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Cour fédérale


 

 


Date : 20101202

Dossier : IMM-5694-09

Référence : 2010 CF 1217

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

TING-YAO HUANG

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le demandeur, un étudiant de Taiwan, vit au Canada depuis 1997 alors qu’il était âgé de 12 ans. Sa plus récente demande de prolongation de son permis de séjour temporaire (PST) et de son permis d’études (PE) a été refusée. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision défavorable.

II.         CONTEXTE FACTUEL

[2]               Arrivé au Canada depuis 1997 pour étudier grâce à un PE, le demandeur s’est vu accorder une prolongation de son PE jusqu’au 15 juillet 2005, soit la date d’expiration de son passeport taïwanais. Il étudiait à l’Université York à ce moment-là.

 

[3]               La première demande de prolongation de son PE a été refusée le 7 octobre 2005. Le demandeur a donc présenté une demande de prolongation de son PST et de son PE dans l’espoir qu’il n’aurait pas à quitter le Canada pour présenter une nouvelle demande de PE. Cette demande lui a été refusée.

 

[4]               Une troisième demande a été faite et celle‑ci a également été refusée. Le demandeur a alors sollicité le contrôle judiciaire de cette décision et il a été convenu que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen. Le 13 mai 2008, le PE et le PST ont été prolongés jusqu’au 24 octobre 2008. Le défendeur soutient que le demandeur avait été informé que, au moment où son permis serait expiré, il devrait quitter le Canada et présenter une autre demande de permis. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que cet « avertissement » a été fait, un point non contesté par le défendeur.

 

[5]               Le demandeur s’est vu accorder une prolongation jusqu’au 31 août 2009. Dans la lettre datée du 12 janvier 2009 confirmant la prolongation, le défendeur a mentionné ce qui suit :

[traduction] Veuillez prendre note qu’il s’agit de la dernière prolongation de votre permis de séjour temporaire. Ce permis de séjour temporaire est valide jusqu’au 31 août 2009 et il vous a été accordé afin de vous permettre de terminer votre année scolaire. À cette date, il est entendu que vous quitterez le Canada et que vous régulariserez votre statut en présentant une demande de visa de résident temporaire et de permis d’études auprès d’un bureau canadien des visas à l’étranger.

 

S’il s’avérait nécessaire de prolonger la validité de votre permis, vous DEVEZ vous assurer que votre demande de prolongation parvienne au centre de traitement des demandes (si vous êtes au Canada) ou à un agent des visas (si vous êtes à l’étranger) au moins quatre semaines avant la date d’échéance du document afin de nous permettre de traiter votre demande en temps opportun.

 

[6]               La demande de prolongation datée du 30 juillet 2009 présentée par le demandeur a été refusée pour les raisons suivantes :

[traduction] 

(i)                  Le client demande la prolongation de son PST et de son permis d’études.

(ii)                Le client a été avisé, lors de ses deux dernières demandes, qu’il devait quitter le Canada et régulariser son statut.

(iii)               Le client ne s’est pas conformé.

(iv)              Lettre émanant de l’avocat du client n’explique pas pourquoi le client n’a pas régularisé son statut.

(v)                Je ne suis pas convaincu qu’il y a des motifs sérieux justifiant la délivrance d’un PST.

(vi)              La demande de prolongation du PST est refusée; par conséquent la demande pour le permis d’études est refusée.

(vii)             La lettre envoyée au client pour lui ordonner de quitter comprenait une confirmation de départ volontaire.

 

[7]               Le demandeur prétend que la décision par laquelle la demande de PST a été refusée est déraisonnable et que l’agent a manqué aux principes de l’équité procédurale en ne fournissant pas de motifs adéquats.

 

 

 

III.       L’ANALYSE

[8]               Les PST sont délivrés en vertu d’un large pouvoir discrétionnaire et ils constituent une dérogation exceptionnelle aux dispositions générales de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

On vise avec l’article 24 de la LIPR à rendre moins sévères les conséquences qu’entraîne dans certains cas la stricte application de la LIPR, lorsqu’il existe des « raisons impérieuses » pour qu’il soit permis à un étranger d’entrer ou de demeurer au Canada malgré l’interdiction de territoire ou l’inobservation de la LIPR. Fondamentalement, le permis de séjour temporaire permet aux agents d’intervenir dans des circonstances exceptionnelles tout en remplissant les engagements sociaux, humanitaires et économiques du Canada.

 

Farhat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1275, au paragraphe 22.

 

[9]               Les dispositions particulières régissant le PST prévoient le pouvoir discrétionnaire accordé à l’agent d’immigration ainsi que les exigences d’agir en conformité avec les directives ministérielles.

 

[10]           Le pouvoir discrétionnaire et les directives sont énoncés aux paragraphes 24(1) et (3) de la LIPR :

24. (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

 

 

 

[…]

 

 (3) L’agent est tenu de se conformer aux instructions que le ministre peut donner pour l’application du paragraphe (1).

24. (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

 

 

 (3) In applying subsection (1), the officer shall act in accordance with any instructions that the Minister may make.

 

 

[11]           Les directives ministérielles sont énoncées dans le Guide du traitement des demandes au Canada de CIC, chapitre IP-1. Contrairement aux simples politiques qui n’ont pas force obligatoire, ces directives ont force de loi, et ce, en vertu du paragraphe 24(3). Les directives applicables figurent au paragraphe 12.1:

12.1.    Évaluation des besoins

 

Le besoin d’une personne interdite de territoire d’entrer ou de demeurer au Canada doit être impérieux et suffire à l’emporter sur les risques posés à la santé et à la sécurité de la société canadienne. Le degré de besoin est relatif au type de cas.

 

Les éléments qui suivent comprennent des points et des exemples qui, sans être exhaustifs, illustrent la portée et l’esprit d’application du pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis.

 

L’agent doit tenir compte :

 

·              des facteurs rendant nécessaire la présence de la personne au Canada (p. ex., liens familiaux, qualifications familiales, contribution économique, présence temporaire à un événement);

 

·              de l’intention des dispositions législatives (p. ex., protection de la santé publique ou du système de soins de santé).

 

L’évaluation peut comprendre :

 

·              le but essentiel de la présence d’une personne au Canada;

 

·              le type ou la catégorie de demande et la composition familiale pertinente, tant dans le pays d’origine qu’au Canada;

 

·              s’il est question de traitements médicaux, l’accessibilité raisonnable, ou non, du traitement au Canada ou ailleurs (des commentaires sur les coûts/l’accessibilité relatifs peuvent s’avérer utiles), et l’efficacité prévue du traitement;

 

·              les avantages corporels ou incorporels auxquels peuvent s’attendre la personne concernée ou d’autres personnes; et

 

·              l’identité du répondant (dans les affaires d’étranger) ou de l’hôte ou de l’employeur (dans les affaires de visite).

 

[12]           Compte tenu de la nature hautement discrétionnaire et exceptionnelle de la dérogation prévue à l’article 24, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable et appelle une grande retenue à l’égard des conclusions de fait et de l’appréciation des facteurs (Farhat, susmentionné). Les questions d’équité procédurale, généralement, et notamment en l’espèce, sont examinées en fonction de la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9).

 

[13]           Les motifs en l’espèce sont insuffisants en raison a) d’une erreur de fait, et b) de la non divulgation du motif principal de la décision.

 

[14]           Dans ses motifs, l’agent, met principalement l’accent sur le fait que le demandeur a été averti à deux reprises qu’aucune autre prolongation ne serait accordée et qu’il devra quitter le Canada et présenter à nouveau une demande à l’extérieur du pays.

 

[15]           Cependant, les faits établis sont que l’existence du « premier » avertissement n’a pas pu être établie et que le « deuxième » avertissement est de nature douteuse.

 

[16]           Le seul avertissement dont l’existence a été établie est au mieux ambigu. Comme énoncé au paragraphe 5, le demandeur est avisé qu’il s’agit de la dernière prolongation et, au paragraphe suivant, le défendeur poursuit en indiquant comment procéder pour obtenir une prolongation nécessaire.

 

[17]           Que l’erreur découle d’une question d’attente légitime, du caractère suffisant des motifs ou d’une omission de tenir compte des faits importants a peu d’importance en l’espèce. Il s’agit d’un manquement à l’équité procédurale.

 

[18]           En outre, les « motifs » invoqués par le défendeur figuraient censément dans les notes du SSOBL. Cependant, en réponse à l’affidavit du demandeur en l’espèce, le défendeur a déposé un affidavit de l’agent qui explique en partie les motifs de la décision. Cela en soi est irrégulier, mais le demandeur était prêt à accepter ce faux pas procédural.

 

[19]           Le motif invoqué par le demandeur quant à son point de vue est que l’affidavit contenait d’autres motifs de la décision qui n’avaient pas auparavant été divulgués. Le plus important de ces motifs est que la présomption de l’agent selon laquelle le demandeur pouvait quitter le Canada et présenter une nouvelle demande à partir d’un autre pays, soit les États-Unis.

 

[20]           Non seulement cette présomption ou ce raisonnement n’était pas compris dans les « motifs », elle ou il ne tenait pas compte de la restriction à l’entrée aux États-Unis imposée aux citoyens de Taiwan, notamment à ceux qui n’ont pas de statut dans le pays de destination. Il ne s’agit pas d’un simple cas où l’on peut se rendre à Buffalo et présenter sa demande. L’agent n’a pas tenu compte du fait que le demandeur devrait retourner à Taiwan et des conséquences qui en découleraient.

 

[21]           Compte tenu de ces erreurs sur le plan de l’équité procédurale, il n’est pas nécessaire et possiblement nuisible de formuler des commentaires au sujet du caractère raisonnable de la décision.

 

IV.       CONCLUSION

[22]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et le demandeur peut présenter une nouvelle demande qui sera traitée par un autre agent.

 

[23]           Le demandeur a sollicité des dépens en raison en raison de l’historique du présent dossier. À ce stade, je n’estime pas que le comportement du défendeur a atteint le niveau justifiant l’adjudication de dépens.

 

[24]           Il n’y a aucune question à certifier.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      la demande de contrôle judiciaire est accueillie,

2.      la décision est annulée et le demandeur peut présenter une nouvelle demande qui sera traitée par un autre agent;

3.      aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5694-09

 

INTITULÉ :                                       TING-YAO HUANG

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 2 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario Bellissimo

 

POUR LE DEMANDEUR

Nicole Paduraru

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bellissimo Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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