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Date : 20101102

Dossier : IMM‑2149‑10

Référence : 2010 CF 1075

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 2 novembre 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ZINN

 

ENTRE :

TAPAN KUMAR PAUL

demandeur

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               À mon avis, non seulement le défendeur a violé les règles de justice naturelle et agi de manière inéquitable envers Tapan Kumar Paul, mais il l’a fait d’une façon particulièrement outrageuse.

 

[2]               Citoyen du Bangladesh, M. Paul a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de travailleur qualifié au Haut‑commissariat du Canada à Singapour en juillet 2006, c.‑à‑d. il y a quatre ans et demi. Dans sa demande, il a sollicité cinq points parce qu’il avait de la famille au Canada, étant donné que sa sœur était une citoyenne canadienne résidant au Canada, et précisé que sa sœur, du nom de Tapashi Das, était mariée. Étant donné qu’elle ne portait pas le nom de famille du demandeur, il était raisonnable de croire qu’elle utilisait le nom de son époux. En tout état de cause, un simple examen de la demande aurait permis de constater immédiatement que Mme Das et le demandeur ne portaient pas le même nom de famille.

 

[3]               Le 27 novembre 2009, le demandeur a reçu du Haut‑commissariat du Canada à Singapour une lettre visant à obtenir des documents justificatifs supplémentaires. La lettre comportait une liste des documents et la mention suivante : [traduction] « VOUS (DEVRIEZ) ENVOYER UNIQUEMENT LES DOCUMENTS MARQUÉS D’UN √ » (non souligné dans l’original).

 

[4]               La lettre est une lettre type. Un des documents figurant sur la liste est intitulé [traduction] « Copie notariée du (des) certificat(s) de mariage de ______ »; aucun crochet ne figurait à côté de ce document. Le demandeur était cependant tenu de fournir une [traduction] « preuve de la relation entre vous et un membre de votre famille au Canada (seuls des certificats de naissance sont acceptés. Les déclarations solennelles ne sont pas acceptables) » (non souligné dans l’original).

 

[5]               M. Paul a obtempéré à la demande et fourni le certificat de naissance de sa sœur, sur lequel figurait évidemment le nom d’origine de celle‑ci, Tapashi Rani Paul. La date de naissance apparaissant sur le certificat était identique à celle que M. Paul avait mentionnée dans sa demande et à celle qui figurait sur le certificat de citoyenneté canadienne de Tapashi Das qu’il avait joint à sa demande. M. Paul n’a pas fourni le certificat de mariage de sa sœur car, selon les directives du défendeur, il devait fournir uniquement les documents marqués d’un crochet.

 

[6]               Le 11 février 2010, le demandeur a reçu avis d’une décision défavorable au sujet de sa demande. Il avait obtenu un total de 66 points, soit un point de moins que les 67 points exigés. Il n’avait reçu aucun point à l’égard du fait qu’un membre de sa famille était au Canada. L’agent s’est exprimé comme suit :

[traduction]

[V]ous n’avez pas établi que vous aviez un parent admissible résidant au Canada. Vous n’avez pas fourni de certificat de mariage susceptible d’établir la relation entre Mme Das et vous‑même. Par conséquent, aucun point n’a été attribué au titre de la capacité d’adaptation.

 

 

[7]               Les notes versées au STIDI, qui font partie du dossier certifié du tribunal, permettraient peut‑être de comprendre pourquoi l’agent n’a attribué aucun point au demandeur parce qu’il avait omis de fournir le certificat de mariage de sa sœur alors qu’il avait reçu pour directive précise de fournir uniquement le certificat de naissance de celle‑ci.

 

[8]               L’agent qui a examiné la demande le 26 novembre 2009 a souligné que, s’il était établi que le membre de la famille au Canada était la sœur du demandeur, celui‑ci obtiendrait cinq points au titre de la capacité d’adaptation et aurait donc suffisamment de points pour se voir attribuer le visa. Ce même agent a consigné la remarque suivante : [traduction] « CERTIFICAT DE MARIAGE DE LA SOEUR DU DEMANDEUR ET PREUVE DE RÉSIDENCE AU CANADA À DEMANDER ». Même s’il appert de la chemise de classement faisant partie du dossier certifié du tribunal que, le 27 novembre 2009, une demande de document a été faite, la lettre qui a été envoyée à cette date ne fait pas partie du dossier en question. Or, c’est cette lettre qui renferme la directive précise selon laquelle le demandeur ne devait pas faire parvenir de copie du certificat de mariage de sa sœur; effectivement, toute personne raisonnable aurait compris, en lisant la lettre, qu’elle ne devait pas envoyer le certificat de mariage au défendeur.

 

[9]               Les agents devraient sans doute réviser les lettres envoyées aux demandeurs dans ce type de situation plutôt que de s’en remettre simplement aux notes versées dans le STIDI, comme ce qui semble avoir été fait en l’espèce. Des erreurs sont parfois commises et les directives données ne sont pas toujours suivies à la lettre. En raison de cette omission, l’agent dont la décision est contestée a pénalisé le demandeur. Voici ce qu’il a écrit dans les notes en question : [traduction] « LE DEMANDEUR N’A PAS FOURNI DE PREUVE DE LA RELATION QUI EXISTE ENTRE TAPASHI DAS ET LUI‑MÊME. IL A FOURNI LE CERTIFICAT DE NAISSANCE DE TAPASHI RANI PAUL, MAIS N’A PAS FOURNI DE CERTIFICAT DE MARIAGE MONTRANT QUE TAPASHI DAL (sic) EST LA MÊME PERSONNE ».

 

[10]           Il est peut‑être compréhensible que l’agent soit arrivé à cette décision, puisqu’il n’a apparemment pas été saisi de la lettre qui avait été envoyée au demandeur et dans laquelle différents documents autres que le certificat de mariage avaient été demandés à celui‑ci. Cependant, comment le défendeur a‑t‑il pu continuer à défendre cette décision après avoir reçu une copie de la lettre en même temps que le dossier déposé avec la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire?

 

[11]           Il appert clairement de la lettre que le défendeur a incité le demandeur à croire qu’il n’était pas tenu d’envoyer le certificat de mariage à l’agent réviseur et qu’il ne devait pas le faire. La conduite du défendeur s’apparente à celle de Lucy qui, alors que Charlie Brown s’apprête à donner un coup de pied dans le ballon, le lui retire malgré ses promesses contraires. Lucy a agi de façon mesquine et inéquitable; la conduite du défendeur va à l’encontre de l’obligation d’équité procédurale.

 

[12]           À l’audience, après avoir exprimé l’avis que le défendeur avait manifestement tort, j’ai demandé aux parties de commenter la question des dépens. Le demandeur a sollicité un montant de 1 500 $ au titre des dépens, tandis que le défendeur a soutenu qu’il n’y avait aucune circonstance exceptionnelle justifiant l’octroi de dépens.

 

[13]           L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, est ainsi libellé :

Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

 

 

[14]           J’estime qu’il y a des raisons spéciales d’accorder des dépens en l’espèce. L’agent d’immigration qui a rendu la décision a commis une erreur manifeste et, ce faisant, un manquement flagrant à l’obligation d’équité procédurale. Le défendeur a décidé de contester la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur, ce qui a obligé celui‑ci à engager des frais et honoraires juridiques élevés, même s’il avait manifestement raison. De plus, le défendeur n’a pas répondu dans ses observations à la question sérieuse que le demandeur a soulevée et au sujet de laquelle il a eu gain de cause. Le défendeur a plutôt invoqué des arguments stéréotypés au sujet de l’obligation de motiver une décision et de la décision manifestement déraisonnable, lesquels arguments n’ont rien à voir avec la question claire que le demandeur a soulevée.

 

[15]           Dans Dhoot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1295, le juge Kelen a accordé des dépens dans des circonstances où une lettre de convocation à une entrevue n’avait pas été envoyée au demandeur. Voici comment il s’est exprimé au paragraphe 19 de cette décision :

Dans un cas comme celui‑ci, c’est à tort que le défendeur s’est opposé aux prétentions du demandeur. Pour ce motif, il y a en l’espèce des circonstances spéciales qui justifient l’adjudication de dépens au demandeur. Le demandeur a apporté une preuve convaincante qu’il n’a pas reçu la lettre de convocation à l’entrevue. Le défendeur aurait dû reconnaître que cette lettre n’avait pas été dûment envoyée ni reçue, et la présente audience n’aurait pas été nécessaire. Par conséquent, les dépens afférents à la demande présentée à la Cour sont accordés au demandeur.

 

 

[16]           Dans la présente affaire, la conduite inéquitable et inappropriée du défendeur tout au long de l’instance a eu pour effet de prolonger indûment celle‑ci et de retarder le traitement de la demande du demandeur. Ce sont là des circonstances spéciales qui justifient l’adjudication de dépens. De plus, il convient d’ordonner au défendeur de traiter rapidement la demande que le demandeur a présentée en vue d’obtenir un visa de résident permanent à titre de travailleur qualifié.

 

[17]           Aucune partie n’a proposé de question à faire certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.         La présente demande est accueillie et la décision datée du 11 février 2010 dans laquelle l’agent d’immigration a rejeté la demande du demandeur en vue d’obtenir un visa de résident permanent à titre de travailleur qualifié est annulée.

2.         La demande du demandeur en vue d’obtenir un visa de résident permanent à titre de travailleur qualifié est renvoyée à un agent d’immigration différent pour qu’il procède à une évaluation conformément aux présents motifs et aux directives suivantes :

(i)         l’agent d’immigration fera l’évaluation et rendra sa décision dans les trois mois suivant la date du présent jugement, faute de quoi le défendeur accordera au demandeur un visa de résident permanent à titre de travailleur qualifié, eu égard au nombre de points initialement attribués à celui‑ci;

(ii)        si l’agent d’immigration estime que le certificat de mariage de la sœur du demandeur ou tout autre document doit être fourni, il informera le demandeur des documents précis à fournir et lui accordera un délai raisonnable à cette fin.

3.         Aucune question n’est certifiée.

4.         Étant donné qu’il existe des raisons spéciales dans la présente affaire, comme le prévoit l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, le demandeur a droit à ses dépens, lesquels sont fixés à un montant de 1 500 $, y compris les débours et les taxes.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2149‑10

 

INTITULÉ :                                                   TAPAN KUMAR PAUL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 28 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 2 novembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rezaur Rahman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Julia Barss

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

REZAUR RAHMAN LAW OFFICE

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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