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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date :  20101005

Dossier :  IMM-968-10

Référence :  2010 CF 991

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2010

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

JORGE ADELMARO MORALES GONZALEZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la Commission), datée du 25 décembre 2010, qui a refusé la demande d’asile du demandeur et conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR, ni une « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR.

 

Contexte de la demande

[2]               Le demandeur, qui est un citoyen du Salvador, travaillait comme directeur commercial pour une maison de crédit. En janvier 2008, il a été contraint, sous peine de mort, de payer une somme de cent dollars par mois aux membres du gang la Mara Salvatrucha, un groupe criminalisé transnational. Le demandeur a payé le montant exigé du mois de janvier 2008 au mois d’août 2008 et il a refusé de payer à compter du mois de septembre 2008.

 

[3]               Suite à son refus de payer les montants exigés, le demandeur et sa famille ont été l’objet de menaces et d’intimidation de la part de membres de la Mara Salvatrucha. Sa femme et ses enfants seraient partis vivre au Honduras et le demandeur a quitté son pays pour le Canada le 5 octobre 2008.

 

La décision contestée

[4]               La Commission a refusé la demande d’asile du demandeur pour deux principaux motifs. Dans un premier temps, elle a analysé la demande en vertu de l’article 96 de la LIPR et conclu que le demandeur n’avait pas établi que sa crainte de persécution était reliée à l’un des cinq motifs de la Convention. La Commission a ensuite analysé la demande d’asile en vertu du paragraphe 97(1)b) de la LIPR et conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il encourait un risque d’être victime d’extorsion et de violence de la part des gangs qui était supérieur à celui encouru par la population en général. La Commission a basé sa décision à cet égard sur les principes énoncés par la Cour dans l’affaire Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, [2008] A.C.F. no 415.

[5]               En se fondant sur l’information contenue dans le cartable national sur le Salvador, la Commission a conclu que le Salvador est un des pays les plus dangereux au monde, que l’extorsion par les membres de gangs y est un phénomène répandu et que tous les citoyens risquent d’être victimes d’extorsion et de violence de leur part. La Commission a également insisté que le demandeur avait lui-même reconnu, lors de son témoignage, que tous les citoyens risquaient d’être extorqués par les gangs, qui étaient actives dans tout le pays, et que les membres de ces groupes criminalisés n’hésitaient pas à tuer ceux qui refusaient de payer les sommes exigées.

 

Question en litige

[6]               Dans son mémoire, le demandeur a allégué que la Commission avait erré en concluant que le demandeur ne faisait pas partie d’un groupe social au sens de l’article 96 de la LIPR et qu’elle avait également erré en concluant que la crainte manifestée par le demandeur était une crainte généralisée, ce qui l’excluait de la définition de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR. Lors de l’audience, le procureur du demandeur a abandonné le premier moyen invoqué.

 

[7]               La seule question qui se pose en l’espèce est donc de déterminer si la Commission a erré en ne reconnaissant pas au demandeur la qualité de personne à protéger au motif qu’il n’encourait pas un risque personnalisé supérieur à celui encouru par la population en général s’il retournait au Salvador.

 

Norme de contrôle

[8]               Il est bien établi en jurisprudence que la décision de la Commission quant à l’interprétation et à l’application de l’article 97 de la LIPR est assujettie à la norme de contrôle de la raisonnabilité : Perez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 345, [2010] A.C.F. no 579; Marcelin Gabriel c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2009 CF 1170, [2009] A.C.F. no 1545 et Ventura De Parada c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2009 CF 845, [2009] A.C.F. no 1021.

 

[9]               Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour Suprême du Canada a défini comme suit le critère de la raisonnabilité :

[…] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. [para. 47 de la décision]

 

 

Analyse

[10]           Le demandeur soutient que la Commission a erré en concluant que sa crainte correspondait à une crainte généralisée vécue par la population en général. Le demandeur soutient qu’il a fait la preuve qu’il a été personnellement ciblé par les Maras, qu’il a fait l’objet d’extorsion, qu’il a accepté de payer les montants exigés pendant huit mois et qu’il a subi des menaces lorsqu’il a refusé de continuer de payer. Dès lors, le demandeur soutient que le risque qu’il encourt est personnalisé et qu’il ne doit pas être considéré comme étant comparable à celui encouru par la population en général. Dans son mémoire, le demandeur a également insisté sur la nature de son travail qui le rend plus à risque que la population en général. Le demandeur appuie ses prétentions sur les affaires Martinez Pineda c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2007 CF 365, [2007] A.C.F. no 501 et Hidalgo Tranquino c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2010 CF 793, [2010] A.C.F. no 962.

 

[11]           Le défendeur, pour sa part, soutient que la proposition du demandeur n’est pas conforme à la jurisprudence de cette Cour et que la Commission était bien fondée de conclure que le risque encouru par le demandeur n’était pas personnalisé puisqu’il était comparable à celui encouru par toute la population du Salvador.

 

[12]           Avec égards et malgré la sympathie que j’éprouve pour le demandeur, je considère que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. J’estime qu’en l’espèce, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que le risque de menaces et d’extorsion de la part des gangs auquel était exposé le demandeur était le même que celui auquel est exposée la population du Salvador en général.

[13]           L’article 97(1)b) de la LIPR ne confère pas de protection aux personnes exposées à un risque auquel sont généralement exposées les autres personnes dans un pays :

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

[…]

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

. . .

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

[14]           La Cour s’est prononcée à plusieurs reprises sur le concept de risque personnalisé dans un contexte où le risque en cause est également encouru par la population en général ou par une partie importante de la population. Dans Prophète, la juge Tremblay-Lamer a énoncé comme suit les principes applicables :

 

[18]      La difficulté qui se présente lors de l'analyse d'un risque personnalisé dans des cas de violations généralisées des droits de la personne, de guerre civile et d'États défaillants est la détermination de la ligne de séparation entre un risque qui est « personnalisé » et un risque qui est « général ». […]

 

[…]

 

[23] […] le demandeur n'est pas personnellement exposé à un risque auquel ne sont pas exposés généralement les autres individus qui sont à Haïti ou qui viennent d'Haïti. Le risque d'être visé par quelque forme de criminalité est général et est ressenti par tous les Haïtiens. Bien qu'un nombre précis d'individus puissent être visés plus fréquemment en raison de leur richesse, tous les Haïtiens risquent de devenir des victimes de violence.

 

[15]           Dans Innocent c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 1019, [2009] A.C.F. no 1243, au par. 67, la Cour a conclu que le fait qu’une personne ait été personnellement victime de criminalité n’en fait pas en soit une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR. L’affaire Acosta Acosta c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2009 CF 213, [2009] A.C.F. no 270, mettait en cause des faits similaires à ceux en l’espèce où le demandeur avait été la cible personnelle des Maras au Honduras et avait établi qu’il était toujours recherché par le gang. La Cour a réitéré les principes énoncés dans Prophète et a conclu ce qui suit :

[…] Il n’est pas plus déraisonnable de conclure qu’un groupe particulier, que ce soit les personnes chargées de la perception du prix des billets d’autobus ou d’autres victimes d’extorsion qui ne payent pas, est exposé à de la violence généralisée que de tirer la même conclusion à l’égard des riches hommes d’affaires en Haïti qui, selon ce qu’on a clairement conclu, sont exposés à un risque plus important de violence que celle qui sévit dans ce pays (paragraphe 16).

 

[16]           Dans Ventura De Parada, le Juge Zinn a repris ces mêmes principes et s’est exprimé comme suit au paragraphe 22 :

Je suis d’accord avec mes collègues pour affirmer qu’un risque élevé auquel est exposé un sous-groupe de la population n’est pas personnalisé si l’ensemble de la population est généralement exposé au même risque, quoique moins fréquemment. Je suis également d’avis que, si un sous-groupe est d’une taille telle que l’on peut affirmer que le risque auquel il est exposé est répandu, alors il s’agit d’un risque généralisé.

 

[17]           Les mêmes principes ont également été appliqués par le juge Boivin dans Perez.

 

[18]           Je reconnais que le demandeur est susceptible d’être à nouveau l’objet d’extorsion et de menaces de la part de gangs s’il retourne au Salvador, mais son risque est comparable à celui encouru par toute la population. Le fait qu’il ait déjà été victime d’extorsion de la part des Maras ne suffit pas pour que son risque soit reconnu comme étant un risque personnalisé, puisque tous les citoyens du Salvador risquent de faire l’objet d’extorsion de la part des gangs. La preuve ne permet pas d’appuyer une conclusion suivant laquelle le fait d’avoir déjà été victime d’extorsion de la part de membres de gangs rend une personne plus susceptible de faire à nouveau l’objet d’extorsion. Je considère donc que la conclusion de la Commission est raisonnable : elle est fondée sur la preuve, elle est bien articulée et elle appartient aux « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au par. 47).

 

[19]           Les jugements dans Martinez Pineda et dans Hidalgo Tranquino ont été rendus dans des contextes factuels particuliers, distincts du contexte factuel qui prévaut dans le présent dossier, et les conclusions de la Cour dans ces affaires ne peuvent être transposées au présent dossier.

 

[20]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et aucune question ne sera certifiée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-968-10

 

INTITULÉ :                                       JORGE ADELMARO MORALES GONZALEZ c. MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 octobre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Oscar Fernando Rodas

 

POUR LE DEMANDEUR

Isabelle Brochu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Oscar Fernando Rodas

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

Miles J. Kirvan

Sous-Procureur Général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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