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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20101020

Dossier : IMM-6394-09

Référence : 2010 CF 1025

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario) le 20 octobre 2010

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

JIGARKUMAR PATEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Jigarkumar Patel, demande une ordonnance annulant la décision d’un agent des visas, rendue le 5 janvier 2010, par laquelle l’agent a refusé la demande de résidence permanente du demandeur au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés.

 

I.          Contexte

[2]               M. Patel est un citoyen de l’Inde. Il a 31 ans et il est marié. Lui et son épouse détiennent des diplômes de baccalauréat en sciences de l’Université Sardar Patel en Inde.

 

[3]               M. Patel est venu au Canada en 2004 muni d’un permis d’études. En février 2005, il a commencé à fréquenter à titre d’étudiant à temps plein le Canadian Career College, où il a obtenu un diplôme en gestion internationale en juin 2006. De mai 2007 à décembre 2007, M. Patel a fréquenté à temps plein le Xincon Technology College of Canada (le collège Xincon) à Scarborough, dans le cadre d’un programme d’études en technologie des systèmes informatiques. Le dossier révèle que M. Patel a obtenu plusieurs crédits d’études du collège Xincon au cours de deux semestres d’études, mais qu’il n’a pas terminé le programme de 118 semaines.

 

[4]               M. Patel a déposé sa demande de résidence permanente en janvier 2008. Dans cette demande, il a prétendu avoir droit à 74 points d’appréciation. Cela comprenait neuf points au titre de la capacité d’adaptation, soit cinq points pour ses deux années d’études au Canada et quatre points pour des études postsecondaires que son épouse avait faites en Inde.

 

[5]               En août 2008, la demande de M. Patel en vue de la prorogation de son permis d’études a été refusée et, comme l’exige la loi, lui et son épouse sont retournés en Inde.

 

[6]               Le 16 octobre 2009, la demande de visa de résident permanent de M. Patel a été refusée parce que l’agent des visas lui a attribué seulement 63 points d’appréciation, soit quatre points en dessous du seuil d’admissibilité à un visa. Cet écart tenait à la décision de l’agent des visas de n’accorder aucun point d’appréciation à M. Patel au titre des études postsecondaires qu’il avait faites au Canada. La décision exposait les motifs qui suivent au soutien de cet aspect de l’évaluation de l’agent des visas :

[TRADUCTION]

 

Aucun point au titre de la capacité d’adaptation n’a été attribué pour vos études antérieures au Canada puisque vous n’avez pas fréquenté un établissement d’enseignement postsecondaire au Canada dans le cadre d’un programme d’études à temps plein d’une durée d’au moins deux ans; vous avez terminé avec succès un programme d’un an au Canada Career College et vous avez présenté des éléments de preuve montrant que vous aviez fréquenté le collège Xincon pendant un semestre.

 

 

[7]               Les notes que l’agent des visas a consignées dans le STIDI fournissent des détails additionnels au soutien de la décision :

[TRADUCTION]

 

Pour que cinq points soient attribués, le demandeur principal doit fournir des éléments de preuve démontrant qu’il a fréquenté un établissement (et non plusieurs) d’enseignement postsecondaire canadien dans le cadre d’un programme d’études à temps plein d’une durée d’au moins deux ans; or, le demandeur principal a terminé avec succès un programme d’un an dans un établissement et semble avoir fréquenté un établissement différent pendant un semestre; en outre, je note que le demandeur principal a suivi deux programmes distincts sans rapport entre eux et qu’il n’est pas passé d’un établissement à un autre pour y suivre un programme semblable en faisant reconnaître dans le second les crédits obtenus dans le premier; le demandeur principal a présenté des relevés de notes authentifiés en janvier 2009 et j’estime que cette authentification des relevés de notes permet d’inférer pendant combien de temps il a étudié au collège Xincon parce qu’il me semblerait déraisonnable de faire authentifier, puis de présenter, des relevés de notes qui ne rendraient pas compte de l’intégralité du parcours universitaire dans un établissement donné;

 

Les éléments de preuve dont je dispose ne me convainquent pas que je devrais attribuer cinq points (aux fins de la présente demande seulement).

 

 

II.            Questions en litige

[8]               Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

[9]               L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur dans son interprétation de l’article 83 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) (RIPR)?

 

III.          Analyse

[10]           Je ne suis pas d’accord avec la prétention du ministre selon laquelle la norme de contrôle applicable à la principale question soulevée en l’espèce est la raisonnabilité. La décision de l’agent des visas repose principalement sur une interprétation de l’article 83 du RIPR. Cela soulève une question de droit, laquelle doit être examinée en fonction de la norme de la décision correcte : voir Sapru c. Canada, 2010 CF 240, 2010 CarswellNat 455 (WL), aux paragraphes 15 et 16, Charalampis c. Canada, 2009 CF 1002, 353 FTR 24, au paragraphe 34, et Angeles c. Canada, 2009 CF 744, 2009 CarswellNat 2506 (WL), au paragraphe 16. J’admets que la question de savoir si M. Patel a terminé deux années d’études comme l’exige l’article 83 soulève une question mixte de fait et de droit qui commande l’application de la norme de la raisonnabilité.

 

[11]           L’agent des visas a refusé d’attribuer des points à M. Patel au titre de la capacité d’adaptation, en s’appuyant en partie sur une interprétation de l’article 83 du RIPR selon laquelle M. Patel devait suivre à temps plein pendant deux ans un seul et même programme d’études dans un seul et même établissement accrédité. Étant donné que M. Patel avait suivi deux programmes d’études distincts dans deux établissements accrédités, l’agent des visas a conclu que les exigences de l’article 83 n’avaient pas été remplies. L’agent des visas semble aussi avoir conclu que M. Patel avait fréquenté des établissements d’enseignement pendant seulement 18 mois, ce qui était aussi insuffisant pour satisfaire aux exigences de l’article 83 en matière d’études.

 

[12]           Les passages pertinents de l’article 83 sont ainsi rédigés :

Capacité d’adaptation (10 points)

 

Adaptability (10 points)

83. (1) Un maximum de 10 points d’appréciation sont attribués au travailleur qualifié au titre de la capacité d’adaptation pour toute combinaison des éléments ci‑après, selon le nombre indiqué :

 

83. (1) A maximum of 10 points for adaptability shall be awarded to a skilled worker on the basis of any combination of the following elements:

 

[…]

 

[…]

 

b) pour des études antérieures faites par le travailleur qualifié ou son époux ou conjoint de fait au Canada, 5 points;

 

(b) for any previous period of study in Canada by the skilled worker or the skilled worker’s spouse or common-law partner, 5 points;

 

[…]

 

[…]

 

Études antérieures au Canada

 

Previous study in Canada

 

(3) Pour l’application de l’alinéa (1)b), le travailleur qualifié obtient 5 points si, à la date de son dix‑septième anniversaire ou par la suite, lui ou, dans le cas où il l’accompagne, son époux ou conjoint de fait a complété avec succès un programme au titre d’un permis d’études — que ce programme ait été couronné ou non par un diplôme — qui a nécessité au moins deux ans d’études à temps plein dans un établissement d’enseignement postsecondaire au Canada.

 

(3) For the purposes of paragraph (1)(b), a skilled worker shall be awarded 5 points if the skilled worker or their accompanying spouse or accompanying common-law partner, by the age of 17 or older, completed a program of full-time study of at least two years’ duration at a post-secondary institution in Canada under a study permit, whether or not they obtained an educational credential for completing that program.

 

 

[13]           Les parties ne s’entendent pas sur le sens des mots « a complété avec succès un programme […] — que ce programme ait été couronné ou non par un diplôme — qui a nécessité au moins deux ans d’études à temps plein ».

 

[14]           L’avocate de M. Patel a soutenu que cette disposition signifiait seulement que l’intéressé devait avoir été inscrit à titre d’étudiant à temps plein (15 heures par semaine) à un ou plusieurs programmes d’études accrédités pendant une période d’au moins deux années universitaires (4 semestres).

 

[15]           Dans la lignée de la décision de l’agent des visas, le ministre soutient que l’article 83 est plus restrictif et qu’il ne permet pas à une personne de suivre successivement différents programmes d’études dans plus d’un établissement accrédité.

 

[16]           Je suis très surpris que cette question précise ne se soit jamais posée auparavant et que je ne dispose d’aucun élément de preuve révélant si l’interprétation de l’article 83 par l’agent des visas est conforme à la pratique passée du défendeur. Le seul précédent qui m’ait été cité est la décision de madame la juge Elizabeth Heneghan dans Nie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 220, 80 Imm. LR (3d) 127, qui concernait un étudiant qui avait fréquenté trois établissements différents au titre de trois permis d’études. La décision de l’agent des visas énonçait seulement que M. Nie n’avait pas établi qu’il avait étudié au Canada pendant au moins deux ans. Il semble que l’argument fondé sur l’interprétation avancé par le ministre n’avait pas été présenté à la juge Heneghan parce qu’il ne figure nulle part dans son analyse. La juge Heneghan a infirmé la décision de l’agent des visas, mais seulement parce que cette décision était incompatible avec la preuve qui établissait clairement que le demandeur avait étudié pendant plus de deux ans.

 

[17]           Étant donné la multitude de programmes postsecondaires au Canada qui ont une durée de moins de deux ans, j’aurais pensé que l’interprétation restrictive que préconise le ministre en l’espèce aurait mené à un énoncé beaucoup plus clair que celui que l’on trouve dans le guide intitulé Travailleurs qualifiés (fédéral) (OP6), et qui mentionne ce qui suit :

b)        Études antérieures au Canada :

 

–          L’agent accorde cinq points si le demandeur ou son époux, épouse ou conjoint de fait a complété un programme d’études à temps plein d’une durée d’au moins deux ans dans un établissement postsecondaire au Canada, si ces études ont eu lieu à 17 ans ou plus et avec un permis d’études valide.

 

(La personne n’est pas obligée d’avoir obtenu un diplôme à la suite de ces deux années d’études au Canada pour obtenir les points, mais simplement d’avoir complété au moins deux années d’études.)

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[18]           Indépendamment des réserves évoquées plus haut, je suis convaincu que l’interprétation que l’agent des visas a faite de l’article 83 était erronée en droit.

 

[19]           Le ministre soutient que l’article 83 emploie partout le singulier (un programme; ce programme; un établissement d’enseignement postsecondaire) et que, suivant son sens ordinaire, il vise donc un seul et même programme d’études de deux ans suivi dans un seul et même établissement.

 

[20]           L’avocate de M. Patel invoque le paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation du Canada, L.R.C. 1985, ch. I-21, qui dispose que « [l]e pluriel ou le singulier s’appliquent, le cas échéant, à l’unité et à la pluralité ». Les termes au singulier à l’article 83 doivent donc s’interpréter comme comprenant le pluriel : « des programmes », « des établissements », « des permis d’études » et « ces programmes »; voir Canada c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 DLR (4th) 1, au paragraphe 90. Cet argument me paraît fort bien fondé et il s’accorde aussi avec une interprétation téléologique de l’article 83.

 

[21]           Conformément au libellé de la disposition en cause, les deux parties conviennent que l’attribution de points au titre de la capacité d’adaptation ne dépend pas de l’obtention d’un diplôme. Cette interprétation s’accorde avec l’article 78 du RIPR, en vertu duquel des points sont attribués au titre des diplômes. La capacité d’adaptation d’un individu ne dépend probablement pas de ses accomplissements académiques, mais plutôt du fait qu’il a été inscrit à temps plein à un programme d’études dans un ou plusieurs établissements accrédités pendant au moins deux ans. Je ne vois aucune raison de principe d’adopter l’interprétation étroite que préconise le ministre. Suivre une succession de programmes d’études dans un ou plusieurs établissements accrédités ne ferait pas échec ni ne dérogerait à l’objet de la loi consistant à reconnaître la capacité d’adaptation de l’individu, pourvu qu’il soit satisfait aux autres conditions préalables prévues par la loi. Refuser pour un tel motif de reconnaître la moindre valeur à la démarche de M. Patel, à savoir l’acquisition de compétences dans les domaines des affaires et de l’informatique, me paraît inique et non conforme à l’objet de la loi consistant à reconnaître la capacité d’adaptation d’un individu au Canada.

 

[22]           Le deuxième fondement de la décision de l’agent des visas semble être que M. Patel n’a pas terminé deux années d’études. Le dossier montre que M. Patel avait terminé avec succès trois semestres d’études à temps plein au Canadian Career College et un ou deux semestres au collège Xincon. Je conviens avec l’avocate de M. Patel que les deux ans dont il est question à l’article 83 s’entendent d’années scolaires et non d’années civiles (voir le paragraphe 78(1)) et que l’article 83 n’exclut pas la possibilité d’une interruption des études. Si un étudiant se retire indûment d’un programme d’études, ce problème peut être résolu en révoquant son permis d’études. En conséquence, M. Patel a apparemment terminé avec succès soit quatre ou cinq semestres universitaires et l’exigence des deux années d’études énoncée à l’article 83 est donc remplie.

 

[23]           La décision de l’agent des visas est annulée. L’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour qu’une nouvelle décision soit rendue sur le fond en conformité avec les présents motifs.

 

[24]           Les parties ont convenu que la présente demande soulevait une question suffisamment importante pour justifier la certification d’une question. J’accorderai donc 14 jours à l’avocat du défendeur pour présenter une question appropriée, et le demandeur aura ensuite 7 jours pour répondre.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée devant un décideur différent pour qu’une nouvelle décision soit rendue sur le fond en conformité avec les présents motifs.

 

LA COUR ORDONNE EN OUTRE que le point portant sur la certification d’une question soit tranché après la soumission des observations des parties.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6394-09

 

INTITULÉ :                                      JIGARKUMAR PATEL

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 20 octobre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Cathryn Sawicki

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green and Spiegel LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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