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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20100914

Dossier : IMM-126-10

Référence : 2010 CF 908

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2010

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

RASHED AHMED

SADAF KHURSHEED

UZAIR AHMED AND

USUMA RASHED AHMED

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Le contexte

 

[1]               M. Rashed Ahmed (le demandeur principal), son épouse et leurs deux enfants mineurs (collectivement, les demandeurs) sont des citoyens du Bangladesh adeptes de la religion musulmane ahmadie. La famille est arrivée au Canada à titre de visiteurs en mai 2007 et a demandé l’asile en juin 2007 en raison de sa crainte de persécution fondée sur sa religion.

 

[2]               Dans une décision datée du 16 décembre 2009, un membre de la section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

 

[3]               Les principales conclusions de la Commission étaient les suivantes :

 

1.                  Sauf en ce qui a trait à l’évaluation des demandeurs de la situation du pays au Bangladesh, le demandeur principal était crédible.

 

2.                  Avant 2006, la Commission aurait conclu que les demandeurs étaient des réfugiés au sens de la Convention parce que, avant cette date, les Ahmadis étaient persécutés et n’obtenaient que très peu de protection de l’État.

 

3.                  La situation a changé au Bangladesh, de façon significative et efficace, de sorte que la situation générale des Ahmadis s’est grandement améliorée.

 

4.                  Comme les demandeurs n’ont pas subi au Bangladesh d’incidents si graves qu’ils constituaient une « persécution épouvantable » (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739 (C.A.)), leur situation ne relève pas de l’exception des « raisons impérieuses » du paragraphe 108(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. ch. 27 (LIPR).

 

5.                  Les demandeurs n’ont pas présenté une preuve claire et convaincante permettant de réfuter la présomption de la protection de l’État.

 

 

II.        Les questions en litige

[4]               Les demandeurs ne contestent pas la conclusion de la Commission au sujet du paragraphe 108(4). Cependant, les demandeurs contestent le reste de la décision de la Commission. Ils soutiennent que les questions à trancher en contrôle judiciaire sont les suivantes :

 

1.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il y avait eu un changement dans la situation du pays au Bangladesh tel que les demandeurs ne subiraient plus de persécution s’ils devaient y retourner :

 

a.                   en se fondant sur des renseignements périmés;

 

b.                  en rejetant de façon arbitraire et sans explication la preuve documentaire présentée après l’audience?

 

2.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le harcèlement et la discrimination que les demandeurs ont subis ne constituent pas de la persécution?

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que les conclusions de la Commission étaient déraisonnables, comme les demandeurs l’allèguent, et je rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

III.       Analyse

A.        Quelle est la norme de contrôle applicable?

[6]               Dans un contrôle judiciaire, il est important que la Cour examine la décision de la Commission en entier. En l’espèce, la Commission a conclu que : a) à partir de 2006, il y a eu un changement de situation au Bangladesh et b) ce changement de situation a entraîné l’établissement d’une protection de l’État adéquate pour les musulmans ahmadis.

 

[7]               La conclusion de la Commission au sujet du changement de situation est une conclusion de fait (voir, par exemple, Yusuf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n35 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 2). La conclusion sur la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit. Pour les deux questions, la Cour doit faire preuve de retenue envers la Commission et la décision doit être contrôlée en fonction de la norme de la décision raisonnable. Conformément à cette norme, la Cour ne doit pas intervenir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CFC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

B.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion portant sur le changement de situation?

 

[8]               Les demandeurs soulignent le fait que la preuve documentaire sur laquelle la Commission s’est fondée datait de 2009 et que la Commission a aussi examiné des documents qui dataient de périodes précédentes (après 2006). Selon les demandeurs, le changement de gouvernement et le changement correspondant dans la situation du Bangladesh n’ont eu lieu qu’après les élections démocratiques de décembre 2008.

 

[9]               Un des problèmes fondamentaux de l’argument des demandeurs est qu’il est fondé sur une compréhension erronée de la décision de la Commission. La Commission a examiné le changement dans la situation du pays de 2006 à 2009, et non à partir des élections qui ont eu lieu à la fin 2008, comme le soutiennent les demandeurs. Après avoir examiné la preuve dont elle était saisie, la Commission a mentionné des initiatives et des actions soutenues par le gouvernement qui ont débuté en 2006 et qui se sont poursuivies jusqu’en 2009. Les demandeurs semblent soutenir que la Commission ne peut pas tenir compte d’actions de 2006 à 2008, période pendant laquelle il y a eu un [traduction] « gouvernement transitoire soutenu par l’armée ». Je ne vois pas pourquoi. Sous la responsabilité de ce régime gouvernemental, des initiatives ont été mises en place qui ont contribué au changement de situation au Bangladesh. Après avoir décrit les changements qui ont eu lieu sous ce régime, la Commission a examiné si ces changements avaient été poursuivis par le gouvernement élu en 2008. La Commission a conclu que les changements se sont poursuivis, contribuant ainsi à sa conclusion selon laquelle les changements n’étaient ni temporaires, ni transitoires. Il s’agit d’une conclusion raisonnable compte tenu des faits dont la Commission était saisie.

 

[10]           Les seules questions restantes sont : a) l’effet de la preuve déposée par les demandeurs après l’audience et b) la question de savoir si la Commission a effectué une analyse prospective.

 

 

a)                  La preuve présentée après l’audience

[11]           Le Cartable national de documentation (CND) du 30 septembre 2009 pour le Bangladesh n’avait pas été divulgué aux demandeurs avant l’audience en octobre 2009. À la fin de l’audience, la Commission a donné aux demandeurs l’occasion de présenter des observations et des preuves après l’audience au sujet de la question du changement de situation et de la question de la protection de l’État. L’avocat des demandeurs à l’époque a déposé des observations d’une page et de nombreux articles portant sur la [traduction] « situation des musulmans ahmadis ainsi que la propagation de l’extrémisme en général ».

[12]           Lors de la présente audience, les demandeurs ont reconnu que la Commission n’avait pas omis de tenir compte de cette preuve, mais qu’elle avait agi de façon déraisonnable en rejetant la preuve présentée après l’audience par les demandeurs.

 

[13]           La Commission pouvait préférer certaines preuves à d’autres et, pourvu qu’elle expliquât ce choix, il ne pouvait y avoir aucune erreur (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL)).

 

[14]           Le fait qu’une partie (mais pas la totalité) de la preuve présentée après l’audience par les demandeurs est postérieure à la preuve documentaire dont la Commission était saisie ne signifie pas automatiquement que la Commission devait préférer la preuve présentée après l’audience par les demandeurs.

 

[15]           Après avoir examiné attentivement toute la preuve, y compris la preuve présentée après l’audience, je suis convaincue que la Commission n’a pas commis d’erreur dans son évaluation. À mon avis, la preuve présentée après l’audience par les demandeurs n’était pas fiable ou n’était pas pertinente quant aux questions dont la Commission était saisie. Cette preuve présentée après l’audience est déficiente pour de nombreuses raisons :

 

·                    Les rapports d’incidents isolés de violence ne permettent pas de réfuter la présomption de la protection de l’État. La question à laquelle les demandeurs auraient dû répondre était celle de savoir si l’État n’avait pas la capacité ou la volonté de répondre aux incidents de violence.

·                    En général, la preuve manquait de fiabilité. Le ton des articles ou le langage utilisé par les auteurs est extrême et suggère un manque d’objectivité. Rien ne permet de croire que les journaux ou les auteurs cités présentent généralement des nouvelles indépendantes et objectives.

·                    Une partie de la preuve est vieille. Par exemple, le mémoire de Meer Mobashersher Ali mentionne un incident d’avril 1987. Ce mémoire ne contient qu’une seule référence à septembre 2009, sans aucune observation à savoir si les incidents allégués ont été rapportés à la police. Un autre article (aussi de nature très générale) est daté du 28 décembre 2008 et semble être un blogue personnel.

·                    Une partie de la preuve est très générale. Par exemple, un article de Salah Uddin Shoaib Chouddhury est intitulé [traduction] « l’Asie du Sud, l’Islam Militant et Al Qaeda ». Je ne vois pas la pertinence de cet article.

·                    Deux des articles décrivent la même attaque sur une mosquée. Alors que l’article du 15 octobre 2009 écrit par [traduction] « un reporteur attaché au journal » déclare que [traduction] « le comportement des policiers était complètement ahurissant », un autre article, daté de septembre 2009, mentionne le fait que les policiers ont été postés dans la zone après l’attaque et que [traduction] « aucun autre incident n’a eu lieu ». La Commission a noté cette incohérence.

·                    Les articles de M. Belkin sont de nature générale et manquent de fiabilité. Les demandeurs n’ont pas tenté de présenter les titres de compétence pour M. Richard Belkin, dont les articles dataient du 4 janvier 2009 et du 4 octobre 2009 ont été inclus dans les documents présentés après l’audience. À la lecture de ces deux articles, il est clair que M. Belkin a une opinion forte et négative du gouvernement actuel.

 

[16]           En somme, la préférence de la Commission pour la preuve documentaire par rapport à la preuve présentée après l’audience est bien justifiée par le dossier.

 

b)         Analyse prospective

 

[17]           Les demandeurs soutiennent aussi que, bien que la Commission eût déclaré qu’elle devait faire une « analyse prospective », elle ne l’a pas fait. Les demandeurs soutiennent plutôt que l’analyse de la Commission s’arrête en août 2009 – la date du Country of Origin Information Report de l’agence frontalière du Royaume-Uni. Les demandeurs citent la mise en garde du juge Richard Mosley dans la décision Chowdhury c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 290, [2008] A.C.F. no 368 (QL) aux paragraphes 13 et 14 :

[…] Le changement survenu dans la situation politique du pays d’origine du demandeur d’asile n’est pertinent que s’il peut aider à trancher la question de savoir s’il existait ou non, à la date de l’audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur d’asile soit persécuté s’il retourne dans son pays d’origine.

 

Pour en arriver à cette décision, la commissaire de la SPR devait toutefois tenir compte de la durabilité du changement survenu dans la situation au pays d’origine et de la stabilité de la situation politique, avant de pouvoir conclure à une absence de risque. Agir autrement mettrait en danger les personnes qui fuient leur pays parce qu’elles y sont persécutées parce qu’elles se sont ralliées à l’un des deux antagonistes dans le cadre d’un conflit. Bien qu’elles puissent être en sécurité pendant la période au cours de laquelle leur groupe a la cote, la fragilité de cette sécurité est une question dont la SPR doit tenir compte avant de rendre sa décision. Or, la décision de la commissaire ne permet pas de croire qu’elle s’est penchée sur cette question dans le cas qui nous occupe.

 

[18]           Il est toujours difficile de prédire l’avenir. Cependant, je ne suis pas persuadée que la Commission n’a pas fait cette tentative. Après avoir examiné la durabilité du changement de situation entre 2006 et 2009, la Commission a conclu que le changement n’était « pas temporaire ou transitoire ». La Commission s’est ensuite tournée vers l’avenir et a observé qu’il n’y avait aucune preuve que le « gouvernement [qui assure la protection aux Ahmadis] […] est exposé à un risque imminent d’être renversé ou écarté ». Un examen du dossier certifié du Tribunal démontre qu’aucune preuve du contraire n’a été présentée. En l’espèce, la Commission n’a pas commis l’erreur décrite par le juge Mosley. En d’autres mots, la Commission s’est penchée sur les possibilités objectives que les demandeurs seraient persécutés à leur retour au Bangladesh et elle les a évaluées.

 

[19]           Je suis aussi convaincue que la conclusion de la Commission selon laquelle la protection de l’État est disponible pour les demandeurs à leur retour au Bangladesh n’était pas déraisonnable.

 

C.        La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que « le harcèlement et la discrimination ne constituent pas de la persécution »?

 

 

[20]           Au milieu du paragraphe 17 de sa décision, la Commission déclare que « le harcèlement et la discrimination ne constituent pas de la persécution ». Les demandeurs soutiennent que cette déclaration est fautive et qu’un tel traitement, en particulier dans le contexte des droits religieux, peut être de la persécution.

 

[21]           À mon avis, les demandeurs ont sorti cette déclaration de son contexte. La phrase se trouve dans un paragraphe dans une section des motifs qui traite du changement de situation que vivent les musulmans ahmadis depuis l’époque où les demandeurs habitaient au Bangladesh et, plus tard, où ils y ont été en voyage. Il aurait été préférable que la Commission étoffe cette déclaration pour qu’elle soit plutôt « le harcèlement et la discrimination ne constituent pas toujours de la persécution ». Cependant, compte tenu du contexte de cette partie de la décision, je ne suis pas convaincue que la Commission a commis une erreur.

 

IV.       Conclusion

[22]           Pour ces motifs, je suis convaincue que la décision relève des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47) et je rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

[23]           Je souhaite féliciter les deux avocats dans cette demande. En particulier, l’avocat des demandeurs qui a effectué la plaidoirie en l’espèce – mais qui ne s’est pas présenté à la Commission ou au moment de demander l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire. Il a représenté ses clients de façon vigoureuse, professionnelle et capable.

 

[24]           Ni l’une, ni l’autre partie n’a proposé de questions pour la certification.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-126-10

 

INTITULÉ :                                       AHMED et al. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 SEPTEMBRE 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 14 SEPTEMBRE 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert I. Blanshay

 

POUR LES DEMANDEURS

Neeta Logsetty

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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