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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date :  20101202

Dossier :  IMM-1979-10

Référence :  2010 CF 1215

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2010

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

EDWIN HEREDIA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la LIPR ) à l’encontre d’une mesure d’exclusion émise contre le demandeur le 25 mars 2010. 

 

[2]               Le présent dossier a été entendu en même temps que le dossier IMM-1980-10 qui concerne la personne avec qui le demandeur est arrivé au Canada. Les faits étant pratiquement identiques, les dossiers ont été plaidés conjointement, mais un jugement distinct est rendu pour chacun d’entre eux.

Contexte

[3]               Le demandeur, âgé de 25 ans, est citoyen de la République dominicaine. Il est arrivé au Canada le 25 mars 2010 en tant que passager à bord d'un navire civil affrété par les Forces Canadiennes qui a accosté au port de Québec après avoir été utilisé pour mener des opérations logistiques dans le cadre de la Mission humanitaire en Haïti pour prêter main-forte aux sinistrés après le séisme du 12 janvier 2010. À son arrivée, il n’avait en sa possession aucune carte d’identité ni autorisation d’entrée au Canada. Le demandeur soutient qu’il voulait quitter son pays, mais qu’il n’avait pas de destination privilégiée et s’est embarqué sur le navire sans en connaître la destination.

 

[4]               Le demandeur et son ami ont été découverts par l’équipage du bateau alors qu’ils étaient toujours en mer. Le demandeur est arrivé au Canada le 25 mars 2010. Il a immédiatement été interrogé par une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’agente de l’ASFC) à bord du navire. Les services d’un interprète ont été utilisés puisque le demandeur ne parle que l’espagnol.

 

[5]               Après l’interrogatoire avec l’agente de l’ASFC, le demandeur a été mis en détention afin que son identité soit établie. Il a ensuite été avisé par un agent d’immigration de son droit de se faire représenter. Peu après, le demandeur a exprimé le désir de parler avec un conseiller légal et de consulter un médecin. Il a été conduit à l’hôpital et a pu, suite à sa visite médicale, s’entretenir avec un avocat.

 

[6]               L’agente de l’ASFC qui a interrogé le demandeur lors de son arrivée affirme que ce dernier a indiqué qu’il ne craignait pas un retour dans son pays d’origine et qu’il était venu au Canada pour subvenir aux besoins de sa famille, ce qu’il ne réussissait pas à faire en République dominicaine. Le demandeur n’aurait également jamais demandé l’asile ni mentionné qu’il ferait face à un quelconque danger s’il retournait en République dominicaine. Le demandeur n’a pas non plus demandé l’asile à aucun autre moment durant la journée ou dans la soirée du 25 mars 2010. Il a également refusé le bertillonnage.

 

[7]               Un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR a été rédigé par un agent d’immigration au motif qu’étant arrivé au Canada sans passeport ni visa, le demandeur contrevenait aux alinéas 20(1)a) et b) de la LIPR et à l’article 6 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). L’agent a par conséquent conclu que le demandeur était visé par l’article 41 de la LIPR et qu’il était interdit de territoire en raison de ces manquements. En réponse à ce rapport, le représentant du ministre a émis une mesure d’exclusion contre le demandeur le 25 mars 2010. Le demandeur en a été informé la journée même vers 23h15.

 

Question en litige et positions des parties

[8]               Le demandeur reproche au ministre d’avoir émis une mesure d’exclusion de façon précipitée sans que n’aient été éclaircies les véritables raisons de sa venue et sans qu’il ait été informé des conséquences que cette exclusion entraînait. Il insiste sur les circonstances de son interrogatoire avec l’agente de l’ASFC. Il allègue notamment qu’il était épuisé et stressé et qu’il ne saisissait pas ce qui se passait. Il a également invoqué que malgré les services d’un interprète, il y avait un problème de communication entre lui et l’agente de l’ASFC. Toutefois, lors de l’audience, l’avocate du demandeur a retiré cette dernière prétention, mais a ajouté qu’elle reprochait à l’agent d’immigration de ne pas avoir informé le demandeur de la possibilité qu’une mesure d’exclusion soit émise et des conséquences d’une telle mesure. Le demandeur soutient également qu’il n’a pas obtenu l’assistance d’un avocat pouvant le renseigner correctement avant que la mesure d’exclusion ne soit émise.

 

[9]               Le défendeur soutient pour sa part que l’interrogatoire du demandeur s’est déroulé dans les règles de l’art. Il soutient également que l’interrogatoire du demandeur par l’agente de l’ASFC avait un caractère routinier, que le demandeur n’était pas détenu durant son déroulement et que le droit à l’assistance d’un avocat protégé par le paragraphe 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) ne s’étend pas à une telle procédure. Il soutient en outre qu’après avoir été mis en détention, le demandeur a bénéficié de ce droit.

 

 

Analyse

Le cadre législatif

[10]           Les articles de la LIPR applicables au présent litige se lisent comme suit :

 

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

a) pour devenir un résident permanent, qu’il détient les visa ou autres documents règlementaires et vient s’y établir en permanence;

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

(a) to become a permanent resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and have come to Canada in order to establish permanent residence; and

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

(b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.

 

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

Suivi

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

Referral or removal order

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 

99. (1) La demande d’asile peut être faite à l’étranger ou au Canada.

 

[...]

 

(3) Celle de la personne se trouvant au Canada se fait à l’agent et est régie par la présente partie; toutefois la personne visée par une mesure de renvoi n’est pas admise à la faire.

99. (1) A claim for refugee protection may be made in or outside Canada.

 

. . .

 

(3) A claim for refugee protection made by a person inside Canada must be made to an officer, may not be made by a person who is subject to a removal order, and is governed by this Part.

 

Les articles pertinents du Règlement se lisent comme suit :

6. L’étranger ne peut entrer au Canada pour s’y établir en permanence que s’il a préalablement obtenu un visa de résident permanent.

6. A foreign national may not enter Canada to remain on a permanent basis without first obtaining a permanent resident visa.

 

223. Les mesures de renvoi sont de trois types : interdiction de séjour, exclusion, expulsion.

223. There are three types of removal orders, namely, departure orders, exclusion orders and deportation orders.

 

228. (1) Pour l’application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), dans le cas où elle ne comporte pas de motif d’interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l’une des circonstances ci-après, l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause :

(...)

c) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger au titre de l’article 41 de la Loi pour manquement à :

(...)

(iii) l’obligation prévue à l’article 20 de la Loi de prouver qu’il détient les visa et autres documents réglementaires,

l’exclusion

(...)

228. (1) For the purposes of subsection 44(2) of the Act, and subject to subsections (3) and (4), if a report in respect of a foreign national does not include any grounds of inadmissibility other than those set out in the following circumstances, the report shall not be referred to the Immigration Division and any removal order made shall be (...)

(c) if the foreign national is inadmissible under section 41 of the Act on grounds of

(...)

(iii) failing to establish that they hold the visa or other document as required under section 20 of the Act, an exclusion order

(...)

 

[11]           Pour les motifs qui suivent, j’estime que le représentant du ministre n’a pas commis d’erreur susceptible d’entraîner l’annulation de la mesure d’exclusion émise contre le demandeur. Cette mesure s’avère conforme aux paramètres législatifs applicables. Je vais, par ailleurs, analyser les  reproches spécifiques formulés par le demandeur.

 

La conduite de l’agente de l’ASFC

Le demandeur prétend que lors de son interrogatoire,  il ne saisissait pas ce qui se passait et que l’agente qui l’a interrogé aurait dû l’informer de la possibilité qu’une mesure d’exclusion soit émise et des conséquences d’une telle mesure. L’avocate du demandeur a indiqué que le fait que le demandeur ait refusé le bertillonnage et de signer des documents démontrent que le demandeur ne comprenait pas les procédures.

 

[12]           Avec égard, je ne partage pas l’avis du demandeur. D’abord, il importe de noter que le demandeur n’a jamais indiqué à l’agente de l’ASFC qu’il ne saisissait pas les questions qui lui étaient posées, qu’il ne comprenait pas dans quel contexte il était interrogé, ou encore, qu’il était indisposé.  De plus, les notes prises par l’agente de l’ASFC indiquent clairement les questions qui ont été posées au demandeur et les réponses qu’il a données ne laissent pas entrevoir une quelconque incompréhension de sa part. Les questions notées par l’agente de l’ASFC sont simples et les réponses données par le demandeur s’avèrent limpides et en lien direct avec les questions posées. Aucune ambigüité ne se dégage des notes prises par l’agente de l’ASFC.

 

[13]           En outre, il s’agissait d’un interrogatoire de routine visant à identifier les raisons pour lesquelles le demandeur souhaitait entrer au Canada et à déterminer s’il remplissait les conditions d’admission. Il importe de rappeler que le demandeur est arrivé au Canada en voyageant clandestinement et qu’il n’avait aucune pièce d’identité en sa possession. L’interrogatoire était de nature administrative et l’agente de l’ASFC n’avait aucune obligation légale d’informer le demandeur de la possibilité qu’une mesure d’exclusion soit émise contre lui, ni des conséquences d’une telle mesure.  

 

Le droit à un avocat     

[14]           Le droit à l’assistance d’un avocat est protégé par le paragraphe 10b) de la Charte  lorsqu’une personne fait l’objet d’une « arrestation » ou d’une « détention ».

 

[15]           Dans l’affaire Dehghani c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053 (disponible sur CanLII), la Cour suprême a conclu qu’une personne désirant entrer au Canada qui fait l’objet d’un interrogatoire au point d’entrée n’est pas en « détention » au sens de l’alinéa 10b) de la Charte parce que l’interrogatoire est effectué dans le cadre du processus général de sélection des personnes qui cherchent à entrer au pays et que l’élément de contrainte est insuffisant pour constituer une « détention » au sens constitutionnel (voir aussi Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 910, [2006] A.C.F. no 1163).  En outre, lors de l’audience, l’avocate du demandeur a admis que lorsque ce dernier a été interrogé par l’agente de l’ASFC, il n’était pas en « détention » au sens de l’alinéa 10b) de la Charte et qu’à ce moment-là, il ne bénéficiait pas du droit protégé à un avocat.

 

[16]           Il s’avère donc que le demandeur n’avait pas le droit à l’assistance d’un avocat lors de son interrogatoire par l’agente de l’ASFC.

 

[17]           Le demandeur a par la suite été mis en détention. Il a alors été informé de son droit à l’assistance d’un avocat et il a pu bénéficier des services d’un conseiller juridique. Le demandeur soutient qu’à ce moment, son droit était devenu théorique puisque la mesure d’exclusion était déjà émise ou était sur le point de l’être. L’avocate du demandeur a insisté sur le fait qu’aucune question n’avait été posée au demandeur et qu’aucune intervention n’avait été effectuée après sa rencontre avec l’avocat. En fait, la décision d’émettre une mesure d’exclusion était déjà prise. L’avocate du demandeur a soutenu que si ce dernier avait été informé de l’imminence d’une mesure d’exclusion et de ses conséquences, il aurait demandé l’asile.

 

[18]           En l’espèce, la mesure d’exclusion a été émise en raison des informations transmises par le demandeur lors de son interrogatoire au cours duquel il a confirmé qu’il ne craignait pas un retour dans son pays et qu’il souhaitait entrer au Canada pour subvenir aux besoins de sa famille. Or, ces informations n’auraient pu servir de fondement à une demande d’asile et la mesure d’exclusion était indiquée et conforme au cadre législatif applicable. Dans les circonstances, il n’y avait pas lieu d’entreprendre une enquête ou d’interroger à nouveau le demandeur.

 

[19]           Le demandeur revendique le droit de consulter un avocat sur les conséquences d’une mesure d’exclusion avant que cette mesure d’exclusion ne soit émise. Cette revendication ne trouve aucune assise légale dans la Charte ou la LIPR.

 

[20]           De plus, le demandeur a été informé de son droit d’être assisté par un avocat dès la naissance de ce droit, soit lorsqu’il a été mis en détention. La preuve ne permet pas de confirmer avec certitude si la mesure d’exclusion a été émise avant ou après que le demandeur ait bénéficié des conseils d’un avocat. Elle indique toutefois que le demandeur a été informé qu’une mesure d’exclusion était émise contre lui le 25 mars 2010 vers 23h15. Il est donc clair que cette mesure d’exclusion n’avait pas encore été communiquée au demandeur lorsqu’il s’est entretenu avec son avocat. L’émission d’une telle mesure était par ailleurs prévisible. La preuve est silencieuse en ce qui concerne la teneur de l’entretien que le demandeur a eu avec son avocat et quant aux informations ou conseils que ce dernier lui a donné. Elle n’indique pas non plus que l’avocat s’est entretenu avec les agents d’immigration après sa rencontre avec le demandeur pour s’enquérir du sort qui lui était réservé ou pour autrement intervenir en sa faveur.

 

[21]           Ainsi, la preuve démontre que le demandeur a bénéficié de l’assistance d’un avocat en conformité avec la Charte, et ce, avant que la mesure d’exclusion ne lui soit communiquée. Je ne vois donc pas sur quelle base il peut se plaindre de ne pas avoir été informé de la possibilité qu’une mesure d’exclusion soit émise contre lui ni des conséquences d’une telle mesure puisqu’il avait alors un avocat pour le conseiller.

 

[22]           Les droits du demandeur n’ont donc pas été violés et la demande de contrôle judiciaire n’est pas fondée. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et aucune question ne sera certifiée.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

                                                                                                                       


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1979-10

 

INTITULÉ :                                       EDWIN HEREDIA c. MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chantal Ianniciello

 

POUR LE DEMANDEUR

Normand Lemyre

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chantal Ianniciello

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

Miles J. Kirvan

Sous-Procureur Général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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