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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101004

Dossier : IMM-3254-09

Référence : 2010 CF 987

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2010

En présence de Monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

MALIHA ADIL

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), du rejet par un agent des visas (l’agent), daté du 27 mars 2009 (la décision), de la demande de visa de résident permanent présentée par la demanderesse au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières.

 

 

LE CONTEXTE

 

[1]               La demanderesse, Maliha Adil, est une citoyenne afghane. En janvier 2008, la demanderesse, accompagnée par son mari et ses cinq enfants, a quitté l’Afghanistan et franchi la frontière du Tadjikistan, où ils résident à l’heure actuelle. D’après la demanderesse, ils ont fui l’Afghanistan pour protéger leur fille d’un seigneur de guerre local, Razul, qui, à partir d’octobre 2007, avait menacé à plusieurs reprises d’enlever et d’épouser de force leur fille aînée. Leur fille avait 13 ans; Razul avait 43 ans; il était marié et avait des enfants. La demanderesse a expliqué à l’agent qu’elle et son mari avaient consulté la police locale qui leur avait dit que Razul possédait argent et pouvoir et que les services policiers ne pouvaient donc rien faire pour eux.

 

[2]               La demanderesse a demandé un visa de résident permanent à titre de membre soit de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire. L’agent a fait passer une entrevue à la demanderesse et à son mari au Tadjikistan le 23 mars 2009. Avant l’entrevue, la demanderesse a remis pour examen des photocopies de documents, y compris des diplômes, comme preuve de leurs antécédents scolaires et professionnels. Ils ont apporté à l’entrevue les documents originaux ainsi qu’un enregistrement vidéo qui a été identifié par le neveu et parrain de la demanderesse, dans son affidavit daté du 5 juillet 2010, comme un enregistrement de la cérémonie au cours de laquelle le mari de la demanderesse a reçu son diplôme de pharmacien de l’institut médical de premier cycle de Balkh.

 

[3]               La demande a été rejetée à l’entrevue. L’agent a mis de l’avant les motifs suivants : les réponses fournies par la demanderesse et son mari étaient vagues et manquaient de crédibilité; un expert avait identifié comme étant des faux les diplômes montrant le niveau d’instruction de la demanderesse et de son mari; la demanderesse n’appartenait ni à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ni à celle des personnes protégées à titre humanitaire.

 

[4]               Le 25 juin 2009, la demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision négative de l’agent. L’autorisation a été accordée le 7 juin 2010.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[5]               Dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration, ou les notes du STIDI, l’agent mentionne les deux principales préoccupations que soulevait à son avis la demande. Premièrement, les diplômes présentés à titre de preuve de l’éducation de la demanderesse et de celle de son mari ont été jugés être des faux par un spécialiste. Deuxièmement, au cours de l’entrevue, un bon nombre des réponses fournies par la demanderesse ainsi que par son mari étaient [traduction] « très vagues », en particulier en ce qui concernait leur éducation et leurs antécédents professionnels. L’agent a conclu, en raison de ces préoccupations, que la demanderesse et son mari n’avaient pas répondu de façon sincère à toutes les questions et que, par conséquent, la demanderesse ne répondait pas à la définition de réfugié.

 

[6]               Dans la lettre datée du 27 mars 2009, qu’il a envoyée à la demanderesse, l’agent explique ses motifs. D’après son évaluation des déclarations de la demanderesse à l’entrevue, il a conclu qu’elle ne risquait pas d’être persécutée en Afghanistan. C’est pourquoi elle ne répondait pas aux conditions de l’article 96 de la Loi, ni à celles de l’alinéa 139(1)e) et des articles 145 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[7]               La demanderesse a formellement soulevé les questions suivantes :

1.                  L’agent a-t-il commis une erreur de droit et de fait en tirant des conclusions de fait erronées ou en interprétant mal le droit?

2.                  L’agent a-t-il omis de respecter un principe de justice naturelle, d’équité procédurale ou autre procédure qu’il était tenu de respecter, ou a-t-il agi de façon abusive ou arbitraire en fondant sa décision sur des considérations non pertinentes ou étrangères et en rejetant ensuite la demande parce qu’elle ne répondait pas aux critères de la Loi?

3.                  L’agent a-t-il omis de respecter un principe de justice naturelle, d’équité procédurale ou une autre procédure qu’il était tenu légalement de respecter en omettant de prendre en considération des preuves pertinentes, des faits se rapportant au dossier de la demanderesse et les documents mis à la disposition du public lorsqu’il a rendu sa décision?

 

[8]               Dans ses arguments, la demanderesse soulève également les questions précises suivantes :

1.                  l’agent a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas une personne à protéger aux termes de la Loi?

2.                  l’agent a-t-il omis de fournir à la demanderesse la possibilité d’établir l’authenticité de ses documents concernant son éducation et ses antécédents professionnels?

3.                  l’agent a-t-il commis une erreur en concluant que les documents concernant l’éducation et les antécédents professionnels de la demanderesse n’étaient pas crédibles?

4.                  l’interprétation fournie au cours de l’entrevue était-elle fidèle?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[9]               Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

[10]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 sont également applicables à la présente instance :

 

139. (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

a) l’étranger se trouve hors du Canada;

 

b) il a présenté une demande conformément à l’article 150;

 

 

c) il cherche à entrer au Canada pour s’y établir en permanence;

 

 

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

 

(i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

 

(ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays;

 

e) il fait partie d’une catégorie établie dans la présente section;

 

 

[…]

 

145. Est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

 

[…]

 

147. Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

 

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

 

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

 

148. (1) Appartient à la catégorie de personnes de pays source l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

 

a) d’une part, il réside dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il a sa résidence habituelle, lequel est un pays source au sens du paragraphe (2) au moment de la présentation de la demande de visa de résident permanent ainsi qu’au moment de la délivrance du visa;

 

b) d’autre part, selon le cas :

 

(i) une guerre civile ou un conflit armé dans ce pays ont des conséquences graves et personnelles pour lui,

 

(ii) il est détenu ou emprisonné dans ce pays, ou l’a été, que ce soit ou non au titre d’un acte d’accusation, ou il y fait ou y a fait périodiquement l’objet de quelque autre forme de répression pénale, en raison d’actes commis hors du Canada qui seraient considérés, au Canada, comme une expression légitime de la liberté de pensée ou comme l’exercice légitime de libertés publiques relatives à des activités syndicales ou à la dissidence,

 

(iii) craignant avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe social particulier, il ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité ou de celui où il a sa résidence habituelle.

 

(2) Est un pays source celui qui répond aux critères suivants :

 

a) une guerre civile, un conflit armé ou le non-respect des droits fondamentaux de la personne font en sorte que les personnes qui s’y trouvent sont dans une situation assimilable à celle de réfugiés au sens de la Convention;

 

b) un agent y travaille ou s’y rend régulièrement dans le cadre de son travail et est en mesure de traiter les demandes de visa sans compromettre sa sécurité, celle des demandeurs ni celle du personnel de l’ambassade du Canada;

 

c) les circonstances justifient une intervention d’ordre humanitaire de la part du ministère pour mettre en œuvre les stratégies humanitaires globales du gouvernement canadien, intervention qui est en accord avec le travail accompli par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés;

 

d) il figure à l’annexe 2.

 

139. (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

 

(a) the foreign national is outside Canada;

 

(b) the foreign national has submitted an application in accordance with section 150;

 

(c) the foreign national is seeking to come to Canada to establish permanent residence;

 

(d) the foreign national is a person in respect of whom there is no reasonable prospect, within a reasonable period, of a durable solution in a country other than Canada, namely

 

(i) voluntary repatriation or resettlement in their country of nationality or habitual residence, or

 

 

(ii) resettlement or an offer of resettlement in another country;

 

(e) the foreign national is a member of one of the classes prescribed by this Division;

 

[…]

 

145. A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

 

 

 

[…]

 

147. A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

 

 

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

 

 

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

 

 

148. (1) A foreign national is a member of the source country class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

 

 

(a) they are residing in their country of nationality or habitual residence and that country is a source country within the meaning of subsection (2) at the time their permanent resident visa application is made as well as at the time a visa is issued; and

 

 

 

(b) they

 

(i) are being seriously and personally affected by civil war or armed conflict in that country,

 

(ii) have been or are being detained or imprisoned with or without charges, or subjected to some other form of penal control, as a direct result of an act committed outside Canada that would, in Canada, be a legitimate expression of freedom of thought or a legitimate exercise of civil rights pertaining to dissent or trade union activity, or

 

 

 

 

 

 

 

(iii) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, political opinion or membership in a particular social group, are unable or, by reason of such fear, unwilling to avail themself of the protection of any of their countries of nationality or habitual residence.

 

 

 

(2) A source country is a country

 

 

(a) where persons are in refugee-like situations as a result of civil war or armed conflict or because their fundamental human rights are not respected;

 

 

 

 

(b) where an officer works or makes routine working visits and is able to process visa applications without endangering their own safety, the safety of applicants or the safety of Canadian embassy staff;

 

 

(c) where circumstances warrant humanitarian intervention by the Department in order to implement the overall humanitarian strategies of the Government of Canada, that intervention being in keeping with the work of the United Nations High Commissioner for Refugees; and

 

 

 

(d) that is set out in Schedule 2.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[11]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a jugé que l’analyse relative à la norme de contrôle n’est pas nécessaire dans tous les cas. En fait, lorsqu’il est bien établi selon la jurisprudence qu’une norme de contrôle particulière est applicable à la question soumise à la Cour, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette recherche est vaine que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs sur lesquels porte l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[12]           La question de savoir si l’agent a commis une erreur lorsqu’il a déterminé si la demanderesse était une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi porte sur celle de savoir si l’agent a appliqué de façon appropriée le critère juridique aux faits dont il disposait. Il s’agit là d’une question mixte de fait et de droit qui doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité. Voir Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 164.

 

[13]           La question de savoir si l’agent a commis une erreur dans l’appréciation des preuves dont il disposait est une question de fait. Par conséquent, elle doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité. Voir Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 64.

 

[14]           La question de savoir si l’agent a fondé sa décision sur des considérations non pertinentes peut être examinée selon la norme de la raisonnabilité. Voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 53 (QL); Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 14.

 

[15]           Lorsque le tribunal examine une décision selon la norme de la raisonnabilité, le caractère raisonnable sur lequel porte l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 47. Formulé différemment, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable dans le sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[16]           La norme de la décision correcte est la norme applicable à l’examen des questions touchant l’équité procédurale et la justice naturelle. Voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 46, et Dunsmuir, ci-dessus, aux paragraphes 126 et 129. La décision correcte est donc la norme appropriée pour déterminer si l’agent a violé l’équité procédurale : a) en ne fournissant pas des services d’interprète appropriés et b) en privant la demanderesse de la possibilité de répondre à ses préoccupations.

 

LES ARGUMENTS

            La demanderesse

                        L’agent n’a pas fait état de préoccupations touchant la crédibilité au sujet de la crainte de persécution

 

[17]           La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur de fait et de droit parce qu’il a fondé sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’était ni membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ni membre de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire sur l’authenticité des diplômes universitaires et sur des préoccupations touchant la crédibilité concernant l’éducation et les antécédents professionnels de la demanderesse et de son mari et non pas, comme il aurait dû, sur l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle craignait d’être persécutée en Afghanistan.

 

[18]           La lettre contenant la décision de l’agent énonce : [traduction] « D’après ce que vous m’avez dit pendant l’entrevue, vous ne risquez pas d’être persécutée en Afghanistan. » Étant donné que la demanderesse a affirmé craindre d’être persécutée, l’équité procédurale et les principes de la justice fondamentale exigeaient qu’elle sache dans quelle mesure l’agent donnait foi à son témoignage. Les notes du STIDI ne contiennent toutefois aucun élément indiquant que l’agent lui a mentionné ses préoccupations touchant sa crédibilité. Voir Sadeora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 430.

 

Considération no 1 : Authenticité des documents

            L’authenticité n’est pas pertinente

 

[19]           Le premier facteur sur lequel l’agent a fondé sa conclusion négative est sa croyance selon laquelle les documents présentés par la demanderesse et son mari pour établir leur niveau d’instruction étaient des faux. Dans Ngongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1627 (C.F.) (QL), la juge Tremblay-Lamer a déclaré que l’authenticité d’un document n’était pas pertinente quant à la question de savoir si le demandeur serait en danger s’il retournait dans son pays. Voir également Muhazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1392. Dans ces circonstances, l’agent est néanmoins tenu de déterminer si le demandeur craignait d’être persécuté. Les doutes que l’agent peut entretenir au sujet de la crédibilité des documents du demandeur ne peuvent le libérer de cette obligation. Voir Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. 444 (C.A.F.) (QL).

 

Absence de possibilité de répondre aux préoccupations concernant les documents

 

[20]           L’équité procédurale et les principes de la justice fondamentale exigeaient que l’agent informe la demanderesse des préoccupations au sujet de la crédibilité qu’il entretenait à l’égard de l’authenticité des documents et qu’il lui donne l’occasion de répondre à ces préoccupations. Voir Sharma c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 55 N.R. 71 (C.A.F.). La plupart des documents avaient été délivrés par des sources indépendantes qui auraient appuyé les affirmations de la demanderesse. L’agent n’a toutefois exprimé ses préoccupations qu’à la fin de l’entrevue et a refusé d’examiner les originaux. Il a ainsi écarté des preuves pertinentes.

 

                        L’agent aurait dû examiner les originaux

 

[21]           Les documents que l’expert a qualifiés de faux étaient en fait des photocopies des originaux. La demanderesse avait amené les originaux avec elle à l’entrevue et elle a proposé de les remettre à l’agent pour ainsi dissiper les préoccupations que celui-ci entretenait au sujet de leur authenticité. L’agent a refusé de les examiner, alors qu’il avait expliqué à la demanderesse et à son mari qu’ils auraient l’occasion de répondre à ses préoccupations en matière de crédibilité. En outre, il n’a pas expliqué pourquoi l’examen des originaux n’aurait pu dissiper ses préoccupations.

 

[22]           En refusant d’examiner les originaux, l’agent a écarté des preuves qui se rapportaient à la crédibilité de la demanderesse. Voir (Saddo c. Canada (Commission d’appel de l’immigration) (1981), 126 D.L.R. (3d) 764 (C.A.F.)). Dans Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106, la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 12 que « le défaut de prendre une preuve substantielle en considération a été diversement qualifié par cette Cour dans le cadre de litiges où elle a accueilli des demandes fondées sur l’article 28. »

 

[23]           La conclusion erronée de l’agent selon laquelle les documents étaient des faux a été suffisamment préjudiciable pour influer sur son appréciation de tous les autres facteurs concernant la crainte de persécution de la demanderesse. Voir Sicaja-Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1020 (C.F.) (QL).

 

Considération no 2 : Crédibilité de l’éducation et des antécédents professionnels

 

[24]           Le deuxième facteur sur lequel l’agent a fondé ses conclusions négatives est sa croyance selon laquelle la demanderesse et son mari ont fourni des réponses vagues aux questions portant sur leur éducation et leurs antécédents professionnels.

 

Absence d’élément indiquant que la demanderesse a menti au sujet de son éducation et de ses antécédents professionnels

 

[25]           L’agent a mentionné dans les notes du STIDI et dans sa décision que la demanderesse et son mari avaient menti au sujet de leur éducation et de leurs antécédents professionnels. Cette conclusion se fondait sur une déduction, et non pas sur des preuves, et comme le juge Barnes l’a fait remarquer dans Sadeora, ci-dessus, au paragraphe 14, une telle conclusion peut entraîner un « risque » et être plus susceptible d’être révisée qu’une décision d’incrédibilité qui résulte de contradictions dans le témoignage. La réponse qu’a fournie le mari à la question de savoir comment il avait pu étudier pendant deux ans sans travailler, tel qu’elle figure dans les notes du STIDI, montre qu’il a mal compris la question. Le mari parle dari et un peu d’anglais. Les interprètes n’étaient pas originaires de l’Afghanistan, et la question n’a pas été reformulée.

 

[26]           Dans son affidavit, l’agent réitère que la demanderesse n’était pas crédible, mais cette affirmation ne repose sur aucune preuve. Par exemple, l’agent tient pour acquis que la demanderesse et son mari n’avaient pas les moyens de faire des études supérieures, parce qu’ils étaient issus de familles paysannes. Il a tiré cette conclusion malgré leurs affirmations selon lesquelles ils avaient terminé leurs études et malgré leurs explications sur les raisons pour lesquelles ils avaient eu les moyens de faire de telles études. De la même façon, l’agent ne disposait d’aucune preuve indiquant que l’explication fournie par la demanderesse et son mari sur les raisons pour lesquelles le mari avait été exempté du service militaire (à savoir que celui-ci avait choisi d’occuper un poste d’enseignant pendant six ans) étaient inexactes. Il a néanmoins conclu que c’était le cas.

 

[27]           Sur ce point, la demanderesse demande l’autorisation de présenter en preuve une lettre émanant du Consulat général de l’Afghanistan de Toronto. Cette lettre atteste qu’avant la révolution de 1978, l’Afghanistan avait adopté comme politique d’exempter du service militaire les hommes ayant une 12e année de scolarité et qui étaient prêts à occuper un poste d’enseignant pendant six ans. Il n’est toutefois pas certain que cette politique ait encore été en vigueur au moment où le mari de la demanderesse a affirmé avoir demandé à en bénéficier.

 

[28]           Selon la jurisprudence, la demanderesse a le droit d’être évaluée en fonction des faits particuliers de son dossier. Voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 821. En outre, en l’absence de preuve contraire, l’agent est tenu de croire le témoignage de la demanderesse. Voir Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.), au paragraphe 5.

 

L’agent a écarté les preuves appuyant les affirmations

 

[29]           L’agent aurait dû prendre connaissance d’office du fait que l’éducation est gratuite en Afghanistan. Le dossier de la demanderesse comprend une mention du site Web de la Bibliothèque du Congrès intitulée « Library of Congress Country Studies : Afghanistan : Education » ([traduction] Étude de pays de la Bibliothèque du Congrès : Afghanistan : Éducation). On peut y lire : [traduction] « En 1935, l’éducation a été déclarée universelle, obligatoire et gratuite ».

 

[30]           En outre, l’agent a écarté l’explication fournie par la demanderesse selon laquelle elle avait travaillé pour subvenir aux besoins de sa famille de façon à ce que son mari puisse poursuivre ses études.

 

                        Inexactitudes de l’interprétation

 

[31]           La demanderesse affirme également que l’imprécision de certaines réponses fournies par son mari n’indique pas que celui-ci avait l’intention de tromper l’agent, mais plutôt que l’interprète avait mal traduit ses paroles. Par exemple, dans les notes du STIDI, le mari déclare : [traduction] « Après avoir obtenu un diplôme ces deux années-là, ma femme a également étudié à l’institut comme puéricultrice. » Cette phrase n’a pas de sens, en particulier compte tenu du fait que le mari avait déjà déclaré à l’agent que sa femme était infirmière au moment où il a passé son examen d’entrée.

 

ARGUMENTS

            Le défendeur

                        Absence de question à débattre

 

[32]           Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas démontré l’existence d’une question de droit à débattre susceptible d’entraîner une issue favorable à sa demande de contrôle judiciaire. L’agent a correctement évalué la demande de la demanderesse. La demanderesse et son mari ont manifestement eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent au sujet de l’authenticité de leurs diplômes; la demanderesse n’a tout simplement pas réussi à dissiper les préoccupations de l’agent. Il était loisible à l’agent d’examiner les explications offertes et de décider si elles étaient raisonnables dans les circonstances. C’est ce qu’a fait l’agent dans la présente affaire.

 

Réponse de la demanderesse et autre mémoire

                        Il convient de n’attribuer aucune force probante, ou une force probante très faible, à l’affidavit de l’agent.

 

[33]           L’affidavit de l’agent soulève des questions et fournit des explications qui ne se retrouvent pas dans la décision ni dans les notes du STIDI. Voir Abdullah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1185. Par exemple, l’agent explique dans son affidavit qu’il a refusé la demande parce que la demanderesse n’était pas persécutée à titre de membre d’une minorité ou d’un groupe en danger et qu’elle n’avait pas subi de violations massives des droits de la personne en conséquence directe de la guerre civile en Afghanistan. En fait, [traduction] « son argument repose uniquement sur la demande qu’a faite ce commandant au sujet de sa fille. » La décision et les notes du STIDI ne mentionnent aucunement cette explication du rejet de la demande. De la même façon, dans son affidavit, l’agent affirme qu’il a estimé que les allégations de la demanderesse concernant Razul n’étaient pas crédibles, alors que cette conclusion ne figure pas dans les notes du STIDI ni dans les décisions.

 

[34]           Cette position est établie par la jurisprudence. Dans Kalra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CarswellNat 2333, le juge Martineau a déclaré au paragraphe 15 :

À mon avis, les notes du STIDI peuvent constituer les motifs de la décision de l’agente des visas, mais pas l’affidavit. L’affidavit ne devrait être considéré que comme un moyen de produire en preuve les notes du STIDI et de donner plus de détails sur les renseignements qui se trouvaient dans les notes du STIDI, mais non comme une explication tardive de la décision. L’affidavit est habituellement déposé aux fins du contrôle judiciaire et il est déposé de nombreux mois ou même un an après la décision. Il est habituellement basé sur les notes du STIDI, lesquelles devraient refléter le raisonnement suivi par l’agent des visas pour rejeter ou accueillir la demande. Comme cela a été souligné dans la décision Idedevbo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 175, [2003] A.C.F. n255, si l’affidavit de l’agent des visas ne s’accorde pas avec les notes du STIDI, ces dernières devraient être considérées comme plus précises vu qu’elles ont été consignées après l’examen du dossier et qu’elles étaient plus contemporaines des événements que le premier. En l’espèce, si je compare les notes du STIDI et l’affidavit de l’agente des visas, il est évident que le dernier incorpore beaucoup plus de renseignements que les premières, ce qui soulève la question : sur quels documents, sur quels renseignements ou sur quelles notes l’agente des visas a-t-elle basé son affidavit, lequel a été souscrit un peu plus d’un an après la décision?

 

Dans Idedevbo, ci-dessus, la Cour n’a accordé aucune force probante à l’affidavit, parce qu’il était incompatible avec les notes du STIDI. De plus, dans Bonilla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001) 12 Imm. L.R. (3d) 83 (C.F.), la Cour a jugé que la lettre envoyée au demandeur et les notes de l’agent des visas constituaient les motifs. Dans la présente affaire, l’agent n’a pas identifié les documents sur lesquels il s’appuyait dans l’affidavit. L’équité procédurale et la justice naturelle exigent que la décision et les notes du STIDI constituent les seuls motifs présentés par l’agent et qu’aucune force probante ou une faible force probante ne soit attribuée à l’affidavit. Voir Kalra, ci-dessus; Fakharian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CarswellNat 1288.

 

[35]           L’affidavit est, sur certains points, incompatible avec les notes du STIDI. Par exemple, l’agent affirme dans l’affidavit que la demanderesse n’a jamais mentionné qu’elle et son mari avaient directement rencontré le seigneur de guerre Razul. Cette affirmation est contredite par les notes du STIDI, dans lesquelles la demanderesse déclare que Razul est venu les voir.

 

[36]           Enfin, la très longue période qui s’est écoulée entre l’entrevue et l’affidavit est un élément important. L’affidavit a été souscrit 16 mois après l’entrevue que la demanderesse et son mari ont eue avec l’agent. Il est évident que l’agent a fait passer des entrevues à de nombreux autres demandeurs entre-temps. Dans Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 182, la juge Mactavish a jugé au paragraphe 19 :

Il ressort de l'affidavit qu'au moment où l'agente l'a signé, elle se souvenait encore très bien de son entrevue avec M. Alam. Cependant, l'affidavit a été signé plusieurs mois après l'entrevue, probablement quand l'agente a constaté que sa décision était contestée. Dans les circonstances, je préfère m'en tenir essentiellement aux motifs exprimés dans les notes du STIDI et de n'accorder que très peu de poids à l'explication fournie par l'agente après coup.

 

Voir également Najat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1237, décision dans laquelle la juge Mactavish a adopté le passage ci-dessus tiré d’Alam. La décision et les notes du STIDI ont été prises à un moment qui était plus rapproché de l’entrevue et il est donc probable qu’elles soient plus exactes.

 

La famille est un groupe social valide

 

[37]           La demanderesse et sa famille ne sont pas de simples spectateurs pour ce qui est de la persécution dont fait l’objet leur fille. Razul a également menacé de recourir à la violence contre la demanderesse et son mari s’ils refusaient son offre d’épouser leur fille. Voir Tomov c. Canada, [2004] R.P.D.D. no 863.

 

Autre mémoire du défendeur

                        La demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention

 

[38]           Pour que la demanderesse soit une réfugiée au sens de la Convention à titre de membre du groupe social de la famille, la demanderesse doit être exposée à un risque à titre de membre de cette famille. Il ne suffit pas qu’un membre de la famille de la demanderesse soit persécuté. Voir Musakanda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1300; Devrishashvili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1528 (C.F.) (QL).

 

[39]           En outre, la famille constitue un groupe social lorsque des preuves indiquent que la famille elle-même est la cible de représailles ou de vengeance et lorsque le demandeur est visé pour la seule raison qu’il appartient à cette famille. Ce n’est pas le cas ici. Voir Al-Busaidy c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 139 N.R. 208 (C.A.F.); Casetellanos c. Canada (Procureur général), [1995] 2 C.F. 190 (C.F.); Addullahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 122 F.T.R. 150 (C.F.); Lakatos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 657 (C.F.) (QL); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bakhshi, [1994] A.C.F. no 977 (C.A.F.) (QL); Granada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 2164 (C.F.).

 

[40]           Le fait qu’un membre de la famille fasse l’objet de persécution n’autorise pas à considérer tous les membres de la famille comme des réfugiés. Voir Pour-Shariati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 215 N.R. 174 (C.A.F.); Marinova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 178.

 

                        L’affidavit de l’agent ne fournit aucun nouveau motif

 

[41]           L’affidavit de l’agent ne constitue pas des motifs. Il adopte en fait les motifs contenus dans les notes du STIDI et la décision et les complète. L’affidavit est tout à fait compatible avec les motifs contenus dans les notes du STIDI.

 

                        L’agent a informé la demanderesse de ses préoccupations

 

[42]           Contrairement aux affirmations de la demanderesse, l’agent a fait connaître ses préoccupations à la demanderesse et lui a donné la possibilité d’y répondre. Pour ce qui est de Razul, de l’éducation et des antécédents professionnels de la demanderesse et de son mari, ainsi que de l’exemption du service militaire du mari, l’agent les a interrogés de façon détaillée au cours de l’entrevue et les a informés du fait que leurs témoignages n’étaient pas crédibles. L’agent a fourni à la demanderesse, à la fin de l’entrevue, la possibilité de répondre à ses préoccupations au sujet des faux documents, mais les réponses fournies n’ont pas dissipé les préoccupations de l’agent.

 

La lettre émanant du consulat général ne devrait pas être prise en compte dans la demande de contrôle judiciaire

 

[43]           Cette lettre n’a pas été présentée à l’agent; elle ne figurait pas dans le dossier de demande et elle n’était pas jointe à un autre affidavit. Selon la jurisprudence, le contrôle judiciaire d’une décision d’un office fédéral doit uniquement se fonder sur les preuves qui ont été présentées au décideur. Il n’appartient pas à la demanderesse de demander à l’honorable Cour de tirer de nouvelles conclusions de fait. Voir Lemiecha (Litigation Guardian of) c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1333 (C.F.) (QL).

 

L’obligation d’équité

 

[44]           La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont jugé que le contenu de l’obligation d’équité dépendait du contexte. Arrêt Baker, ci-dessus, au paragraphe 21; Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, aux paragraphes 22 et 30 à 32. Pour décider du contenu de cette obligation, à l’égard des demandeurs de visa, les tribunaux ont pris soin de concilier les obligations de l’équité avec les nécessités du processus administratif de l’immigration. Voir Khan, ci-dessus, aux paragraphes 30 à 32 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Patel, 2002 CAF 55, au paragraphe 10.

 

[45]           Dans les affaires concernant un décideur administratif, comme c’est le cas ici, le contenu de l’obligation d’équité est plus limité que dans les affaires qui concernent un tribunal quasi-judiciaire qui est davantage tenu de confronter le demandeur : Khan, ci-dessus, aux paragraphes 31 et 32. La Cour fédérale a jugé que l’agent n’était aucunement tenu de commenter à mesure les faiblesses du dossier du demandeur : Thandal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 489, au paragraphe 9; Nabin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 200, aux paragraphes 7 à 10; Soor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1344, au paragraphe 12.

 

[46]           L’obligation d’équité a été respectée dans la présente affaire. La demanderesse a eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent à la fin de l’entrevue, mais n’y est pas parvenue. La Cour a jugé ce qui suit dans Rahim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1252, aux paragraphes 15 et 16 :

[…] l'obligation d'informer les demandeurs de la preuve à leur encontre sera remplie « [si l'agent] oriente comme il se doit ses questions ou s'il demande des renseignements raisonnables qui donnent au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations » : Liao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1926 (1re inst.) (QL), paragraphe 17.

Par conséquent, dans la mesure où les préoccupations de l'agent sont communiquées au demandeur à l'entrevue, et dans la mesure où le demandeur se voit accorder une possibilité raisonnable de répondre, l'obligation d'équité est respectée. Il importe peu par ailleurs de savoir à quel moment, au cours de l'entrevue, cela se produit : Khwaja, précité, paragraphe 18.

 

[47]           Il incombait à la demanderesse d’établir que sa crainte de persécution était fondée et la demanderesse ne s’est pas acquittée de ce fardeau dans la présente affaire.

 

ANALYSE

            Fondement de la décision

 

[48]           La décision est contenue dans une lettre non datée de l’agent envoyée à la demanderesse et dans les notes du STIDI.

 

[49]           Dans la lettre, l’agent affirme :

[traduction]
Après avoir soigneusement examiné tous les éléments concernant votre demande, je ne suis pas convaincu que vous soyez membre d’une des catégories prescrites parce que, d’après ce que vous m’avez dit au cours de l’entrevue, vous n’avez pas été persécutée en Afghanistan. Vous ne répondez donc pas aux conditions de cet alinéa.

 

 

[50]           Il est impossible de savoir à partir de cette lettre ce que l’agent a conclu. Il est possible qu’il dise que la demanderesse n’a pas été persécutée en Afghanistan, parce que même si l’agent accepte sa version des faits, il ne pense pas que ce que craint la demanderesse soit de la « persécution » au sens où ce terme est défini par la jurisprudence pertinente. Autre possibilité, l’agent n’a pas accepté la version que lui a fournie la demanderesse au sujet de ce qu’elle a vécu antérieurement et des dangers auxquels font face « d’après elle » elle et sa famille. Les notes du STIDI contiennent d’autres explications sur ce point.

 

[51]           La partie essentielle de la décision est formulée de la façon suivante :

[traduction]
Nous avons fait vérifier vos diplômes par notre spécialiste d’Islamabad, et il nous a déclaré qu’ils étaient faux pour les raisons suivantes : les deux documents semblent avoir été délivrés en même temps, mais il existe une grande différence entre ce qui figure dans le coin supérieur droit de chacun d’entre eux. Ces documents ne mentionnent aucunement la date à laquelle ils ont été délivrés. Les photos d’un diplôme portent toujours un tampon, mais il n’y en a pas sur ces documents. Le tampon est illisible et les dates ne sont pas claires.

 

J’ai trouvé qu’aujourd’hui vos réponses à mes questions ont été très vagues, en particulier celles qui touchaient votre travail et votre éducation et la façon dont vous avez pu financer vos études, ce qui me fait douter que votre mari ait jamais été enseignant et pharmacien.

 

Tout ceci m’amène à penser que vous n’avez pas répondu sincèrement à mes questions et à croire que vous ne répondez pas à la définition de réfugié.

 

 

[52]           Le raisonnement n’est pas tout à fait clair, mais cela semble constituer une conclusion générale négative en matière de crédibilité. L’agent affirme qu’étant donné que les diplômes sont des faux, et parce que la demanderesse a fourni des réponses vagues aux questions portant sur son travail, son éducation et sur la façon dont elle pouvait les financer, la demanderesse n’a pas été sincère [traduction] « dans les réponses qu’elle a apportées à toutes mes questions ». Cela peut vouloir dire que, même si la demanderesse n’a pas fourni une réponse sincère à toutes les questions de l’agent, elle l’a fait de façon sincère à certaines d’entre elles, mais je dois rejeter cette interprétation parce que l’agent ne mentionne nulle part quelles sont les réponses qu’il accepte et celles qu’il n’accepte pas.

 

[53]           J’estime donc que la décision est fondée sur une conclusion négative générale en matière de crédibilité, qui découle de diplômes apparemment faux, de l’imprécision de la demanderesse au sujet de son travail et de son éducation et de la façon dont elle a pu financer ses études et du doute quant à la question de savoir si le mari a déjà été enseignant et pharmacien.

 

[54]           Il est loisible à l’agent de rejeter une demande en se fondant sur une conclusion négative générale en matière de crédibilité. Sur ce point, la Cour d’appel fédérale a déclaré dans Sellan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 381, [2008] A.C.F. no 1685, au paragraphe 3 : « Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe. »

 

[55]           Une des difficultés que soulève la présente décision est qu’elle ne mentionne pas explicitement les motifs pour lesquels l’agent a pensé que la demanderesse était vague au sujet de son travail et de la demande. La demanderesse a clairement déclaré qu’elle avait obtenu un diplôme d’infirmière en 1997 et qu’elle était infirmière dans un hôpital. Elle a également clairement déclaré que son mari était un enseignant, qu’elle l’avait encouragé à étudier la pharmacie, qu’il avait étudié ce sujet et avait par la suite travaillé comme pharmacien. Le mari a confirmé ses dires sur ce point.

 

[56]           La décision n’indique pas clairement pourquoi ces affirmations sont « vagues », mais comme le laissent entendre les notes du STIDI, l’agent semble avoir conclu qu’il n’était pas convaincu qu’ils avaient eu les moyens de financer leurs études. Il ressort d’après moi clairement de la lecture de la décision que la question des finances n’a jamais été véritablement soulevée avec la demanderesse. La demanderesse n’a jamais été interrogée sur la façon dont elle avait financé ses études et il semble évident, d’après le contexte, que le mari a financé ses études parce que sa femme était infirmière et travaillait dans un hôpital.

 

[57]           Dans son affidavit, souscrit aux fins de la présente demande, l’agent déclare :

[traduction]
Il ne semble pas vraisemblable que la demanderesse et son mari soient issus de simples familles de paysans, étant donné qu’ils ont fait des études supérieures. La demanderesse affirme qu’elle est devenue infirmière et que son mari a obtenu un diplôme en pharmacologie. En Afghanistan, les études supérieures sont un signe de prestige et seules les familles prospères y ont accès. Si la demanderesse et son mari étaient vraiment issus de familles de simples paysans, ils n’auraient pas pu faire des études supérieures.

 

 

[58]           S’il s’agissait là d’une préoccupation, elle n’a jamais été clairement présentée à demanderesse et à son mari. Ils n’ont pas été clairement informés de cette question et on ne leur a pas demandé comment ils avaient réussi à payer leurs études.

 

[59]           La demanderesse a clairement expliqué que le fait que son père ait été un paysan et sa mère une ménagère ne l’a pas empêché d’aller à l’école et à l’université. Si l’agent s’est fondé, comme le suggère son affidavit, sur des preuves extrinsèques pour conclure que cela était peu probable, alors il aurait dû communiquer cette preuve à la demanderesse et lui donner l’occasion d’expliquer comment elle avait réussi à faire des études bien qu’elle soit d’origine modeste.

 

[60]           Par conséquent, à l’exception des diplômes, les conclusions de l’agent au sujet de l’éducation et des emplois constituent de simples hypothèses fondées sur des preuves extrinsèques qui n’ont jamais été communiquées à la demanderesse.

 

[61]           Les conclusions négatives doivent être formulées en termes clairs et dépourvues d’ambigüité. Voir Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236, [1991] A.C.F. no 228 (C.A.F.). De plus, les incohérences doivent être mentionnées au demandeur et il faut lui donner l’occasion de les expliquer. Dans Li v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1231, (1999) 90 A.C.W.S. (3d) 464, au paragraphe 5, le juge Gibson de la Cour a fait remarquer :

À l'entrevue, il avait droit dans une certaine mesure à l'équité procédurale. En particulier, il avait droit à ce que l'agent des visas lui fasse part de ses préoccupations au sujet de sa demande et lui donne la possibilité de les apaiser. Il importe peu que les réponses données n'aient fort probablement pas apaisé les préoccupations de l'agent des visas.

 

[62]           Les notes du STIDI mentionnent que l’agent a déclaré : [traduction] « Je vais expliquer mes préoccupations en détail et je vous donnerai ensuite la possibilité d’y répondre. » Ce n’est toutefois pas ce qui s’est passé. Comme l’indique très clairement l’affidavit de l’agent, celui-ci n’a pas expliqué en détail ses préoccupations. Il a simplement fait mention des diplômes et d’une certaine imprécision inexpliquée au sujet des emplois et de l’éducation.

 

[63]           Même en ce qui concerne les diplômes, il n’est pas possible de dire que la demanderesse a eu l’occasion de fournir des explications. Les notes du STIDI mentionnent que la demanderesse a fourni la réponse suivante :

[traduction]
Un instant, j’ai tous mes diplômes avec moi et je tiens à vous les montrer. Je dois vous dire qu’avant d’obtenir mes diplômes, j’ai obtenu plusieurs prix et certificats. Mes étudiants, lorsqu’ils ont terminé leur cours, m’ont même remis des lettres d’appréciation. Si vous voulez, je peux vous montrer toutes ces lettres, je les ai ici.

 

 

[64]           La réponse de l’agent est révélatrice :

[traduction]
J’ai écouté votre réponse, mais malheureusement, l’appréciation de vos étudiants ne veut pas dire que vous avez obtenu ce diplôme ou que vous avez répondu sincèrement à toutes les questions. C’est pourquoi je vais refuser votre demande aujourd’hui.

 

 

[65]           Cette réponse démontre que l’agent pense uniquement au diplôme et à ce que l’expert d’Islamabad lui a dit. L’agent n’est pas prêt à entendre des explications. Le fait que les lettres d’appréciation d’étudiant n’auraient peut-être pas démontré l’authenticité de son diplôme n’est pas une raison pour ne pas examiner les diplômes originaux et les autres prix et certificats. Il est possible que l’original du diplôme aurait révélé quelque chose qui ne paraissait pas sur les photocopies. L’agent aurait pu demander quelle était la différence entre l’original et la copie. La demanderesse a clairement déclaré que les copies qu’avait examinées l’expert ne montraient pas clairement les tampons d’authentification qui apparaissent nettement sur les originaux, de sorte que si l’agent avait examiné les originaux, il aurait constaté que l’expert n’avait aucune raison d’estimer que les diplômes étaient faux. Cependant, maintenant, nous ne saurons jamais si l’examen de l’original aurait réglé les problèmes découlant des copies parce que l’agent a refusé de l’examiner et de demander une explication. À mon avis, cette façon de faire ne constitue pas une possibilité de répondre, même sur la question du faux diplôme. Cet élément démontre clairement que l’agent a refusé de prendre en considération des preuves extrêmement importantes sur lesquelles reposait entièrement sa constatation négative relative à la crédibilité. Cela constitue en soi une violation de l’équité procédurale qui exige que la décision soit révisée.

 

[66]           L’agent a tenté de renforcer et de compléter sa décision en préparant et en présentant un récit très détaillé dans l'affidavit qu’il a souscrit dans le but précis d’appuyer [traduction] « la position du défendeur dans la présente demande […] ». Ce procédé est particulièrement problématique.

 

[67]           Il est évident que l’affidavit constitue une tentative de renforcer une décision erronée et ne peut être admis à une telle fin. Dans Yue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 717, au paragraphe 3, le juge Strayer a fait remarquer :

[…] Je conviens qu’un affidavit de ce genre, préparé après l’événement, qui complète les motifs donnés par l’agent dans sa lettre et le compte rendu des entrevues sur lesquelles celle-ci était fondée ne devrait pas être déposé. Un tel affidavit décrivant la nature de l’audience peut être pertinent et admissible seulement s’il est nécessaire pour décrire la procédure ou un aspect du processus décisionnel qui est contesté, mais non s’il a pour but de donner des précisions sur la preuve dont l’agent disposait ou sur sa décision.

 

 

[68]           Cependant, l’affidavit est toutefois révélateur sur d’autres plans. L’agent ne peut jouer sur les deux tableaux. Si l’affidavit fait état du véritable fondement de sa décision, alors il montre que la décision repose sur des preuves extrinsèques et des incohérences dont la demanderesse n’a jamais été clairement informée. S’il est authentique, l’affidavit réfute les paroles de l’agent telles qu’elles figurent dans les notes du STIDI selon lesquelles il va informer la demanderesse de ses préoccupations et lui donner la possibilité d’y répondre. Cela constitue une autre violation de l’équité procédurale qui exige que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen.

 

[69]           Les deux avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et renvoyée pour nouvel examen par un autre agent.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3254-09

 

INTITULÉ :                                       MALIHA ADIL

DEMANDERESSE

                                                            -   et   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

DÉFENDEUR

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 août 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

  ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 octobre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Zahra Khedri                                                                POUR LA DEMANDERESSE

 

Margherita Braccio                                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kerr & Associates

Avocat                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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