Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101019

Dossier : T-1468-10

Référence : 2010 CF 1021

[TRAUDCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 19 octobre 2010

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

ANNAMARIA VALASTRO

demanderesse

 

et

 

 

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE HAMILTON

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La demanderesse, Mme AnnaMaria Valastro, demande une injonction interlocutoire interdisant à la défenderesse, l’Administration portuaire de Hamilton (APH), d’aller de l’avant avec le projet de Farr Island (aussi appelé la Reconfiguration de Farr Island) afin de lui donner le temps nécessaire pour déposer une pétition en vertu de la Loi sur le vérificateur général, L.R.C., 1985, ch. A-17 (la LVG) avant que Farr Island ne soit submergée.

 

[2]               Farr Island est une île artificielle de 30 mètres sur 35 dans le port de Hamilton, qui a été construite dans les années 1950 comme plateforme de pylônes électriques. La plateforme n’a accueilli aucun pylône électrique depuis les années 1980 et il s’agit désormais une île vacante habitée par des Cormorans à aigrettes (cormorans) en migration. Le projet Farr Island représente un aspect d’un projet plus important par l’APH en vue de régénérer le littoral de Hamilton. En termes simples, le projet Farr Island est un plan pour déniveler Farr Island en dessous du niveau de l’eau et d’ajouter de nouvelles matières afin d’imiter les bancs de sable qui se situaient auparavant le long de la côte nord du port. La perte de l’habitat d’été pour environ 800 paires de cormorans en nidification est une conséquence de la submersion de Farr Island.

 

[3]               Mme Valastro s’oppose au projet Farr Island. Elle craint que cela n’ait des conséquences négatives sur les cormorans qui auraient autrement utilisé Farr Island comme emplacement de nids l’année suivante. Mme Valastro est très préoccupée du fait qu’une évaluation environnementale adéquate n’a pas été effectuée comme l’exige la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1999, ch.33 (LCEE). Elle fait valoir plus particulièrement que l’on n’a pas examiné pleinement les effets cumulatifs de la perte d’un habitat pour les cormorans de Farr Island. Pour ce motif, elle cherche à obtenir une injonction enjoignant à la Cour d’empêcher l’APH de détruire l’île [traduction] « afin de laisser la place à un processus de pétition ».

 

[4]   Malheureusement, la Cour n’est pas en mesure d’aider Mme Valastro. Il existe deux motifs principaux pour lesquels sa requête doit être rejetée. Premièrement, la requête en injonction de Mme Valastro n’est pas fondée sur une requête ou une demande devant la Cour. Il s’agit d’une condition préalable à l’obtention d’une injonction provisoire. Deuxièmement, même si je pouvais recevoir la requête, Mme Valastro n’a pas persuadé la Cour qu’un préjudice irréparable serait causé à la suite de l’exécution du projet Farr Island.

 

 

Aucune instance engagée devant la présente Cour

[5]   Le premier problème concernant la requête de Mme Valastro est qu’elle n’a déposé aucune procédure qui relèverait de la compétence de la Cour fédérale. Les pouvoirs de la Cour fédérale ne s’étendent pas à l’octroi d’injonctions provisoires, à moins qu’il y ait un intérêt ou un droit juridique reconnu dans le cadre des pouvoirs de statuer de la Cour. L’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales et l’article 372 des Règles des Cours fédérales établissement qu’une requête en injonction ne peut être obtenue avant l’introduction de l’instance. D’autre part, Mme Valastro n’a déposé aucune demande et sa requête doit être rejetée pour ce seul motif.

 

[6]               Selon ma compréhension des principales préoccupations de Mme Valastro, cette dernière conteste deux décisions : 

  1. La décision de l’APH de mettre en œuvre le projet Farr Island comportant la submersion de Farr Island comme aspect clé;
  2. La décision de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence) en date du 16 août 2010 (la décision à l’issue de l’examen).

 

[7]               La Reconfiguration de Farr Island était une décision de l’APH. Il ne fait aucun doute que l’APH est un « office fédéral » au sens de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7. Mme Valastro connaissait la décision de l’APH de submerger Farr Island depuis au moins le mois d’avril 2010. Elle aurait pu déposer une demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision, mais elle ne l’a jamais fait.

 

[8]               Le projet Farr Islande a nécessité une évaluation environnementale conformément aux dispositions de la LCEE. Dans la décision à l’issue de l’examen datée du 16 août 2010, l’Agence a déterminé que ce projet n’était pas susceptible de causer d’importantes répercussions sur l’environnement. Un avis indiquant la tenue d’une évaluation environnementale était disponible sur le site Web de l’Agence à partir du 30 juillet 2010. Mme Valastro aurait pu intervenir à cette étape, mais ne l’a pas fait. Cette décision, une fois rendue, a été mise à la disposition du public. Si l’APH, comme elle le prétend, avait [traduction] « mal interprété toute l’ampleur du projet et qu’elle avait omis de représenter toutes les options disponibles aux fins d’un examen public » ou si, selon elle, la décision à l’issue de l’examen était irraisonnable, elle aurait pu chercher à obtenir un contrôle judiciaire. Elle ne l’a pas fait.

 

[9]               Ayant omis de déposer une demande de contrôle judiciaire dans l’une ou l’autre de ces deux décisions, Mme Valastro a décidé que sa seule avenue était de déposer une pétition conformément à la LVG. En vertu de la LVG, le vérificateur général a l’obligation de fournir un « contrôle du développement durable » (a. 21.1). De façon précise, l’article 22 de la LGV permet à un résident du Canada d’envoyer une pétition au vérificateur général « concernant une question environnementale dans le contexte du développement durable ». À la réception de cette pétition « concernant une question environnementale dans le contexte du développement durable qui relève de la responsabilité d’un ministère de catégorie I » (désigné comme le ministère de l’Environnement en l’espèce), le vérificateur général achemine la pétition au ministère responsable en vue d’obtenir une réponse. En présumant que la pétition va de l’avant, la seule obligation du ministre est de répondre à la pétition. Il n’existe aucune autorité, dans la LVG ou autrement, en ce qui concerne les observations de Mme Valastro, indiquant que le ministre est tenu de prendre en considération la décision issue de l’examen. La seule obligation pour le ministre est de fournir une réponse écrite au vérificateur général. Par conséquent, même si Mme Valastro avait entrepris sa pétition (ce qu’elle n’a pas fait), la pétition n’aurait pu donner lieu à un processus qui aurait permis d’annuler la décision de submerger Farr Island.

 

[10]           En résumé, il n’existe clairement aucune procédure sous-jacente pour laquelle une demande de redressement par voie d’injonction ne peut être accordée. Pour ce motif, sa requête doit être rejetée.

 

Aucun préjudice irréparable

[11]           Même si je devais conclure qu’il existe une « instance » pouvant céder la compétence à la Cour en vue de tenir compte de la requête en injonction, Mme Valastro a omis de respecter les exigences concernant l’obtention d’une injonction provisoire.

 

[12]           Selon les enseignements de la Cour suprême dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S.. 311, par. 40, le critère pour une injonction interlocutoire exige que la Cour examine trois facteurs :  

1)      que la demanderesse a présenté une question sérieuse à instruire, ou dans certains cas, une forte preuve prima facie;

2)      que la demanderesse subirait un préjudice irréparable si l’injonction était refusée;

3)      que la prépondérance des inconvénients réside dans les décisions d’accorder ou de refuser une injonction.

 

[13]           Le critère à trois volets est cumulatif; un demandeur doit satisfaire aux trois volets du critère avant d’avoir droit à un redressement. Le défaut de respecter les trois composantes entraîne le rejet de la requête.

 

[14]            Dans la présente affaire, il est peu probable que Mme Valastro puisse respecter l’un de ces éléments. Toutefois, le préjudice irréparable est le facteur qui joue le plus clairement en sa défaveur.

[15]           Le préjudice irréparable de Mme Valastro est que les cormorans qui, autrement, feraient leur nid et se reproduiraient sur Farr Island perdront leur habitat. Le premier point à retenir est que la demande de Mme Valastro n’est appuyée par aucun rapport d’expert. Son affidavit est truffé d’opinions sur la façon dont ce projet Farr Island aurait des conséquences négatives sur les cormorans; aucune opinion n’est appuyée par un expert. Mme Valastro est une citoyenne possédant de grandes connaissances, mais elle n’est ni une scientifique ni une experte.

 

[16]           La preuve dont je dispose est que, même si la population des cormorans dans la région des Grands Lacs a été décimée dans les années 1960 et 1970, (jusqu’à 135 nids), les cormorans ont fait preuve d’un rétablissement incroyable. En 2005, on estimait qu’il y avait environ 113 000 cormorans en nidification; il ne s’agit pas d’une espèce en voie de disparition ou menacée. En fait, la preuve indique que la croissance rapide de la population a entraîné des préoccupations du public concernant les répercussions sur l’environnement.

 

[17]           Dans ses observations orales, Mme Valastro était d’accord sur le fait que les cormorans touchés se disperseraient vers d’autres lieux. Mme Valastro reconnaît également que, comme le projet Farr Island serait exécuté pendant que les cormorans hibernent ailleurs, aucun oiseau ne sera directement et immédiatement tué par la submersion de Farr Island. Le problème, selon elle, est que, en l’absence d’études approfondies, nous ne savons pas où les cormorans iront ou s’ils subiront des répercussions négatives dans leur nouveau site de nidification. Malheureusement, Mme Valastro n’a rien déposé, outre des spéculations, démontrant qu’il y aurait des répercussions négatives cumulatives causées par la submersion de Farr Island et le déménagement des cormorans.

 

 

Conclusion

[18]           Comme le manque de procédure sous-jacente ou le défaut de démontrer un préjudice irréparable est suffisant pour trancher la présente requête, je n’ai pas à tenir compte des autres arguments de l’APH. La requête est rejetée.

 

[19]           L’APH sollicite le remboursement des dépens de cette requête. Lors de l’audition de cette requête, j’ai demandé à l’avocat de l’APH de me fournir une estimation des dépens. On m’a informé que les deux cabinets juridiques impliqués factureront environ 87 000 $ pour la présente requête. L’avocat croyait qu’une adjudication des dépens de 50 000 $ serait appropriée. Des dépens de 50 000 $ pour s’opposer à une requête qui était manifestement mal fondée dépassent largement toute adjudication raisonnable des dépens. Dans les circonstances et dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire en l’instance, je ne suis pas disposé à adjuger des dépens à l’APH.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.      Que la requête soit rejetée;

2.      Qu’il n’y ait pas d’adjudication des dépens.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1468-10

 

INTITULÉ :                                      ANNAMARIA VALASTRO c. THE HAMILTON PORT AUTHORITY

                                                          

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               18 OCTOBRE 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       JUGE SNIDER

 

 

DATE DES MOTIFS :                       19 OCTOBRE 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Annamaria Valastro

 

POUR LA DEMANDERESSE (POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Mark Abradjian

Me Renata Kis

 

Me Brendan Wong

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Annamaria Valastro

London (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE (POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Ross & McBride s.r.l.

Avocats

Hamilton (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.