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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100924

Dossier : T-1305-07

Référence : 2010 CF 959

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 24 septembre 2010

En présence de l’honorable juge Heneghan

 

ENTRE :

LE CONSEIL DE MUSHKEGOWUK et STAN LOUTTIT

demandeurs

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE MINISTRE DES RESSOURCES NATURELLES

(L’HONORABLE GARY LUNN, c.p., député) et

LA SOCIÉTÉ DE GESTION DES DÉCHETS NUCLÉAIRES

 

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Introduction

  • [1] Le Conseil de Mushkegowuk et Stan Louttit (les demandeurs, collectivement) interjettent appel de l’ordonnance de la protonotaire Milczynski du 15 avril 2010, où celle-ci rejette la requêteen ordonnance d’autorisation faite par les demandeurs en vertu des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) en vue du dépôt d’un affidavit complémentaire et de la nouvelle comparution à ses propres frais d’Elizabeth Dowdeswell afin de répondre aux questions figurant au tableau des refus contenu dans le dossier de requête des demandeurs du 23 mars 2010, ainsi qu’aux questions légitimes amenées par les réponses à ces questions.

 

Contexte

  • [2] Le demandeur Conseil de Mushkegowuk est une assemblée de sept collectivités de Premières Nations situées dans la région de l’ouest de la baie James en Ontario. Le demandeur Stan Louttit est le grand chef de ce conseil. Gary Lunn, ministre des Ressources naturelles (le ministre) est chargé de l’application de la Loi sur les déchets de combustible nucléaire, L.C. 2002, ch. 23 (la Loi). La Société de gestion des déchets nucléaires (la SGDN) a été constituée par la loi précitée.

 

  • [3] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du ministre recommandant une méthode de gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire. Cette décision est l’objet de l’affaire T-1305-07.

 

  • [4] Les demandeurs sollicitent aussi le contrôle judiciaire d’une décision liée, à savoir la décision du gouverneur en conseil d’accepter la recommandation du ministre. Cette décision est l’objet de l’affaire T-1306-07. Par une ordonnance du 8 juillet 2008, les deux instances de contrôle judiciaire ont été réunies dans l’affaire T-1305-07.

 

  • [5] Dans son ordonnance du 15 avril 2010, la protonotaire Milczynski a rejeté la requête en dépôt d’un affidavit complémentaire des demandeurs, au motif que la preuve documentaire complémentairequ’on cherchait à déposer n’avait rien à voir avec la question soulevée dans ces instances et que, de surcroît, deux des documents en question auraient pu être déposés par les demandeurs dans leurs affidavits initiaux à l’appui de leur demande de contrôle judiciaire. Elle a refusé d’ordonner une nouvelle comparution d’Elizabeth Dowdeswell pour une poursuite de son contre-interrogatoire, au motif que toute autre question pour cette déposante [traduction] « pouvait se résoudre entre avocats ».

 

  • [6] Les demandeurs sollicitent l’autorisation de déposer un nouvel affidavit avec huit documents à produire en preuve devant la Cour appelée à trancher cette demande de contrôle judiciaire. Ces documents ont à voir avec la possibilité que de nouveaux réacteurs nucléaires soient construits au Canada, la perspective étant que le volume de déchets nucléaires à transporter et à éliminer au pays augmentera de ce fait. Voici les documents en question, avec leurs dates de publication ou de production :

 

Tableau 1: Tableau des documents contestés

 

No

Auteur

Titre

Date

1

S. Russell (SGDN)

Preliminary Assessment of Potential Technical Implications of Reactor Refurbishment and New Nuclear Build on Adaptive Phased Management / Évaluation préliminaire des conséquences techniques potentielles de la réfection et de la construction de réacteurs nucléaires sur la Gestion adaptative progressive.

Décembre 2008

2

Ontario Power Generation

Nuclear Waste Management Technical Support Document, New Nuclear, Darlington Environmental Assessment

Août 2009

3

Énergie atomique du Canada

La puissance du partenariat, rapport annuel 2003-2004

2003-2004

4

Bruce Power

Bruce Power to explore restart of Bruce A Units 1 and 2, Feasibility study to also examine new build and Bruce B refurbishment (communiqué)

29 janvier 2004

5

M. Hung (SGDN)

Financial Implications of Used Fuel Volume Variation in Long Term Management -2008 Update / Conséquences financières liées à la variation du volume de combustible irradié en gestion à long terme – mise à jour de 2008

Décembre 2008

6

M. Garamszeghy (SGDN)

Nuclear Fuel Waste Projections in Canada – 2008 Update / Prévisions relatives à la quantité de déchets de combustible nucléaire produits – mise à jour de 2008

Décembre 2008

 

  • [7] Dans ses motifs de décision, la protonotaire a traité des exigences de l’article 312 des Règles en ce qui concerne le dépôt d’affidavits complémentaires relativement à une demande de contrôle judiciaire. Elle a fait observer que les documents 3 et 4 avaient été produits en 2004 et [traduction] « auraient pu être inclus dans la documentation de l’affidavit des demandeurs. Aucune explication raisonnable n’a été donnée quant à l’incapacité de les produire ». La protonotaire y voyait une raison suffisante pour refuser l’autorisation de déposer ces deux documents comme partie d’un affidavit complémentaire, mais elle a exposé un autre motif, à savoir la [traduction] « valeur marginale » des documents en question, qui [traduction] « n’aideraient pas utilement la Cour ».

 

  • [8] La protonotaire a conclu que les six autres documents visés par l’autorisation de dépôt avaient tous été publiés après l’étude de la SGDN et la parution de son rapport « Choisir une voie pour l’avenir » et que, de plus, ces documents n’étaient pas pertinents quant à la [traduction] « question de la qualité ou du caractère approprié de la consultation déjà menée à terme ». Elle a ajouté que les six documents [traduction] « n’aideraient guère la Cour ou ne l’aideraient pas du tout, mais auraient seulement pour effet de brouiller ou d’obscurcir le dossier et les questions à trancher ».

 

Observations

  • [9] Les demandeurs font valoir que la protonotaire a commis une erreur de droit en concluant que les huit documents en question n’étaient pas pertinents. Ils y voient une erreur de droit justifiant l’annulation de l’ordonnance.

 

  • [10] De même, ils maintiennent que la protonotaire s’est trouvée implicitement à rejeter leur requête en nouvelle comparution de Mme Dowdeswell pour qu’elle puisse répondre aux questions sur les documents 1 à 4, s’appuyant en cela sur ses conclusions déjà formées au sujet du manque de pertinence de ces documents. Ils estiment que le fait de conclure au manque de pertinence constitue une erreur en droit et font valoir implicitement qu’une reprise de l’interrogatoire devrait découler de l’annulation de l’ordonnance de la protonotaire.

 

  • [11] Les trois défendeurs sont d’avis que la protonotaire a dûment exercé son pouvoir discrétionnaire conformément à l’article 312 des Règles et à la jurisprudence applicable, et que l’appel devrait être rejeté au motif que l’intéressée a jugé raisonnablement que le reste des documents ne concernait pas les questions soulevées par la demande de contrôle judiciaire.

 

Analyse et décision

  • [12] Le critère juridique à appliquer à l’appel d’une ordonnance de protonotaire est énoncé par la Cour d’appel fédérale dans son arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc. [2004] 2 R.C.F. 459; autorisation refusée d’en appeler (2004) 30 C.P.R. (4e) vii (C.S.C.). Il y a lieu d’exercer un contrôle judiciaire de novo sur une ordonnance discrétionnaire de protonotaire seulement si les questions soulevées par la requête sont déterminantes pour le règlement définitif de l’affaire ou encore si l’ordonnance est clairement erronée, en ce sens que l’exercice du pouvoir discrétionnaire reposait sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits. Dans l’application de ce critère, la première question à se poser est de savoir si la requête des demandeurs soulève une question [traduction] « déterminante » pour l’issue de l’instance.

 

  • [13] À mon avis et au vu des faits qui m’ont été présentés, la question soulevée par l’avis de requête n’est pas déterminante pour le règlement définitif des demandes de contrôle judiciaire des demandeurs. Celles-ci se rapportent à la décision prise sur le fond par le ministre et le gouverneur en conseil. La requête a à voir avec l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire pour permettre le dépôt d’un affidavit complémentaire conformément à l’article 312 des Règles.

 

  • [14] L’article 312 des Règles régit le dépôt d’affidavits complémentaires et dit :

312. With leave of the Court, a party may

 

(a) file affidavits additional to those provided for in rules 306 and 307;

 

 

(b) conduct cross-examinations on affidavits additional to those provided for in rule 308; or

 

 

(c) file a supplementary record.

312. Une partie peut, avec l’autorisation de la Cour :

 

a) déposer des affidavits

complémentaires en plus de ceux visés aux règles 306 et 307;

 

b) effectuer des contre-interrogatoires au sujet des affidavits en plus de ceux visés à la règle 308;

 

c) déposer un dossier complémentaire.

 

  • [15] D’après la décision Laboratoires Abbott Limitée c. Apotex Inc., 2007 CF 817 (C.F.), au paragraphe 16, une partie désireuse de déposer un témoignage complémentaire doit satisfaire au critère conjonctif suivant en quatre points :

[traduction]

[16]  En ce qui concerne l’article 312 des Règles , la Cour a conclu que, dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire d’autorisation du dépôt d’une preuve complémentaire, un critère conjonctif en quatre points doit être pris en considération : a) cet élément de preuve sert-il les intérêts de la justice? b) aidera-t-il la Cour? c) l’accueil de la requête causera-t-il un préjudice grave à la partie adverse? d) l’élément de preuve était-il disponible ou était-il possible d’en prévoir la pertinence à une date antérieure? (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 984, [2006] A.C.F. no 1243, le juge Teitelbaum; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 506, [2007] A.C.F. no 681, le juge Mosley).

 

 

  • [16] Je n’ai pas la conviction que la protonotaire s’est appuyée sur un mauvais principe de droit ou une mauvaise appréciation des faits au moment de rejeter la requête des demandeurs.

 

  • [17] La protonotaire a d’abord examiné les nouveaux documents que cherchaient à déposer les demandeurs en fonction de leurs dates. Elle a conclu que les documents 3 et 4 avaient été créés en 2004 et auraient pu être déposés plus tôt par les demandeurs lorsqu’ils avaient produit initialement la documentation de leur affidavit. Elle a dit qu’aucune explication raisonnable n’avait été donnée à ce défaut de produire les documents plus tôt.

 

  • [18] À mon avis, cette conclusion est raisonnable. La protonotaire n’a pas commis d’erreur dans son interprétation des faits ni dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 312 des Règles .

 

  • [19] La protonotaire a regardé les six documents restants pour conclure qu’ils avaient tous été publiés après l’étude de la SGDN et la parution du rapport intitulé « Choisir une voie pour l’avenir ». Elle en a conclu que ces documents n’étaient pas pertinents quant à [traduction] « la question de la qualité ou du caractère approprié de la consultation déjà menée à terme ».

 

  • [20] Elle a clairement pris en compte le principe directeur dans l’application de l’article 312 des Règles, faisant observer que ces six documents créés après les deux « décisions » faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire [traduction] « n’aideraient guère la Cour ou ne l’aideraient pas du tout ». Les facteurs de la pertinence et de l’aide à apporter à la Cour sont des éléments à prendre en considération dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 312 des Règles .

 

  • [21] De mon examen de ses motifs, il ressort que la protonotaire connaissait ce critère et qu’elle l’a pris en considération et raisonnablement appliqué. Elle n’a commis aucune erreur justifiant un contrôle judiciaire.

 

  • [22] Contrairement à ce que font observer les demandeurs, la requête de production d’un affidavit complémentaire ne soulève pas une question de droit, du moins dans la présente affaire. En règle générale, les questions de droit sont contrôlables suivant la norme de la décision correcte; voir Ha c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 195 (C.A.F.). Un contrôle suivant la norme de la décision correcte est de la nature d’un contrôle de novo, d’où la possibilité pour moi de d’entendre la requête à nouveau. Toutefois, cette norme n’intervient pas dans la requête des demandeurs, et la question à considérer est de savoir si la protonotaire a dûment exercé son pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les principes juridiques et la jurisprudence applicables.

 

  • [23] Pour les motifs que j’ai exposés, je conclus qu’elle l’a fait.

 

  • [24] Comme les demandeurs n’ont pu démontrer que la protonotaire avait commis une erreur justifiant un contrôle en rejetant la requête en production d’un affidavit complémentaire, il s’ensuit que la demande d’ordonnance en vue d’une nouvelle comparution de la Dre Elizabeth Dowdeswell doit aussi être rejetée. On ne serait nullement fondé à prendre une telle ordonnance.

 

  • [25] En conclusion, je rejette l’appel des demandeurs et adjuge les dépens aux défendeurs. Si les parties ne peuvent s’entendre sur les coûts, de brèves observations tenant dans cinq (5) pages au plus pourront être présentées dans les délais suivants :

i) les observations des défendeurs devront être signifiées et déposées d’ici le 14 octobre 2010;

ii) les observations des demandeurs devront être signifiées et déposées d’ici le 21 octobre 2010;

iii) la réplique des défendeurs en trois (3) pages au plus devra être signifiée et déposée d’ici le 27 octobre 2010.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté et que les dépens soient adjugés aux défendeurs. Si les parties ne peuvent s’entendre sur les coûts, de brèves observations tenant dans cinq (5) pages au plus devront être présentées dans les délais suivants :

i)   les observations des défendeurs devront être signifiées et déposées d’ici le 14 octobre 2010;

ii)   les observations des demandeurs devront être signifiées et déposées d’ici le 21 octobre 2010;

iii)  la réplique des défendeurs en trois (3) pages au plus devra être signifiée et déposée d’ici le 27 octobre 2010.

 

 

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-1305-07

 

INTITULÉ :  CONSEIL DE MUSHKEGOWUK et STAN LOUTTIT c.

  PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DES RESSOURCES NATURELLES (L’HON. GARY LUNN, c.p., député) et SOCIÉTÉ DE GESTION DES DÉCHETS NUCLÉAIRES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 21 JUIN 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :  LE 24 SEPTEMBRE 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Murray Klippenstein

Kent Elson

 

POUR LES DEMANDEURS

Liz Tinker

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Patrick Moran

POUR LE DÉFENDEUR

SOCIÉTÉ DE GESTION DES DÉCHETS NUCLÉAIRES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Klippensteins

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DES RESSOURCES NATURELLES

 

Patrick Moran

Avocat général

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

SOCIÉTÉ DE GESTION DES DÉCHETS NUCLÉAIRES

 

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