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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20101028

Dossier : IMM-6618-09

Référence : 2010 CF 1059

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 28 octobre 2010

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

JUAN ARTEMIO AVILES YANEZ

GENOVEVA YOLANDA RODRIGUEZ DE LA ROSA

PAOLA AVILES RODRIGUEZ

JORGE EDUARDO AVILES RODRIGUEZ

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et visant la décision, datée du 11 décembre 2009, de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger aux fins des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

Le contexte

 

[2]               Les demandeurs sont tous citoyens du Mexique.

 

[3]               En 1990, M. Aviles Yanez (le demandeur principal) et son épouse ont acheté un lot dans lequel il devait y avoir un nouveau quartier appelé « Las Maravillas », situé dans l’arrondissement d’Iztapalapa de la ville de Mexico. Ils s’y sont installés en 1995.

 

[4]               À l’appui de leur demande, ils allèguent les faits qui suivent.

 

[5]               En 1996, un différend est survenu entre les résidents de Las Maravillas et les autorités municipales d’Iztapalapa (la délégation d’Iztapalapa). La délégation d’Iztapalapa soutenait que les résidents n’avaient pas reçu l’autorisation de lotissement et que, dans les faits, ils violaient un décret présidentiel qui avait désigné les terres de Las Maravillas comme faisant partie d’une réserve écologique. En février 1996, après avoir donné un avis de 48 heures, la délégation d’Iztapalapa a commencé à démolir les maisons. Les résidents se sont adressés aux tribunaux pour obtenir une injonction, laquelle leur a été finalement accordée. Cependant, le 19 juillet 1996, la démolition s’est poursuivie – quelque 45 maisons sur un total de 70 à 80 maisons qui avaient été construites ont été détruites. Les tribunaux sont à nouveau intervenus.

 

[6]               La relation trouble des résidents avec la délégation d’Iztapalapa s’est poursuivie. En 2004, sous le prétexte d’effectuer des travaux d’entretien, la délégation d’Iztapalapa a coupé les services d’eau au quartier, a interrompu l’électricité et a même creusé une tranchée pour empêcher les résidents d’entrer ou de sortir de la collectivité en automobile. C’est à cette époque que la délégation d’Iztapalapa a commencé à exiger un droit de 50 pesos par maison, par semaine, pour ne pas démolir davantage de maisons.

 

[7]               À la fin de 2006, la situation s’est détériorée davantage. En novembre, des représentants de la délégation d’Iztapalapa ont fait une visite aux bureaux de l’association des propriétaires de résidences de Las Maravillas (l’association). Ils venaient pour percevoir leur paiement habituel. Cette fois-là, toutefois, le président de l’association et le demandeur principal – qui était secrétaire de l’association – ont refusé de payer. Les représentants ont menacé le demandeur principal et l’ont averti que leur patron, le sénateur nouvellement élu Rene Arce Islas, était puissant et que le refus le mettrait en colère.

 

[8]               En décembre de cette année-là, trois personnes du Front populaire Fransciso Villa (le FPFV), une organisation politique supposément inféodée au sénateur Arce Islas, se sont également présentées aux bureaux de l’association. Les membres du groupe ont fait savoir qu’ils avaient de bonnes relations avec le sénateur. Ils ont expliqué que le FPFV serait capable de régler les problèmes des résidents avec la délégation d’Iztapalapa et avec le sénateur Arce Islas, si l’association était disposée à lui céder 50 des 200 lots de Las Maravillas. Cette « offre » a été refusée. À ce moment-là, l’un des individus a pris à part le demandeur principal et lui a dit que, si les terres n’étaient pas cédées, il en subirait des conséquences importantes. Les demandeurs soutiennent que le sénateur Arce Islas était la force motrice à l’origine de ces deux incidents.

 

[9]               L’association s’est adressée à la Commission nationale des droits de la personne du Mexique (la CNDP) pour déposer une plainte à l’encontre du FPFV et du sénateur Arce Islas. La CNDP a, toutefois, indiqué qu’elle n’avait pas compétence pour traiter la demande et a recommandé de plutôt déposer une demande auprès de la délégation d’Iztapalapa. La délégation d’Iztapalapa a refusé d’accepter la plainte sans preuve.

 

[10]           La situation à Las Maravillas continuait à se dégrader. Des agents de police s’étaient mis à harceler des membres de la collectivité. Le demandeur principal a commencé à recevoir des menaces de mort sur son téléphone cellulaire. Le 11 décembre 2006, l’association a décidé d’installer une caméra vidéo pour enregistrer les activités dans le quartier et recueillir des preuves. Au cours des quelques nuits suivantes, la caméra vidéo a filmé des agents de la délégation d’Iztapalapa pendant qu’ils entraient dans le quartier, enlevaient des pièces d’automobiles volées, inscrivaient des menaces sur les murs et cassaient des fenêtres. L’association a décidé de montrer les bandes vidéo aux médias.

 

[11]           Le soir du 15 décembre 2006, la nuit avant que le demandeur principal dût apporter les bandes vidéo aux médias, un cambriolage a eu lieu dans les bureaux de l’association ainsi que dans sa maison. On a subtilisé les bandes vidéo et laissé une note dans le bureau, avertissant l’association de cesser ses enquêtes et ses plaintes sous la menace d’en subir les conséquences. À la résidence des demandeurs, les intrus ont laissé sur un mur le message que le prochain message serait écrit avec le sang des deux enfants du demandeur principal, Jorge et Paola. Le 20 décembre 2006, la police est entrée par effraction dans la maison de la belle-sœur du demandeur principal à la recherche de celui-ci; les agents ont dit qu’ils avaient un mandat. Le 21 décembre 2006, les demandeurs ont quitté la ville de Mexico et ont déménagé à Querétaro.

 

[12]           En avril 2007, le demandeur principal a commencé à recevoir des menaces téléphoniques à son nouveau numéro de téléphone cellulaire. Le 3 mai 2007, il a demandé l’aide de la Commission des droits de la personne de l’État de Querétaro. La Commission lui a dit qu’elle n’avait pas compétence pour l’aider, mais lui a donné un document qu’il pourrait présenter au Bureau du procureur général pour prier celui-ci de recevoir sa plainte relative aux menaces. Le demandeur principal n’a pas apporté le document aux autorités.

 

[13]           Le 13 mai 2007, pendant qu’il était à son emploi dans un restaurant de Querétaro, un homme a confronté le demandeur principal en lui disant que le Mexique était une petite place et qu’il ne pourrait pas se cacher. C’est à ce moment-là que les demandeurs ont décidé de partir. Le demandeur principal a démissionné de son emploi le jour suivant. Le 24 mai 2007, après qu’il fut allé chercher son dernier chèque de paie au travail, deux hommes l’ont attaqué. Ils lui ont donné des coups de pied et lui ont dit qu’ils ne l’avaient pas oublié. Ils lui ont donné 24 heures pour convaincre les résidents de Las Maravillas de céder les 50 lots au FPFV, sinon lui et sa famille le paieraient de leur vie. Le demandeur principal s’est rendu au ministère public à Querétaro, en compagnie d’un avocat, pour déposer une plainte à l’égard des attaques et de la menace. Les autorités ont consigné sa déclaration en détail et lui ont dit de revenir le lendemain. Il est revenu le lendemain, mais les gens au ministère public ont refusé de l’aider davantage. On lui a dit qu’il lui faudrait attendre jusqu’à ce que les fonctionnaires qui avaient consigné sa déclaration reviennent au travail, soit 48 heures plus tard.

 

[14]           Le demandeur principal a décidé qu’il ne pouvait pas attendre plus longtemps. Le 26 mai 2007, les demandeurs ont quitté Querétaro pour la ville de Mexico. Le 29 mai 2007, ils ont quitté Mexico et sont arrivés au Canada. Ils ont demandé l’asile à leur arrivée.

 

[15]           La Commission a conclu que le demandeur principal n’était pas crédible relativement à des points essentiels de sa demande, qu’il n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État et que, en tout état de cause, Guadalajara constituait une possibilité de refuge intérieur viable (PRI). Elle a rejeté la demande des demandeurs et conclu qu’ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux fins des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

Les questions en litige

[16]           La présente demande soulève les questions suivantes :

a)      Quelle est la norme de contrôle applicable?

b)      La conclusion de la Commission quant à la crédibilité était-elle déraisonnable?

c)      L’appréciation par la Commission de la disponibilité de la protection de l’État était‑elle déraisonnable?

d)      L’analyse de la Commission relative à la PRI était-elle déraisonnable?

 

Analyse

a)      Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

[17]           Les décisions qui touchent à la crédibilité constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » (Siad c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 C.F. 608, 36 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.), au paragraphe 24). À ce titre, elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.), au paragraphe 4; Yin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 544, au paragraphe 22).

 

[18]           Les questions touchant à la suffisance de la protection de l’État sont des questions mixtes de droit et de fait, et sont donc susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, 63 Imm. L.R. (3d) 13, au paragraphe 38 (Hinzman); Gaymes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 801, au paragraphe 9).

 

[19]           L’appréciation d’une PRI appelle de manière similaire la retenue, parce qu’elle exige l’examen de la situation des demandeurs, telle qu’ils l’ont expliquée dans leur témoignage, et une compréhension experte des conditions dans le pays (Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741, 52 A.C.W.S. (3d) 136 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 26). La norme de contrôle applicable aux conclusions tirées par la SPR quant aux PRI est la décision raisonnable (Rodriguez Diaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1243, [2009] 3 R.C.F. 395, au paragraphe 245).

 

[20]           Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a statué que « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

b)      La conclusion de la Commission quant à la crédibilité était-elle déraisonnable?

 

[21]           La Commission a conclu que le témoignage des demandeurs comportait « de nombreuses omissions et contradictions ». Elle a fait ressortir les cinq « plus importantes ».

 

[22]           Premièrement, la Commission a contesté le témoignage du demandeur principal selon lequel la délégation d’Iztapalapa lui avait demandé de payer 3 500 pesos par semaine (350 $US selon les calculs de la Commission) pour ne pas démolir davantage de maisons. Elle a particulièrement mis en doute le montant d’argent précisé. Elle a conclu qu’il était « tout simplement impossible [pour le demandeur principal] de payer [ce montant] chaque semaine », et elle s’est donc demandé pourquoi le montant avait été omis par le demandeur principal dans l’exposé circonstancié de son FRP.

 

[23]           Il semble que la Commission ait mal interprété le témoignage du demandeur principal. Celui‑ci avait indiqué que [traduction] « normalement [...] les gens donnaient [...] une part hebdomadaire de cinq dollars par maison ». Lorsqu’il lui a été demandé de quels « gens » il s’agissait, il a expliqué qu’il s’agissait des 70 à 80 résidents qui vivaient à Las Maravillas. Par conséquent, au moins normalement, il n’était pas exigé 350 $ par semaine d’une seule personne, mais 5 $ par semaine de chaque personne dans le quartier. Il semble toutefois que la Commission ait conclu que, dans le cas de l’incident de novembre 2006, la délégation d’Iztapalapa s’attendait à ce que le demandeur principal payât tout l’argent (soit les 3 500 pesos au complet ou 350 $) de sa propre poche. Il ressort clairement de sa conclusion que « 3 500 pesos [étaient un] montant qu’il lui était tout simplement impossible de payer chaque semaine » (non souligné dans l’original). Le témoignage n’étaye pas cette interprétation. Il est vrai que la Commission a demandé à l’audience : [traduction] « Attendez une minute, ils voulaient que vous payiez pour toutes les maisons, n’est‑ce pas? », ce à quoi le demandeur principal a répondu : [traduction] « Comme nous étions dans le bureau, [ils voulaient que le président de l’association] et moi payions pour toutes les maisons, parce que nous appartenions au bureau de l’association ». Cependant, il a continué son témoignage en expliquant que cela n’était pas différent de ce que la délégation d’Iztapalapa demandait normalement, du fait que l’argent était habituellement perçu de tous les résidents dans la collectivité par le président, puis remis à la délégation d’Iztapalapa. Il a dit que, durant l’incident de novembre 2006, la délégation d’Iztapalapa [traduction] « demandait l’argent [au président] et à moi, parce que nous siégions au conseil d’administration de l’association. Et [le président] était ordinairement la personne chargée de rassembler l’argent et de le donner à ces gens » (non souligné dans l’original). Le dossier n’étaye tout simplement pas l’interprétation de la Commission selon laquelle, d’une manière ou d’une autre, à cette occasion, on avait exigé du demandeur principal qu’il paie 3 500 pesos par semaine de sa propre poche, un montant qu’il « lui était tout simplement impossible de payer ». Par conséquent, sur ce point, la conclusion de la Commission quant à la crédibilité ne peut pas « se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47) et est déraisonnable.

 

[24]           Deuxièmement, la Commission a conclu que la crédibilité du demandeur principal était affectée par le fait qu’il s’était appesanti sur la question de savoir de qui il craignait la persécution entre le temps où il était entré au Canada et celui de l’audience. La Commission a cité les notes prises par l’agent d’immigration au point d’entrée. À la question : [traduction] « Craignez-vous un groupe de personnes ou une personne en particulier? », le demandeur principal a répondu : [traduction] « Son nom, c’est René Arce, un dirigeant politique au Mexique qui nous a menacés, ma famille et moi. » De même, à la question : « Qui craignez-vous si vous retourniez dans votre pays d’origine? » dans l’annexe I du formulaire intitulé Renseignements généraux, il a répondu : « Rene Arce ». La Commission a conclu que ces réponses contredisaient celle qu’il avait donnée devant elle à l’audience, et elle a écrit : « Il n’a pas hésité; sa réponse était spontanée ». À cette occasion, le demandeur principal a mentionné qu’il ne craignait pas seulement le sénateur Rene Arce Islas, mais aussi le FPFV, la délégation d’Iztapalapa, la police de la ville de Mexico et les membres du Parti de la révolution démocratique (le PRD).

 

[25]           Le rejet par la Commission de l’explication du demandeur principal est, en l’espèce, déraisonnable. Le dossier ne reflète par la conclusion de la Commission concernant la réponse du demandeur principal à l’audience, dans laquelle il a finalement énuméré cinq persécuteurs éventuels, comme quoi il n’avait pas hésité et sa réponse était spontanée. En fait, lorsque la Commission lui a demandé : [traduction] « De qui craignez-vous être persécuté au Mexique aujourd’hui […]? », sa réponse fut la même que celle qu’il avait donnée à l’agent d’immigration : [traduction] « Le sénateur Rene Arce Islas. » Un peu plus tard, il a ajouté : [traduction] « Je ne sais pas; comme la question était qui, je ne sais pas si je dois inclure l’organisation qui nous a joints, que l’organisation qu’il… ». À ce moment-là, la Commission l’a interrompu et a dit : [traduction] « D’accord. Par conséquent, il serait le principal agent de persécution, si je comprends bien… ». Voilà ce qui était un échange spontané. Cependant, cela renforce l’explication du demandeur principal, qu’il a donnée beaucoup plus tard à l’audience, selon laquelle il avait compris que la question que lui posait l’agent d’immigration ne portait que sur une seule personne. Dans le contexte de l’audience, il a montré la même confusion quant à la nature de la question. En fait, ce ne fut que le deuxième jour de l’audience, lorsque son conseil lui a demandé de clarifier sa réponse, qu’il a fourni la liste complète des agents de persécution. L’échange fut le suivant :

 

[Traduction]

 

Q : Monsieur, vous avez dit à la dernière audience que Rene Arce était votre principal agent de persécution. Qui craignez-vous exactement?

 

R : Eh bien, je crains également le Front populaire Francisco Villa qui dépend de lui, en fait non de lui, mais du même parti, et il contrôle une partie du PRD. Et il y a aussi les gens de la délégation d’Iztapalapa et de l’administration municipale de la ville de Mexico qui est sous l’emprise du PRD, et (inaudible).

 

[26]           Il est clair que la liste des persécuteurs n’a pas été donnée spontanément, sans aucune hésitation, à l’audience. Ce n’est que lorsque son propre conseil lui a demandé des éclaircissements que le demandeur principal a compris ce qu’on lui demandait et qu’il a fourni la liste complète. Le dossier n’étaye pas la conclusion à laquelle la Commission semble être parvenue : que les agents de persécution additionnels ont été imaginés pour soutenir la demande du demandeur principal. Les différents groupes dont le demandeur principal a finalement fourni une liste explicite en les identifiant comme des agents de persécution potentiels avaient été énumérés de manière implicite par le demandeur principal bien plus tôt : il les avait mentionnés dans la plainte déposée auprès de la police mexicaine dès le 24 mars 2007 (avant son entrée au Canada), il les avait mentionnés dans l’exposé circonstancié de son FRP déposé le 26 juin 2007 et il en avait traité en détail devant la Commission avant qu’il ne soit demandé au demandeur principal d’énumérer précisément les groupes. La conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité, sur cet aspect, était déraisonnable.

 

[27]           La troisième conclusion de la Commission quant à la crédibilité était fondée sur le défaut du demandeur principal de faire quelque démarche que ce soit pour déterminer ce qui était arrivé à sa terre de Las Maravillas depuis qu’il avait quitté le Mexique. La Commission a rejeté les explications données par le demandeur principal.

 

[28]           Le demandeur principal a expliqué à l’audience qu’il croyait que quelqu’un dans le conseil d’administration de Las Maravillas donnait des renseignements au sénateur Rene Arce Islas. Cela, de même que le fait qu’il puisse finalement être renvoyé au Mexique, signifiait qu’il ne voulait pas prendre le risque de faire un suivi. La seule référence de la Commission à cette explication dans ses motifs était que le demandeur avait « prétendu ne pas se sentir assez en sécurité au Canada pour s’informer à ce sujet » (non souligné dans l’original). Ceci est, en fait, une formulation inexacte de l’explication du demandeur principal. Ce n’était pas que le demandeur principal ne se sentait pas suffisamment en sécurité au Canada pour effectuer un suivi, c’était qu’il était inquiet qu’il pût empirer sa situation dans l’éventualité où il serait renvoyé au Mexique. Encore une fois, je conclus que cet élément de l’appréciation de la crédibilité faite par la Commission était déraisonnable.

 

[29]           Sans égard au fait que certaines des conclusions de la Commission quant à la crédibilité pouvaient se défendre au regard des faits et du droit – et qu’elles étaient par conséquent raisonnables – j’estime que, dans son ensemble, la conclusion de la Commission que le défendeur principal n’était « pas crédible » était déraisonnable. Elle comportait trop de conclusions déraisonnables sur des questions essentielles touchant à la demande du demandeur pour être considérée comme justifiée.

 

c)      L’appréciation par la Commission de la disponibilité de la protection de l’État était-elle déraisonnable?

 

[30]           La Commission a estimé que, même si le demandeur principal était crédible (c’est-à-dire, même si elle avait accepté le compte rendu des faits donné par le demandeur principal), il n’avait néanmoins pas réfuté la présomption de protection de l’État. Elle a reproché au demandeur principal de ne pas avoir fait le suivi relativement à la plainte qu’il avait déposée auprès de la police de Querétaro et d’être parti seulement cinq jours après le dépôt de cette plainte, de ne pas avoir fait le suivi de la plainte qu’il avait déposée auprès de la Commission des droits de la personne de l’État de Querétaro et de ne pas avoir fourni ses coordonnées aux autorités. Quoiqu’elle n’ait fait référence, dans son analyse, à aucune preuve documentaire sur les conditions du pays, la Commission a bel et bien indiqué qu’elle avait adopté le raisonnement la décision TA6‑07453 de la SPR, qu’elle a estimé être à caractère persuasif relativement à la disponibilité de la protection de l’État au Mexique.

 

[31]           L’appréciation de la disponibilité de la protection de l’État est essentielle pour déterminer si la crainte de persécution du demandeur du statut de réfugié est objectivement fondée. Sauf dans les cas où il se produit une rupture complète de l’appareil de l’État, nous devons commencer par la présomption de la capacité de l’État à protéger ses citoyens. Le demandeur du statut de réfugié a donc le fardeau de présenter une preuve pertinente, fiable et convaincante qui réfute cette présomption, selon la prépondérance des probabilités (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 724, 103 D.L. R. (4th) 1 (Ward); Flores Carrillo v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, au paragraphe 30). Dans le cadre de ce fardeau, le demandeur qui vient d’un pays démocratique est généralement tenu de démontrer qu’il s’est adressé à l’État et qu’il a sollicité sa protection sans succès. Plus l’État est démocratique, plus nombreuses sont les démarches que le demandeur doit avoir faites pour épuiser les recours disponibles (Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D. L. R. (4th) 532, à la page 534, 206 N. R. 272 (C.A.F.); Hinzman, précité, au paragraphe 57; Zepeda v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2008] A.C.F. no 625, au paragraphe 13 (Zepeda)).

 

[32]           Quoique le Mexique soit une démocratie fonctionnelle, il fait néanmoins face à des problèmes de gouvernance et de corruption qui sont bien documentés. Pour cette raison, la présomption de protection de l’État est quelque peu moindre et les décideurs doivent par conséquent procéder à l’appréciation complète de la preuve dont ils disposent. Cette appréciation doit notamment prendre en compte la situation générale ayant cours dans le pays d’origine du demandeur, toutes les mesures que celui-ci a effectivement prises et sa relation avec les autorités (Zepeda, précitée, au paragraphe 20; Villicana v. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1205, 86 Imm. L. R. (3d) 191, au paragraphe 67).

 

[33]           Ce qui fait gravement défaut dans les motifs de la Commission, c’est une appréciation de la situation ayant cours au Mexique. À cet égard, la Commission n’a fait qu’adopter la décision TA6‑07453, à caractère persuasif, de la SPR, du 26 novembre 2007. Cela est insuffisant. Dans la décision TA6‑07453, le principal agent de persécution était un membre d’une bande, qui était censé avoir des liens avec des membres de la police. Dans le cas présent, le principal agent de persécution est un membre élu du gouvernement mexicain. Le demandeur principal a témoigné que ce représentant élu était le chef d’un important parti politique et qu’il avait de l’influence partout au gouvernement et dans la police. Certes, cela requiert une analyse différente en ce qui a trait à la question de la protection de l’État.

 

[34]           Le cartable national de documentation du Mexique, daté du 27 juin 2008, avait été présenté en preuve à la Commission. Les demandeurs invoquent un certain nombre de documents du cartable du 27 juin 2008 qui tendent à réfuter la présomption de protection de l’État en l’espèce. Par exemple, l’une des raisons pour laquelle le demandeur principal dit qu’il ne croyait guère dans la capacité de l’État de le protéger du sénateur Arce Islas était l’immunité accordée aux politiciens au Mexique. À cet égard, les demandeurs citent une réponse à une requête de renseignements rédigée par la CISR en octobre 2004, laquelle rapporte la déclaration suivante de l’organisation Center for Public Integrity établie aux États‑Unis :

Au Mexique, les politiciens ou les fonctionnaires peuvent voler, corrompre ou conspirer pour commettre des fraudes importantes contre le gouvernement, sans passer une minute en prison… Lorsqu’ils sont mis en accusation, les membres du gouvernement peuvent jouir de la liberté jusqu’à ce qu’ils soient condamnés, un processus qui peut prendre des années dans le système judiciaire mexicain. [...]

 

[35]           Le demandeur principal dit également qu’il craint directement la police mexicaine, à cause de l’influence du sénateur Arce Islas sur elle. À cet égard, les demandeurs invoquent le rapport du 11 mars 2008 du département d’État des États-Unis selon lequel :

[Traduction]

 

Généralement, le gouvernement respectait et défendait les droits de la personne au niveau national en enquêtant sur les représentants officiels et les membres des forces de sécurité, et en poursuivant et condamnant ceux-ci. Cependant, l’impunité et la corruption demeurent des problèmes, particulièrement au niveau de l’État et au niveau local. Les problèmes suivants en matière de droits de la personne ont été rapportés : des mises à mort illégales perpétrées par les forces de sécurité; des enlèvements, y compris par la police; des mauvais traitements; la surpopulation carcérale et les mauvaises conditions dans les prisons; des arrestations et détentions arbitraires; la corruption, l’inefficacité et le manque de transparence dans le système judiciaire; des confessions extorquées par les mauvais traitements, admises en preuve dans les procès; l’intimidation criminelle de journalistes donnant lieu à l’autocensure; la corruption à tous les niveaux de gouvernement; la violence familiale contre les femmes, souvent perpétrée avec impunité; la violence envers les femmes, y compris les assassinats; le trafic de personnes, parfois, selon ce qui est allégué, avec la participation des autorités; la discrimination sociale et économique contre les peuples indigènes; le travail des enfants. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[36]           Non seulement la Commission a-t-elle négligé de faire état de la documentation pertinente sur le pays, mais elle a aussi fait défaut de reconnaître la gravité de la situation du demandeur principal. En réponse aux questions visant à savoir pourquoi il n’avait pas tenté de se prévaloir d’autres recours (soit après avoir déposé sa plainte auprès de la police le 24 mai 2006), le demandeur principal a témoigné que : [traduction] « Ces démarches étaient possibles, mais le problème, c’était le temps; le temps m’était défavorable, parce que je savais que ces gens-là me rechercheraient encore ». La Commission n’a pas mentionné, dans son analyse relative à la protection de l’État, le fait que les agresseurs du demandeur ne lui avaient donné que vingt-quatre heures. Elle n’a pas mentionné non plus le fait qu’ils avaient menacé de le tuer. Elle lui a reproché d’avoir quitté le Mexique trop tôt, de ne pas avoir fait le suivi de sa plainte, de ne pas avoir joint les superviseurs à la police de Querétaro, de ne pas avoir fait le suivi auprès de la Commission des droits de la personne et de ne pas avoir téléphoné à la ligne secours SACTEL. Le délai de 24 heures et la gravité de la menace sont des éléments de preuve fort pertinents en ce qui a trait à toutes ces préoccupations. Après tout, un demandeur n’est pas tenu de se mettre en danger afin d’épuiser tous les recours possibles (Ward, précité, au paragraphe 48; Zepada, précitée, au paragraphe 16).

 

[37]           Quoique la SPR ne soit pas tenue de faire état, dans ses motifs, de tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis, elle doit traiter des éléments de preuve qui sont essentiels à la position du demandeur et indiquer pourquoi ils peuvent être écartés ou pourquoi il faut leur préférer d’autres éléments de preuve (Cepada-Gutierez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 15 (Cepeda-Gutierez); Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1336, [2009] 3 R.C.F. 591, au paragraphe 88; Villicana, précitée; Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 812, au paragraphe 63). La Commission ne l’a pas fait en l’espèce. À ce titre, sa conclusion quant à la protection de l’État était déraisonnable.

 

d)      L’analyse de la Commission relative à la PRI était-elle déraisonnable?

 

[38]           La Commission a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de démontrer qu’ils n’avaient pas de PRI. Premièrement, la Commission a considéré la question de savoir s’il existait une autre partie du Mexique où les demandeurs ne seraient pas en butte à la persécution. Elle a considéré Guadalajara. La Commission a indiqué qu’elle ne croyait pas, étant donné la grandeur du Mexique et de sa population, que le sénateur Arce Islas aurait le « désir, la capacité ou les moyens de localiser le demandeur d’asile principal ». En ce qui concerne « la capacité ou les moyens », elle a rejeté la prétention selon laquelle le sénateur serait capable de trouver les demandeurs au moyen de la liste électorale. Elle a noté que les données personnelles étaient protégées par la législation relative à la protection de la vie privée. La personne qui violerait la loi, a-t-elle raisonné, serait passible d’une peine. En ce qui concerne le « désir » du sénateur de localiser le demandeur principal en 2009, la Commission a énuméré les préoccupations des demandeurs – soit que le sénateur pourrait croire que le demandeur principal aurait encore des preuves de corruption et que le sénateur était une personne violente ayant un passé dans la guérilla – mais elle les a rejetées sans explication.

 

[39]           Ensuite, la Commission a considéré la question de savoir s’il serait objectivement déraisonnable ou excessivement sévère de s’attendre à ce que les demandeurs se soient installés dans une autre partie du pays. Elle a conclu que le demandeur principal, au vu de ses 16 années de scolarité et de ses 11 années d’expérience de la gestion, pouvait trouver du travail à Guadalajara. Elle a également conclu que l’épouse du demandeur principal pouvait trouver du travail à Guadalajara, étant donné ses antécédents de travail et sa scolarité. La Commission a noté que les enfants pourraient y poursuivre leurs études. Finalement, la Commission a estimé que Guadalajara constituait une PRI réaliste.

 

[40]           La conclusion sur l’existence d’une PRI constitue une partie intégrante de la décision de la demande d’asile dans son ensemble (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), [1992] 1 C.F. 706, 140 N.R. 138 (C.A.F.), au paragraphe 8 (Rasaratnam)). Le demandeur a le fardeau de démontrer soit qu’une PRI n’existe pas, soit qu’elle serait déraisonnable dans les circonstances (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, 109 D.L.R. (4th) 682 (C.A.F.), au paragraphe 12). L’appréciation de la question de la PRI implique une analyse à deux volets. Premièrement, la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans la PRI proposée, et deuxièmement, la situation dans la PRI proposée doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que le demandeur y cherche refuge (Rasaratnam, précité, Thirunavukkarasu, précité, aux paragraphes 5 et 6).

 

[41]           J’estime que les motifs de la Commission en ce qui a trait au premier volet du critère révèlent une erreur susceptible de contrôle. En concluant que le sénateur Arce Islas n’aurait pas « la capacité ou les moyens » de retrouver les demandeurs s’ils s’installaient à Guadalajara, la Commission n’a pas traité de la preuve du demandeur principal selon laquelle, en fait, il avait été retrouvé en 2007, lorsqu’il avait déménagé de la ville de Mexico à Querétaro. Le fait que les agresseurs du demandeur principal aient été capables de le retrouver en 2007 donne à penser qu’ils auraient, en fait, « la capacité ou les moyens » nécessaires pour déterminer son emplacement au Mexique aujourd’hui encore. Le défaut de la Commission de traiter de cet élément du témoignage du demandeur principal, lequel élément contredit directement sa conclusion, donne à penser que la Commission est parvenue à une conclusion de fait erronée ne tenant pas compte de la preuve qui lui avait été présentée (Cepeda-Gutierrez, précitée, au paragraphe 17). Je conclus que cela porte atteinte à l’analyse globale de la Commission et rend déraisonnable sa décision en ce qui a trait à l’existence d’une PRI.

 

[42]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. L’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle audience et nouvelle décision.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle audience et nouvelle décision.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6618-09

 

INTITULÉ :                                       JUAN ARTEMIO AVILES YANEZ ET AUTRES

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 28 octobre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cory Verbauwhede

Peter Shams

 

 

POUR LES DEMANDEURS

Sylviane Roy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint-Pierre, Grenier

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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