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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100930

Dossier : T-1772-09

Référence : 2010 CF 977

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 30 septembre 2010

En présence de madame la juge Heneghan

 

ENTRE :

KARMJIT MASIH

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) interjette appel de l’ordonnance du 24 août 2010 par laquelle la protonotaire Milczynski a rejeté la requête introduite par le ministre pour faire rejeter la présente demande de contrôle judiciaire déposée par Mme Karmjit Masih (la demanderesse). Selon le ministre, comme la présente demande de contrôle judiciaire concerne une question relevant des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), la demanderesse devait présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Or, elle ne l’a pas fait.

[2]               Les faits exposés ci-après sont tirés du dossier de requête déposé par le ministre le 2 septembre 2010, et de la réponse à ce dossier déposée le 3 septembre 2010 par la demanderesse. Le dossier du ministre comprend deux affidavits d’Helen Medeiros, assistante juridique d’avocats du ministre.

 

[3]               Le 27 octobre 2009, la demanderesse a déposé l’avis de demande qui a fait s’engager l’instance T-1772-09. Dans cet avis de demande, la demanderesse disait solliciter de la Cour qu’elle [traduction] « rende des ordonnances en vue du traitement de sa demande de résidence permanente d’avril 2007 depuis longtemps en suspens ». La demanderesse a déclaré qu’elle avait soumis une demande de résidence permanente en avril 2007, et que cette demande était toujours en suspens et n’avait jamais fait l’objet d’une décision. Elle a dit avoir attendu [traduction] « assez longtemps, soit depuis deux ans et demi ».

 

[4]               Des avocats du ministre ont transmis à la demanderesse une lettre datée du 2 novembre 2009, qui faisait état de ce qui suit :

[traduction]

Je vous écris en raison du fait que la demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire en application de l’article 300 des Règles des Cours fédérales. Le défendeur désire informer la Cour que, comme la demanderesse sollicite la délivrance d’un mandamus à l'égard d’une demande pour CH non tranchée, la procédure appropriée consisterait à déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi).

 

Je demande par conséquent à la Cour de donner ses instructions sur cette question.

 

Je vous prie de bien vouloir communiquer avec moi si vous souhaitez poser des questions à ce sujet, ou si je puis autrement vous être utile.

 

[5]               Par instruction datée du 17 novembre 2009, la protonotaire a enjoint au ministre de procéder par voie d’avis de requête quant à l’objet de la lettre du 2 novembre 2009.

 

[6]               Il semble qu’aucune autre mesure n’a été prise dans cette affaire et, le 26 mai 2010, un avis d’examen de l’état de l’instance a été délivré conformément aux dispositions des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

 

[7]               Tant le ministre que la demanderesse ont présenté des observations en réponse à l’avis d’examen de l’état de l’instance. La demanderesse a déposé ses observations le 31 mai 2010. Déclarant que le ministre avait fait « défaut » de respecter l’instruction du 17 novembre 2009 de la Cour, elle a demandé que sa demande ne soit pas rejetée [traduction] « en raison du défaut des défendeurs ».

 

[8]               La protonotaire Milczynski a procédé à l’examen de l’état de l’instance dans la présente  affaire le 29 juin 2010 et, le même jour, elle a rendu une ordonnance où elle déclarait ce qui suit :

[traduction]

La Cour a donné comme instruction le 17 novembre 2009 que toute réparation souhaitée par le défendeur soit sollicitée par voie de requête.

 

Le défendeur n’a présenté aucune requête et la demanderesse n’a pris aucune mesure pour faire progresser la demande. Dans ses observations dans le cadre du présent examen de l’état de l’instance, le défendeur répète l’essentiel de ses motifs d’opposition à la demande et déclare qu’il n’avait aucunement l’obligation de présenter une requête. Il déclare que c’était à la demanderesse qu’il incombait de faire progresser sa demande, et que celle-ci devrait maintenant être rejetée parce que prescrite. Il semble toutefois que la demanderesse, d’après ses observations dans le cadre du présent examen de l’état de l’instance, ne comprend pas les exigences prévues dans les Règles et la manière dont elle devrait procéder. La demanderesse croit que le défendeur a manqué à son obligation de présenter une requête et sollicite de la Cour la délivrance d’une ordonnance de mandamus.

 

Je ne suis pas convaincue, dans les circonstances, que justice serait rendue et qu’il y aurait apparence de justice, si la demande devait être rejetée sommairement pour prescription dans le cadre du présent examen de l’état de l’instance.

 

[9]               La protonotaire a ensuite ordonné ce qui suit :

[traduction]

a.       La présente demande continuera d’être instruite à titre d’instance à gestion spéciale et est renvoyée au bureau du juge en chef en vue de la désignation d’un juge chargé de la gestion de l’instance.

 

b.      Le défendeur peut, dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance, signifier et déposer une requête en lien avec la demande en cause, y compris un dossier de requête renfermant un affidavit – à défaut, les parties, dans les 20 jours suivant la date d’expiration du délai prévu pour le dépôt par le défendeur, soumettront ensemble un projet de calendrier quant aux étapes restantes de la présente instance. Si les parties ne peuvent s’entendre sur un calendrier, chacune d’elles présentera un projet de calendrier distinct dans le délai de 20 jours prévu aux présentes.

 

[10]           Par ordonnance datée du 9 juillet 2010, le juge en chef de la Cour a désigné la protonotaire Milczynski comme juge chargée de la gestion de l’instance dans le présent dossier.

 

[11]           Le 28 juillet 2010, les avocats du ministre ont déposé un avis de requête, par lequel ils demandaient que soit délivrée une ordonnance rejetant la présente instance au motif que la demande constituait [traduction] « une voie inappropriée pour l’obtention de la réparation sollicitée par la demanderesse ». En d’autres mots, le ministre s’est opposé à la manière dont la demanderesse avait introduit la présente instance devant la Cour.

 

[12]           La demanderesse n’a pas déposé d’arguments en réponse à la requête du ministre. La protonotaire Milczynski a rejeté la requête par ordonnance datée du 24 août 2010; elle a notamment déclaré ce qui suit :

[traduction]

Je n’estime donc pas que la demanderesse, comme le prétend le défendeur, a suivi une procédure inappropriée. Hormis l’affirmation pure et simple figurant dans ses observations écrites, le défendeur n’a rien fait qui puisse aider la Cour à conclure que la demande n’était pas appropriée et à rendre une ordonnance rejetant celle-ci. Si la demande qui nous occupe n’est pas entièrement appropriée, elle ne l’est assurément pas au point d’être privée de toute chance de succès.

 

La requête sera par conséquent rejetée. Je rappelle, à titre additionnel, que l’ordonnance rendue à l’issue de l’examen de l’état de l’instance, le 29 juin 2010, enjoignait aux parties de soumettre ensemble un projet de calendrier quant aux étapes restantes de la présente instance, sous réserve du dépôt d'une requête et de son issue; les parties devront plutôt déposer leur ou leurs projets de calendrier de la manière prévue ci-dessous.

 

[13]           La protonotaire a rendu l’ordonnance qui suit :

[traduction]

a.       La requête est rejetée.

 

b.      Les parties, dans les 20 jours de la date de la présente ordonnance, soumettront des projets de calendrier communs ou distincts quant aux étapes restantes de la présente instance, consistant notamment à signifier et à déposer des affidavits, à terminer les contre-interrogatoires et à signifier et à déposer la demande d’audience.

 

 

[14]           Le 2 septembre 2010, le ministre a interjeté appel de cette ordonnance de la protonotaire Milczynski. La date de la tenue de l’audience relative à la requête a été fixée au 13 septembre 2010.

 

[15]           Le 13 septembre 2010, l’avocat du ministre et la demanderesse ont comparu devant la Cour. La demanderesse était accompagnée de son fils. L’avocat du ministre a fait valoir que l’ordonnance de la protonotaire était erronée et devait être annulée. La Cour a autorisé le fils de la demanderesse à s’exprimer au nom de sa mère. Pour s’assurer que la demanderesse comprenne bien la nature de l’audience ainsi que la jurisprudence produite par l’avocat du ministre, et pour permettre à la demanderesse de revenir devant la Cour accompagnée, à ses frais, d’un interprète punjabi, la Cour a reporté au mardi 21 septembre la date de l’instruction de l’appel.

 

[16]           Le 21 septembre, l’instruction de l’appel a repris. La demanderesse était accompagnée ce jour-là de son fils et d’un interprète punjabi,  M. Ashok Kumar. L’interprète a été dûment assermenté pour traduire pour la demanderesse toutes les observations présentées.

 

[17]           L’avocat du ministre a fait valoir pourquoi selon lui la procédure utilisée par la demanderesse pour présenter une demande de délivrance de mandamus était inappropriée, et pourquoi cette demande devrait être rejetée.

 

[18]           On a aussi accordé l’occasion à la demanderesse de s’exprimer, et au fils de cette dernière de s’adresser à la Cour au nom de sa mère.

 

[19]           Ni la demanderesse ni son fils n’ont émis le moindre commentaire sur la jurisprudence soumise par l’avocat du ministre. Copie des décisions en cause, soit Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n° 1309 (le protonotaire Lafrenière), et Wong c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (2007), 64 Imm. L.R. (3d) 153 (le juge Gibson), a été remise à Mme Masih et à la Cour le 13 septembre 2010, le premier jour de la présente audience.

 

[20]           Ces deux décisions avaient trait à la même situation que celle dont la Cour est ici saisie.

 

[21]           Cette situation consiste à savoir si la demanderesse, Mme Masih, peut, sans autorisation, présenter une demande de contrôle judiciaire et de délivrance de mandamus à l'égard de sa demande de résidence permanente au Canada.

 

[22]           La première question sur laquelle il faut se pencher est celle de la norme de contrôle. Dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a énoncé, comme suit, le critère applicable :

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : 

 

a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal,

 

b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

 

 

[23]           En l’espèce, c’est l'audience de novo qui s’applique comme norme de contrôle de l’ordonnance de la protonotaire, étant donné que celle-ci concerne une requête visant à faire trancher définitivement, par la radiation, la demande de mandamus sous-jacente. Autrement dit, la Cour va examiner la requête du ministre en radiation comme si cette requête était instruite pour la première fois.

 

[24]           L’argumentation du ministre est fort simple : Mme Masih aurait dû recourir à une demande d’autorisation, en application de la Loi, pour présenter sa demande de mandamus. Le ministre fait valoir à cette fin le paragraphe 72(1), reproduit ci-après, de la Loi :

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

[25]           Il ne fait aucun doute que la demande de résidence permanente au Canada de Mme Masih constitue une « mesure » qui relève des dispositions de la Loi. Il ne fait aucun doute non plus que tout effort consenti par Mme Masih, par voie judiciaire, pour inciter le ministre à rendre une décision à l’égard de sa demande de résidence permanente constitue lui aussi une « mesure » visée au paragraphe 72(1). Il s’ensuit donc que la procédure qu’il convient à Mme Masih de suivre est de déposer auprès de la Cour une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[26]           Mme Masih n’a pas déposé une telle demande. Elle a uniquement déposé une demande de contrôle judiciaire en application des dispositions générales de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. Or la Loi lui imposait de suivre les procédures particulières énoncées dans celle-ci, et non les dispositions générales de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[27]           Dans la présente requête en radiation de la demande de mandamus déposée le 27 octobre 2009 par Mme Masih, le ministre ne demande pas à la Cour la radiation de la demande de résidence permanente. Le ministre ne vise pas, non plus, par le présent appel à faire radier la demande de résidence permanente de Mme Masih. Ce à quoi le ministre s’oppose, c’est à la procédure suivie par Mme Masih à ce jour.

 

[28]           J’estime que la protonotaire a commis une erreur en refusant d’annuler la présente demande de contrôle judiciaire. La demande de mandamus est inappropriée sur le plan procédural, et on ne peut y donner suite.

 

[29]           Mme Masih est libre de présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire conformément à la procédure énoncée au paragraphe 72(1) de la Loi. Bien sûr, sa demande de résidence permanente demeure valable et n’est pas touchée par la présente ordonnance.

 

[30]           Le ministre n’a pas réclamé de dépens, et aucuns dépens ne seront adjugés.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE, à l'issue du présent appel, que l’ordonnance du 24 août 2010 de la protonotaire Milczynski est annulée, que la requête du ministre en radiation de la demande sous-jacente de contrôle judiciaire est accueillie et que la demande sous-jacente de contrôle judiciaire est annulée, sans autorisation de modification; aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1772-09

 

INTITULÉ :                                       KARMJIT MASIH c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 21 SEPTEMBRE 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE HENEGHAN

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 30 SEPTEMBRE 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karmjit Masih

 

POUR LA DEMANDERESSE

(pour son propre compte)

 

Asha Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S/O

 

POUR LA DEMANDERESSE

(pour son propre compte)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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