à l’appui de l’existence du Centre pour lequel travaillait madame Hidalgo Carranza. Celle-ci a également omis de mentionner la destruction du Centre dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), ne révélant cette information qu’à l’audience. Madame Hidalgo Carranza n’a dénoncé la destruction du Centre à aucun organisme humanitaire. Aucun journal ni organisme humanitaire ne peut attester de l’existence ou de la destruction du Centre. À l’audience, la SPR a relevé la méconnaissance des noms d’organismes humanitaires de la part de madame Hidalgo Carranza.

 

[20]           Les principes de l’évaluation de la crédibilité d’un témoignage ont été réitérés par cette Cour dans la décision Quintero Cienfuegos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262:

[1]        Cette Cour a confirmé maintes fois que l’accumulation de contradictions entre le témoignage d’un revendicateur, ses déclarations au point d’entrée et son Formulaire de renseignements personnels (FRP) ou celui d’un autre revendicateur, ainsi que d’omissions dans son FRP d’éléments cruciaux à sa revendication peuvent légitimement servir de fondement à une conclusion négative quant à sa crédibilité [...]

 

[21]           À ce sujet, madame Hidalgo Carranza requiert l’application du principe du bénéfice du doute tel qu’apparaissant dans le « Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié » :

204.     Néanmoins, le bénéfice du doute ne doit être donné que lorsque tous les éléments de preuve disponibles ont été réunis et vérifiés et lorsque l'examinateur est convaincu de manière générale de la crédibilité du demandeur. Les déclarations du demandeur doivent être cohérentes et plausibles, et ne pas être en contradiction avec des faits notoires.

 

[22]           Lorsque les allégations du demandeur sont en contradiction avec la preuve disponible et des faits notoires, il ne convient pas d’appliquer le bénéfice du doute (Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, [1995] A.C.S. no 78 (QL)). Ainsi, le principe ne s’applique pas lorsque la SPR conclut à l’invraisemblance d’un récit. Il était raisonnable pour la SPR de tenir compte des omissions et des contradictions dans le témoignage de madame Hidalgo Carranza, ainsi que dans la preuve documentaire.

 

 

 

Situation objective au Salvador

[23]           La preuve documentaire ne corrobore pas le témoignage de madame Hidalgo Carranza quant à la situation actuelle au Salvador. Ce pays émerge d’une période difficile marquée par les conflits. Les traces, en soi, des cicatrices du passé n’ont pas disparu. La population n’a pas encore pu oublier le passé récent du pays, mais l’évolution de la société est néanmoins en état de guérison suite à la démocratisation de l’appareil gouvernemental. Avec la fin de la guerre civile et l’arrivée du parti de gauche, le FMLN (Farabundo Martí para la Liberación Nacional), au pouvoir, le Salvador connaît une ère de changements importants.

 

[24]           La décision de la SPR brosse un portrait de la conjoncture politique et sociale au Salvador, en s’appuyant sur une description plus exhaustive fournie par le « Country Report on Human Rights Practices » (Cartable national de documentation sur le Salvador, 31 juillet 2009, onglet 2.1, États-Unis. 25 février 2009. Department of State. « El Salvador ». Country Reports on Human Rights Practices for 2009 [en anglais seulement]) :

[…] il n’y a pas de persécution pour motifs politiques. L’armée et la police sont sous le contrôle des autorités civiles. C’est maintenant le parti de gauche, l’ancienne guérilla de l’époque de la guerre civile qui a eu lieu de 1980 à 1992, qui est au pouvoir. C’est une première au Salvador. Il n’est pas fait mention de violation des droits humains des paysans et des femmes par l’armée, de manière systématique. Le problème auquel les autorités doivent faire face est celui de la criminalité et de la prolifération des gangs. (Décision de la SPR, p. 5)

 

[25]           Par ailleurs, cette Cour, par la plume de la juge Judith A. Snider, a déjà souscrit à des propos similaires de la SPR à l’effet que le Salvador constitue:

[7]        […] une démocratie constitutionnelle respectueuse des droits de la personne, dont le gouvernement peut et veut assurer la protection de ses citoyens et qu’il a le contrôle efficient de son territoire et possède une organisation militaire et civile [...]

(Gomez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 406, 148 A.C.W.S. (3d) 122).

 

[26]           Il n’y a pas de preuve documentaire au dossier à l’effet que l’armée est le principal pouvoir au Salvador, ni que la violation des droits humains de façon systématique soit un problème dans ce pays. Il était du domaine de la compétence de la SPR d’apprécier la preuve documentaire en fonction du manque de crédibilité de madame Hidalgo Carranza. Le fait qu’elle ne se soit pas rangée de l’avis de madame Hidalgo Carranza et qu’elle se soit appuyée sur le manque de crédibilité de celle-ci ne signifie pas que l’analyse de la preuve fut sélective. À ce stade, madame Hidalgo Carranza ne peut pas proposer une réévaluation de la preuve :

[17]      Quand le demandeur plaide que la décision du Tribunal passe sous silence une preuve que lui considère importante, ou que cette décision ne retient qu’une certaine partie de la preuve de préférence à une autre qu’il considère plus importante, il demande ni plus et ni moins  à cette Cour de réévaluer la preuve présentée à l’appui de la revendication d’asile et de substituer son opinion à celle du Tribunal. Une telle avenue est interdite dans le cadre d’un contrôle judiciaire [...]

 

(Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 408, 169 A.C.W.S. (3d) 1115).

 

[27]           Étant donné que la SPR n’a pas accordé de crédibilité à la crainte subjective décrite par madame Hidalgo Carranza, elle a également choisi de ne pas accorder foi à ses déclarations quant à la situation objective du Salvador.

 

 

 

X.  Conclusion

[28]           Par conséquent, étant donné que madame Hidalgo Carranza n’a pas réussi à démontrer que la SPR avait rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée qui avait été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont la SPR disposait (alinéa 18.1(4)d) de la Loi), la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-801-10

 

INTITULÉ :                                       KARLA YANIRA HIDALGO CARRANZA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 7 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 14 septembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Angelica Pantiru

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Isabelle Brochu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ANGELICA PANTIRU

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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