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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101118

Dossier : IMM-4866-09

Référence : 2010 CF 1157

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2010

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

NADA YOUNIS et

ANMAR MOHAMAD NOURI

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une lettre par laquelle la deuxième secrétaire à l’immigration (l’agente) de l’ambassade du Canada à Damas (Syrie) a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs au motif qu’Anmar Mohamad Nouri (le demandeur) était interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 35(1)b) de la Loi, et ce, après avoir décidé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il occupait un poste de rang supérieur dans l’armée irakienne sous le régime de Saddam Hussein.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent une ordonnance infirmant la décision de l’agente, de même qu’une ordonnance prescrivant qu’un tribunal différent examine et évalue leur demande de résidence permanente au Canada.

 

Le contexte

 

[3]               Le système militaire irakien, au cours de la période pendant laquelle a duré le service militaire du demandeur, soit de 1983 à 1996, a été désigné comme un régime qui, de l’avis du ministre défendeur, s’est livré à des violations graves des droits de la personne ainsi qu’à d’autres crimes. Aux termes de l’alinéa 35(1)b) de la Loi, s’il est reconnu qu’un étranger occupe un poste de rang supérieur au sein d’une telle armée, l’étranger est frappé d’interdiction de territoire au Canada.

 

[4]               L’ambassade du Canada en Syrie, qui a traité la demande, a constaté que le demandeur avait déclaré avoir servi dans l’armée irakienne et, le 16 décembre 2008, elle a envoyé aux demandeurs une note demandant que le demandeur remplisse le formulaire Renseignements concernant le service militaire. Cette demande a été suivie d’un échange de lettres dans le cadre duquel les demandeurs ont été expressément avisés des doutes de l’agente quant à la période passée par le demandeur dans l’armée irakienne, et ils ont eu l’occasion de fournir des informations et de dissiper ces doutes.

 

[5]               Le demandeur a fait valoir à l’ambassade du Canada qu’il n’était qu’ingénieur dans l’armée et que, bien qu’il eût été promu au grade de lieutenant-colonel, jamais il n’avait pris part à une forme de combat quelconque. Il avait travaillé au sein de la direction électromécanique de juillet 1983 à septembre 1989, ainsi qu’au sein de la direction informatique d’octobre 1989 à septembre 1996.

 

[6]               Le 26 février 2009, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a transmis à l’agente un rapport exposant les dispositions légales et réglementaires, la norme de preuve et la politique applicables de même que l’application de l’alinéa 35(1)b) au demandeur. Elle a recommandé que ce dernier soit déclaré interdit de territoire. Au vu de la preuve, le grade de lieutenant‑colonel qu’avait le demandeur se situait manifestement dans la moitié supérieure de l’armée irakienne, s’agissant du sixième grade le plus élevé sur quinze.

 

[7]               L’ambassade du Canada a envoyé aux demandeurs deux autres notes demandant des détails au sujet de l’organigramme de l’armée irakienne, qui montrerait à quel échelon se situait le demandeur.

 

[8]               Le 26 mai 2009, l’agente a envoyé une lettre d’équité disant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur appartenait à la catégorie de personnes interdites de territoire qui est décrite à l’alinéa 35(1)b) de la Loi. De l’avis de l’agente, les organigrammes que le demandeur avait fournis confirmaient que ce dernier se trouvait dans la moitié supérieure de l’organisation et que le poste qu’il occupait se situait à six échelons en dessous de celui du général Saddam Hussein.

 

[9]               Le demandeur a fait valoir en réplique que dans l’armée irakienne les postes de responsabilité étaient classés en trois catégories : A, B et C. Les postes qu’il avait occupés se rangeaient dans la catégorie C, laquelle comprenait les commandants et les officiers qui dirigeaient des services de soutien et d’autres directions auxiliaires. Il a réitéré qu’il n’avait rien à voir avec des activités de combat quelconques. Il a également fait valoir qu’il n’était pas loyal envers le régime de Hussein et que, en fait, on l’avait obligé à quitter l’armée. De plus, sa famille s’opposait en secret au régime et comptait même des membres dans les forces d’opposition.

 

[10]           Le 23 juillet 2009, l’agente a rendu sa décision définitive, soit le rejet de la demande. Après avoir pris en considération la totalité des renseignements figurant dans le dossier, elle n’était toujours pas convaincue que le grade ou les postes que le demandeur avait occupés n’étaient pas d’un rang supérieur. Malgré les observations du demandeur selon lesquelles il n’avait occupé que des postes de soutien, de service ou de suppléance par nature, l’agente n’était pas convaincue que ces postes ne comportaient pas d’importantes responsabilités.

 

La question en litige

 

[11]           La décision de l’agente était-elle raisonnable?

 

Les dispositions légales et réglementaires applicables et la norme de contrôle

 

[12]           Le texte de l’alinéa 35(1)b) de la Loi est le suivant :

 

35.(1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

 

[...]

 

b) occuper un poste de rang supérieur — au sens du règlement — au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

 

35.(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

 

. . .

 

(b) being a prescribed senior official in the service of a government that, in the opinion of the Minister, engages or has engaged in terrorism, systematic or gross human rights violations, or genocide, a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsections 6(3) to (5) of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act; or

 

 

[13]           Il n’est pas contesté que le gouvernement de l’Irak, sous Ahmad Hassn Al-Bakr et, plus tard, sous Saddam Hussein, entre 1968 et le 22 mai 2003, est désigné comme un régime qui, de l’avis du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, s’est livré à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou à d’autres crimes de cette nature.

 

[14]           Pour l’application de l’article 35 de la Loi, l’article 16 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) définit comme suit les personnes qui occupent un poste de rang supérieur :

 

16. Pour l’application de l’alinéa 35(1)b) de la Loi, occupent un poste de rang supérieur au sein d’une administration les personnes qui, du fait de leurs actuelles ou anciennes fonctions, sont ou étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement ou en tirent ou auraient pu en tirer certains avantages, notamment :

 

a) le chef d’État ou le chef du gouvernement;

 

b) les membres du cabinet ou du conseil exécutif;

 

c) les principaux conseillers des personnes visées aux alinéas a) et b);

 

d) les hauts fonctionnaires;

 

 

e) les responsables des forces armées et des services de renseignement ou de sécurité intérieure;

 

f) les ambassadeurs et les membres du service

diplomatique de haut rang;

 

g) les juges.

 

16. For the purposes of paragraph 35(1)(b) of the Act, a prescribed senior official in the service of a government is a person who, by virtue of the position they hold or held, is or was able to exert significant influence on the exercise of government power or is or was able to benefit from their position, and includes

 

 

 

(a) heads of state or government;

 

(b) members of the cabinet or governing council;

 

(c) senior advisors to persons described in paragraph (a) or (b);

 

(d) senior members of the public service;

 

(e) senior members of the military and of the intelligence and internal security services;

 

 

(f) ambassadors and senior diplomatic officials; and

 

 

(g) members of the judiciary.

 

[15]           La norme de preuve applicable est énoncée à l’article 33 de la Loi :

 

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

 

[16]           Il incombait à l’agente de déterminer s’il y avait des motifs raisonnables de croire que le service militaire du demandeur constituait un service fourni à titre de personne occupant un poste de rang supérieur. La Cour a statué que, en application de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et de la jurisprudence antérieure de la Cour, la norme de contrôle applicable à la décision que rend un agent des visas en rapport avec l’alinéa 35(1)b) de la Loi est la décision raisonnable (voir Yahie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1319, 78 Imm. L.R. (3d) 91, au paragraphe 21).

 

Les observations écrites des parties

 

[17]           Les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable, car l’agente, pour rendre sa décision, a omis de suivre le guide d’exécution de la loi du défendeur intitulé « ENF 18 : Crimes de guerre et crimes contre l’humanité » (le guide ENF 18). En particulier, elle n’a pas consulté l’Unité des crimes de guerre contemporains de l’ASFC, comme le suggère la section 8.4 du guide ENF 18. Elle a également commis une erreur en ne se reportant pas à l’article 16 du Règlement et, de ce fait, a omis d’examiner le degré d’influence du demandeur ou les avantages qu’il tirait de son poste, comme il est exigé de le faire pour déterminer si une personne occupe un poste de rang supérieur. L’agente s’est en outre trompée en concluant que les postes se situant dans la moitié supérieure de la hiérarchie militaire irakienne étaient considérés comme des postes de rang supérieur sans expliquer pourquoi elle était arrivée à une telle conclusion. Les demandeurs font enfin valoir que l’agente n’avait pas en main des informations suffisantes sur l’armée irakienne pour formuler une décision concluante sur le rang qu’occupait le demandeur.

 

[18]           Le défendeur soutient que la décision est raisonnable et que le fait de ne pas avoir fait précisément référence au guide ENF 18 n’est pas une erreur. L’agente a suivi la procédure exposée dans ce document. En fait, il y est mentionné que « [s]i l’on peut prouver que le poste est dans la moitié supérieure de l’organisation, on peut considérer qu’il est un poste de rang supérieur ». L’agente a ensuite continué de suivre la procédure exposée dans le guide ENF 18 et a même fait plus en donnant au demandeur trois occasions de montrer que son poste n’était pas d’un rang supérieur. L’agente n’était pas tenue par le guide ENF 18 de consulter l’Unité des crimes de guerre contemporains parce que le demandeur était visé pas l’alinéa 16e) du Règlement. Contrairement à ce que les demandeurs allèguent, l’agente a bel et bien pris en considération le degré d’influence du demandeur. Elle a fait remarquer qu’au cours des douze années qu’il a passées dans l’armée, les postes que le demandeur a occupés ont comporté des responsabilités croissantes. Enfin, les renseignements que le demandeur a fournis confirmaient qu’il se situait dans la moitié supérieure de l’armée irakienne, et l’on pouvait donc considérer qu’il occupait un poste de rang supérieur.

 

Analyse et décision

 

[19]           La question no 1

            La décision de l’agente était-elle raisonnable?

            Vu la norme de contrôle, s’il est conclu que la décision est déraisonnable celle-ci sera considérée comme susceptible de contrôle et il sera envisagé de prendre des mesures correctives. Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême a conclu que, dans le cadre d’un contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable, le tribunal doit se demander si la décision possède les attributs de la raisonnabilité et considérer cette dernière dans son ensemble. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, mais il a trait aussi au résultat définitif ainsi qu’à l’appartenance de ce résultat aux issues possibles acceptables (au paragraphe 47).

 

[20]           Les demandeurs font ressortir plusieurs erreurs prétendues dans la décision ou le processus décisionnel. Je vais maintenant analyser séparément ces erreurs prétendues. L’étape suivante consistera à évaluer la décision dans son ensemble et à déterminer si une ou plusieurs erreurs établies mettent si sérieusement en doute le bien-fondé de la décision qu’il convient de la modifier.

 

[21]            La première prétention des demandeurs est que l’agente a omis de consulter l’Unité des crimes de guerre contemporains (RZTW) de l’ASFC, ainsi qu’il est suggéré à la section 8.4 de l’ENF 18. À mon avis, aucune erreur n’a été commise à cet égard. La partie pertinente de la section 8.4 de l’ENF 18 mentionne ce qui suit :

Avant d’envisager le refus d’un demandeur dont le poste n’est pas visé au R 16, on demande aux agents de consulter RZTW.

 

Par conséquent, le guide demande uniquement que les agents consultent RZTW – l’Unité des crimes de guerre contemporains – si le poste qu’occupe la personne n’est pas énuméré à l’article 16 du Règlement. Même si la disposition particulière n’a pas été citée, il est évident que, selon l’agente, le poste qu’occupait le demandeur tombait sous le coup de l’alinéa 16e) : « les responsables des forces armées et des services de renseignement ou de sécurité intérieure ».

 

[22]           Les demandeurs soutiennent ensuite que le fait que l’agente, dans sa décision, n’ait pas fait référence à l’article 16 du Règlement constitue une erreur susceptible de contrôle. Cet article est important, car dans son introduction figure la seule directive légale concernant les attributs que doivent posséder les hauts responsables. Il y est dit que l’on doit considérer que des personnes occupent un poste de rang supérieur quand, du fait de leurs actuelles ou anciennes fonctions, elles sont en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement ou en tirent certains avantages. Les deux mots clés sont « influencer » et « avantages ». Selon moi, l’argument des demandeurs repose essentiellement non pas sur le fait que l’agente n’a pas fait référence à l’article 16 en tant que tel mais sur le fait qu’elle n’a pas analysé la mesure dans laquelle le demandeur pouvait influencer le gouvernement irakien ou tirer certains avantages du poste qu’il occupait.

 

[23]           Cependant, la jurisprudence sous-entend que cette analyse n’est pas requise. En fait, l’article 16 semble écarter la nécessité de procéder à une telle analyse à cause du passage suivant : « [...] du fait de leurs actuelles ou anciennes fonctions [...] ». Ces mots mettent l’accent sur le rang qu’occupe la personne au sein de l’organisation et, jusqu’à un certain point, l’influence ou les avantages sont simplement présumés par application de la loi s’il est conclu que la personne occupait un poste d’un rang suffisamment supérieur.

 

[24]           Les affaires qu’invoquent les demandeurs ont trait à la question de savoir si l’agent concerné a analysé convenablement le rang qu’occupait la personne au sein de l’organisation en comparaison aux autres rangs. Dans Lutfi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1391, 52 Imm. L.R. (3d) 99, la décision a été jugée déraisonnable parce que l’agent avait commis une erreur de fait en considérant que le demandeur avait le grade de colonel dans l’armée irakienne alors qu’il n’était que lieutenant-colonel, et aussi parce qu’il avait omis de tenir compte de la structure hiérarchique dans cette armée et du nombre approximatif de personnes qui occupaient chaque poste.

 

[25]           Le nombre de personnes qui occupaient un grade supérieur et inférieur à celui du demandeur est un aspect important à cause de la section 8.2 du guide ENF 18, où il est mentionné que, dans le cas du personnel militaire, « [s]i l’on peut prouver que le poste est dans la moitié supérieure de l’organisation, on peut considérer qu’il est un poste de rang supérieur ». Même si cette directive exclurait un très grand nombre de personnes faisant partie d’une organisation telle que l’armée irakienne dans les années 1980 et 1990, la Cour a réitéré qu’elle souscrit implicitement au fait que les agents d’immigration l’appliquent. Dans la décision Hamidi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 333, 53 Imm. L.R. (3d) 150, la juge Judith Snider cite la section 8.2 du guide ENF 18, et la décision a été jugée déraisonnable parce que l’agent avait omis de recueillir un document des états de service militaire concernant l’ex‑régime marxiste de l’Afghanistan, ce qui lui aurait permis de déterminer comme il faut le grade que le demandeur y avait. L’agent a simplement tenu pour acquis que le grade de colonel était d’un rang supérieur (paragraphe 30).

 

[26]           L’emploi de l’indicateur de la « moitié supérieure de l’organisation » a également été cité, apparemment avec approbation, dans d’autres décisions (voir Nezam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 446, 272 F.T.R. 9, au paragraphe 26, et Holway c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 309, 146 A.C.W.S. (3d) 697, au paragraphe 33).

 

[27]           En l’espèce, l’agente semble s’être conformée aux lignes directrices en vérifiant premièrement si le ministre a désigné le gouvernement en question. Deuxièmement, elle a estimé que le demandeur avait, de son propre aveu, occupé le poste de lieutenant-colonel. Troisièmement, elle a vérifié le grade qu’occupait le demandeur au sein de l’armée irakienne en recueillant des organigrammes de l’armée et le nombre approximatif de postes à chaque échelon. Le poste qu’occupait le demandeur se situait à six échelons en dessous de celui de Saddam Hussein et il s’agissait du sixième grade le plus élevé dans l’armée, sur un nombre total de quinze. Elle a également tenu compte du fait que l’armée, dont l’effectif total était d’environ 1,4 million de militaires, comportait 5 400 lieutenants-colonels. Ces informations ont procuré à l’agente le contexte probant nécessaire pour conclure que le demandeur se situait dans la moitié supérieure de l’armée irakienne. La section 8.2 du guide ENF, dont la Cour a approuvé l’application, permettait à l’agente de se fonder sur cette conclusion pour estimer que le poste qu’occupait le demandeur était d’un rang supérieur. Elle a toutefois poussé plus loin son analyse et a aussi tenu compte de la période de service relativement longue de douze ans du demandeur et du fait que celui-ci avait été promu à des postes de responsabilité croissante pour étayer davantage son opinion selon laquelle ce dernier avait occupé un poste de rang supérieur.

 

[28]           Le demandeur a soutenu énergiquement que le poste qu’il occupait était de nature administrative ou théorique et qu’il n’avait pris part à aucun combat, mais l’agente a rejeté à juste titre ces arguments. La Cour d’appel fédérale a statué que le fait que le demandeur ne soit pas personnellement blâmable n’est tout simplement pas pertinent à l’égard de la question de savoir si une personne est inadmissible au sens de l’alinéa 19(1)l) de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, aujourd’hui l’alinéa 35(1)b) de la Loi (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Adam, [2001] 2 C.F. 337). Il a été confirmé à maintes reprises que l’enquête menée aux termes de l’alinéa 35(1)b) de la Loi n’a pas pour objet de déterminer si une personne a été complice d’actes prohibés, mais plutôt si elle a occupé un poste de rang supérieur (voir Ismail c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 987, 150 A.C.W.S. (3d) 890, au paragraphe 18). Cet alinéa a été assimilé à une disposition de responsabilité absolue.

 

[29]           Les demandeurs ont enfin fait valoir que l’agente n’avait pas en main assez de renseignements sur l’armée irakienne pour tirer une conclusion définitive sur le rang supérieur du demandeur. Je signale ici qu’un agent n’est pas tenu d’être sûr et, en fait, qu’il ne peut pas toujours obtenir des informations historiques exactes sur certains régimes. La norme de preuve énoncée à l’article 33 de la Loi requiert seulement que cet agent ait des motifs raisonnables de croire que la situation qui entraîne l’exclusion est véridique. Dans la décision Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 642, [1998] A.C.F. no 131 (C.F. 1re inst.), la Cour a conclu que la norme de preuve fondée sur des motifs raisonnables « exige davantage que de vagues soupçons, mais est moins rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités en matière civile. [...] Il s’agit de la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi. » En l’espèce, l’agente a recueilli des éléments de preuve montrant le poste qu’occupait le demandeur et ses fonctions, ainsi que des renseignements sur l’armée irakienne dans son ensemble, et elle a fait participer le demandeur au processus de collecte de renseignements. Je ne puis conclure que l’agente aurait dû en faire plus ou recueillir davantage de renseignements.

 

[30]           La preuve fait objectivement état d’un poste qui se situe quelque part dans la moitié supérieure de l’armée irakienne. L’agente a conclu que le demandeur occupait un poste de rang supérieur. Sa décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Je ne puis donc dire que ses conclusions étaient déraisonnables. De ce fait, il n’appartient pas à la Cour d’intervenir. Par ailleurs, l’agente a appuyé sa décision en montrant que le poste était d’un rang supérieur au sens des lignes directrices, et ce, en étayant sa conclusion selon laquelle ce poste se situait dans la moitié supérieure de l’armée et qu’il comportait d’importantes responsabilités.

 

[31]           Même si la Cour, dans la décision Lutfi, précitée, a fait droit à la demande de contrôle judiciaire concernant une personne qui occupait le même grade et qui faisait partie de la même organisation, cette affaire ne crée pas un précédent favorable au demandeur dont il est question en l’espèce. Dans la mesure où les erreurs faites dans le processus décisionnel décrit dans la décision Lutfi, précitée, n’ont pas été commises par l’agente en l’espèce, cette décision ne s’applique pas.

 

[32]           En définitive, il convient de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

[33]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale aux fins de certification.

 


 

JUGEMENT

 

[34]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4866-09

 

INTITULÉ :                                       NADA YOUNIS et

                                                            ANMAR MOHAMAD NOURI

 

                                                            - et-

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karen Kwan Anderson

 

POUR LES DEMANDEURS

Angela Marinos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pace Law Firm

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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