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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date :  20101102

Dossier :  IMM-1309-10

Référence :  2010 CF 1074

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2010

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

REYNA ISABEL MATUTE ANDRADE

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]             Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27 (LIPR), d’une décision d’un agent d’immigration (l’agent d’ERAR) datée du 18 janvier 2010 rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) de la demanderesse. 

 

Le contexte

[2]             La demanderesse est une citoyenne du Honduras. 

[3]             Elle est arrivée une première fois au Canada le 14 décembre 1999 et elle a revendiqué le statut de réfugié, alléguant avoir subi de la violence conjugale de la part de son ex-conjoint. En mars 2000, elle a donné naissance à son fils. Sa demande d’asile a été rejetée le 15 juin 2000. Le 10 novembre 2000, la Cour fédérale a rejeté sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[4]             Le 3 mars 2003, un premier ERAR de la demanderesse a échoué.

 

[5]             Sachant que son départ était imminent et ne voulant pas forcer son fils à retourner dans son pays, la demanderesse en a confié la garde légale à sa sœur qui a, par ailleurs, a appris en 2002 qu’elle était séropositive. 

 

[6]             Ayant épuisé tous ses recours, la demanderesse est retournée au Honduras en avril 2003.

 

[7]             Suite à son retour, la demanderesse allègue avoir travaillé comme gouvernante pour l’ingénieur Ramon Lobos Sosa, alors député de la ville de San Pedro Sula et avoir plus spécifiquement pris soin de sa fille alors âgée de 18 ans, Margarita Lobos.

 

[8]               Elle allègue que Margarita Lobos fréquentait alors un dénommé Jorge Alberto Ramos Echevarria, surnommé « El coque ».

 

[9]             Elle prétend que le 5 octobre 2003, alors qu’elle accompagnait Mme Lobos et son compagnon M. Echevarria à une fête, Arnulfo Vargas, membre d’un groupe criminalisé connu sous le nom de « Los Cachiros », a tenté de la forcer à danser avec lui malgré son refus. M. Echevarria serait alors intervenu avec ses quatre gardes du corps et aurait frappé M. Vargas. Plus tard, à l’extérieur du lieu de ce premier incident, M. Echevarria aurait, à froid, coupé l’oreille de M. Vargas qui aurait répliqué en menaçant la demanderesse de la tuer et en indiquant qu’elle « serait sienne » avant sa mort.

 

[10]         Le 18 octobre 2003, alors que la demanderesse était en voyage à San Padro Sula en compagnie de Mme Lobos et de M. Echevarria, ils auraient été interceptés par deux voitures et les occupants leur auraient tirés dessus. Ils auraient tous été blessés et transportés à l’hôpital Cenesa de San Pedro Sula.

 

[11]         La demanderesse a par la suite quitté le Honduras pour le Guatemala et y est demeurée pendant environ deux ans. Alors qu’elle était au Guatemala, elle aurait appris que M. Echevarria avait été tué. Elle aurait alors décidé de quitter le Guatemala pour se rendre aux États-Unis et elle y a vécu illégalement de juin 2005 à mai 2008.

 

[12]         Le 16 mai 2008, la demanderesse est revenue au Canada et elle a déposé une demande d’asile qui a été jugée irrecevable en vertu de l’alinéa 101(1)b) de la LIPR, au motif que sa demande d’asile antérieure avait déjà été refusée.

 

 

[13]         La demanderesse a alors déposé une demande ERAR qui a été traitée le 18 janvier 2010. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de révision judiciaire.

 

La décision contestée

[14]         L’agent ERAR a énoncé comme suit les risques allégués par la demanderesse :

La demanderesse craint d’être violée et assassinée par les narcotrafiquants du Honduras, tout comme le fut « El Coque, Jorge Echevarria » et plusieurs membres de la famille de ce dernier.

 

Elle ne peut avoir la protection des autorités de son pays, car ils sont corrompus et ont peur des narcotrafiquants. De plus, étant une femme et simple citoyenne, elle ne pourrait obtenir la protection.

 

Outre pour la protection, la demanderesse ajoute être venue au Canada pour rejoindre son fils qu’elle avait laissé sous la garde de sa sœur Ada qui est atteinte du SIDA. Elle souhaite pouvoir s’occuper  d’elle et de son fils canadien. S’il arrivait quelque chose à sa sœur, elle ne saurait pas à qui laisser son fils et ne voudrait pas mettre la vie de celui-ci en danger, lors d’un retour éventuel au Honduras.

 

[15]         L’agent d’ERAR a rejeté la demande pour les motifs suivants :

 

  • L’agent a accordé peu de valeur probante à l’allégation de la demanderesse relative à l’emploi qu’elle occupait au service du député Lobos Sosa parce qu’elle n’a pas présenté de preuves et n’a pas donné de détails permettant d’attester de son emploi qu’elle aurait occupé pendant de nombreuses années et parce que cette allégation, quant à son emploi, contredit son Formulaire de renseignements personnels dans lequel elle a indiqué avoir été commerçante au cours de la même période;
  • L’agent a accordé peu de valeur probante à l’allégation de la demanderesse voulant qu’elle ait été victime de fusillade parce que la preuve documentaire produite par la demanderesse au soutien de son allégation est composée d’un article de journal qui n’était pas entièrement traduit et dont l’agent estimait ne pouvoir apprécier dans son ensemble et parce qu’il n’a pas été en mesure de retracer sur Internet le deuxième article déposé, lequel avait été  tiré d’Internet;
  • La demanderesse n’a produit aucun rapport médical ou rapport policier pour corroborer l’évènement de la fusillade;
  • Le risque auquel est exposée la demanderesse n’est pas un risque personnalisé et il correspond au risque encouru par toute la population du Honduras;
  • La demanderesse aurait pu se prévaloir de la protection des autorités.

 

Questions en litige

[16]         Les reproches formulés par la demanderesse à l’endroit de l’agent ERAR soulèvent les questions en litige suivantes :

 

1) l’agent d’ERAR a-t-il erré en ne convoquant pas la demanderesse à une audience en vertu de l’alinéa 113 b) de la LIPR?

 

2) l’agent d’ERAR a-t-il apprécié la preuve de façon déraisonnable, notamment en ne retenant pas les deux articles de journaux soumis par la demanderesse, en ne prenant pas en considération le rapport médical de la demanderesse et en concluant que la demanderesse n’avait pas réussi à renverser la présomption de protection de l’État?

 

Analyse

[17]         Pour les motifs ci-après exposés, j’estime que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

Normes de contrôle

[18]          La norme de contrôle applicable à la révision des décisions d’ERAR diffère selon la nature des questions soulevées.

 

[19]         La jurisprudence est partagée quant à la norme de contrôle qui s’applique à la décision d’un agent d’ERAR de tenir ou non une audience. Dans certains jugements, la Cour a appliqué la norme de la décision correcte parce que la tenue d’une audience soulève une question d’équité procédurale (Hurtado Prieto c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 253, [2010] A.C.F. no 307; Zemo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 800, [2010] A.C.F. no 981; Latifi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 FC 1388, [2006] A.C.F. no 1738; Lewis c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 FC 778, [2007] A.C.F. no 1042).

 

[20]         Dans d’autres jugements, la Cour a adopté une approche qui varie selon la nature de la question en litige et jugé que l’omission d’un agent d’ERAR de se questionner sur la pertinence de tenir une audience constitue une violation de l’équité procédurale et que la décision est alors assujettie à la norme de la décision correcte.

 

[21]         Toutefois, l’analyse de la pertinence de tenir une audience à la lumière du contexte particulier d’un dossier et en application des facteurs prévus à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) implique l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui commande la déférence et qui est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Kazemi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1010, [2007] A.C.F. no 1289; Iboude c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1316, [2005] A.C.F. no 1595; Puerta c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 FC 464, [2010] A.C.F. no 546).

 

[22]         En l’espèce, je considère que les questions de savoir si l’agent d’ERAR a tiré des conclusions relatives à la crédibilité de la demanderesse et si, le cas échéant, il devait convoquer une audience en application des critères prévus à l’article 167 du Règlement constituaient des questions mixtes de fait et de droit assujetties à la norme de la raisonnabilité (Borbon Marte c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 930, [2010] A.C.F. no 1128).

 

[23]         La deuxième question soulevée met en cause l’appréciation de la preuve par l’agent d’ERAR et à cet égard, il est bien établi qu’il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation à celle du décideur administratif et qu’elle doit faire preuve de déférence face à son évaluation de la preuve et à l’appréciation de la crédibilité. La norme de contrôle applicable à ses conclusions est, elle aussi, celle de la raisonnabilité et la Cour n’interviendra que si ces dernières s’avèrent factuellement erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou si la décision ne tient pas compte de la preuve présentée (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Martinez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 798, [2009] A.C.F. no 933; Alinagogo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 FC 545, [2010] A.C.F. no 649.

 

Analyse

1) L’agent d’ERAR a-t-il erré en ne convoquant pas la demanderesse à une audience en vertu de l’alinéa 113(b) de la LIPR?

 

[24]         La demanderesse soutient que comme l’agent d’ERAR a remis en question sa crédibilité, il aurait dû la convoquer à une audience avant de rendre sa décision, et ce, en vertu de l’alinéa 113 b) de la LIPR et des critères établis dans le Règlement à l’article 167.

 

[25]         Le défendeur, soutient pour sa part que l’agent d’ERAR n’a pas mis en doute la crédibilité de la demanderesse, mais qu’il a plutôt conclu à l’insuffisance de la preuve qu’elle a présentée au soutien de ses allégations

 

[26]         De façon subsidiaire, le défendeur soutient que même si l’agent d’ERAR a mis en doute la crédibilité de la demanderesse, il n’avait pas à convoquer une audience puisque la crédibilité de la demanderesse n’était pas l’élément central de sa décision.

 

[27]         Je souscris à la proposition subsidiaire du défendeur.

 

[28]         De façon générale, les demandes d’ERAR sont traitées sur la base des prétentions écrites et de la preuve documentaire soumise par le demandeur ou la demanderesse. L’alinéa 113 b) de la LIPR prévoit par ailleurs la possibilité de tenir une audience si le ministre « l’estime requis compte tenu des facteurs règlementaires ».

 

[29]         L’article 167 du Règlement énonce les facteurs à prendre en considération pour déterminer si une audience est requise:

Facteurs pour la tenue d’une

audience

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

Hearing —prescribed factors

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

[30]         Il est bien établi que pour qu’une audience soit requise, il faut que la crédibilité du demandeur soit mise en doute et que cet élément soit déterminant dans la question que doit trancher l’agent d’ERAR (Teckie c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27, [2005] A.C.F. no 39; Abdou c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 752 , [2004] A.C.F. no 916.

 

[31]         Pour déterminer si la décision de l’agent d’ERAR est fondée sur la crédibilité, la Cour doit analyser la décision de l’agent d’ERAR en allant au-delà des termes qu’il a lui-même utilisés. Par exemple, même si l’agent indique que sa décision est fondée sur l’insuffisance de la preuve, il est possible qu’il ait, dans les faits, remis en question la crédibilité du demandeur (Hurtado Prieto (précité); Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, [2008] F.C.J. No. 1308.

 

[32]         À l’inverse, même lorsque l’agent d’ERAR indique dans sa décision qu’il met en doute la crédibilité du demandeur, la Cour doit déterminer le véritable fondement de la décision avant de conclure si elle repose sur l’absence de crédibilité ou l’insuffisance de preuve (Wang c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 FC 799, [2010] A.C.F. no 980 et voir également Zemo (précité)).

 

[33]         Ainsi, il est possible que la décision soit basée sur le fait que la preuve soit insuffisante, mais que l’agent ait néanmoins douté de la crédibilité du demandeur. Voir au paragraphe 33 de l’arrêt Hurtado Prieto.

 

[34]         Dans l’arrêt Ferguson (précité), le juge Zinn a proposé une méthode permettant de faire une distinction entre les décisions basées sur la crédibilité et les décisions basées sur l’insuffisance de preuve. J’ai souscrit à cette méthode dans Borbon Marte. Au paragraphe 25 de l’arrêt Ferguson, le juge Zinn soutient qu’une conclusion qu’une décision n’est pas crédible peut s’avérer dans les faits une décision à l’effet que la preuve fournie n’est pas fiable.

 

[35]         Également, les conclusions d’un agent à l’effet que les déclarations antérieures du témoin ne sont pas cohérentes ou contredisent la nouvelle preuve présentée, à l’effet que le demandeur a omis de présenter cette preuve prépondérante plus tôt ou bien à l’effet que la preuve documentaire n’est pas fiable (par exemple, parce que l’auteur d’un rapport possède des intérêts personnels dans l’affaire en l’espèce) peuvent s’avérer des conclusions basées sur la crédibilité. 

 

[36]         Dans le dossier en l’espèce, bien que l’agent d’ERAR n’utilise pas à proprement parler de vocable relatif à la « crédibilité » de la demanderesse, il n’en demeure pas moins qu’une analyse exhaustive de sa décision démontre qu’il l’a, dans les faits, remise en question.

 

[37]         En effet, l’agent conclut que la demanderesse s’est contredite puisque sa nouvelle allégation à l’effet qu’elle était à l’emploi du député Ramon Lobos est contraire à celle mentionnée dans son formulaire de renseignements personnels soumis pour sa première demande de protection, et dans laquelle elle mentionnait qu’elle travaillait à son compte de 1990 à 1999.

 

[38]         Il conclut également qu’à cette contradiction, s’ajoute l’absence de preuve objective et fiable permettant de soutenir sa version.

 

[39]         En outre, l’agent d’ERAR accorde très peu de valeur probante aux deux articles de journaux soumis par la demanderesse comme élément corroborant ses allégations. Je considère qu’en l’espèce, en remettant ainsi en question la valeur probante de la preuve documentaire soumise par la demanderesse pour corroborer ses allégations, l’agent d’ERAR a implicitement remis en question sa crédibilité.

 

[40]         Je comprends également de la lecture de l’ensemble de la décision, et plus particulièrement, des passages référant aux décisions antérieures prises dans le dossier de la demanderesse, que l’agent d’ERAR n’a pas cru la demanderesse. La première condition d’application de l’article 167 m’apparaît donc remplie.

 

[41]         Toutefois, une audience n’est requise que si la crédibilité est un élément central de la décision de l’agent. Autrement dit, pour qu’une audience soit requise il faut que n’eut été de la remise en cause de la crédibilité de la demanderesse, l’issue de sa demande d’ERAR aurait vraisemblablement été différente. En l’espèce, la remise en cause de la crédibilité de la demanderesse ne justifiait pas à elle seule une audience.

 

[42]         Dans Bacca c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 566, [2006] A.C.F. no 714, le juge Strayer s’est exprimé comme suit au paragraphe 9 :

[…] Les facteurs qui servent à décider de l'opportunité de tenir une audience au sujet des nouveaux éléments de preuve sont cumulatifs. Ces facteurs sont les suivants : l'existence d'éléments de preuve qui soulève « une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur », l'importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection et, enfin, la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu'ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

[43]         Dans Sylla c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 475, [2004] A.C.F. no 589, le juge Noël s’est exprimé comme suit :

[6]        Le droit à l'audition dans le cadre de la procédure ERAR existe en autant que la crédibilité est l'élément clé sur lequel l'agent fonde sa décision et que sans une conclusion déterminante concernant celle-ci, la décision n'aurait pas sa raison d'être. […]

 

[44]         Cette interprétation du concept de question sérieuse a également été entérinée dans plusieurs autres décisions de la Cour (Karimi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1010, [2007] A.C.F. no 1289; Selliah c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872, [2004] A.C.F. no 1134; Lewis, Latifi et Teckie).

 

[45]         En l’espèce, je considère que la mise en cause de la crédibilité de la demanderesse n’était pas déterminante puisque l’agent d’ERAR a également conclu que le risque de la demanderesse n’était pas personnalisé et qu’elle aurait pu se prévaloir de la protection de l’État. Chacune de ses questions était en soi déterminante et suffisante pour rejeter la demande.

 

[46]         Il n’y a donc pas lieu d’intervenir sur ce motif.

 

2) L’agent d’ERAR a-t-il apprécié la preuve de façon déraisonnable?

 

[47]         Je vais débuter par les deux dernières erreurs alléguées qui, à mon avis, portent sur des questions déterminantes.

 

L’absence de risque personnalisé

[48]         Il est bien établi que pour qu’une personne puisse être considérée comme une « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR, il faut que le risque auquel elle est exposée soit personnalisé, c’est-à-dire qu’il soit plus important que celui auquel est généralement exposée la population du pays d’origine (Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, [2008] A.C.F. no 415; Innocent c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1019, [2009] A.C.F. no 1243 et Gonzalez).

 

[49]         L’agent d’ERAR a conclu que la demanderesse n’avait pas fait la preuve qu’elle encourait un risque personnalisé plus important que celui de la population du Honduras en général. Il s’exprime comme suit :

Les documents de références rapportent effectivement des problèmes de violence, de corruption, d’abus, d’impunité et de narcotrafic au Honduras. Toutefois, il s’agit d’une situation générale que vit toute la population du Honduras et non d’une situation personnelle à la demanderesse.

 

[…]

 

Suite à un examen du dossier de la demanderesse et de la preuve documentaire consultée, je conclus qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse ou de chance raisonnable qu’elle soit exposée à des risques personnels de persécutions, auxquels ne seraient pas généralement exposées d’autres personnes provenant de ce pays ou s’y trouvant, lors de son retour au Honduras.

 

De plus, je conclus qu’il n’y a pas de motifs sérieux de croire qu’elle serait exposée à des risques personnels, de torture, menace à la vie ou risque de traitements ou peines cruels et inusités, auxquels ne seraient pas généralement exposées d’autres personnes provenant de ce pays ou s’y trouvant.

 

[50]         Cette conclusion m’apparaît raisonnable en regard de la preuve, même en prenant pour acquis que tous les faits relatés par la demanderesse sont véridiques.

 

 

[51]         La demanderesse a invoqué le passage suivant au soutien de son allégation suivant laquelle l’agent d’ERAR a mis en cause sa crédibilité en raison de l’utilisation des termes « ne permettent pas de croire ».

Les faits relatés par la demanderesse, ainsi que tous les autres éléments de preuve soumis, incluant les conditions afférentes au pays au moment de la décision, ne permettent pas de croire qu’elle serait personnellement ciblée par les narcotrafiquants, par des policiers corrompus ou par tout autre groupe; […]

 

[52]         Avec égards, je considère plutôt que ces termes lus dans le contexte des extraits précités de la décision et dans le contexte global du paragraphe dans lequel ils sont utilisés, ont plutôt le sens de « ne permettent pas de penser » et que pour tirer cette conclusion, l’agent d’ERAR a présumé que les faits allégués étaient véridiques. Il débute d’ailleurs sa phrase par « les faits relatés » et il réfère ensuite aux conditions afférentes au Honduras. Il s’agit à mon sens d’une indication qu’il a tenu pour avérés les faits relatés par la demanderesse. Ma conviction est renforcée par les extraits précités de la décision.

 

[53]         Je considère donc que la conclusion de l’agent d’ERAR indiquant que la demanderesse n’était pas exposée à un risque personnel plus élevé que celui auquel était exposée la population du Honduras en général était raisonnable et justifiait à elle seule le rejet de la demande en vertu de l’article 97 de la LIPR.

 

[54]         Bien que l’agent d’ERAR n’ait pas procédé à une analyse distincte de la demande sous l’angle de l’article 96 et que la demanderesse n’a pas invoqué appartenir à un groupe social, l’agent a indiqué avoir procédé à une analyse en vertu des deux articles. Je vais donc analyser la question de la présomption de protection de l’État.

 

La présomption de protection de l’État.

[55]         La demanderesse soutient que la Commission a fait une analyse superficielle et sélective de la preuve relative à la capacité du Guatemala de protéger ses citoyens et qu’elle a omis de considérer la preuve documentaire qu’il a soumise et qui constituait une preuve claire et convaincante de l’incapacité du Honduras à assurer sa protection.  

 

[56]         Dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 725, la Cour suprême a clairement établi qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il existe une présomption qu’un pays est en mesure de protéger ses citoyens et qu’une personne doit se prévaloir des mesures de protection dans son pays avant de demander l’asile dans un pays étranger. L’agent d’ERAR doit procéder à l’analyse de la demande à la lumière des éléments de preuve soumis par la demanderesse et la demande de contrôle judiciaire doit se faire à la lumière de la preuve dont disposait l’agent d’ERAR (Gosal c. Canada (ministre de la Sécurité publique), 2010 CF 620, [2010] F.C.J. No. 773).

[57]         La présomption concernant la disponibilité de la protection de l’État ne peut être réfutée que lorsque le demandeur apporte la preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de son pays d’origine à lui offrir une protection efficace (Ward). Dans Carillo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] F.C.J. No. 399, la Cour d’appel fédérale a traité de la qualité de la preuve qui était exigée et précisé, au paragraphe 30 :

[…] Autrement dit, le demandeur d'asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l'État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l'État en question est insuffisante.

 

 

[58]         De façon générale, une personne doit solliciter l’aide des autorités avant de conclure que l’État n’est pas en mesure de lui accorder une protection adéquate, mais ce n’est pas nécessaire dans tous les cas. Comme la Cour suprême l’a indiqué dans Ward au paragraphe 48:

Un réfugié peut prouver une crainte bien fondée d'être persécuté lorsque les autorités officielles ne le persécutent pas, mais qu'elle [sic] refusent ou sont incapables de lui offrir une protection adéquate contre ses persécuteurs [...] toutefois, il doit démontrer qu'il a demandé leur protection une fois convaincu, comme c'est le cas en l'espèce, que les autorités officielles -- lorsqu'elles étaient accessibles -- n'avaient rien à voir -- de façon directe ou indirecte, officielle ou non officielle -- dans la persécution dont il faisait l'objet. (José Maria da Silva Moreira, décision T86-10370 de la Commission d'appel de l'immigration, 8 avril 1987, aux pp. 4 et 5, V. Fatsis.)

 

Ce n'est pas vrai dans tous les cas. La plupart des États seraient prêts à tenter d'assurer la protection, alors qu'une évaluation objective a établi qu'ils ne peuvent pas le faire efficacement. En outre, le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d'un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l'encontre de l'objet de la protection internationale.

 

 

[59]         Il appartient toutefois à la partie demanderesse de démontrer qu’il n’était pas raisonnable de lui imposer de solliciter la protection de son pays pour justifier son omission.

 

[60]         En l’espèce, la demanderesse a justifié son omission de solliciter l’aide des autorités par le fait que celles-ci étaient corrompues, qu’elles avaient peur des narcotrafiquants et qu’elles n’étaient pas en mesure d’assurer sa protection en tant que femme.

 

[61]         Je considère que la preuve documentaire soumise par la demanderesse ne constituait pas une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à assurer sa protection, compte tenu de ses allégations.

 

[62]         La preuve documentaire produite par la demanderesse fait état de problèmes généraux au Honduras et plus particulièrement de la violence sexuelle à l’égard des femmes. L’agent d’ERAR a reconnu l’existence de ces problèmes. Toutefois, la crainte de la demanderesse est dirigée à l’endroit des narcotrafiquants et ses explications correspondent à des allégations très générales. La preuve documentaire produite par la demanderesse ne constitue pas un élément de preuve clair et convaincant que les autorités sont corrompues, qu’elles ont peur des narcotrafiquants et qu’en tant que femme, elle n’aurait pas de protection.

 

[63]         La preuve documentaire soumise ne contredit pas non plus les conclusions de l’agent d’ERAR qui a reconnu qu’il existait des problèmes, mais que la preuve démontrait que le Honduras est une République démocratique constitutionnelle indépendante où il existe un système judiciaire indépendant et des institutions.  

 

[64]         L’agent d’ERAR est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve et qu’il n’est pas nécessaire qu’il mentionne tous les éléments de preuve documentaire dont il disposait (Florea c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. No. 598; Ramirez Chagoya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 721, [2008] A.C.F. no 908).

 

[65]         Je considère qu’en l’espèce, il ne s’agissait pas d’un cas où l’agent devait traiter spécifiquement de la preuve soumise par la demanderesse telle que l’exige la jurisprudence lorsque la partie demanderesse soumet des éléments de preuve sur un élément important qui contredisent les conclusions tirées par le décideur (Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no. 1425, 157 F.T.R. 35).

 

[66]         J’estime donc que la conclusion de l’agent d’ERAR voulant que la demanderesse aurait pu se prévaloir de la protection de l’État appartient aux issues raisonnables au regard de la preuve.

 

[67]         La question de la protection de l’État étant déterminante, il ne m’apparaît pas nécessaire de poursuivre l’analyse des autres reproches formulés par la demanderesse.

 

[68]         Pour ces motifs la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[69]         Les parties n’ont proposé aucune question importante aux fins de certification et aucune question ne sera certifiée.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

                                                                                                                                   


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1309-10

 

INTITULÉ :                                       REYNA ISABEL MATUTE ANDRADE c. MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gisela Barraza

 

POUR LA DEMANDERESSE

Liza Maziade

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gisela Barraza

Montréal, Québec

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-Procureur Général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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