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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

 


Date : 20101112

Dossier : IMM-5770-09

Référence : 2010 CF 1136

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

ZULFIQAR HASSAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La Commission de l’immigration et du statut du réfugié (la Commission) a statué que M. Hassan, un citoyen du  Pakistan, n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. M. Hassan demande le contrôle judiciaire de cette décision.

 

II.         CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un musulman chiite de 57 ans qui craint d’être persécuté par des membres du Sipah-e Sahaba Pakistan (SSP), une organisation militante sunnite.

 

[3]               M. Hassan a grandi au sein d’une famille de confession chiite. Il travaillait à Karachi comme chauffeur de taxi et a commencé à se consacrer aux chiites indigents dans sa collectivité et à l’imambargah locale.

 

[4]               En 1998, M. Hassan a été nommé secrétaire générale de l’imambargah en question. Peu après, il a commencé à être la cible de menaces de la part du SSP, qui exigeait qu’il mette fin à ses activités religieuses et caritatives.

 

[5]               Le demandeur a reçu d’autres menaces, plus sérieuses, en juillet 2000. Il affirme avoir dénoncé l’incident à la police, qui lui aurait répondu qu’elle ne pouvait rien faire pour le protéger du SSP.

 

[6]               Le demandeur s’est alors installé dans la province de la Frontière du Nord-Ouest (Northwest Province, NWP) où il a continué à servir la communauté chiite. En 2006, il a été nommé premier vice-président de l’imambargah régionale.

 

[7]               Vers la fin de 2006, le SSP a de nouveau approché le demandeur – qui a été menacé par un inconnu au téléphone et qui, plus tard, a été suivi, pourchassé et atteint par des coups de feu. Le demandeur a rapporté le premier de ces incidents à la police qui a refusé de faire enquête au motif que le demandeur ne connaissait pas l’identité de la personne qui l’avait appelé. Il n’a pas rapporté le second incident, l’inaction de la police l’ayant incité à baisser les bras.

 

[8]               Le demandeur s’est alors caché jusqu’à ce qu’il réussisse à prendre des dispositions pour passer clandestinement à l’étranger. Dans l’intervalle, des fiers-à-bras du SSP ont rendu « visite » à son père pour fouiller sa maison et l’informer qu’ils allaient faire de son fils un exemple.

 

[9]               Le demandeur est arrivé au Canada le 27 mars 2007 et a présenté une demande d’asile le jour suivant. La Commission a instruit sa demande deux ans plus tard.

 

[10]           La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur, jugeant a) que la demande n’était pas crédible ou digne de foi; b) que le demandeur était exposé à un risque général, et non individuel; c) que la demandeur n’avait pas réfuté la présomption en matière de protection de l’État.

 

III.       ANALYSE

[11]           La norme de contrôle applicable aux conclusions tirées en matière de crédibilité et de protection de l’État est celle de la décision raisonnable puisqu’il s’agit essentiellement de conclusions de fait (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12). Puisque la crédibilité du témoin est mise en cause, les conclusions de la Commission appellent une grande retenue, que ce soit en raison de sa position privilégiée de juge des faits ou en raison de son expertise.

 

[12]           Cela dit, les conclusions relatives à la crédibilité et à la vraisemblance de la preuve ne peuvent reposer sur des suppositions ou des conjectures et doivent être adéquatement expliquées (voir Aguebor c. (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (C.A.F), [1993] A.C.F. no 732). En l’espèce, les conclusions se rapportent à des questions de vraisemblance, et le critère dès lors applicable est mentionné dans les propos du juge O’Halloran, maintes fois cités, dans l’affaire Faryna c. Chorny, [1951] B.C.J. no 152, au paragraphe 10 :

 

[Traduction]

 

Si l’acceptation de la crédibilité d’un témoin par un juge de première instance dépendait uniquement de son opinion quant à l’apparence de sincérité de chaque personne qui se présente à la barre des témoins, on se retrouverait avec un résultat purement arbitraire, et l’administration de la justice dépendrait des talents d’acteur des témoins. Réflexion faite, il devient presque évident que l’apparence de sincérité n’est qu’un des éléments qui entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier la crédibilité d’un témoin. Les possibilités qu’avait le témoin d’être au courant des faits, sa capacité d’observation, son jugement, sa mémoire, son aptitude à décrire avec précision ce qu’il a vu et entendu contribuent, de concert avec d’autres facteurs, à créer ce qu’on appelle la crédibilité (voir l’arrêt Raymond c. Bosanquet (1919), 50 D.L.R. 560, à la page 566, 59 R.C.S. 452, à la page 460, 17 O.W.N. 295. Par son attitude, un témoin peut créer une impression très défavorable quant à sa sincérité, alors que les circonstances permettent de conclure de façon indubitable qu’il dit la vérité. Je ne songe pas ici aux cas somme toute assez peu fréquents où l’on surprend le témoin en train de dire un mensonge maladroit.

 

[13]           Le facteur de vraisemblance est très subjectif et exige de la Commission qu’elle renvoie aux éléments de preuve susceptibles de réfuter ses conclusions quant à l’invraisemblance et d’expliquer pourquoi ceux-ci n’y parviennent pas (voir Leung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de la Citoyenneté), [1994] A.C.F. no 774).

 

[14]           En l’espèce, la Commission a tiré une conclusion cruciale qui va au cœur de son raisonnement. Elle a jugé invraisemblable que le demandeur continue à œuvrer pour le bien commun alors que sa vie était menacée par le SSP.

 

[15]           Selon la preuve, il était un musulman chiite dévoué qui consacrait ses temps libres à faire du travail communautaire à Karachi et dans la province de la Frontière Nord-Ouest. Bien que la Commission n’ait pas été tout à fait convaincue que le demandeur se livrait à des activités politiques, elle n’a jamais mis en doute son engagement envers la communauté chiite au profit des personnes défavorisées.

 

[16]           N’ayant pas réfuté son attachement religieux, la Commission omet d’expliquer pourquoi, au vue de son engagement, le demandeur serait nécessairement intimidé par les menaces du SSP. Or, puisqu’elle n’a pas fourni d’explication, c’est, au mieux, en se fondant sur des spéculations que la Commission a tiré la conclusion d’invraisemblable.

 

[17]           La commission était tenue d’expliquer pourquoi elle avait arrêté son choix sur l’hypothèse qu’une personne dévouée chercherait forcément à se cacher pour rester en vie, plutôt que celle voulant qu’une telle personne n’abandonnerait pas la mission de service communautaire qu’elle s’est donnée du fait de simples menaces proférées par des fiers-à-bras.

 

[18]           Il s’ensuit qu’il n’était pas raisonnable de conclure que le demandeur n’était exposé à aucun risque et que la Commission n’a pas respecté l’obligation qu’elle avait de motiver sa conclusion de manière suffisante. Bref, les conclusions de la Commission sont fondées sur des suppositions et des conjectures.

 

[19]           Parce qu’elle n’a pas cerné le risque auquel le demandeur est exposé, la conclusion tirée par la Commission quant au risque et son analyse de la question de la protection de l’État sont elles aussi invalidées car elles découlent des conclusions préalablement tirées en matière de vraisemblance. Compte tenu  de la situation au Pakistan, il ne s’agit pas d’un cas où il est permis de présumer qu’il est possible, globalement et quelles que soient les circonstances, de se prévaloir de la protection de l’État. La détermination juste des risques influence la nature et la qualité de la protection dont l’existence est présumée.

 

IV.       CONCLUSION

[20]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la Commission sera annulée et l’affaire sera renvoyée devant un autre commissaire pour nouvelle décision.

 

[21]           Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judicaire est accueillie, que la décision de la Commission est annulée et que l’affaire est renvoyée devant un autre commissaire pour nouvelle décision.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5770-09

 

INTITULÉ :                                       ZULFIQAR HASSAN

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 12 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Savaglio

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Doyle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Savagio

Avocat

Pickering (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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