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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 

 

 

 


Date : 20101125

Dossier : IMM-604-10

Référence : 2010 CF 1182

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

MIRA MINA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.        Introduction

[1]               Il est bien établi en droit que l’équité procédurale varie d’un type de décision à un autre :

[L]a notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas […].

 

(Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la page 682).

 

[2]               Cela ne veut pas dire que l’équité procédurale est arbitraire. Il convient de l’examiner au regard de la situation, des circonstances et du contexte dans lequel elle est analysée, de façon à garantir que ni les moyens ni les fins ne sont sacrifiés, donc à garantir que le tableau dans son ensemble est vu dans son intégralité. Il ne faut pas perdre de vue la forêt à cause d’un arbre.

 

II.     La procédure judiciaire

[3]               Il est question en l’espèce d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision datée du 11 novembre 2009 par laquelle une agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse; la demande était fondée sur la qualification professionnelle de la demanderesse en tant qu’architecte.

 

III.   Le contexte

[4]               La demanderesse, Mme Mira Mina, est une ressortissante égyptienne qui a demandé la résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Une agente des visas a examiné sa demande, mais l’a rejetée. Conformément au paragraphe 76(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR), l’agente a également examiné s’il convenait d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour procéder à une substitution de l’appréciation. Elle a toutefois rejeté cette option, car les points accordés à la demanderesse semblaient refléter avec exactitude ses chances d’établissement économique au Canada. L’agente a également motivé le rejet de la demande dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) (dossier de demande (DD) de la demanderesse, lettre de refus, aux pages 6 et 7; notes du STIDI, aux pages 8 et 9).

 

IV.  La question en litige

[5]               La demanderesse a-t-elle invoqué un argument défendable?

 

V.     Analyse

[6]               Dans une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, il est nécessaire d’invoquer un argument sérieux et défendable, assorti de questions graves; comme le montrent les motifs qui suivent, la demanderesse ne l’a pas fait. L’autorisation – et donc la demande – doit être rejetée (Krishnapillai c. Canada, [2002] 3 C.F. 74, 2001 CAF 378, aux paragraphes 10 et 11 (C.A.F.); Dzah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 92 F.T.R.. 309, 54 A.C.W.S. (3d) 326).

 

[7]               La demanderesse soutient que l’agente aurait dû envisager de procéder à la substitution de l’appréciation dont il est question au paragraphe 76(3) du RIPR, car il lui manquait deux points pour obtenir le minimum de points requis, mais il ressort manifestement des notes du STIDI et de la lettre de refus que l’agente l’a bel et bien fait. L’argument, en tant que tel, n’est pas sérieux :

[traduction

 

Le paragraphe 76(3) du Règlement pris en vertu de la LIPR permet à un agent de substituer son appréciation des chances qu’a un travailleur qualifié de réussir son établissement économique au Canada si le nombre de points accordés ne dénote pas de manière suffisante si ce travailleur peut ou non réussir son établissement économique au Canada. Le paragraphe 76(4) prévoit que cette décision doit être confirmée par un autre agent. J’ai pris en considération votre situation au regard de cette disposition. J’ai estimé que les points qui vous ont été accordés reflètent de manière exacte les chances de réussite de votre établissement économique au Canada. Je ne transmettrai donc pas votre demande au gestionnaire de programme pour examen.

 

(DD, lettre de refus, à la page 7.)

R76(3) PRIS EN CONSIDÉRATION. LES POINTS SEMBLENT REFLÉTER DE MANIÈRE EXACTE LES CHANCES D’ÉTABLISSEMENT ÉCONOMIQUE.

 

(DD, notes du STIDI, à la page 9.)

 

[8]               La demanderesse soutient qu’au moment d’examiner la possibilité de recourir à une substitution de l’appréciation, l’agente aurait dû prendre en considération ses titres de compétence, son expérience professionnelle, son établissement financier et les titres de compétence de son époux. Les notes du STIDI (aux pages 8 et 9) montrent que l’agente l’a bel et bien fait; la Cour souscrit donc entièrement à la position du défendeur.

 

[9]               Pour dire les choses clairement, même si des commentaires sur tous ces facteurs ont été faits à une reprise au moins dans les notes du STIDI, aucun n’a été réitéré une seconde fois pour l’examen que l’agente a fait de la possibilité d’une substitution de l’appréciation. Toutefois, rien n’oblige à entreprendre une telle tâche répétitive. Certes, la demanderesse ne fait état d’aucun précédent qui dénote le contraire. En fait, la jurisprudence semble pointer dans la direction opposée, surtout dans les cas où il n’y a aucune preuve que le demandeur a bel et bien demandé une substitution de l’appréciation : « […] L’agent n’était pas tenu de traiter de chacun des facteurs individuellement […] » (Requidan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 237, [2009] A.C.F. no 280 (QL), au paragraphe 28).

 

[10]           Selon la demanderesse, l’agente n’a pas tenu compte des fonds dont elle disposait pour s’établir au moment d’examiner une substitution de l’appréciation. Cet argument n’est pas sérieux. Aucune preuve ne révèle que l’agente a fait abstraction de ce facteur.

 

[11]           Dans les notes du SIDI, l’agente a bel et bien traité des fonds dont disposait la demanderesse pour s’établir :

[traduction

SFC : 6587DK = 25443CAD

SFC ATTEINT

 

(DD, notes du STIDI, à la page 9.)

 

[12]           Il vaut la peine de signaler, par ailleurs, que les fonds dont la demanderesse disposait pour son établissement n’étaient pas élevés – la somme de 26 000 $ dont elle disait disposer ne dépassait que de quelques centaines de dollars le seuil de faible revenu (SFR) que l’on avait calculé pour elle. Outre la jurisprudence citée ci-dessus, un agent des visas n’est nullement tenu de passer expressément en revue chaque facteur pertinent; un principe de droit administratif avance que seuls les facteurs importants ayant une incidence sur une décision doivent faire l’objet de commentaires. Il est évident que le fait d’atteindre le SFR ne peut, ipso facto, être considéré comme un facteur qui a relativement plus de poids que n’importe quel autre facteur lié à un demandeur de visa (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264, aux paragraphes 15 à 17).

 

[13]           En fait, si, en l’espèce, l’agente était obligée de faire des commentaires sur les fonds dont la demanderesse disposait pour s’établir, il s’ensuit que cette obligation serait concrètement imposée aux agents chaque fois qu’une personne atteindrait le SFR. Cela n’est manifestement pas ce que législateur envisageait (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

[14]           La demanderesse allègue que l’agente a omis d’exercer convenablement le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 76(3) du RIPR. Aucun argument, à cet égard, n’est avancé; il n’est pas non plus fait référence à un fait quelconque qui étayerait cette allégation. Cela étant, l’allégation n’est donc pas considérée comme sérieuse.

 

[15]           La demanderesse se plaint que l’agente a utilisé un passage de refus standard pour décrire son refus de substituer son appréciation en vertu du paragraphe 76(3) du RIPR, et elle dit que ce passage est insuffisant. Toutefois, cet argument n’est pas sérieux, et ce, pour trois raisons.

 

[16]           Premièrement, le fait de dire d’une série de motifs qu’elle est de type « standard » exigeait un examen, ce que fait la Cour. Les motifs écrits ont pour but de prouver que la demande d’un demandeur a été prise en considération; il est donc essentiel d’évaluer le fond des motifs, et non simplement la manière dont ils ont été catégorisés. Sans justification, une telle catégorisation ne donne donc pas lieu à une question grave.

 

[17]           Deuxièmement, si les décisions « standards » étaient inadéquates en soi, il s’ensuivrait que les décisions fondées sur des marqueurs seraient invalides et ce n’est pas le cas.

 

[18]           Troisièmement, dans les circonstances existantes, rien dans la loi n’obligeait l’agente à écrire un passage plus long ou plus détaillé pour les besoins d’une substitution de l’appréciation. En fait, il suffit qu’un agent reconnaisse avoir pris en considération cette mesure :

[7]        […] Voir la décision Behnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 798, au paragraphe 6 : L’agent est uniquement tenu d’informer le demandeur qu’il a examiné la demande de substitution de l’appréciation. C’est ce qui a été fait en l’espèce.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Poblano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1167, 142 A.C.W.S. (3d) 146).

 

[19]           Cela a été fait; il n’existe donc aucune question grave (DD, lettre de refus, à la page 7; notes du STIDI, à la page 9).

 

[20]           La demanderesse invoque Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, 139 A.C.W.S. (3d) 164, pour avancer qu’il était nécessaire de donner des motifs plus complets en rapport avec le refus de l’agente d’exercer de manière favorable le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 76(3) du RIPR. Cette affaire a toutefois trait à une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il est bien établi en droit que l’équité procédurale varie d’un type de décision à un autre :

[L]a notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas […].

 

(Arrêt Knight, précité.)

 

[21]           La demanderesse invoque aussi Ogunfowora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 471, 157 A.C.W.S. (3d) 628; cependant, cette affaire n’est pas pertinente en l’espèce, car elle a trait à une décision concernant un visa de visiteur (visa de résident temporaire, ou VRT).

 

[22]           Les décisions portant sur des motifs d’ordre humanitaire et des VRT sont différentes d’une décision concernant la substitution d’une appréciation, et cela ressort clairement du fait que les deux premières décisions tranchent une demande principale, tandis qu’une substitution de l’appréciation a lieu après qu’une demande principale a été rejetée et, dans un tel cas, uniquement dans des circonstances qui « ne s’applique[nt] qu’exceptionnellement » (Fernandes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 243, 165 A.C.W.S. (3d) 340, paragraphe 7; Requidan, précitée, paragraphe 29).

 

[23]           La substitution de l’appréciation constitue donc davantage une mesure de nature discrétionnaire et elle est assujettie à une norme d’équité qui est différente des normes qui s’appliquent aux décisions concernant les motifs d’ordre humanitaire et les VRT. Les notes du STIDI étaient, en soi, peu étoffées, mais elles étaient acceptables :

[10]      […] Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il dit que les motifs énoncés dans les notes consignées par l’agent dans le STIDI, bien que lapidaires, satisfont au critère établi par la jurisprudence : ils sont « suffisamment clairs, précis et intelligibles pour que le demandeur puisse savoir pourquoi sa demande a été rejetée et décider s’il doit demander le contrôle judiciaire » (Mendoza c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 687, au paragraphe 4).

 

(Odutola c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1352, 337 F.T.R. 276).

 

VI.  Conclusion

[24]           La demanderesse n’a soulevé aucune question grave. Aucun argument défendable n’a été établi; par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-604-10

 

INTITULÉ :                                       MIRA MINA c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mary Keyork

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

NIREN AND ASSOCIATES

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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