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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

 

Date : 20101125

Dossier : IMM-1883-10

Référence : 2010 CF 1183

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Shore 

ENTRE :

 

RAFAEL ALBERTO AGUILAR SOTO

SANJUANA CAUDILLO ZAVALA

ANA PAOLA AGUILAR CAUDILLO

RAFAELA ZAVALA BARRON

GLORIA XIMENA AGUILAR CAUDILLO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               Demander à une personne de rechercher la protection de l’État, qui est à la fois persécuteur et complice, lorsqu’elle se croit en danger suite aux agissements d’une personne qui de qui relève des forces de l’ordre revient à imposer un fardeau de preuve trop élevé à un demandeur d’asile.

[2]               La Cour fédérale a maintenu à plusieurs reprises que pour obtenir protection, un demandeur n’est pas obligé de « demander des conseils, un avis juridique ou de l’aide d’une organisation des droits de l’homme, si la police est incapable de l’aider ». Selon le juge J. François Lemieux :

[21]      [...] « il est de jurisprudence constante au Canada qu'un revendicateur n'est pas tenu de rechercher l'aide d'organisations de défense des droits de l'homme » . (Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 22 Imm. L.R. (3d) 93, au paragraphe 44).

 

(Malik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 453, 122 A.C.W.S. (3d) 1105; Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Iimmigration), 2003 2 C.F. 339, 2022 CFPI 1081 aux par. 23-24).

 

[3]               La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a en outre fait abstraction des éléments de preuve favorables aux demandeurs concernant les défaillances de la protection de l’État à leur situation particulière en mettant de côté les lacunes du système à leur égard.

 

[4]               Lors de l’examen de la question de la protection de l’État, la CISR n’a pas fait explicitement état des documents mis en preuve (cartable du Mexique, pièce A-1; ce cartable, d’ailleurs, des documents compilés, émane de la CISR, elle-même).

 

[5]               Ainsi, dans le document intitulé « Mexique : protection offerte par l’État » les éléments suivants sont mentionnés :

Toutefois, plusieurs sources d'information soutiennent que les statistiques officielles ne reflètent pas la réalité, car beaucoup de citoyens étaient réticents à signaler des crimes (ICESI 17 mars 2005; États-Unis 2002; Country Reports 2004 28 févr. 2005, sect. 1.c). Selon diverses estimations, la proportion de crimes non signalés, appelé parfois le nombre noir (cifra negra), se situerait entre 75 p. 100 (ICESI 17 mars 2005) et 80 p. 100 (États-Unis 2002; Freedom House 23 août 2004), ce qui voudrait dire que seulement un crime sur quatre ou cinq est signalé à la police. (La Cour souligne).

 

(Pièce A-1, onglet 9.2 Canada. Mai 2005. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Mexique : protection offerte par l’État).

 

[6]               Le document MEX101376.EF stipule :

Les organisations de surveillance de la corruption soutiennent que les actes de corruption sont toujours monnaie courante au Mexique (TI 9 déc. 2005, 11; ibid.,14-15, ibid., 19-23; Transparencia Mexicana 9 mai 2006) même si le gouvernement fédéral continue d'appuyer et de mettre en valeur les initiatives visant la lutte contre la corruption (INCSR 2006 mars 2006, sect. I; Mexique mars 2006a, 367-377).

[...]

 

Les sondages menés en 2005 auprès des résidants de Mexico montrent que la corruption policière est toujours une source d'inquiétude (EFE 20 oct. 2005; El Universal 15 août 2005). Dans le cadre d'une enquête menée en août 2005 par le quotidien El Universal de Mexico, [traduction] « [p]lus de la moitié des répondants ont affirmé avoir été victimes d'extorsion ou de subornation de la part de policiers en uniforme » (ibid.). Les répondants considéraient que plusieurs services de police étaient corrompus, notamment la police préventive locale, mais que d'autres l'étaient moins, comme l'Agence fédérale d'enquêtes (Agencia Federal de Investigacion - AFI) (ibid.). Selon The Economist, l'AFI est un corps policier [traduction] « relativement intègre [qui] se révèle plus efficace que l'a été tout autre corps policier dans le passé » (30 juin 2005).

 

[...]

 

[...] L'organisation a toutefois conclu dans son rapport que les violations des droits de la personne liées, par exemple, aux écarts de conduite des représentants de l'exécution de la loi, se poursuivent toujours et que si les initiatives du gouvernement [traduction] « sont ambitieuses sur papier, elles n'ont guère réussi à atteindre leurs buts premiers » (La Cour souligne).

 

(Pièce A-1, onglet 7.3 MEX101376.EF. 6 juin 2006. Information sur les tentatives du gouvernement pour lutter contre la corruption et sur l’issue des enquêtes sur les actes de corruption; tentatives du bureau du procureur général du District fédéral).

[7]               La volonté d’un État de vouloir protéger ses citoyens sans avoir, pour la plupart, mis des mesures pratiques ou tangibles en place pour en effet les protéger n’est pas suffisante. Cela demeure que théorique pour certaines personnes dans certaines situations. Comme spécifié par le juge Edmond Blanchard dans Burgos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1537, 160 A.C.W.S. (3d)  696 :

[36]      Par ailleurs, lorsqu’elle examine la question de la protection de l’État, la Cour ne peut pas exiger que la protection actuellement offerte soit d’une efficacité parfaite. Les propos suivants du juge James Hugessen dans Villafranca c. M.E.I., [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.) (QL), font d’ailleurs état de ce principe :

 

Par contre, lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.

 

[37]      Malgré tout, la simple volonté de l’État d’assurer la protection de ses citoyens n’est pas suffisante en soi pour établir sa capacité. La protection doit tout de même avoir une certaine efficacité (Bobrik c. M.C.I., [1994] A.C.F. no 1364 (1re inst.) (QL).

 

II.  Procédure judiciaire

[8]               Il s’agit d’une Demande d’autorisation et Demande de contrôle judiciaire (DACJ) à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la CISR, selon laquelle des demandeurs n’ont pas la qualité de « réfugiés au sens de la Convention », tel que défini à l’article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR), ni la qualité de « personnes à protéger » selon l’article 97 de la LIPR.

 

 

 

III.  Faits

[9]               La revendication du statut de réfugié des demandeurs a été entendue par la SPR, le 20 octobre 2009.

 

[10]           Les demandeurs sont citoyens du Mexique.

 

[11]           Monsieur Rafael Alberto Aguilar Soto, sa conjointe de fait, madame Sanjuana Caudillo Zavala, la mère de cette dernière, madame Rafaela Zavala Barron et leurs deux filles mineures, Ana Paola Aguilar Caudillo et Gloria Ximena Aguilar Caudillo, demandent la protection contre une personne qui est le dirigeant municipal du Parti de la révolution démocratique (PRD), monsieur Enrique Alba Martinez.

 

[12]           Monsieur Martinez est un homme d’affaires puissant qui a de l’influence dans le PRD.

 

[13]           Monsieur Aguilar Soto a été menacé et agressé personnellement à plusieurs reprises par monsieur Martinez et ses associés et ces derniers ont également menacé sa famille.

 

[14]           Le 29 décembre 2006, monsieur Aguilar Soto a dénoncé monsieur Martinez auprès du Ministère public du Bureau du procureur général, contre les agissements de ce dernier.

 

[15]           M. Aguilar Soto et sa famille ont cependant continué de recevoir des menaces de cette personne et de ses associés.

 

[16]           Ainsi, après le dépôt de sa plainte et l’arrestation de monsieur Martinez, les menaces ont augmenté.

 

[17]           À partir du 25 janvier 2007, monsieur Aguilar Soto a reçu plusieurs appels téléphoniques chez lui dans lesquels on lui disait « qu’ils » étaient au courant de sa plainte contre monsieur Martinez et que s’il n’y mettait pas fin il allait « mourir ».

 

[18]           Le 15 février 2007, un individu s’est présenté en pleine nuit au domicile de monsieur Aguilar Soto pour lui proférer à nouveau des menaces de mort. Monsieur Aguilar Soto a par la suite vu les véhicules dans lesquels se déplaçaient ses agresseurs à plusieurs reprises à proximité de son lieu de travail.

 

[19]           La dénonciation présentée au Ministère public a entraîné l’arrestation le 21 février 2007 de monsieur Martinez, lequel a cependant été relâché dès le lendemain grâce à un recours en amparo.

 

[20]           Le 30 mars 2007, monsieur Aguilar Soto a été intercepté, alors qu’il roulait vers son domicile par une fourgonnette de laquelle sont sortis deux individus armés qui l’ont menacé avec leurs armes en lui disant qu’il connaissait la routine de sa famille et qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient, car monsieur Martinez était un politicien influent.

 

[21]           Monsieur Aguilar Soto et sa famille ont immédiatement quitté leur maison pour aller habiter avec la tante de sa conjointe, madame Juana Zavala Barron.

 

[22]           Le 24 avril 2007, alors que sa conjointe marchait dans la rue pour se rendre chez ses beaux-parents, une jeep de couleur noire s’est arrêté à sa hauteur de laquelle deux individus sont sortis et l’un d’eux lui a dit que s’ils n’arrêtaient par leurs démarches contre monsieur Martinez, ils allaient le regretter amèrement. Ces individus ont tenté de faire monter la conjointe de monsieur Aguilar Soto dans leur véhicule, mais grâce à l’intervention d’un automobiliste et du père de monsieur Aguilar Soto, elle a pu en réchapper.

 

[23]           Peu de temps après, les demandeurs se sont caché dans un motel le temps d’obtenir leurs passeports et ont quitté dès que possible le Mexique pour se rendre au Canada, où ils ont présenté une demande d’asile.

 

[24]           Les demandeurs ont revendiqué le statut de réfugié le 13 mai 2007 dès leur arrivée à l’aéroport Dorval au Canada.

 

IV.  Point en litige

[25]           La Commission a-t-elle commis une erreur dans son traitement de la preuve relative à la protection de l’État mexicain?

 

V.  Norme de contrôle

[26]           Conformément à la jurisprudence, la question de la protection de l’État est examinée selon la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 SCC 9, [2008] 1 S.C.R. 190; Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 362 N.R. au par. 38; Huerta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586, 167 A.C.W.S. (3d) 968 au par. 14).

 

VI.  Analyse

[27]           La Cour est d’accord avec la position des demandeurs.

 

[28]           La question déterminante est de savoir si l’État du Mexique est en mesure de protéger adéquatement les demandeurs d’asile de leur persécuteur, soit dans le cas présent, le dirigeant municipal du PRD qui est une personne en autorité.

 

[29]           En l’espèce le demandeur a porté plainte contre son agresseur au Ministère public le 29 décembre 2006 et, malgré cela, il a été victime de plusieurs agressions subséquentes (le 25 janvier 2007, le 15 février 2007, le 30 mars 2007, le 24 avril 2007), ce qui a provoqué son départ dans un motel pour se cacher avec sa famille avant de s’enfuir vers le Canada.

 

[30]           L’affirmation par la CISR que le Mexique est un État démocratique dont le gouvernement généralement respecte les droits de la personne au niveau national ne change pas moins que la protection de l’État est un cas d’espèce dans chaque cas portée à l’attention de la CISR (Arellano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1265, [2006] A.C.F. no 1622 (QL) au par. 23) et dois être examinée au mérite.

 

[31]           Lorsque la CISR examine la question de la protection de l’État, elle ne peut pas exiger que la protection actuellement offerte soit d’une efficacité parfaite.

[32]           Contrairement à ce qu’affirme la CISR (par. 17), la simple volonté de l’État d’assurer la protection de ses citoyens n’est pas suffisante en soi pour établir sa capacité. La protection doit avoir une certaine efficacité (Burgos, ci-dessus, au par. 37).

 

[33]           La Cour fédérale, à plusieurs reprises, fait ressortir les défis auxquels la démocratie mexicaine est encore confrontée. Ainsi, dans l’arrêt Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] 1 R.C.F. 237, 2008 CF 491, la juge Danièle Tremblay-Lamer écrivait :

[18]      [...] Tout récemment, le juge suppléant Orville Frenette a déclaré dans De Leon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1307, au paragraphe 28, que, le Mexique étant une démocratie en voie de développement, où la corruption et le trafic de stupéfiants sont courants et impliquent certaines autorités gouvernementales, il était plus facile de réfuter la présomption d‘existence de protection de l’État dans le cas de ce pays.

 

[34]           La présomption de la capacité de l’État est donc une présomption réfutable, même en présence d’un État démocratique :

[41]      La Cour reconnaît que le Mexique est un état démocratique généralement apte à protéger ses citoyens et que des efforts importants sont faits par le Président Fox pour enrayer la corruption. La Cour reconnaît également qu’on ne peut pas exiger une protection étatique parfaite. Nonobstant ces constats, la jurisprudence reconnaît que la présomption de la capacité de l’État est une présomption réfutable même lorsqu’on est en présence d’un État démocratique. Le juge Laforest a d’ailleurs précisé, comme mentionné précédemment, que cette présomption ne doit pas rendre « illusoire la fourniture par le Canada d’un havre pour les réfugiés [...] (La Cour souligne).

 

(Burgos, ci-dessus).

 

[35]           Dans l’arrêt Capitaine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 98, [2008] A.C.F. no 181 (QL), la juge Johanne Gauthier a traité de la question de la protection de l’État eu égard au contexte de la démocratie mexicaine :

[20]      Le Mexique constitue une démocratie pour laquelle une présomption de protection de l’État s’applique, même si sa place dans l’« éventail démocratique » doit être appréciée pour déterminer quelle preuve crédible et digne de foi sera suffisante pour écarter cette présomption (Hinzman, précité, au paragraphe 45; Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 439, au paragraphe 19; Avila, précitée, au paragraphe 30; De Leon c. Canada, [2007] A.C.F. no 1684, au paragraphe 28).

 

[21]      Dans les démocraties développées comme les É.‑U. et Israël, il ressort clairement de l’arrêt Hinzman (aux paragraphes 46 et 57) que pour réfuter la présomption de la protection de l’État, cette preuve doit comprendre la preuve qu’un demandeur a épuisé tous les recours dont il disposait. Il est clair également que, sauf dans des circonstances exceptionnelles, il serait déraisonnable, dans de tels pays, de ne pas solliciter la protection de l’État avant de le faire au Canada.

 

[22]      La Cour ne croit pas que l’arrêt Hinzman signifie que cette conclusion s’applique à tous les pays, peu importe où il se trouve dans l’« éventail démocratique », ni qu’il décharge le décideur de son obligation d’apprécier la preuve présentée pour établir que, au Mexique par exemple, l’État n’est pas en mesure (bien qu’il le veuille) de protéger ses citoyens ou qu’il était raisonnable pour le demandeur de refuser de se prévaloir de cette protection [...] (La Cour souligne).

 

[36]           Dans l’arrêt Zepeda, ci-dessus, la juge Tremblay-Lamer avait indiqué :

[20]      Je souscris à la façon qu’a la juge Gauthier d’aborder la question de la protection de l’État au Mexique. En effet, bien que le Mexique constitue une démocratie et veuille généralement assurer la protection de ses citoyens, la documentation abonde quant aux problèmes de gouvernance et de corruption qui y existent. Les décisionnaires doivent par conséquent apprécier avec soin la preuve dont ils sont saisis et laissant voir que le Mexique, bien qu’il veuille protéger ses citoyens, peut bien ne pas être en mesure de le faire. Cette appréciation doit notamment prendre en compte la situation générale ayant cours dans le pays d’origine du demandeur, toutes les mesures que celui-ci a effectivement prises et sa relation avec les autorités (Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1211, au paragraphe 21; G.D.C.P. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 989, au paragraphe 18). (La Cour souligne).

 

[37]           Dans le cas présent, un membre influent d’un parti politique était en cause dans les agressions et menaces subies par le demandeur, qui a utilisé ses fonctions officielles pour perpétrer ces menaces et agressions. Comme l’affirme la juge Tremblay-Lamer :

[15]      [...] Le fait même que les représentants de l'État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l'État, ce qui diminue d'autant le fardeau de la preuve [...]

 

(Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, 137 A.C.W.S. (3d) 392; également, Molnar, ci-dessus).

 

[38]           Dans le cas présent, le demandeur a engagé les services d’un avocat et est allé porter plainte au bureau du Ministère public de Leon le 29 décembre 2006, sans succès, puisque, suite à ces plaintes, plusieurs autres agressions ont eu lieu au cours desquelles on a notamment menacé de le tuer avec une arme à feu (agression du 30 mars 2007).

 

[39]           Par la suite, le 24 avril 2007, son épouse a été violemment prise à parti par des individus dans la rue. Dans ces circonstances, le demandeur s’est déchargé de son fardeau de présenter une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État du Mexique à le protéger. La CISR a donc commis une erreur déraisonnable en décidant autrement.

 

[40]           En déterminant qu’il existait une protection adéquate au Mexique, et que le demandeur aurait dû porter plainte après l’incident du 24 avril 2007, la CISR a rendu une décision déraisonnable dans ce sens qu’il a ce faisant omis de tenir compte du fait que la situation du demandeur s’est aggravée après qu’il ait porté plainte le 29 décembre 2006, ce qui l’a finalement poussé à quitter son pays.

 

[41]           Comme le rappelle la juge Tremblay-Lamer dans l’arrêt Zepeda, ci-dessus, un demandeur d’asile n’est pas tenu de mettre sa vie en danger afin de prouver qu’il a épuisé tous les recours lui permettant d’obtenir la protection des autorités de son pays d’origine. Ce principe découle du célèbre arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

 

[42]           D’autre part, la CISR énonce que le demandeur n’avait pas épuisé tous les recours possibles et invoque le fait que ce dernier aurait dû s’adresser à d’autres organisations pour obtenir de l’aide s’il croyait la police corrompue et porter plainte auprès de ces autres autorités.

 

[43]           La juge Tremblay-Lamer a d’ailleurs affirmé dans Zepeda, ci-dessus, où était également en cause la protection offerte par la police mexicaine et dans laquelle il avait aussi été fait reproche au demandeur de ne pas s’être adressé à des instances de protection des citoyens autres que la police :

[24]      En l’espèce, la Commission a fait état de divers autres organismes auprès desquels les demandeurs, se disant insatisfaits des efforts de la police et croyant celle-ci corrompue, auraient pu s’adresser, comme la Commission nationale des droits de la personne, la Commission des droits de la personne d’un État, le Secrétariat de l’administration publique, le Programme de lutte contre l’impunité, la Direction d’aide du contrôleur général, ou encore le Bureau du procureur général de la République au moyen de sa procédure de plainte.

 

[25]      Or, j’estime que ces autres institutions ne constituent pas, en soi, des voies de recours. Sauf preuve du contraire, la police est la seule institution chargée d’assurer la protection des citoyens d’un pays et disposant, pour ce faire, des pouvoirs de contrainte appropriés. Ainsi, par exemple, il est expressément mentionné dans la preuve documentaire que la loi ne confère à la Commission nationale des droits de la personne aucun pouvoir de contrainte (« Mexique : Situation des témoins des crimes et de la corruption, des femmes victimes de violences et des victimes de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle » [...] (La Cour souligne).

 

[44]           Le juge Luc Martineau en est arrivé à la même conclusion dans l’arrêt Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, 295 F.T.R. 35 :

[33]      [...]Partant, la Commission ne pouvait affirmer gratuitement que si le demandeur n’avait pas eu de succès auprès de la police, il aurait pu faire appel à la CNDH et la CEDH, deux organismes s’occupant des droits de la personne. En effet, ces organisations n’ont pas pour mandat de protéger les victimes d’actes criminels, ce qui est plutôt le rôle de la police : voir Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 809 au para. 44, [2002] A.C.F. no 1080 (C.F. 1re inst.) (QL); N.K. c. Canada (Solliciteur général) (1995), 107 F.T.R. 25 aux para. 44-45 (C.F. 1re inst.). (La Cour souligne).

 

[45]           Il ressort de ces documents que la corruption est généralisée au Mexique.

 

[46]           La CISR a commis une erreur lorsqu’elle affirme que « [l]e fait de dire que la police est corrompue ou non efficace et qu’on a peur ne sont pas des bonnes excuses » (par. 16).

 

[47]           Il faut également rappeler que les faits allégués au soutien de sa revendication de statut de réfugié ne sont pas remis en cause par la CISR.

 

[48]           Il faut aussi rappeler qu’en l’espèce l’agent persécuteur était une personne en autorité qui avait le pouvoir de faire des menaces et avait une influence sur son entourage proche et professionnel de par son influence. Il s’agit en l’espèce d’une personne qui avait un pouvoir important.

 

[49]           Ainsi, dans ce cas d’espèce, la CISR disposait donc d’une preuve suffisante pour réfuter la protection de l’État et a donc commis une erreur déraisonnable en ne tenant pas compte des documents susmentionnés dans son analyse de la protection de l’État et de la situation du demandeur au regard de celle-ci.

 

[50]           Il convient de rappeler qu’une demande de remise d’audience (prévue le 20 octobre 2009) avait été faite par le conseil de monsieur Aguilar Soto puisque ce dernier n’était pas en possession, en date du 8 octobre 2009, des documents nécessaires à une représentation pleine et entière de son client (voir pièce B). Cependant, cette demande de remise a été refusée.

 

[51]           Comme le rappelle le juge Sean Harrington dans l’arrêt Anand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 302, 248 F.T.R. 189, le droit à l’avocat ne consiste pas seulement en ce que l’avocat soit physiquement disponible le jour de l’audience, mais ce droit inclut que l’avocat ait pu disposer du temps nécessaire pour se préparer à l’audience.

 

[52]           La Cour fédérale a aussi statué dans l’arrêt Austria c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 423, 147 A.C.W.S. (3d) 1048 :

[6]        [...] Ce qui est absolu, toutefois, c’est le droit à une audience équitable. Pour qu’une audience se déroule équitablement, le demandeur doit être capable de « participer utilement » à l’instance [...] (La Cour souligne).

 

VII.  Conclusion

[53]           En déterminant qu’il existait une protection adéquate au Mexique, et que les demandeurs auraient dû porter plainte auprès d’autres instances, la CISR a rendu une décision déraisonnable en ce sens qu’un demandeur d’asile n’est pas tenu de mettre sa vie en danger afin de prouver qu’il a épuisé tous les recours lui permettant d’obtenir la protection des autorités de son pays d’origine.

 

[54]           La CISR a donc omis de tenir compte du fait que la situation des demandeurs s’est aggravée après qu’ils aient porté plainte auprès des autorités. Ce faisant, il a omis de prendre en compte la situation personnelle des demandeurs en fonction du cadre factuel dans lequel ceux-ci se sont retrouvés.

 

[55]           D’autre part, le caractère déraisonnable de la décision de la CISR tient à ce que celui-ci n’a pas examiné la preuve documentaire de façon équilibrée quant à l’étendue de la corruption au Mexique. La décision dans ce cas d’espèce de la CISR est déraisonnable.

 

[56]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision du tribunal quant au refus de reconnaître la qualité de réfugiés et de personnes à protéger aux demandeurs est annulée et renvoyée au tribunal pour considération par un panel autrement constitué. Aucune question à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1883-10

 

INTITULÉ :                                       RAFAEL ALBERTO AGUILAR SOTO

SANJUANA CAUDILLO ZAVALLA

ANA PAOLA AGUILAR CAUDILLO

RAFAELA ZAVALA BARRON

GLORIA XIMENA AGUILAR CAUDILLO

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 16 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 25 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Audé Exertier

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Evan Liosis

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

AGUILAR ET ASSOCIÉS

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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