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Date : 20101126

Dossier : T‑88‑10

Référence : 2010 CF 1194

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Crampton

 

 

ENTRE :

 

M. NOËL AYANGMA

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]             Voici un autre chapitre d’une longue saga qui a donné lieu à plusieurs instances devant notre Cour, à deux appels à la Cour d’appel fédérale et à deux demandes d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada.

 

[2]             Le demandeur est un homme de race noire originaire du Cameroun, en Afrique centrale. Il a été engagé par Santé Canada en janvier 1999. Il a posé sans succès sa candidature à plusieurs postes supérieurs à Santé Canada entre 1999 et 2004. À la suite d’une vérification de ses demandes de remboursement de frais de déplacement, il a été congédié en mai 2004. Dans la plainte qu’il a déposée plus tard le même mois devant la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), il a allégué qu’il avait été victime de discrimination de la part de certains cadres dirigeants de Santé Canada sur le fondement de sa race, de sa couleur, de son origine nationale ou ethnique et de sa culture, contrairement aux dispositions des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la LCDP).

 

[3]             Dans une décision datée du 23 décembre 2009, la Commission a rejeté ses prétentions.

 

[4]             Le demandeur réclame l’annulation de cette décision au motif que la Commission a commis une erreur, et qu’elle a notamment :

 

                                 i.            débordé le cadre de sa compétence en déclarant que la plainte qu’il avait portée au sujet d’un concours pour un poste EX‑01 était chose jugée;

 

                               ii.            conclu de façon déraisonnable et incorrecte que la plainte qu’il avait portée au sujet du concours pour le poste EX‑01 avait déjà été examinée dans des décisions de notre Cour et de la Cour d’appel fédérale;

 

                              iii.            fait défaut d’enquêter sur ses plaintes relatives à des concours pour un poste EX‑02 et pour un poste PM‑05 et à des questions connexes;

 

                             iv.            fait défaut de renvoyer au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) ses plaintes portant sur sa suspension et sur son congédiement;

 

                               v.            manqué aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle en ne procédant pas à une enquête et à une analyse approfondies, neutres et équitables de ses plaintes.

 

[5]             Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

[6]             Les autres erreurs reprochées à la Commission seront examinées en même temps que celles qui viennent d’être énumérées.

 

I.          Contexte

 

[7]             Les erreurs reprochées à la Commission ont trait à trois concours et à la suspension et au congédiement ultérieurs du demandeur.

 

(i) Le concours EX‑01

 

[8]             Le concours pour le poste de directeur régional adjoint par intérim, un poste EX‑01, a été organisé en 2000. Comme plusieurs autres candidats, le demandeur a participé au concours. Sa candidature n’a toutefois pas été retenue puisque le concours a été remporté par Mme Monique Charron, une femme de race blanche qui occupait le poste à titre intérimaire depuis 1997.

 

[9]             Le demandeur a interjeté appel de la nomination de Mme Charron au Comité d’appel de la fonction publique (CAFP) en invoquant divers motifs. Cet appel a été accueilli en partie : le CAFP a estimé que les membres du jury de sélection n’avaient pas une connaissance suffisante du français pour communiquer avec le demandeur au cours de son entrevue, contrairement au paragraphe 16(2) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la LEFP), L.R.C. 1985, ch. P‑33. En réponse, Santé Canada a organisé un nouveau concours présidé par un nouveau jury de sélection, sans toutefois annuler la nomination de Mme Charron.

 

[10]         Le demandeur a refusé de participer à ce nouveau concours à moins que la nomination de Mme Charron soit annulée, car il estimait que cette dernière serait avantagée si elle conservait son poste durant le nouveau concours, et ce, même s’il était acquis que sa nomination serait annulée advenant le cas où elle ne serait pas la candidate retenue. Mme Charron a une fois de plus remporté le concours.

 

[11]         Le demandeur a alors déposé devant notre Cour une déclaration dans laquelle il alléguait notamment que les droits que lui garantissait l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.) 1982, ch. 11, avaient été violés. Il a été débouté de cette action ainsi que de l’appel qu’il a interjeté devant la Cour d’appel fédérale et de sa demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada.

 

(ii) Le concours PM‑05

 

[12]         Le demandeur a été engagé par Santé Canada en janvier 1999 pour travailler au bureau régional de Halifax à titre de coordonnateur régional de projets pour l’Atlantique, Système d’information sur la santé des Premières nations et des Inuits. Il y avait six autres postes similaires de coordonnateur régional de projets ailleurs au Canada. En février 2000, la haute direction de Santé Canada a décidé de mettre à jour la description de travail pour transformer les postes en question en postes de gestionnaire de programme, ce qui a donné lieu au reclassement de ces postes du niveau PM‑04 au niveau PM‑05.

 

[13]         La première région où ce changement a été effectué a été l’Alberta, où le titulaire du poste de coordinateur régional de projets, un homme de race blanche, a été nommé au poste de gestionnaire de programme sans concours. Suivant le demandeur, la même chose s’était produite dans d’autres régions du Canada. Toutefois, en Atlantique, un concours a été organisé en mars 2003 pour doter le poste PM‑05. Le demandeur a exprimé à plusieurs reprises son opposition à la tenue du concours, faisant valoir qu’il aurait dû être nommé à ce poste comme ses collègues de race blanche de l’Alberta et d’ailleurs. Après que la direction eut d’abord refusé d’annuler le concours, le demandeur a retiré sa candidature en mai 2003.

 

[14]         Malgré le fait qu’il avait retiré sa candidature, le demandeur a été nommé au poste de gestionnaire intérimaire de programme le 26 mai 2003. Il a par la suite été remplacé le 18 août 2003 par Mme Agatha Hopkins, une femme de race blanche. Mme Hopkins a été nommée à ce poste dans le cadre d’un échange. Le concours a été officiellement annulé le 2 septembre 2003. Le demandeur allègue que la direction l’a traité de manière discriminatoire en ne le nommant pas à ce poste sans concours comme son collègue de l’Alberta.

 

(iii) Le concours EX‑02

 

[15]         En 2002, un concours a été tenu pour le poste de directeur régional, un poste de niveau EX‑02. Le demandeur a participé à ce concours, qui a lui aussi été remporté par quelqu’un d’autre, en l’occurrence Mme Debra Keays‑White, une femme de race blanche. En 2003, Mme Sarah Archer a été nommée à ce poste à titre intérimaire. Le demandeur soutient que, malgré le fait qu’il possédait les compétences requises pour le poste EX‑02, il a été exclu du processus qui a conduit à la nomination des Mmes Keays‑White et Archer.

 

(iv) Suspension et congédiement du demandeur

 

[16]         Le reste des plaintes du demandeur se rapporte à une enquête sur ses demandes de remboursement de frais de déplacement, sa suspension sans solde à compter du 3 décembre 2003 et son congédiement ultérieur, le 7 mai 2004.

 

[17]         À la suite de sa nomination au poste de gestionnaire de programme, Mme Hopkins est devenue responsable de l’approbation des demandes de remboursement de frais de déplacement du demandeur. En septembre 2003, peu de temps après la nomination de Mme Hopkins, le demandeur a soumis à celle‑ci des demandes de remboursement de frais de déplacement. Mme Hopkins a jugé ces frais irréguliers et lui a demandé de fournir de plus amples renseignements, ce qu’il a refusé. Le 6 octobre 2003, Mme Hopkins a par conséquent demandé la tenue d’une vérification interne portant sur la totalité des demandes de remboursement de frais de déplacement soumises par le demandeur entre 1998 et 2003.

 

[18]         Quelques jours plus tard, le demandeur, muni d’une autorisation d’un médecin, a obtenu un congé de maladie de six semaines. Le 2 décembre 2003, il a fait connaître son intention de retourner au travail. Le lendemain, il a toutefois appris qu’il était suspendu sans solde en attendant les résultats de l’examen des demandes de remboursement de frais de déplacement. Le 7 mai 2004, il a été congédié sur la foi des conclusions de cet examen, selon lesquelles : (i) il avait soumis pour plus de 28 000 $ de fausses demandes de remboursement de frais de déplacement; (ii) il n’avait pas signalé ses absences au travail; (iii) il avait utilisé le téléphone cellulaire du gouvernement et l’ordinateur portable qui lui avaient été confiés à des fins non liées à son travail.

 

[19]         Le demandeur a alors déposé un grief auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP). Finalement, un arbitre de griefs (l’arbitre) a conclu que son congédiement était justifié. Dans la plainte qu’il a déposée devant la Commission, le demandeur alléguait que l’enquête menée au sujet de ses demandes de remboursement de frais de déplacement était viciée, entachée de partialité, discriminatoire, injuste et abusive.

 

(v) Première décision de la Commission

 

[20]         Après réception de la plainte du demandeur, la Commission a chargé un enquêteur (le premier enquêteur) de décider : (i) si les plaintes du demandeur avaient été soumises avant l’expiration du délai de prescription d’un an applicable; (ii) dans l’affirmative, si les plaintes pourraient avantageusement être instruites selon une autre procédure.

 

[21]         Le 2 septembre 2004, le premier enquêteur a remis son rapport. En résumé, ce rapport contenait les recommandations suivantes :

 

                                 i.            La Commission devrait, en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP, statuer sur les allégations formulées par le demandeur au sujet du concours EX‑01, parce qu’il y avait des éléments de preuve qui démontraient qu’il avait communiqué avec la Commission dans le délai de prescription d’un an applicable.

 

                               ii.            En vertu de la même disposition, la Commission devrait statuer sur l’argument du défendeur suivant lequel plusieurs des allégations du demandeur avaient été formulées après l’expiration du délai de prescription d’un an, parce que le demandeur n’avait pas fourni d’explication pour justifier le retard qu’accusait le dépôt de ses plaintes.

 

                              iii.            La Commission devrait, en vertu de l’alinéa 41(1)b) de la LCDP, déclarer irrecevables les plaintes relatives au concours EX‑01 parce que les allégations en question pourraient avantageusement être instruites selon une autre procédure. Sur ce point, le premier enquêteur a ajouté qu’au terme de cette autre procédure ou s’il devenait évident que ce recours n’était normalement pas ouvert au demandeur, la Commission pouvait, si le demandeur le lui demandait, choisir d’exercer sa compétence en statuant sur ces allégations.

 

[22]         Le paragraphe 41(1) de la LCDP dispose :

Irrecevabilité

 

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 

 

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

Commission to deal with complaint

 

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

 

 

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

 

[23]         Dans une brève décision datée du 17 novembre 2004, la Commission a adopté les recommandations du premier enquêteur.

 

(vi) Deuxième décision de la Commission

 

[24]         Le 6 mai 2008, après avoir épuisé toutes les autres voies de recours qui lui étaient ouvertes, le demandeur a demandé à la Commission de réexaminer sa plainte. Mme Louise Chamberland (la deuxième enquêteure) a été chargée d’établir un rapport en vue de donner avis aux parties qu’une décision serait rendue par la Commission conformément au paragraphe 41(1) de la LCDP et de mentionner les facteurs dont il serait tenu compte pour rendre cette décision.

 

[25]         Le rapport de la deuxième enquêteure a été publié le 18 décembre 2008. En bref, ce rapport :

                                 i.            résumait la première décision rendue par la Commission le 17 novembre 2004 en déclarant qu’elle avait informé le demandeur de ceci :

 

·        il devait épuiser les autres voies de recours qui lui étaient ouvertes avant que la Commission ne décide de l’opportunité de passer à l’examen des allégations qui avaient été faites dans le délai de prescription d’un an relativement au concours EX‑01;

 

·        les autres allégations du demandeur ne pouvaient pas être acceptées parce qu’il n’avait pas donné d’explication acceptable pour justifier le retard qu’accusait le dépôt de sa plainte.

 

                               ii.            signalait que la Commission déciderait si elle devait refuser de statuer sur la plainte du demandeur (vraisemblablement en ce qui concerne le concours EX‑01) en vertu de l’alinéa 41(1)b);

 

                              iii.            résumait les facteurs à prendre en compte pour rendre une décision en vertu de l’alinéa 41(1)b);

 

                             iv.            invitait les parties à soumettre leurs observations au sujet des allégations se rapportant au concours pour le poste EX‑01 et des facteurs à prendre en compte pour rendre une décision en vertu de l’alinéa 41(1)b);

 

                               v.            informait les parties que, selon les observations qu’elles lui soumettraient, la Commission déciderait : (i) soit de statuer sur la plainte en vertu du paragraphe 41(1); (ii) soit de déclarer la plainte irrecevable en vertu de l’alinéa 41(1)b), au motif que les allégations de discrimination avaient déjà été examinées dans le cadre d’un autre recours ouvert au demandeur.

 

[26]         Le 6 mai 2009, la Commission a décidé qu’elle statuerait sur les allégations relatives au concours EX‑01. Cette décision était tout simplement une formule standard sur laquelle la Commission avait coché deux cases indiquant son intention de statuer sur la plainte et les motifs de cette décision , soit : « [l]a plainte semble fondée et il est évident qu’elle repose sur certains motifs ». Cette décision a été transmise au demandeur sous couvert d’une brève lettre datée du 19 mai 2009.

 

[27]         La Commission a alors chargé Mme Pascale Lagacé (la troisième enquêteure) d’enquêter sur le bien‑fondé de la plainte. Le 30 septembre 2009, la troisième enquêteure a remis son rapport. Voici, en résumé, les recommandations qu’elle a formulées :

 

                                 i.            La Commission devrait, en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(ii) de la LCDP, rejeter la partie de la plainte portant sur le concours EX‑01 pour les motifs énumérés à l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, étant donné que les questions relatives aux droits de la personne avaient déjà été abordées dans les décisions rendues par notre Cour et par la Cour d’appel fédérale en 2002 et en 2003 respectivement.

 

                               ii.            La Commission devrait, en vertu du paragraphe 41(1) de la LCDP, statuer sur la partie de la plainte qui concernait la suspension et le congédiement, parce que les allégations de discrimination du demandeur n’avaient pas été abordées lors de l’exercice de ses autres voies de recours.

 

                              iii.            La Commission devrait, en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP, rejeter la partie de la plainte portant sur la suspension et le congédiement du demandeur parce que :

 

·        la preuve n’appuyait pas les allégations du demandeur suivant lesquelles il avait été défavorisé en cours d’emploi en raison de sa race, de sa couleur ou de son origine nationale ou ethnique;

 

·        compte tenu des circonstances de la plainte, l’instruction de la plainte par le Tribunal n’était pas justifiée.

 

[28]         L’alinéa 44(3)b) dispose :

44. (3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

...

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié,

 

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

44. (3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

 

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

 

II.        La décision faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire

 

[29]         Dans une brève décision datée du 23 décembre 2009, qui reprenait essentiellement in extenso les recommandations de la troisième enquêteure, la Commission a adopté les recommandations en question.

 

[30]         Il est bien établi que lorsque la Commission adopte les recommandations de l’enquêteur sans motiver sa décision ou en ne fournissant que des motifs très succincts, le rapport de l’enquêteur constitue le raisonnement de la Commission lorsqu’il s’agit de réviser une décision prise en vertu de l’article 44. Il s’ensuit que, si le rapport sur lequel la Commission se fonde pour justifier sa décision est entaché de lacunes, la décision de la Commission est elle‑même entachée de lacunes (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056, aux paragraphes 37 et 38).

 

[31]         Après avoir expliqué brièvement l’objet de son rapport et résumé succinctement la plainte et la procédure qu’elle entendait suivre pour procéder à son enquête, la troisième enquêteure a repris la décision initiale rendue par la Commission le 14 novembre 2004. Elle a ensuite fait observer que la décision de la Commission n’était pas entièrement claire, puis a ajouté qu’il ressortait d’un examen approfondi de la formule de plainte et des autres documents versés au dossier qu’hormis les allégations concernant le poste EX‑01, la Commission avait décidé de ne pas statuer sur les allégations portant sur diverses autres questions exposées dans la plainte du demandeur parce que : (i) ces aspects de la plainte avaient été soulevés après l’expiration du délai de prescription d’un an applicable; (ii) le demandeur n’avait pas invoqué de raison valable pour expliquer le temps qu’il avait laissé s’écouler avant d’entrer en contact avec la Commission. L’enquêteure a fait remarquer qu’elle n’examinerait donc pas ces autres aspects de la plainte, qui comprenaient les allégations relatives au reclassement du poste PM‑04 du demandeur et le concours pour le poste PM‑05 entraîné par ce reclassement, pas plus que les allégations concernant le poste EX‑02 ou celles relatives aux faits survenus entre 1998 et 2000.

 

[32]         La troisième enquêteure a ajouté que l’aspect de la plainte du demandeur portant sur la vérification interne de ses frais de déplacement et sur sa suspension et son congédiement ultérieurs avait été soulevé avant l’expiration du délai applicable et qu’elle l’examinerait donc dans le cadre de son enquête.

 

[33]         Elle a ensuite pris acte de l’argument du demandeur suivant lequel il n’avait pas présenté sa plainte en ce qui concerne le concours PM‑05 avant l’expiration du délai d’un an parce que le concours n’avait été annulé qu’en septembre 2003. Elle a toutefois rejeté cet argument pour les trois raisons suivantes :

 

i.      Il ressortait d’un examen approfondi de la formule de plainte et des documents soumis par le demandeur que la discrimination reprochée concernait la tenue du concours visant à doter le poste PM‑05, dont le demandeur avait été titulaire à titre intérimaire. La décision de tenir le concours a été prise en mars 2003, a été confirmée en mai 2003 et a été communiquée au demandeur le 16 mai 2003.

 

ii.     Même si le concours n’a été annulé qu’en septembre 2003, le demandeur avait déjà indiqué au printemps de la même année qu’il refusait de se soumettre au processus de sélection et qu’il retirait sa candidature.

 

iii.   Le demandeur n’avait donné aucune raison pour expliquer le temps qu’il avait laissé s’écouler avant de soumettre sa plainte au sujet du concours PM‑05 qui avait été lancé en mars 2003.

 

[34]         Vu ce qui précède, la troisième enquêteure a par conséquent déclaré que ces aspects de la plainte semblaient avoir été soumis tardivement et qu’en tout état de cause, la Commission les avait déjà abordés dans sa décision du 17 novembre 2004 (dans laquelle elle avait jugé que ces aspects de la plainte avaient en fait été soumis après l’expiration du délai d’un an applicable).

 

[35]         La troisième enquêteure a ensuite examiné l’autre recours exercé par le demandeur relativement aux deux aspects de sa plainte qui n’étaient toujours pas tranchés.

 

[36]         S’agissant de la plainte concernant le concours EX‑01, elle a d’abord relevé que le demandeur avait introduit plusieurs instances et interjeté plusieurs appels à ce sujet. Elle a ensuite cité de larges extraits de la décision du juge Blanchard dans l’affaire Ayangma c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 707 (l’affaire Ayangma 1), dans laquelle le demandeur avait été débouté de son action en dommages‑intérêts pour violation de ses droits garantis par l’article 15 de la Charte. Elle a également cité l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans cette affaire (Ayangma c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 149). Après avoir signalé qu’il avait été conclu dans ces décisions que le demandeur n’avait soumis aucun élément de preuve propre à appuyer ses allégations de discrimination fondées sur l’article 15 de la Charte, elle a fait l’observation suivante : [traduction] « il semble que cette allégation soit chose jugée et que cette partie de la plainte ne soit pas recevable, étant donné qu’elle ne relève pas de la compétence de la Commission compte tenu des décisions rendues par la Cour fédérale et par la Cour d’appel fédérale au sujet du concours en question ».

 

[37]         Au sujet de la plainte relative à la suspension et au congédiement du demandeur, la troisième enquêteure a passé en revue les décisions de l’arbitre, de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale qui avaient été rendues en 2006 et en 2007 et a conclu qu’aucune de ces décisions n’avait examiné les allégations de discrimination du demandeur. Elle a donc décidé d’examiner cet aspect de la plainte du demandeur.

 

[38]         Après avoir indiqué qu’elle avait examiné tous les documents soumis par les parties et qu’elle avait eu de nombreuses discussions avec le demandeur, la troisième enquêteure a fait observer que le demandeur avait fourni une liste de cinq témoins. Elle a déclaré que, comme aucun de ces témoins n’avait pris part aux décisions de faire vérifier les demandes de remboursement de frais de déplacement du demandeur ou à celles de le suspendre ou de le congédier, elle avait décidé de n’interroger aucun de ces témoins parce qu’aucun d’eux n’avait une connaissance directe des faits et de l’objet de la plainte.

 

[39]         La troisième enquêteure a ensuite passé en revue les éléments de preuve soumis par le demandeur à l’appui de ses allégations, puis a conclu qu’il n’avait fourni aucun élément de preuve susceptible de démontrer que le traitement que Santé Canada lui avait réservé était lié aux motifs cités dans sa plainte. Elle a également fait observer que, même s’il avait déclaré à l’arbitre de la CRTFP qu’il faisait l’objet d’un complot discriminatoire, le demandeur ne lui avait pas soumis d’éléments de preuve établissant un lien entre les motifs de discrimination énumérés et le traitement que lui avait réservé la haute direction de Santé Canada. La troisième enquêteure a en outre conclu que le défendeur avait donné des explications raisonnables pour justifier ses agissements, lesquels ne semblaient pas être un prétexte pour assujettir le demandeur à une discrimination fondée sur la race, la couleur ou l’origine nationale ou ethnique.

 

[40]         Vu ce qui précède, la troisième enquêteure a conclu son analyse en formulant les recommandations déjà évoquées au paragraphe 27.

 

III.       Norme de contrôle

 

[41]         Les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit qui sont en cause dans la présente affaire sont assujetties à la norme de contrôle judiciaire de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 51 à 55, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 45, et Canada (Procureur général) c. Davis, 2010 CAF 134, au paragraphe 5). Toutefois, les questions qui ont été soulevées en ce qui concerne la compétence, l’équité procédurale et la justice naturelle sont assujetties à la norme de la décision correcte (arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 55, 59, 60, 79 et 87, arrêt Khosa, précité, aux paragraphes 42, 43 et 44, arrêt Davis, précité, au paragraphe 6).

 

[42]         Dans l’arrêt Khosa, au paragraphe 59, le juge Ian Binnie formule comme suit la norme de la raisonnabilité :

[…] Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

IV.       Analyse

 

A.     La Commission a‑t‑elle outrepassé sa compétence dans la façon dont elle a traité la plainte relative au concours EX‑01?

 

[43]         Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur de droit en estimant que des aspects de sa plainte relative au concours EX‑01 étaient choses jugées et qu’ils débordaient par conséquent le cadre de la compétence de la Commission. Il affirme que les éléments de preuve dont disposait la troisième enquêteure étaient en fait suffisants pour justifier une enquête plus approfondie par le Tribunal, et qu’en conséquence, la conclusion que la Commission n’était pas compétente pour examiner ces aspects de sa plainte constitue une erreur de droit et une omission d’exercer le mandat législatif confié par l’article 41 de la LCDP.

 

[44]         Je ne partage pas cet avis.

 

[45]         La troisième enquêteure n’a pas recommandé que ces aspects de la plainte du demandeur soient rejetés pour le motif prévu à l’alinéa 41(1)c), qui permet à la Commission de rejeter une plainte au motif qu’elle « n’est pas de sa compétence ». En réalité, après avoir analysé les allégations et les éléments de preuve présentés par le demandeur, elle a recommandé que ces allégations soient rejetées pour le motif prévu à l’alinéa 41(1)d), qui permet à la Commission de rejeter une plainte au motif qu’elle est « frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi ». Le motif qu’elle a invoqué pour justifier sa recommandation était que [traduction] « les questions relatives aux droits de la personne ont déjà été abordées dans les décisions rendues par notre Cour et par la Cour d’appel fédérale ».

 

[46]         Il ressort clairement selon moi des propos précités, qui ont été repris essentiellement in extenso dans la décision de la Commission, ainsi que du contexte dans lequel la décision de la troisième enquêteure a été prise que les observations qu’elle avait antérieurement formulées, au paragraphe 18 de son rapport, au sujet de la compétence de la Commission concernaient la compétence que lui confère l’alinéa 41(1)d), par opposition à celle que lui confère l’alinéa 41(1)c).

 

[47]         Je suis convaincu que son commentaire, dans le même paragraphe, suivant lequel [traduction] « il semble que cette allégation soit chose jugée » ne se voulait pas une conclusion que la Commission n’était pas compétente pour examiner ces aspects de la plainte par application du principe juridique de l’autorité de la chose jugée. Vu le défaut du demandeur de présenter quelque élément de preuve que ce soit pour appuyer ses prétentions qui n’avaient pas été examinées dans le cadre de l’instance antérieure, la troisième enquêteure concluait simplement que la plainte était devenue une plainte frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi au sens de l’alinéa 41(1)d). Elle en est arrivée à cette conclusion après avoir procédé à une enquête approfondie.

 

[48]         Compte tenu de l’histoire sous‑jacente de cet aspect de la plainte du demandeur, il s’agissait précisément d’une des conclusions qu’il était loisible à la troisième enquêteure et à la Commission de tirer. Ainsi que nous l’avons expliqué aux paragraphes 20 à 25, la Commission avait antérieurement décidé de reporter à plus tard toute décision sur cette partie de la plainte parce qu’elle voulait attendre pour voir si les allégations en question pourraient avantageusement être instruites dans le cadre d’une autre instance.

 

[49]         Lorsqu’on lui a demandé, à l’audience, s’il y avait des questions ou des éléments de preuve se rapportant à ces aspects de sa plainte qui n’avaient pas été examinés au cours des instances antérieures introduites devant notre Cour et devant la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Ayangma 1, précitée, le demandeur a simplement répondu que le juge Blanchard avait refusé d’admettre en preuve les transcriptions des deux audiences antérieures. La première était celle qu’avait tenue le Tribunal en 1995 et en 1996. Cette audience s’était conclue par une décision rendue par le Tribunal en mars 1997 (Alliance de la capitale nationale sur les relations interraciales c. Canada (Santé et Bien‑être), [1997] C.H.R.D. No. 3 (la décision ACNRI). Le juge Blanchard a refusé d’admettre en preuve la transcription de cette audience au motif que (i) le défendeur n’avait pas eu la possibilité de contre‑interroger la partie adverse sur ces éléments de preuve, (ii) le demandeur n’était pas partie à cette instance, (iii) les faits précis de la requête dont il était alors saisi n’étaient pas en litige dans cette instance, (iv) le concours à l’origine de la plainte du demandeur (le concours EX‑01) n’avait pas encore été tenu. La seconde audience portait sur le grief formulé par le demandeur devant le CAFP au sujet du concours EX‑01. Dans la décision Ayangma 1, précitée, le juge Blanchard a refusé d’admettre en preuve la transcription de cette audience pour les raisons suivantes : (i) aucun élément de preuve portant sur une discrimination n’avait été présenté au cours de cette instance; (ii) la procédure suivie n’accordait pas au défendeur la possibilité de contre‑interroger le demandeur.

 

[50]         Dans une lettre datée du 26 août 2010 adressée au demandeur, la Commission a confirmé que ces transcriptions seraient versées au dossier de l’enquête dans la présente affaire, tout en signalant qu’elles n’avaient pas été portées à la connaissance de la Commission elle‑même lorsqu’elle avait rendu la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire. J’ajouterais que le demandeur n’a pas déposé ces transcriptions en preuve dans le cas qui nous occupe. Interrogé à ce sujet à l’audience qui s’est déroulée devant moi, il a déclaré qu’il avait les transcriptions avec lui et qu’il serait disposé à les fournir à la Cour. Cependant, compte tenu du fait que l’avocat du défendeur n’avait pas eu auparavant la possibilité d’en prendre connaissance, j’ai décidé que ces transcriptions n’étaient pas admissibles à ce moment‑là.

 

[51]         Vu tout ce qui précède, je suis convaincu que la Commission n’a pas commis d’erreur en rejetant, pour les motifs énoncés au paragraphe 45, les aspects de la plainte du demandeur qui concernaient le concours EX‑01. La Commission avait le droit de rejeter ces allégations en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(ii) et de l’alinéa 41(1)d), au motif qu’elles avaient déjà été examinées par notre Cour et par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Ayangma 1, précitée, et qu’elles étaient en conséquence devenues « frivoles, vexatoires ou entachées de mauvaise foi ».

 

[52]         Contrairement à ce que prétend le demandeur, la Commission n’a pas fait défaut d’exercer le mandat législatif que lui confère l’article 41 de la LCDP. Elle a expressément exercé ce mandat, conformément au sous‑alinéa 44(3)b)(ii) et à l’alinéa 41(1)d), et a procédé à un examen approfondi du bien‑fondé des allégations du demandeur et des éléments de preuve qu’il avait présentés. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve pour justifier son affirmation que le dossier n’appuyait pas cet aspect de la décision de la Commission et que les éléments de preuve dont disposait la troisième enquêteure étaient suffisants pour justifier un examen plus approfondi par le Tribunal. Lorsqu’on lui a explicitement demandé à l’audience qui s’est déroulée devant notre Cour s’il pouvait indiquer l’un des éléments de preuve en question, le demandeur s’est contenté de répondre qu’il est d’habitude difficile de présenter des éléments de preuve directs de discrimination et que sa preuve était de nature circonstancielle. Après avoir examiné la preuve présentée, je suis convaincu que le dossier n’appuie pas son affirmation que les éléments de preuve dont disposait la troisième enquêteure étaient suffisants pour justifier le renvoi de cet aspect de sa plainte au Tribunal.

 

[53]         Le demandeur affirme également que la Commission a commis une erreur en rejetant, en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(ii) et de l’alinéa 41(1)d), les aspects de sa plainte qui se rapportaient au concours EX‑01, parce qu’elle n’était pas compétente pour revenir sur ses décisions antérieures pour permettre l’examen de ces aspects de sa plainte. Le demandeur soutient que, pour en arriver à ces décisions, la Commission a implicitement rejeté les arguments que le défendeur avait formulés au départ lorsqu’il avait soutenu que les allégations formulées par le demandeur au sujet du concours EX‑01 devaient être rejetées au motif qu’elles avaient déjà été examinées par notre Cour et par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Ayangma 1, précitée. Le demandeur soutient que les décisions antérieures de la Commission de permettre l’examen de ces aspects de sa plainte constituaient des décisions définitives, de sorte que la Commission était dessaisie de ces questions. Il ajoute que son argument est renforcé par le fait que, dans chacune de ses deux décisions précédentes, la Commission avait explicitement informé le défendeur qu’il avait le droit de demander le contrôle judiciaire de ses décisions antérieures, mais que le défendeur ne s’était pas prévalu de ce droit.

 

[54]         Je ne suis pas d’accord avec lui.

 

[55]         Comme je l’ai expliqué aux paragraphes 20, 21 et 22, la Commission a décidé, dans sa première décision portant sur la plainte du demandeur, de statuer sur les allégations relatives au concours EX‑01. Elle a toutefois également décidé de reporter à plus tard toute décision de sa part sur la plainte tant que le demandeur n’aurait pas épuisé tous les autres recours qui lui étaient ouverts et tant qu’on ne serait pas en mesure de déterminer si les allégations avaient été convenablement examinées.

 

[56]         Comme je l’ai par ailleurs expliqué aux paragraphes 23, 24 et 25, dans sa seconde décision, après que tous les autres recours eurent été épuisés, la Commission a alors décidé qu’elle se prononcerait sur ces allégations, après avoir reçu les arguments et les éléments de preuve des parties au sujet des facteurs que la deuxième enquêteure avait qualifiés d’utiles pour rendre une décision en vertu de l’alinéa 41(1)b).

 

[57]         Contrairement à ce que prétend le demandeur, la Commission ne s’est jamais prononcée sur le bien‑fondé de ces allégations avant de rendre la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire. Ses deux premières décisions étaient simplement de nature procédurale et visaient à permettre à ces aspects de la plainte de suivre leur cours au motif qu’ils avaient été soulevés avant l’expiration du délai applicable d’un an et qu’ils semblaient fondés et reposer clairement sur certains motifs, ce qui explique pourquoi la troisième enquêteure a refusé la thèse du défendeur suivant laquelle elle ne devait pas examiner ces allégations parce qu’elles avaient déjà été examinées ailleurs. Ainsi qu’elle l’explique au paragraphe 12 de son rapport, elle a décidé de procéder à l’examen de ces allégations parce qu’elles n’avaient jamais été analysées dans les instances précédentes de la Commission.

 

[58]         L’argument du demandeur suivant lequel la Commission avait déjà rendu une décision au sujet du bien‑fondé de ses allégations en ce qui concerne le concours EX‑01 est par conséquent dénué de fondement. La Commission n’a jamais rendu de décision sur des questions dont elle serait maintenant dessaisie.

 

B.     La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la plainte relative au concours EX‑01 avait déjà été examinée par la Cour fédérale et par la Cour d’appel fédérale?

 

[59]         Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en ne renvoyant pas au Tribunal les allégations qu’il avait formulées au sujet de la plainte relative au concours EX‑01 parce que la troisième enquêteure disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour justifier un examen plus approfondi par le Tribunal. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit et il convient de faire preuve d’une grande déférence envers la décision de la Commission (arrêt Davis, précité, au paragraphe 5).

 

[60]         Le demandeur soutient que le rejet par le juge Blanchard, dans la décision Ayangma 1, précitée, de sa prétention selon laquelle les droits que lui garantit l’article 15 de la Charte avaient été violés ne constituait pas une raison suffisante pour permettre à la Commission de se fonder en grande partie sur les conclusions tirées dans cette affaire pour décider de ne pas renvoyer ses allégations au Tribunal.

 

[61]         Le paragraphe 15(1) de la Charte dispose :

 

La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age, or mental or physical disability.

 

 

 

[62]         Dans la décision Ayangma 1, précitée, au paragraphe 76, après avoir examiné la jurisprudence portant sur le sens de la discrimination au paragraphe 15(1), le juge Blanchard a tiré la conclusion suivante :

 

En l’espèce, le demandeur n’a pas exposé les faits propres à fonder une accusation de discrimination. Il n’est donc pas nécessaire de faire un examen détaillé des trois grandes questions exposées dans l’arrêt Law. Le demandeur n’a pas établi que le processus contesté de dotation en personnel renfermait un traitement différencié qui l’a discriminé d’une manière fondamentale. Si le demandeur n’a pas obtenu le poste pour lequel il avait posé sa candidature, c’est parce qu’il n’avait pas les qualités requises, non parce qu’il était un membre d’une minorité visible. Le comité d’appel de la fonction publique a rejeté son accusation de discrimination, et le demandeur s’est désisté de sa demande de contrôle judiciaire de la décision du comité d’appel. Le demandeur ne peut plus aujourd’hui prétendre qu’il y a eu discrimination. Je ne puis voir aucune preuve dans le dossier, ni aucun fondement factuel, qui soit de nature à valider son accusation de discrimination.

 

 

[63]         En appel, dans l’arrêt Ayangma 1, précité, au paragraphe 33, la Cour d’appel fédérale est parvenue à la conclusion suivante au sujet des moyens tirés de la Charte par le demandeur :

 

Le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur en concluant que l’appelant n’avait pas exposé les faits propres à fonder une accusation de discrimination au sens de l’article 15 de la Charte. Les larges extraits de la décision du Comité d’appel de la CFP que l’appelant a cités dans son mémoire, aux paragraphes 93 et 94, concernent le processus de sélection. Ils ne démontrent pas qu’il a été victime de discrimination. Le Comité d’appel a constaté que l’appelant ne satisfait pas aux qualités requises pour le poste.

 

 

[64]         La plainte dont le demandeur avait saisi la Commission était fondée sur les articles 7 et 10 de la LCDP, qui sont ainsi libellés :

 

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

 

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

 

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

 

 

 

 

1976‑77, ch. 33, art. 7; 1980‑81‑82‑83, ch. 143, art. 3.

 

 

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

 

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

 

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

 

 

 

 

 

 

L.R. (1985), ch. H‑6, art. 10; 1998, ch. 9, art. 13(A).

7.  It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

 

 

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

 

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

 

on a prohibited ground of discrimination.

 

1976‑77, c. 33, s. 7.

 

 

 

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

 

 

 

 

 

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

 

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

 

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

 

R.S., 1985, c. H‑6, s. 10; 1998, c. 9, s. 13(E).

 

 

 

[65]         Le paragraphe 3(1) de la LCDP définit comme suit l’acte discriminatoire :

 

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

 

 

[66]         Ainsi qu’il ressort de ce qui précède, le type de discrimination dont le demandeur se plaint, à savoir la discrimination fondée sur sa race, sa couleur ou son origine nationale ou ethnique (ce qui comprend sa culture), est visé tant à l’article 15 de la Charte qu’aux articles 3, 7 et 10 de la LCDP. Le demandeur n’allègue pas dans la plainte qu’il a soumise à la Commission un type de discrimination qui n’a pas été examiné et abordé dans les décisions rendues par notre Cour et par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Ayangma 1, précitée.

 

[67]         Les seuls éléments de preuve pertinents que le demandeur a été en mesure de relever qui n’avaient pas été examinés par le juge Blanchard étaient les transcriptions des audiences dans l’affaire ACNRI et devant le CAFP dont il a été question à la partie IV. A. des présents motifs. Il importe de noter que le demandeur n’a pas été en mesure de signaler de questions pertinentes qui n’auraient pas été abordées par le juge Blanchard. À mon avis, eu égard aux circonstances de l’espèce, il était raisonnablement loisible à la Commission de décider de ne pas renvoyer au Tribunal les allégations du demandeur au sujet de la plainte relative au concours EX‑01. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, la décision de la Commission de ne pas renvoyer ces allégations au Tribunal appartenait tout à fait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). La décision de la Commission était également justifiée, transparente et intelligible.

 

[68]         De plus, dans les circonstances présentes, la jurisprudence citée par le demandeur au sujet de l’existence d’instances parallèles fondées sur la Charte et la LCDP ne lui est d’aucun secours. La Commission n’a pas décidé de s’abstenir de renvoyer les allégations du demandeur au Tribunal parce qu’elle croyait qu’elle était empêchée de le faire pour la seule raison que ces mêmes allégations avaient déjà été examinées. En fait, elle a décidé d’enquêter sur ces allégations après avoir implicitement rejeté la thèse du défendeur suivant laquelle les allégations en question avaient déjà été abordées par notre Cour et qu’il n’y avait pas lieu de les examiner à nouveau. Toutefois, après que la troisième enquêteure eut mené ensuite son enquête et qu’elle eut recommandé que les allégations ne soient pas renvoyées au Tribunal, la Commission a adopté cette recommandation. Il vaut la peine de souligner que cette recommandation a été formulée après que la troisième enquêteure eut procédé à un examen approfondi de la preuve et fut arrivée à la conclusion que les allégations étaient devenues « frivole[s], vexatoire[s] ou entachée[s] de mauvaise foi » au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP.

 

[69]         Le demandeur affirme que sa thèse est appuyée par les décisions Perera c. Canada, [1997] A.C.F. no 199 (1re inst.), et Ayangma c. Prince Edward Island Eastern School Board, 2000 PESCAD 12. Il convient d’établir une distinction entre la présente espèce et ces affaires, car celles‑ci portaient sur des requêtes en radiation d’un moyen tiré de la Charte, à la différence de la présente espèce, qui porte sur la réponse que la Commission a donnée à la question de savoir si une affaire ayant déjà fait l’objet d’une instance fondée sur la Charte devrait être rejetée au motif que la plainte est devenue frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Dans le même ordre d’idées, la décision Ayangma c. Eastern School Board, 2009 PESC 20 portait sur des faits différents de ceux de la présente espèce étant donné qu’elle concernait une tentative (infructueuse) d’obtenir un jugement sommaire en vertu d’une prétention fondée sur la Charte, au motif qu’une conclusion de discrimination avait déjà été tirée au sujet d’une plainte semblable déposée par le demandeur en vertu de la Human Rights Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. H‑12.

 

[70]         En l’absence d’éléments de preuve étayant les prétentions qu’il formule en vertu de la LCDP, la jurisprudence citée par le demandeur au sujet des processus qui ont été jugés entachés d’irrégularités ne l’aide pas non plus. En résumé, s’il est vrai que la nomination de Mme Charron au poste EX‑01 n’a pas été annulée après qu’il eut été décidé de tenir un nouveau concours pour ce poste, il n’en demeure pas moins que le demandeur n’a pas établi de lien entre la décision de maintenir Mme Charron dans ses fonctions et les allégations formulées par le demandeur en vertu de la LCDP.

 

C.     La Commission a‑t‑elle commis une erreur en n’enquêtant pas sur les plaintes relatives au concours EX‑02, au concours PM‑05 et sur des questions connexes?

 

[71]         Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en n’enquêtant pas sur les aspects de sa plainte relatifs au concours EX‑02, au concours PM‑05 et à d’autres questions connexes. Il ajoute que la Commission a commis une erreur de droit en acceptant les conclusions de la troisième enquêteure suivant lesquelles les aspects de la plainte du demandeur qui avaient trait à ces questions avaient été soulevés après l’expiration du délai de prescription d’un an applicable. Parmi les questions connexes, mentionnons les allégations formulées par le demandeur au sujet du reclassement de son poste PM‑04 au niveau PM‑05, la procédure de sélection suivie pour doter le poste PM‑05, la nomination d’Agatha Hopkins au poste PM‑05 dans le cadre d’un échange et l’annulation du concours pour le poste PM‑05.

 

[72]         Je n’accepte pas les prétentions du demandeur.

 

[73]         Les constatations et les conclusions déterminantes qui ont été formulées sur toutes ces questions se trouvent dans la décision que la Commission a rendue le 17 novembre 2004 ainsi que dans le rapport remis par le premier enquêteur le 2 septembre 2004.

 

[74]         Comme je l’ai signalé au paragraphe 21, le premier enquêteur a recommandé que la Commission statue sur les allégations qui, selon le défendeur, avaient été soumises après l’expiration du délai de prescription d’un an applicable. Pour formuler cette recommandation, le premier enquêteur a déclaré que [traduction] « le plaignant n’a pas invoqué de raison valable pour expliquer le temps qu’il a laissé s’écouler avant d’entrer en contact avec la Commission ». Cette recommandation a été adoptée par la Commission dans sa première décision, le 17 novembre 2004.

 

[75]         La deuxième enquêteure et la troisième enquêteure ont simplement confirmé l’existence de ces conclusions et de ces décisions. C’est pour cette raison qu’aucune de ces questions n’est abordée dans la décision visée par la présente demande, qui a été rendue le 23 décembre 2009.

 

[76]         En résumé, dans la partie introductive de son rapport dans laquelle elle situe la plainte dans son contexte, la deuxième enquêteure fait observer que le demandeur avait été informé, dans la première décision de la Commission, que les allégations qu’il avait formulées au sujet d’autres questions que le concours EX‑01 [traduction] « ne pouvaient pas être acceptées parce qu’il n’avait pas donné d’explication acceptable pour justifier le retard qu’accusait le dépôt de sa plainte ».

 

[77]         Dans la partie de son rapport dans laquelle elle expose le contexte de la plainte, la troisième enquêteure fait observer, au paragraphe 7, que la décision initiale de la Commission n’avait pas précisé quelles allégations la Commission estimait avoir été déposées tardivement. À cet égard, la principale incertitude semble concerner la question de savoir si les allégations relatives à la vérification interne des frais de déplacement du demandeur, et à sa suspension et son congédiement ultérieurs, avaient été formulées à temps. La troisième enquêteure a expliqué qu’il ressortait d’un examen approfondi de la formule de plainte et des autres documents versés au dossier que :

 

i.         les allégations relatives à ces trois questions ainsi qu’au concours EX‑01 avaient été formulées à temps, mais que

 

ii.       la Commission avait déjà décidé qu’elle ne statuerait pas sur les allégations qui avaient été formulées au sujet du concours EX‑02, du concours PM‑05 et des questions connexes, parce que ces aspects de la plainte avaient été soulevés après l’expiration du délai de prescription d’un an applicable et que le demandeur n’avait pas donné d’explication acceptable pour justifier son retard.

 

[78]         La troisième enquêteure a par conséquent expliqué qu’elle n’examinerait pas les allégations formulées au sujet du concours EX‑02, du concours PM‑05 et des questions connexes.

 

[79]         Il ressort du dossier que les constatations et les conclusions décisives qui ont été formulées au sujet de ces allégations se retrouvent toutes dans la décision que la Commission a rendue le 17 novembre 2004 ainsi que dans le rapport du 2 septembre 2004 du premier enquêteur. Le demandeur a été expressément avisé, dans cette décision de la Commission, qu’il pouvait demander le contrôle judiciaire de cette décision. Or, il ne l’a pas fait. Il ne lui est plus loisible d’exercer ce recours en ce qui concerne les allégations en question, puisqu’elles ne font pas partie de la décision du 23 décembre 2009 de la Commission.

 

[80]         Compte tenu du fait qu’elle avait déjà décidé, dans sa décision du 17 novembre 2004, de ne pas statuer sur ces allégations, la Commission n’a pas commis d’erreur en ne le faisant pas dans sa décision du 23 décembre 2009, pas plus que la troisième enquêteure n’a commis d’erreur en n’enquêtant pas sur ces allégations dans son rapport du 30 septembre 2009. La Commission n’a pas non plus commis d’erreur en acceptant les éclaircissements donnés par la troisième enquêteure au sujet des allégations qui, selon ce qui avait déjà été jugé, avaient été formulées trop tard et celles sur lesquelles il n’avait pas encore été statué. Ces éclaircissements étaient entièrement raisonnables et, à vrai dire, tout à fait exacts.

 

D.    La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne renvoyant pas au Tribunal les allégations du demandeur concernant l’examen de ses demandes de remboursement de frais de déplacement, sa suspension et son congédiement?

 

[81]         Le demandeur affirme que la Commission a rejeté ces allégations en se fondant sur les conclusions de l’arbitre. Il ajoute que la troisième enquêteure « a complètement omis de tenir compte des nouveaux éléments de preuve portés à sa connaissance », et notamment les éléments de preuve qui n’ont été communiqués au demandeur qu’après la décision de l’arbitre, le 29 mai 2006.

 

[82]         Je ne suis pas de cet avis.

 

[83]         Il est incontestable que l’arbitre a fixé son attention sur la question de savoir si le demandeur avait soumis des demandes de remboursement de frais de déplacement frauduleuses, plutôt que sur des questions se rapportant à de la discrimination. C’est pour cette raison que l’arbitre a refusé d’admettre les éléments de preuve qui se rapportaient uniquement à la plainte relative aux droits de la personne du demandeur.

 

[84]         L’arbitre a toutefois effectivement examiné les éléments de preuve se rapportant à l’allégation du demandeur suivant laquelle certains cadres dirigeants de Santé Canada étaient impliqués dans un complot contre lui, dans la mesure où ces éléments de preuve se rapportaient à la question de sa suspension et de son congédiement.

 

[85]         En conséquence, les conclusions de l’arbitre étaient pertinentes pour l’examen de la troisième enquêteure, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, elles se rapportaient à la question de savoir si le défendeur avait une raison valable de procéder à l’examen des demandes de remboursement de frais de déplacement du demandeur et ensuite de le suspendre et de le congédier. En second lieu, elles se rapportaient à l’argument du demandeur suivant lequel le présumé complot faisait partie des éléments de preuve circonstanciels suivant lesquels il avait été victime de discrimination illicite.

 

[86]         En plus d’examiner les conclusions de l’arbitre, la troisième enquêteure a passé en revue trois volumes de renseignements que le demandeur lui avait envoyés le 3 août 2009, après l’avoir invité à lui fournir des documents et d’autres éléments de preuve à l’appui de ses allégations. Au paragraphe 33 de son rapport, la troisième enquêteure déclare : [traduction] « Tout en confirmant que les demandes de remboursement de frais de déplacement du demandeur ont fait l’objet d’une vérification, un examen approfondi de ces documents ne permet d’établir aucun lien entre la race, la couleur ou l’origine nationale ou ethnique du demandeur et le traitement que le défendeur lui aurait fait subir ». Cette conclusion va dans le même sens que l’observation plus générale que la troisième enquêteure avait formulée au paragraphe 31 de son rapport, selon laquelle le demandeur n’avait [traduction] « soumis aucun élément de preuve à l’appui de son allégation ».

 

[87]         Finalement, la troisième enquêteure a formellement conclu qu’il ressortait [traduction] « d’un examen approfondi de la preuve soumise à l’appui de ses allégations que le plaignant n’a fourni aucun élément de preuve qui servirait à démontrer que le traitement que Santé Canada lui a réservé est lié aux motifs cités dans sa plainte ». Elle a également conclu formellement que le défendeur avait donné des explications raisonnables concernant ses agissements. À cet égard, elle a fait observer que l’arbitre avait estimé que le demandeur avait présenté de fausses demandes de remboursement de frais de déplacement totalisant 19 586,26 $ et qu’il avait conclu que le défendeur avait une raison valable de suspendre le demandeur et de le congédier. Elle a également rappelé que la demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre présentée par le demandeur avait été rejetée par le juge Phelan, qui avait fait observer que toutes les allégations formulées par le demandeur au sujet de ses supérieurs et de l’arbitre étaient « totalement dépourvues de fondement » et que « le demandeur n’a jamais véritablement contesté la preuve présentée par l’employeur quant à la falsification de demandes de remboursement de frais de voyage » (Ayangma c. Canada (Conseil du Trésor), 2007 CF 780, aux paragraphes 3 et 33).

 

[88]         Compte tenu de mon examen du rapport de la troisième enquêteure et de la preuve présentée au cours de la présente instance, je suis convaincu qu’il était raisonnablement loisible à la troisième enquêteure de tirer cette conclusion.

 

[89]         À mon avis, il n’était pas déraisonnable de la part de la Commission d’accepter la recommandation de la troisième enquêteure de rejeter les aspects de la plainte du demandeur portant sur la vérification de ses demandes de remboursement de frais de déplacement et sur sa suspension et son congédiement, au motif qu’un examen plus approfondi de ces questions n’était pas justifié, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, comme le prévoit le sous‑alinéa 44(3)b)(i).

 

[90]         Le demandeur n’a signalé aucun élément de preuve démontrant qu’il a été victime d’une discrimination en raison de sa race, de sa couleur ou de ses origines nationales ou ethniques en liaison avec l’enquête menée au sujet de ses demandes de remboursement de frais de déplacement, sa suspension et son congédiement. Au contraire, il ressort de la preuve que le défendeur avait une explication valable concernant ses décisions de faire enquête sur les demandes de remboursement de frais de déplacement du demandeur, de le suspendre sans solde et, finalement, de le congédier.

 

[91]         Vu ce qui précède, la décision de la Commission de rejeter ces aspects de la plainte du demandeur en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité). La décision de la Commission était également justifiée, transparente et intelligible.

 

E.     La Commission a‑t‑elle manqué aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle en ne procédant pas à une enquête et à une analyse approfondies, neutres et équitables de ses diverses plaintes?

 

[92]         Le demandeur affirme que l’enquête menée par la troisième enquêteure péchait par manque d’exhaustivité, d’équité et de neutralité.

 

[93]         Au soutien de cet argument, le demandeur affirme que la troisième enquêteure a fait défaut :

 

i.         d’interroger l’un ou l’autre des cinq témoins dont il lui avait parlé;

 

ii.       de tenir compte du fait que les actes discriminatoires qu’il avait relevés étaient de caractère permanent et systématique et visaient également d’autres minorités visibles, ainsi que le Tribunal l’avait déjà fait dans la décision ACNRI;

 

iii.      de tenir compte des nouveaux éléments de preuve qui lui avaient été présentés, y compris ceux ayant trait à l’issue de l’enquête criminelle qui avait été menée au sujet des allégations de fraude dont il faisait l’objet;

 

iv.     de tenir dûment compte de la conclusion du premier enquêteur au sujet des allégations sur lesquelles il y avait lieu de se fonder.

 

[94]         Je ne souscris pas à son avis.

 

[95]         La cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une procédure de la Commission doit reconnaître que l’organisme est maître de son processus et doit lui laisser beaucoup de latitude dans la façon dont il mène ses enquêtes (Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, au paragraphe 39).

 

[96]         Quant aux cinq témoins proposés par le demandeur, voici ce que la troisième enquêteure a déclaré, au paragraphe 25 de son rapport :

 

[traduction] Après avoir étudié tous les documents soumis par le plaignant ainsi que la décision de l’arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, l’enquêteur a estimé qu’aucun de ces témoins n’avait pris part à la décision de vérifier les demandes de remboursement de frais de déplacement du demandeur ou la décision de le suspendre et de le congédier. Il semble aussi qu’aucune de ces personnes n’a participé à la vérification ou aux décisions qui ont été prises par suite de cette décision. Il semble donc que ces témoins n’ont aucune connaissance directe des faits relatés dans la plainte et visés par la présente enquête. Ils ne seront donc pas interrogés dans le cadre de l’enquête.

 

 

[97]         L’obligation de la troisième enquêteure de mener une enquête approfondie n’exigeait pas qu’elle interroge les témoins dont une personne raisonnable ne se serait pas attendue à ce qu’ils soient en mesure de livrer un témoignage utile pour son enquête (Tinney c. Canada (Procureur général), 2010 CF 605, au paragraphe 28; Miller c. Commission canadienne des droits de la personne (1996), 112 F.T.R. 195, au paragraphe 10; Egan c. Canada (Procureur général), 2008 CF 649, aux paragraphes 17 et 24). Elle était toutefois tenue d’expliquer pourquoi elle n’avait pas interrogé les témoins proposés par le demandeur.

 

[98]         À mon avis, elle a rempli cette obligation dans le passage précité tiré de son rapport et les motifs qu’elle a invoqués pour expliquer son refus d’interroger les cinq témoins étaient justifiés et suffisants. Pour les motifs qu’elle a exposés, je suis convaincu qu’une personne raisonnable ne se serait pas attendue à ce que l’un ou l’autre des cinq témoins soit en mesure de donner un témoignage utile pour son enquête, surtout si l’on tient compte des éléments suivants : (i) la preuve qu’elle a examinée, notamment la preuve documentaire abondante; (ii) elle a eu « de nombreuses discussions » avec le demandeur; (iii) l’arbitre avait déjà conclu que le demandeur avait soumis des demandes de remboursement de frais de déplacement frauduleuses pendant une longue période de temps, pour un total de 19 586,26 $; (iv) le demandeur « n’a jamais véritablement contesté la preuve présentée par l’employeur quant à la falsification de demandes de remboursement de frais de voyage » (Ayangma c. Canada (Conseil du Trésor), 2007 CF 780, au paragraphe 33). Ces témoins n’ont pas pris part aux événements à l’origine des plaintes et on ne pouvait donc pas raisonnablement s’attendre à ce qu’ils aient des connaissances et des renseignements utiles au sujet de ces questions.

 

[99]         Le demandeur a fait valoir que l’un des témoins, M. Peter MacGregor, son ancien supérieur immédiat, était particulièrement bien placé pour fournir des renseignements utiles à la troisième enquêteure étant donné que c’était lui qui était chargé d’approuver ses frais de déplacement avant l’arrivée de Mme Hopkins. Le demandeur n’a toutefois soumis aucun élément de preuve qui pourrait indiquer que M. MacGregor a pris part à quelque titre que ce soit aux décisions de vérifier ses demandes de remboursement de frais de déplacement, de le suspendre sans solde et, finalement, de le congédier. Compte tenu de l’ensemble des circonstances qui ont été relatées, je suis convaincu qu’une personne raisonnable ne s’attendrait pas à ce que M. MacGregor soit en mesure de fournir des renseignements qui (i) pourraient être utiles pour l’enquête de la troisième enquêteure, (ii) pourraient répondre à une conclusion importante de l’enquêteur ou (iii) pourraient permettre de résoudre un aspect important et controversé (Busch c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1211, au paragraphe 15).

 

[100]     Quant à l’argument du demandeur suivant lequel la troisième enquêteure n’a pas tenu compte du fait que les actes discriminatoires dont il se plaignait étaient de nature permanente et systémique et visaient également d’autres minorités visibles, ainsi qu’il avait déjà été jugé dans la décision ACNRI, précitée, le demandeur n’a jamais été en mesure de citer le moindre élément de preuve qui aurait pu appuyer cet argument. D’ailleurs, le juge Blanchard a conclu que le demandeur n’avait pas établi une contravention à l’ordonnance rendue dans la décision ACNRI selon aucun des moyens avancés par lui (décision Ayangma 1, précitée, au paragraphe 55).

 

[101]     En conséquence, je suis convaincu que la troisième enquêteure n’a pas négligé de tenir compte de quelque renseignement pertinent que ce soit à cet égard. Au paragraphe 31 de son rapport, la troisième enquêteure a explicitement reconnu les allégations du demandeur suivant lesquelles il avait été victime d’un traitement discriminatoire depuis le moment où il avait été engagé par le défendeur et il était la cible d’un complot de la part de certains des cadres dirigeants de Santé Canada, ce qui démontre qu’elle était bien au courant de ces allégations. Elle a toutefois ensuite déclaré, après avoir examiné à fond les documents et les autres éléments de preuve soumis par le demandeur, qu’elle n’arrivait pas à trouver des éléments de preuve qui appuieraient les allégations du demandeur.

 

[102]     En ce qui concerne l’argument du demandeur suivant lequel la troisième enquêteure n’avait pas tenu compte des nouveaux éléments de preuve qui lui avaient été présentés, cette question a déjà été abordée aux paragraphes 82 à 88 des présents motifs. Pour ce qui est des éléments de preuve précis se rapportant à l’issue de l’enquête criminelle qui avait été ouverte au sujet des allégations de fraude dont il faisait l’objet, je suis convaincu que ces éléments de preuve n’étaient pas suffisamment pertinents ou importants pour mériter une mention explicite dans le rapport de la troisième enquêteure. Compte tenu en particulier des conclusions de l’arbitre dont il a été question au paragraphe 87, le fait que l’enquête criminelle ouverte au sujet des agissements du demandeur relativement à ses demandes de remboursement de frais de déplacement avait pris fin ne pouvait guère être considéré comme une preuve concluante que le défendeur n’avait pas d’explication valable concernant ses décisions de mener une enquête interne, de suspendre le demandeur et finalement de le congédier.

 

[103]     Enfin, j’estime dénué de fondement l’argument du demandeur suivant lequel la troisième enquêteure n’a pas tenu dûment compte des conclusions et des recommandations formulées par le premier enquêteur au sujet des aspects de sa plainte sur lesquels il aurait dû statuer. Pour les motifs exposés aux paragraphes 73 à 80 précités, je suis convaincu que la façon dont la troisième enquêteure a traité les conclusions et recommandations du premier enquêteur était parfaitement appropriée.

 

[104]     En résumé, vu l’ensemble de la preuve présentée par le demandeur en l’espèce, il m’est impossible de conclure que la troisième enquêteure a négligé de tenir compte de quelque élément de preuve que ce soit, et encore moins d’éléments de preuve cruciaux (arrêt Tahmourpour, précité, décision Egan, précitée, au paragraphe 6) invoqués au soutien des prétentions du demandeur.

 

[105]     Le principe de neutralité exige que la Commission et l’enquêteur qui a préparé le rapport sur lequel la Commission s’est fondée n’aient aucun parti pris et qu’ils aient l’esprit ouvert (Vos c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2010 CF 713, au paragraphe 44). Le demandeur n’a soumis aucun élément de preuve convaincant pour démontrer que la Commission et la troisième enquêteure avaient un parti pris ou n’avaient pas l’esprit ouvert lorsqu’elles ont examiné ses plaintes.

 

[106]     Vu ce qui précède, je suis convaincu que la Commission n’a manqué aux principes d’équité procédurale ou de justice naturelle d’aucune des façons reprochées par le demandeur. Je suis convaincu que le rapport de la troisième enquêteure sur lequel la Commission s’est fondée pour en arriver à la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire était neutre et exhaustif. Je suis par ailleurs convaincu que le demandeur s’est vu accorder une possibilité juste et appropriée de répondre à ce rapport lorsque celui‑ci lui a été envoyé le 30 septembre 2009 (arrêt Davis, précité, au paragraphe 6). Le demandeur a ensuite donné sa réponse le 6 octobre 2009.

 

V.        Dispositif

 

[107]    La demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont adjugés au défendeur. La demande du demandeur visant l’obtention d’une ordonnance prévoyant le retrait et le remboursement sans délai de la garantie de 4 500 $ qu’il a déposée auprès de notre Cour est rejetée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

 

« Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑88‑10

 

INTITULÉ :                                                   M. NOËL AYANGMA c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 8 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 26 novembre 2010 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Noël Ayangma, pour son propre compte

POUR LE DEMANDEUR

 

Melissa Chan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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