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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20101202

Dossier : T-1861-09

Référence : 2010 CF 1218

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2010

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

WALLACE PARKER

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE D'OKANAGAN

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le défendeur, le conseil de la bande indienne d’Okanagan (le conseil de bande), a refusé d’émettre des instructions d’arpentage à l’égard de terres initialement attribuées au demandeur, Wallace Parker, en 1966, et d’approuver un levé des terres en question. La décision contestée a été prise le 6 octobre 2009 lors de l’assemblée du conseil de bande.

 

[2]               M. Parker demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire devant le conseil de bande pour nouvelle décision en lui donnant comme directive d’émettre les instructions d’arpentage et d’approuver

 

[3]               quelque attribution de terres afin qu’il puisse parfaire son droit à la terre et obtenir la possession légale de terres dans une réserve conformément à la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5.

 

I.          Les faits

[4]               Le demandeur, Wallace Parker, est membre de la bande indienne d’Okanagan. Le défendeur est le conseil de la bande indienne d’Okanagan.

 

[5]               Le 11 mars 1966, M. Parker s’est vu attribuer certains droits sur une parcelle de terrain située dans la réserve de la bande indienne d’Okanagan. Il prétend qu’il s’agissait d’une [traduction]  « attribution de terres de la réserve » complète dans laquelle il aurait vu une concession permanente de terres. À l’opposé, le défendeur soutient que M. Parker a reçu les terres uniquement à titre temporaire pour [traduction] « amélioration sur une période de deux ans ». Le procès-verbal de l’assemblée qui a eu lieu en 1966 confirme qu’au départ, les terres ont en effet été demandées sur la base d'une « amélioration sur une période de deux ans », mais il n’explique pas ce qu’il faut entendre par là. On ne sait donc réellement pas si le droit de M. Parker aux terres attribuées était censé se maintenir au terme des deux ans à la condition que des améliorations aient été apportées, où s’il devait s’éteindre en 1968.

 

[6]               En ce qui concerne l’attribution survenue en 1966, les deux parties reconnaissent qu’elle était assortie de conditions consistant à ne pas entraver une certaine route et son fossé. Le conseil de bande croit qu’à cela s’ajoutaient des conditions en matière d’exploitation forestière et d'installation de clôtures, et, dans l’affidavit déposé par le conseil, des doutes sont exprimés quant à savoir si ces améliorations ont été réalisées. Selon M. Parker, il n’y avait pas de conditions du genre touchant l’exploitation forestière et l'installation de clôtures, mais il prétend que, dans le cas contraire, il a respecté ces conditions.

 

[7]               Le conseil de bande soutient que [traduction] « la période d’attribution de deux ans à charge d’améliorations a expiré le 11 mars 1968 ». M. Parker semble croire, au contraire, que son droit aux terres attribuées en 1966 a continué d’exister après 1968.

 

[8]               En 1976, le conseil de bande a invité M. Parker et tous ceux à qui des terres avaient aussi été attribuées à faire une nouvelle demande parce que, semble-t-il, les dossiers de demande avaient été transférés du bureau de l’agent des Indiens, à Vernon, aux bureaux de la bande. M. Parker a donc présenté une nouvelle demande d’attribution, mais le conseil de bande n’a pas donné suite à cette demande.

 

[9]               À défaut d’avoir un levé des terres approuvé par le conseil de bande, M. Parker ne pouvait obtenir de certificat de possession, de sorte que l’attribution demeurerait un droit non parfait. C’est pourquoi, le 19 février 1984, M. Parker a écrit au conseil pour lui demander la permission de procéder à l’arpentage des terres attribuées en 1966.

 

[10]           Le 11 juin 1984, le conseil de bande a autorisé M. Parker à obtenir un levé des terres, mais il a imposé de nouvelles restrictions à l’attribution de 1966, en en réduisant la taille et en excluant certaines terres. M. Parker s’est opposé aux restrictions de 1984 et il a signifié son désaccord au conseil de bande, mais la question n’a jamais été réglée.

 

[11]           Le 29 avril 1986, le conseil de bande a adopté une nouvelle politique d’attribution des terres (l’Okanagan Indian Band Land Allotment Policy). Les objectifs déclarés de cette politique allaient dans le sens d'un souci de cohérence, d’équité et de protection des terres et des ressources naturelles de la bande.

 

[12]           En 2007, le conseil de bande a amorcé l’élaboration d’un plan-cadre destiné à régler les questions liées aux terres dans la réserve; le plan devait tenir compte d’éléments comme les politiques antérieures et actuelles, les ressources, la valeur des terres, la planification au profit des générations futures, la cohérence, l’équité, les lois traditionnelles du peuple sylix, l’équilibre entre les deux priorités conflictuelles que sont la conservation et le développement, etc.

 

[13]           Le 9 juin 2008, le conseil de bande s’est réuni pour examiner les dossiers d’attributions de terres non parfaites et les demandes afférentes. Il s’est penché sur diverses demandes se rapportant aux terres, dont celle de M. Parker. Après avoir traité des politiques actuelles et antérieures, il est arrivé à la conclusion qu’il devait décider si l’arpentage des terres se ferait selon les limites de 1966 ou celles de 1984. La question a été mise à l’ordre du jour de l'assemblée suivante devant porter sur les terres.

 

[14]           Aux dires de M. Parker, au cours de l’assemblée du 9 juin 2008, seules deux demandes semblables à la sienne ont été examinées, soit celles de M. Robert Louis et de M. William Marchand. Le conseil de bande a adopté des résolutions autorisant ces derniers à faire arpenter les terres qui leur avaient été respectivement attribuées. Dans l’année qui a suivi, les levés produits ont tous deux été approuvés par résolution du conseil de bande.

 

[15]           Le conseil de bande soutient que trois autres demandes de terres ont elles aussi fait l’objet d’un refus à l’assemblée du 9 juin 2008. Le procès-verbal de l’assemblée confirme en effet que Francis Oppenheimer, Eva Lawrence et Angeline Jones ont présenté des demandes qui ne leur ont pas été accordées; cependant, il ne précise pas si ces demandes étaient analogues à celle de M. Parker, comme cela été manifeste dans le cas de MM. Louis et Marchand, ni si elles ont été rejetées parce qu’elles avaient été faites au nom de membres défunts, comme le prétend M. Parker.

 

[16]           Le 5 novembre 2008, le conseil de bande s’est à nouveau rassemblé pour traiter de la demande d’arpentage de M. Parker. Après avoir passé en revu l’historique de l’attribution, il a résolu de se rendre sur le site pour une visite de reconnaissance, ce qu’il a fait le 6 novembre 2008.

 

[17]           Le 24 février 2009, M. Randy Marchand, superviseur des terres de la bande, a écrit à M. Parker et l’invita à procéder à l’arpentage du terrain, en tenant compte toutefois des restrictions imposées en 1984. Suivant les instructions reçues, M. Parker disposait de six mois pour obtenir le levé et le faire approuver par le chef et le conseil de bande. La lettre précisait qu’à défaut de respecter l’échéance du 24 août 2009, M. Parker verrait sa demande refusée par le conseil de bande et les terres demeureraient propriété de la bande. Dans la lettre, quelques noms d’arpenteurs étaient suggérés, dont celui de M. Russell Shortt. Il y était également mentionné que l’arpenteur choisi devrait s’adresser au conseil de bande pour que celui-ci l’autorise, par résolution, à obtenir des instructions d’arpentage auprès du bureau de Ressources naturelles Canada situé à Edmonton.

 

[18]           Le 2 avril 2009, la tenue d’élections a donné lieu à d’importantes modifications dans la composition du conseil.

 

[19]           Le 23 juin 2009, M. Parker, par l’entremise de son avocat, a demandé à ce que la période de six mois qui lui avait été accordée pour procéder à l’arpentage soit prorogée de trois mois. Dans la lettre adressée au conseil de bande, l’avocat de M. Parker a expliqué qu’avant de procéder à l’arpentage, son client souhaitait régler certains tracas soulevés par les directives reçues du conseil de bande au sujet de l’arpentage.

 

[20]           Le 20 juillet 2009, dans une lettre adressée à M. Parker, le conseil de bande a refusé de proroger le délai et a confirmé l’échéance du 24 août 2009. Il rappelait à M. Parker qu’avant de procéder à l’arpentage des terres de la bande, il fallait obtenir une résolution du conseil de bande autorisant l’arpenteur à demander les instructions d’arpentage auprès de Ressources naturelles Canada.

 

[21]           Le 20 août 2009, M. Shortt, l’arpenteur, a envoyé, par voie électronique, un premier levé à M. Randy Marchand, superviseur des terres pour le conseil de bande, et l’a invité à lui adresser ses questions.

 

[22]            Le 21 août 2009, M. Parker, par l’entremise de son avocat, a fait parvenir une lettre au conseil de bande pour l’informer qu’il procéderait à l’arpentage en conformité avec les directives reçues de ce dernier. Toutefois, il mentionnait que sa décision de procéder de la sorte ne devait pas être interprétée comme une acceptation de ces directives, avec lesquelles il n'était pas d’accord.

 

[23]           Le 24 août 2009, date à laquelle le levé devait être terminé suivant le délai imparti, M. Marchand a fait parvenir un courriel en réponse à M. Shortt pour l’informer que des modifications devaient être apportées aux limites figurant sur le levé.

 

[24]            Le même jour, M. Shortt a transmis une réponse dans laquelle il disait qu’il présenterait le levé modifié [traduction] « aujourd’hui ou demain »; il demandait également à parler à M. Marchand parce qu’il avait besoin, pour terminer le levé, d’une réponse à une question liée à des fossés abandonnés.

 

[25]            Du 24 août au 8 septembre 2009, soit pendant la période habituelle des vacances, le chef et le conseil de bande ont été absents.

 

[26]           Le 11 septembre 2009, M. Shortt a fait parvenir à M. Marchand un courriel adressé à deux individus, MM. Reynolds Bonneau et Jimmy Bonneau; il avait joint au courriel deux choix de levé et demandait aux deux hommes de communiquer à M. Marchand le choix qu’ils privilégiaient afin que ce dernier puisse faire part de cette information au conseil. Il semblerait que les deux hommes n’aient pas fourni l’information demandée.

 

[27]           Le 15 septembre, le conseil de bande s’est réuni et ses membres ont discuté de la demande d’arpentage des terres attribuées à M. Parker; il a été décidé qu’aucune action n’était requise.

 

[28]           Le 6 octobre 2009, le conseil de bande a tenu une assemblée au cours de laquelle il a refusé d’adopter une résolution visant l'émission des instructions d’arpentage en lien avec la demande de M. Parker. C’est cette décision qui est contestée en l’espèce. Le conseil a aussi adopté une résolution fixant la date d’une assemblée extraordinaire sur les terres, en vue de traiter de questions d’attribution de terres et de réaliser une carte des terres détenues par la bande.

 

[29]           Le 26 octobre 2009, le conseil de bande a affirmé avoir [traduction] « renforcé ses politiques et ses plans en matière d’aménagement du territoire » et dressé la carte des terres détenues par la bande.  Il soutient que la réunion en question s’inscrivait dans une politique stratégique à long terme d’aménagement du territoire, laquelle avait pour but de promouvoir l’équité, la participation des membres de la collectivité et la planification stratégique à long terme. Il semble qu’aucun compte rendu de cette assemblée n’ait été déposé, mais selon toute vraisemblance, aucune autre décision n’y aurait été prise en ce qui concerne la demande de M. Parker.

 

II.         La décision contestée

[30]           Le procès-verbal de l’assemblée du conseil de bande tenue le 6 octobre 2009 révèle que les conseillers ont discuté des faits se rapportant à la demande de M. Parker. Selon le document, M. Parker devait obtenir une résolution du conseil de bande afin de procéder à l’arpentage des terres de la bande devant lui être consenties et qu’à sa demande, l’arpenteur, M. Shortt, avait demandé au conseil de bande de l’autoriser, par résolution, à obtenir les instructions d’arpentage relatives au projet. Il y est affirmé par ailleurs que, le 19 février 2009, le demandeur avait été avisé qu’il disposait de six mois pour terminer le levé et le faire approuver par le conseil de bande et que le conseil de bande aurait, par résolution, à demander l’arpentage avant que l’arpenteur puisse mener le projet à bien.

 

[31]           Les conseillers ont discuté des difficultés rattachées au fait qu’ils ne savaient pas quelles parties des terres demeuraient en possession de la bande ainsi que de la nécessité de se doter d’un régime équitable. L’obligation de prendre des décisions sur l’attribution de terres de manière ponctuelle et isolée constituait, selon eux, un lourd fardeau pour le conseil de bande. Ils ont parlé de la nécessité d’obtenir des directives auprès des membres de la bande quant à la façon de régler la question des attributions de terres non parfaites.

 

[32]           Puis, le conseil de bande a mis aux voix une résolution visant à autoriser l’arpentage des terres attribuées à M. Parker afin de les localiser et d’en faire la description officielle. La résolution a été rejetée par les conseillers.

 

[33]           L’un des conseillers a fait allusion à l’accumulation du nombre des attributions de terres qui n’avaient jamais été parfaites, ajoutant que les nombreuses demandes risquaient d’accaparer ce qu’il restait de terres à la bande. Il a parlé de la nécessité de procéder à une planification adéquate et de bien cartographier les terres afin d’avoir une meilleure idée des terres restantes et de l'accessibilité aux terrains résidentiels et aux terres. Après avoir adopté une résolution visant à convoquer une assemblée extraordinaire sur les terres, le conseil a déclaré qu’une politique globale allait être élaborée en remplacement de la procédure en vigueur consistant à prendre des décisions individuelles par voie de résolution, politique qui répondrait mieux aux intérêts de tous les membres de la bande.

 

III.       Les questions en litige

[34]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les six questions suivantes :

A.     Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.     Le conseil de bande avait-il le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour refuser à M. Parker les terres qui lui avaient été attribuées en omettant d’émettre les instructions d’arpentage requises pour parfaire son droit?

C.     En supposant que le conseil de bande disposait de ce pouvoir discrétionnaire, a-t-il agi correctement?

D.     Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale, soit généralement, soit au regard d’attentes légitimes?

E.      La préclusion interdit-elle au conseil de bande de refuser d’émettre les instructions d’arpentage?

F.      Existe-t-il d’autres motifs de refuser l’arpentage dont la Cour devrait tenir compte?

 

IV.       Analyse

 

A.  Le régime légal

 

[35]           Aux termes du paragraphe 20(1) de la Loi sur les Indiens (L.R.C. 1985, ch. I-5), pour qu’un Indien soit légalement en possession d’une terre dans une réserve, la terre doit lui avoir été attribuée par le conseil de bande au moyen d’une résolution valide et l’attribution doit avoir été approuvée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre). Suivant la politique de la bande d’Okanagan en matière d’attribution des terres, avant que la terre puisse lui être attribuée par le conseil de bande, l’individu doit au préalable obtenir un levé délimitant la parcelle de terre visée par l’attribution. C’est précisément ce levé qui doit être approuvé par résolution du conseil de bande que le demandeur tente d’obtenir. Il en a besoin pour poursuivre le processus qui lui conférera la possession légale des terres.

 

[36]           Suivant le paragraphe 20(2) de la Loi sur les Indiens, une fois que le conseil de bande a attribué la terre et que lui-même a donné son approbation aux termes du paragraphe 20(1), le ministre peut délivrer à l’Indien un certificat de possession qui attestera son droit de posséder la terre qui y est décrite. L’article 21 prévoit l’inscription du certificat de possession au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Ce certificat accorde à son titulaire d’importants droits sur la terre.

 

[37]           Par souci de commodité, les articles 20 et 21 de la Loi sur les Indiens sont reproduits en annexe.

 

(1)  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[38]           Depuis l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, il convient habituellement de faire preuve de retenue en présence d’une question touchant à des faits, à un pouvoir discrétionnaire ou à une politique. C’est justement le cas en l’espèce. La décision d’attribuer ou non une terre comporte une part considérable d’appréciation des faits de la part du conseil de bande, qui doit pondérer les intérêts des individus par rapport à ceux de l’ensemble de la collectivité. Ainsi que l’a déclaré la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans Lower Nicola Band c. Trans-Canada Displays Ltd., 2000 BCSC 1209, [2000] B.C.J. no 1672 (Nicola Band), au paragraphe 155 :

[traduction]

 

[...] avant d’attribuer une terre suivant le paragraphe 20(1), le conseil est tenu de prendre en compte les droits des autres membres de la bande. Cette obligation exige de pondérer la demande d’attribution de terre de l’individu, y compris l’usage auquel la terre est destinée, par rapport à l’utilisation optimale qui pourrait être faite de la terre au bénéfice de la bande. Étant donné qu’il a une obligation de fiduciaire envers tous les membres de la bande, le conseil de bande se doit d’étudier soigneusement la demande d’attribution d’une terre de 80 acres présentée par un individu si ce dernier envisage de l’utiliser à des fins autres que résidentielles ou agricoles.

 

 

[39]           Pour l’aménagement du territoire de la réserve, la bande indienne d’Okanagan s’est dotée de son propre régime de gestion foncière sur lequel se fondent les décisions relatives à l’attribution des terres de la réserve aux membres de la bande. Avant qu’un levé de terrain puisse être soumis au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien afin de parfaire l’attribution et d’obtenir un certificat de possession, le conseil de bande doit adopter une résolution l’approuvant. Or, pour décider si elle approuve le levé, la bande indienne d’Okanagan doit étudier la demande à la lumière des facteurs énoncés dans sa politique. ll est clair que le conseil de bande possède une vaste expertise dans l’appréciation de ces facteurs et qu’il est mieux placé que la Cour pour décider s’il convient ou non d’attribuer une terre.

 

[40]           Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision du conseil de bande est la raisonnabilité. Par conséquent, la décision doit être confirmée si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[41]           Ceci étant, la quatrième question en litige intéresse l’équité procédurale. Or, il est bien établi en droit que les questions de cette nature commandent l’application de la décision correcte car, aux fins du contrôle, elles sont toujours considérées comme étant des questions de droit. Ainsi que le signale le juge Linden dans Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, « [s]oit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation ».

 

(2)   Le conseil de bande avait-il le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour refuser à M. Parker les terres qui lui avaient été attribuées, en omettant d’émettre les instructions d’arpentage requises pour parfaire son droit?

[42]           Le demandeur reconnaît que le conseil de bande a le pouvoir discrétionnaire d’attribuer des terres, mais fait valoir qu’il avait déjà exercé ce pouvoir avant de rendre la décision du 6 octobre 2009. Selon lui, le conseil de bande avait exercé ce pouvoir en confirmant l’attribution en 1966 et en 1984, en l’invitant à procéder à l’arpentage le 24 février 2009, en définissant les paramètres d’arpentage et en faisant appel au superviseur des terres pour diriger les travaux. Après cela, il n’avait plus le pouvoir de refuser les terres en n’approuvant pas le levé. De l’avis du demandeur, le 6 octobre 2009, le conseil de bande se devait de décider non pas si les terres devaient être attribuées à M. Parker, mais plutôt si les terres décrites dans le levé correspondaient bien à celles qui lui avaient été attribuées.

 

[43]           Je ne puis souscrire à cet argument, puisqu’il n’est pas conforme au cadre légal mis en place par la Loi sur les Indiens. L’article 20 de la Loi sur les Indiens confère au conseil de bande le pouvoir discrétionnaire d’approuver les attributions, sans préciser quel processus les conseils de bande doivent suivre pour consentir ou refuser une terre. Au contraire, la législation leur accorde le pouvoir de faire ce qu’ils jugent indiqué.

 

[44]           C’est précisément ce qu’a fait le conseil de bande d’Okanagan lorsqu’il a adopté sa politique sur l’attribution des terres en 1986. Cette politique prévoit dans le détail le processus à suivre à l’égard de toute demande de terre. Sur réception d’une demande écrite accompagnée d’une description générale de la parcelle de terre demandée et de son usage projeté, l'administrateur de la bande prépare un rapport concis en vue d’aider le conseil de bande à décider s’il est opportun ou non de poursuivre le traitement de la demande. S’il estime que la demande mérite d’être étudiée, le conseil renvoie celle-ci au comité responsable des levés. L'administrateur de la bande invitera alors l’auteur de la demande à baliser la terre à titre provisoire, après quoi le comité des levés effectuera une visite de reconnaissance. Ensuite, le comité pourra, selon le cas, recommander le rejet de la demande ou, s’il estime que la terre demandée convient à l’usage auquel elle est destinée, s’entendre avec l’auteur de la demande sur la taille de la parcelle et toute condition d’attribution. Une fois que l’entente est conclue, l’auteur de la demande pourra présenter au conseil de bande sa demande officielle accompagnée de la recommandation du comité des levés. Une nouvelle visite de reconnaissance sera effectuée, cette fois par l’ensemble des membres du conseil; la politique dit clairement que [traduction] « nul engagement n’est pris envers le demandeur à cette étape ». Après sa visite, le conseil de bande étudiera la demande officielle et la recommandation du comité des levés puis rendra sa décision. S’il décide d’attribuer la parcelle de terre conditionnellement, un avis de son intention de procéder à l’attribution sera affiché pendant 30 jours et distribué dans chaque foyer de la bande. Si aucune opposition n’est formulée à l’encontre de l’attribution ou s’il rejette telle opposition parce qu’il la juge non fondée, le conseil autorisera la préparation d’un levé officiel de la terre aux frais de la bande. Une fois le levé officiel terminé, accepté et inscrit au registre, le conseil procédera à l’attribution conditionnelle de la terre et le certificat d’occupation visé à l’article 20 de la Loi sur les Indiens sera demandé. Ce n’est que si les conditions d’attribution sont respectées dans les deux ans suivant la date de l’attribution que le conseil demandera la délivrance d’un certificat de possession suivant l’article 20 de la Loi sur les Indiens et que le processus de demande sera achevé.

 

[45]           Je ne puis souscrire au point de vue du demandeur, qui soutient que l’approbation du levé commandé par le conseil de bande aurait dû constituer une formalité. Le conseil de bande est autorisé à agir à son entière discrétion à tout moment du processus d’attribution de terres et d’approbation du levé. Le fait que le conseil ait invité le membre de la bande à procéder à l’arpentage et qu’il ait demandé la collaboration du superviseur des terres pour mener à bien ces travaux ne signifie pas qu’il a renoncé à son droit de refuser de délivrer des instructions d’arpentage ou d’approuver le levé. Ces étapes font aussi partie du processus de demande; or, le pouvoir discrétionnaire dévolu à la bande doit s’appliquer à toutes les étapes de ce processus.

 

[46]           En fait, pour que le pouvoir conféré par la Loi sur les Indiens ait un sens, le conseil de bande doit être en mesure de l’exercer à l’égard de l’ensemble du processus d’approbation, notamment à l’étape de l’autorisation de procéder à l’arpentage. Cela est d’autant plus vrai que l’étape du processus d’approbation précédant l’arpentage peut apparemment prendre plusieurs décennies. Compte tenu que, de nos jours, l’utilisation des terres autochtones soulève des questions délicates, il est on ne peut plus logique que le pouvoir discrétionnaire dont le conseil de bande est investi en vertu de la Loi sur les Indiens l’autorise aussi à décider si, au final, l’attribution aura ou non lieu, surtout dans les cas comme l'espèce, où une quarantaine d’années se sont écoulées entre l’attribution d’origine et l’approbation du levé. 

 

[47]           Par ailleurs, ce serait créer un dangereux précédent que de trancher en faveur du demandeur sur ce point, car nous ne disposerions alors d’aucun point de repère évident en ce qui concerne l’approbation de l’attribution par la bande. L’article 20 de la Loi sur les Indiens prévoit que le demandeur doit obtenir l’approbation du ministre si « possession de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande ». Bien que le demandeur affirme que la terre lui a déjà été attribuée, il semble néanmoins convenir qu’il ne peut demander l’approbation du ministre avant que l’arpentage ait été autorisé. Si les tribunaux étaient appelés à conclure que la condition de l’article 20 a été remplie à quelque étape du processus précédant l’autorisation de procéder à l’arpentage, quelle serait au juste cette étape? Pour prendre l’exemple de M. Parker, devrions-nous considérer que la terre a été attribuée en 1966? En 1984? Le 24 février 2009? Quel serait le signe incontestable que la bande a donné son approbation, si ce n’est l’autorisation du conseil de procéder à l’arpentage? La bande indienne d’Okanagan a en main un certain nombre d’autres demandes d’attribution en suspens dont on peut supposer qu’elles ont également été, par le passé, approuvées provisoirement par les précédents conseils de bande. Si l’approbation d'un levé ne peut servir de repère quant à savoir si la bande a donné son approbation, comment fera-t-on pour trancher ces demandes? De plus, la raison d’être de l’obligation d’obtenir l’approbation d'un levé est de faire en sorte que la terre visée par l’attribution soit bien définie et acceptée par le conseil de bande et le demandeur; or, si le levé n’est pas approuvé, on ne peut être certain qu’une telle entente existe.

 

[48]           Par conséquent, je suis d’avis que le conseil de bande avait le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour refuser d’émettre les instructions d’arpentage.

 

(3)  En supposant que le conseil de bande disposait de ce pouvoir discrétionnaire, a-t-il agi correctement?

[49]             Aux dires du demandeur, même si le conseil de bande avait le pouvoir discrétionnaire voulu pour révoquer sa décision de lui attribuer les terres, il a omis de se livrer à une analyse authentique des questions de politique publique et de ce fait, il ne pouvait valablement infirmer l’exercice antérieur de son pouvoir discrétionnaire. Le demandeur fonde son argument sur l’arrêt Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41 (Mont-Sinaï), où la Cour suprême du Canada a conclu, à la majorité, que le ministre était tenu d’agir conformément à l’exercice antérieur de son pouvoir discrétionnaire et ne pouvait annuler sa décision, précisant que s’il disposait, au contraire, d’un pouvoir discrétionnaire général de revenir sur ses décisions, il ne pouvait le faire qu’en présence de préoccupations d’intérêt général légitimes et conformes à la réalité. De l’avis du demandeur, aucun des deux motifs invoqués par le défendeur pour lui refuser les instructions d’arpentage n’était légitime ou conforme à la réalité.

 

[50]           J’estime que la situation du demandeur se distingue de l’affaire Mont-Sinaï. Pour les motifs déjà énoncés dans la section précédente, je ne crois pas que l’on puisse affirmer que le conseil de bande a renversé sa décision discrétionnaire. Il faut considérer le processus d’attribution des terres dans son ensemble, l’autorisation de procéder à l’arpentage n’étant que l’une des étapes de ce processus. S’il est vrai que M. Parker s’est vu attribuer une terre à titre conditionnel par le passé et que, le 24 février 2009, il s'est vu inviter à procéder à un arpentage, on ne peut pour autant affirmer que le conseil de bande avait précédemment approuvé le levé. Il n’y a donc pas eu annulation de l’exercice antérieur de son pouvoir discrétionnaire.

 

[51]           Je remarque aussi qu’un délai de six mois avait été consenti à M. Parker pour terminer le levé des terres en question et le faire approuver par le conseil de bande. On lui avait bien précisé que si ce délai n’était pas respecté, le conseil rejetterait et invaliderait sa demande et les terres demeureraient propriété de la bande. Ce délai lui a été rappelé au moment où sa demande de prorogation a été refusée. Or, ce n’est que trois jours avant l’expiration de ce délai de six mois que son avocat a annoncé qu’il respecterait les directives énoncées dans la lettre du 24 février 2009 l’invitant à procéder à l’arpentage. Par surcroît, l’arpenteur retenu par M. Parker a attendu au dernier jour de cette période de six mois pour solliciter une résolution du conseil de bande l’autorisant à obtenir les instructions d’arpentage. Le moins que l’on puisse dire, c’est que M. Parker ne s’est pas empressé de se plier à l'invitation à parfaire sa demande. Ce retard aurait pu à lui seul justifier le rejet de sa demande par le conseil de bande.

 

 

[52]           En outre, même si l’on estimait qu’en agissant comme il l’a fait, le conseil a effectivement infirmé l’exercice antérieur de son pouvoir discrétionnaire, je serais d’avis que le conseil a agi dans le respect des conditions énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Mont‑Sinaï, puisqu’il semble que ce soit des objectifs légitimes d’ordre public qui aient motivé sa décision de refuser la demande. La répartition des terres constitue pour toute bande indienne un enjeu public de taille et il ne serait pas sensé d’affirmer qu'une attribution quelconque de terres est sans conséquence sur le plan des politiques publiques. Il est au contraire évident que, considérées dans leur ensemble, les décisions prises isolément en matière de répartition des terres ont d’importantes conséquences. Si la bande veut véritablement réformer sa politique d’attribution des terres, elle devra forcément, à un moment ou un autre, commencer à le faire dans ses décisions individuelles. Or, il est tout à fait légitime qu’avant de poursuivre un processus d’attribution de terres engagé 40 ans plus tôt, à une époque où la situation géopolitique caractérisant les terres de réserve était tout autre, la bande veuille en étudier les répercussions sur le plan des politiques.

 

[53]           Ainsi que je l’ai déjà dit, en 2007, le conseil de bande a élaboré un plan-cadre pour régler les questions liées aux terres dans la réserve. Élaboré et mis en œuvre avec le concours des membres de la bande, ce plan visait à défendre les intérêts de tous les membres en veillant à ce que les décisions rendues par le conseil de bande au sujet des terres situées dans la réserve soient équitables et cohérentes et qu’elles tiennent dûment compte des intérêts opposés et de toute la gamme des préoccupations de la collectivité. Les actes posés par le conseil de bande étaient également conformes aux priorités qu’il avait apparemment établies en matière d’aménagement du territoire au cours des mois précédents. La Cour n’a été saisie d’aucune preuve lui permettant de penser que la décision prise par le conseil de bande en octobre 2009, soit celle d’organiser l’assemblée extraordinaire sur les terres et d’établir une carte des terres, ne traduisait pas sa volonté de faire en sorte que toutes les décisions touchant les terres de la bande soient fondées sur l’équité, la participation de la communauté et la planification coordonnée à long terme.

 

[54]           L’avocat du demandeur invoque le fait que le conseil de bande a récemment fait droit à une demande d’arpentage officiel et consenti des approbations (une fois vers la fin de 2008 et une autre au début de 2009) à l’égard d’attributions de taille comparable ou supérieure, en guise de preuve qu’il ne s’est pas livré à une analyse authentique des questions de politique publique dans le cas de M. Parker. Cependant, rien au dossier n’étaie l’argument voulant que ces attributions aient été de nature aussi complexe que celle accordée à M. Parker. Je constate par ailleurs que ces levés ont été effectués dans le délai de six mois fixé par le conseil de bande ou très peu de temps après. Quant aux trois demandes qui ont été rejetées à l’assemblée du conseil de bande du 9 juin 2008, le procès-verbal ne dit pas pourquoi elles n’ont pas été acceptées.  Toutefois, même si elles ont été rejetées parce qu’elles avaient été faites au nom de membres défunts, comme le prétend M. Parker, ce motif serait tout de même conforme à l’idée que le conseil de bande peut, à sa discrétion, poursuivre ses objectifs de principe jusqu’à la toute dernière étape du processus d’attribution.

 

[55]           Par conséquent, j’arrive à la conclusion que le conseil de bande a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en n’émettant pas, conformément à son régime révisé de gestion des terres, les instructions d’arpentage qui auraient permis de parfaire l’attribution faite à M. Parker. L’attribution faite à M. Parker n’a pas été « annulée »; le conseil de bande a plutôt refusé sa demande d'instructions d’arpentage. Il y a lieu de faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision du conseil de bande, compte tenu du fait qu’il s’est fixé comme objectif global de soupeser les enjeux sur le plan des politiques publiques. Il n’y a pas la moindre preuve que le conseil de bande ait agi avec malveillance ou ait été de mauvaise foi en refusant la demande d'instructions d’arpentage de M. Parker.

 

(4)  Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale, soit généralement, soit au regard d’attentes légitimes?

[56]           Le demandeur s’appuie sur la théorie de l’expectative légitime pour faire valoir que le conseil de bande l’a amené à s’attendre, à juste titre, à ce que le processus normal soit mené à terme de façon à ce que son droit soit parfait. Il a cru que la lettre l’invitant à procéder à l’arpentage supposait que le levé serait automatiquement approuvé s’il constituait une représentation fidèle des terres attribuées. De plus, du fait que les deux autres auteurs de demande qui se trouvaient dans la même situation avaient reçu l’autorisation de procéder à un arpentage, il s’attendait à juste titre à ce que sa demande soit elle aussi approuvée.

 

[57]           À ce jour, il n’est pas tout à fait clair que la théorie de l’expectative légitime puisse donner naissance à des droits substantiels au Canada. Dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, le juge Sopinka a dit de la théorie de l’expectative légitime qu’elle était « le prolongement des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale » et qu’elle pouvait accorder « à une personne touchée par la décision d'un fonctionnaire public la possibilité de présenter des observations dans des circonstances où, autrement, elle n’aurait pas cette possibilité » (p. 557). La cour a ajouté que les décisions purement administratives fondées sur des motifs généraux d’ordre public n’accordaient normalement aucune protection procédurale aux individus touchés : voir aussi Mont-Sinaï, précité, aux paragraphes 22 à 38.

 

[58]           Quoi qu’il en soit, je pense, à l’instar du défendeur, que M. Parker a eu tort de s’attendre à ce que l’arpentage soit autorisé du simple fait que le processus d’approbation de l’attribution avait été engagé. La lettre du 24 février 2009 était claire : [traduction] « [...] pour que les terres vous soient attribuées, un levé de terrain doit être effectué et le plan doit être approuvé par le conseil ». En outre, comme je l’ai déjà mentionné, la lettre disait aussi : [traduction] « Le levé doit être terminé et approuvé par le chef et le conseil dans un délai de six (6) mois, à défaut de quoi le conseil refusera et invalidera votre demande et les terres demeureront propriété de la bande. » Je ne vois pas comment ces mots peuvent être interprétés comme étant un engagement à approuver le levé s’il était effectué et s'il reproduisait fidèlement les terres visées par l’attribution. Le conseil de bande conserve le pouvoir discrétionnaire de parfaire ou non une attribution, jusqu’au moment d’adopter la résolution par laquelle il accorde définitivement possession de la terre, résolution qu’il transmet ensuite au ministre qui délivre un certificat de possession au titre du paragraphe 20(1) de la Loi sur les Indiens.

 

[59]           Il reste que de toute façon, M. Parker n’a même pas respecté les exigences établies dans la lettre du 24 février 2009. Ce n’est que trois jours avant l’expiration du délai de six mois imparti pour terminer le levé et le faire approuver que l’avocat de M. Parker a annoncé que M. Parker respecterait les directives énoncées dans cette lettre. De plus, l’arpenteur retenu par M. Parker a attendu au dernier jour de cette période de six mois pour solliciter une résolution du conseil de bande en vue d’obtenir les instructions d’arpentage. Les limites décrites par l’arpenteur dans son levé préliminaire ne correspondaient pas à la zone attribuée précisée dans la lettre du 24 février 2009. Il est donc évident que le levé n’a pas été terminé dans le délai précisé dans cette même lettre. Dans ces circonstances, il est difficile de voir en quoi M. Parker peut se plaindre que ses attentes légitimes ont été déçues, puisqu’il ne s’est pas conformé aux exigences à l’origine de ces attentes.

 

[60]           Le demandeur prétend également que ses droits en matière d’équité procédurale ont été violés parce qu’on ne l’avait pas avisé du fait que le conseil de bande était sur le point d’annuler sa décision ni des motifs de l’annulation et qu’il n’avait pas eu la possibilité de présenter des observations pour contester l’annulation. Naturellement, l’argument repose sur l’hypothèse voulant que le conseil de bande ait bel et bien annulé sa décision. Cependant, j’ai déjà écarté de cet argument : le conseil de bande n’a pas annulé sa décision puisque aucune décision n’est rendue avant que le levé soit approuvé et que la délivrance d’un certificat de possession vienne parfaire l’attribution des terres.

 

[61]           J’ajouterais également que la notion d’équité procédurale a un contenu variable et que les exigences qu’elle impose sont tributaires du contexte particulier de chaque affaire. En l’espèce, un certain nombre de facteurs militent en faveur de l’application d’un degré relativement peu contraignant d’équité procédurale. D’abord, de par sa nature, la décision prise par le conseil de bande est sans rapport avec le processus judiciaire et s’apparente davantage à une décision de principe. Ensuite, la Loi sur les Indiens n’impose aucune procédure particulière et laisse au conseil de bande le soin de déterminer la façon dont sera prise la décision d’attribuer une terre. Enfin, la preuve ne démontre pas qu’une procédure particulière ait été suivie par le passé en dehors de ce qui est prévu dans la politique d’attribution des terres ni, en particulier, que les auteurs de demandes de terres soient généralement invités à présenter des observations au conseil de bande. 

 

[62]           Il est vrai qu’il s’agit d’une décision importante pour M. Parker. Cependant, pour reprendre l’observation faite dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 33, il n’est pas toujours nécessaire de tenir une audience pour garantir l’audition et l’examen équitables des questions en jeu. Au fil des ans, M. Parker a eu maintes fois l’occasion de communiquer au conseil de bande sa version des faits. Dans le procès-verbal relatif à l’assemblée extraordinaire du conseil de bande du 5 novembre 2008, il est écrit qu’une note de service portant sur la demande de M. Parker a été rédigée et examinée par le conseil de bande; malgré l’absence de M. Parker, la séance ayant eu lieu à huis clos afin d’empêcher les membres de la bande d’exercer une influence indue, il est manifeste que son point de vue était bien connu et qu’on en a tenu compte. Par conséquent, je suis d’avis qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

 

(5)  La préclusion interdit-elle au conseil de bande de refuser d’émettre les instructions d’arpentage?

[63]           L’avocat du demandeur se fonde sur la théorie de la préclusion promissoire en droit public pour tenter d’empêcher le défendeur de rejeter la demande de son client. Il s’appuie sur les motifs concourants du juge Binnie dans Mont-Sinaï, précité, pour affirmer que toutes les conditions d’application de cette doctrine sont présentes en l’espèce, à savoir : 1) une partie qui, par ses paroles ou sa conduite, a fait une promesse ou donné une assurance, 2) une promesse ou une assurance destinées à inciter à l’accomplissement de certains actes, 3) suivies d’un acte de confiance fondé sur la promesse ou l'assurance et 4) entraînant une modification de la situation de la partie invoquant la préclusion.

 

[64]           Cet argument, qui à bien des égards réintroduit de façon déguisée l’argument fondé sur l’expectative légitime, comporte plusieurs lacunes. Premièrement, la preuve ne permet pas de conclure que le conseil de bande a promis à M. Parker que son levé serait approuvé et qu’il recevrait les terres demandées. À vrai dire, les faits de l’espèce sont passablement différents de ceux à l’origine de l’arrêt Mont-Sinaï; dans cette affaire, il était clair que le ministre avait promis à diverses reprises de délivrer le permis modifié demandé par le Centre hospitalier Mont-Sinaï et que, sur la foi de cette promesse, l’hôpital avait accepté de déménager à Montréal. Ainsi que je l’ai mentionné précédemment, la loi même s'accommode mal de l'idée selon laquelle le conseil de bande pourrait accepter de se garder les mains liées par une telle promesse jusqu’à la délivrance du certificat de possession; la politique d’attribution des terres adoptée par la bande est une autre preuve que l’attribution des terres de la bande constitue un long processus qui mène à l’approbation d’un levé conforme aux instructions d’arpentage données par le conseil de bande.

 

[65]           Deuxièmement, le demandeur lui-même reconnaît qu’en droit public, la préclusion exige d’accorder une attention spéciale aux objectifs d’ordre public. Dans Mont-Sinaï, le juge Binnie écrit (au paragraphe 47) :

La préclusion en droit public exige clairement que l’on détermine l’intention que le législateur avait en conférant le pouvoir dont on cherche à empêcher l’exercice. La loi est suprême. Des circonstances qui pourraient par ailleurs donner lieu à la préclusion peuvent devoir céder le pas à un intérêt public prépondérant exprimé dans le texte législatif.

 

 

[66]           Contrairement à ce que soutient le demandeur, l’attribution d’une terre a d’importantes conséquences en matière de politiques publiques. Le conseil de bande est investi de la responsabilité générale de veiller, à long terme, à ce que la propriété collective des terres de la bande ne soit pas compromise par l’attribution de parcelles aux individus qui en sont membres : voir le paragraphe 155 de Nicola Band, précitée.

 

[67]           Au final, j’estime que le conseil de bande s’est correctement acquitté de son obligation de droit public en élaborant une politique équitable de gestion des terres à l’intention de la bande et en évaluant les demandes d’attribution de terres, y compris les demandes d’instructions d’arpentage, en fonction de cette politique. Il n’y a aucune preuve de mauvaise foi ou de partialité entachant le refus de la bande d’adopter une résolution autorisant la remise d’instructions d’arpentage en lien avec la demande de terres de M. Parker. Le conseil de bande a plutôt choisi d’adopter une résolution visant à organiser une assemblée extraordinaire sur les terres pour traiter des enjeux se rapportant à leur attribution et de dresser une carte des terres que la bande indienne d’Okanagan détenait toujours. Le procès-verbal de l’assemblée du conseil de bande traduit un désir collectif d’assurer l’équité des décisions, la participation de la collectivité et la protection des intérêts à long terme de la bande.

 

[68]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit : la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1861-09

 

INTITULÉ :                                       Wallace Parker

                                                             c.

                                                            Conseil de la bande indienne d'Okanagan

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Feldberg

 

Gula Punia

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Robert James

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

Janes Freedman Kyle Law Corporation

Victoria (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 


ANNEXE

 

Loi sur les Indiens (L.R.C. 1985, ch. I-5)

 

POSSESSION DE TERRES DANS DES RÉSERVES

 

Possession de terres dans une réserve

 

20. (1) Un Indien n’est légalement en possession d’une terre dans une réserve que si, avec l’approbation du ministre, possession de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande.

 

Certificat de possession

 

(2) Le ministre peut délivrer à un Indien légalement en possession d’une terre dans une réserve un certificat, appelé certificat de possession, attestant son droit de posséder la terre y décrite.

 

 

Billets de location délivrés en vertu de lois antérieures

 

(3) Pour l’application de la présente loi, toute personne qui, le 4 septembre 1951, détenait un billet de location valide délivré sous le régime de l'Acte relatif aux Sauvages, 1880, ou de toute loi sur le même sujet, est réputée légalement en possession de la terre visée par le billet de location et est censée détenir un certificat de possession à cet égard.

 

Possession temporaire

 

(4) Lorsque le conseil de la bande a attribué à un Indien la possession d’une terre dans une réserve, le ministre peut, à sa discrétion, différer son approbation et autoriser l’Indien à occuper la terre temporairement, de même que prescrire les conditions, concernant l’usage et l’établissement, que doit remplir l’Indien avant que le ministre approuve l’attribution.

 

Certificat d’occupation

 

(5) Lorsque le ministre diffère son approbation conformément au paragraphe (4), il délivre un certificat d’occupation à l’Indien, et le certificat autorise l’Indien, ou ceux qui réclament possession par legs ou par transmission sous forme d’héritage, à occuper la terre concernant laquelle il est délivré, pendant une période de deux ans, à compter de sa date.

 

Prorogation et approbation

 

(6) Le ministre peut proroger la durée d’un certificat d’occupation pour une nouvelle période n’excédant pas deux ans et peut, à l’expiration de toute période durant laquelle un certificat d’occupation est en vigueur :

 

a) soit approuver l’attribution faite par le conseil de la bande et délivrer un certificat de possession si, d’après lui, on a satisfait aux conditions concernant l’usage et l’établissement;

 

 

b) soit refuser d’approuver l’attribution faite par le conseil de la bande et déclarer que la terre, à l’égard de laquelle le certificat d’occupation a été délivré, peut être attribuée de nouveau par le conseil de la bande.

S.R., ch. I-6, art. 20.

 

Registre

 

21. Il doit être tenu au ministère un registre, connu sous le nom de Registre des terres de réserve, où sont inscrits les détails concernant les certificats de possession et certificats d’occupation et les autres opérations relatives aux terres situées dans une réserve.

POSSESSION OF LANDS IN RESERVES

 

Possession of lands in a reserve

 

20. (1) No Indian is lawfully in possession of land in a reserve unless, with the approval of the Minister, possession of the land has been allotted to him by the council of the band.

 

Certificate of Possession

 

(2) The Minister may issue to an Indian who is lawfully in possession of land in a reserve a certificate, to be called a Certificate of Possession, as evidence of his right to possession of the land described therein.

 

Location tickets issued under previous legislation

 

(3) For the purposes of this Act, any person who, on September 4, 1951, held a valid and subsisting Location Ticket issued under The Indian Act, 1880, or any statute relating to the same subject-matter, shall be deemed to be lawfully in possession of the land to which the location ticket relates and to hold a Certificate of Possession with respect thereto.

 

Temporary possession

 

(4) Where possession of land in a reserve has been allotted to an Indian by the council of the band, the Minister may, in his discretion, withhold his approval and may authorize the Indian to occupy the land temporarily and may prescribe the conditions as to use and settlement that are to be fulfilled by the Indian before the Minister approves of the allotment.

 

 

Certificate of Occupation

 

(5) Where the Minister withholds approval pursuant to subsection (4), he shall issue a Certificate of Occupation to the Indian, and the Certificate entitles the Indian, or those claiming possession by devise or descent, to occupy the land in respect of which it is issued for a period of two years from the date thereof.

 

 

Extension and approval

 

(6) The Minister may extend the term of a Certificate of Occupation for a further period not exceeding two years, and may, at the expiration of any period during which a Certificate of Occupation is in force

 

(a) approve the allotment by the council of the band and issue a Certificate of Possession if in his opinion the conditions as to use and settlement have been fulfilled;

 

or

 

(b) refuse approval of the allotment by the council of the band and declare the land in respect of which the Certificate of Occupation was issued to be available for re-allotment by the council of the band.

R.S., c. I-6, s. 20.

 

 

Register

 

21. There shall be kept in the Department a register, to be known as the Reserve Land Register, in which shall be entered particulars relating to Certificates of Possession and Certificates of Occupation and other transactions respecting lands in a reserve.

 

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