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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101209

Dossier : DES-5-08

Référence : 2010 CF 1243

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé

en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration

et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi)

 

ET le dépôt de ce certificat

à la Cour fédérale du Canada

en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi;

 

ET Mohamed HARKAT

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE AMENDÉS

 

Introduction

[1]               Les présents motifs de l’ordonnance et ordonnance portent sur la requête présentée par M. Harkat en vue de faire exclure de la preuve des résumés de conversations fondées sur la doctrine de l’abus de procédure. L’arrêt des procédures est également à titre subsidiaire demandé en raison d’un certain nombre de manquements dont l’effet cumulatif appelle cette mesure (voir les observations soumises en réponse portant sur la réparation prévue au par. 24(1) de la Charte, datées du 18 mai 2010, par. 28). De plus, les avocats spéciaux ont fait valoir lors des audiences à huis clos que l’arrêt des procédures doit être fondé sur leur insatisfaction à l’égard d’une série de mesures prises par les Ministres en vue d’obtenir des renseignements sur M. Harkat (voir les communications datées du 13 mai 2009, du 11 décembre 2009, du 5 mai 2010, du 12 mai 2010 et du 1er septembre 2010, qui portaient entre autres sur cette question). Étant donné que la décision à cet égard s’appuie sur des éléments de preuve produits à huis clos, un exposé des motifs distinct est fourni à l’annexe A jointe aux présents motifs, laquelle, pour des raisons de sécurité nationale, ne peut être consultée que par les personnes qui sont autorisées à avoir accès à de tels renseignements. La requête est rejetée.

 

[2]               Comme on le verra, une partie substantielle des arguments pertinents formulés par M. Harkat a déjà été examinée dans deux autres décisions, l’une portant sur le caractère raisonnable du certificat (Harkat (Re) 2010 CF 1241) et l’autre, sur les questions constitutionnelles (Harkat (Re) 2010 CF 1241). Le contenu des résumés de conversations que M. Harkat veut faire exclure de la preuve a été jugé valide ainsi que le nouveau processus de communication de la preuve, qui prévoit l’intervention des avocats spéciaux. M. Harkat soutient que certains faits ou certaines situations ont donné lieu à des violations de la Charte qui appellent des mesures aux termes du paragraphe 24(1). Il invoque la doctrine de l’abus de procédure. Dans les présents motifs, la Cour tentera de ne pas répéter les observations déjà formulées des sujets semblables dans les deux autres jugements, mais un certain chevauchement pourrait être inévitable.

 

Historique de l’instance

[3]               Un certificat déclarant M. Harkat interdit de territoire pour des raisons de sécurité (le certificat de 2008) a été signé par le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, puis renvoyé à la Cour fédérale en vertu de la nouvelle Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la nouvelle LIPR ou la LIPR).

 

[4]               Précédemment, le 10 décembre 2002, le Solliciteur Général du Canada et le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (les Ministres) avaient signé un certificat conformément à l’ancien paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (l’ancienne loi), dans lequel ils déclaraient qu’ils étaient d’avis que Mohammed Harkat était un ressortissant étranger interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité (le certificat de 2002). Conformément à la loi, M. Harkat a été arrêté et mis en détention. Il a ensuite été remis en liberté sous conditions le 23 mai 2006, lesquelles conditions ont par la suite fait l’objet d’un examen périodique.

 

[5]               L’audition concernant le caractère raisonnable du certificat de 2002 s’est déroulée devant la juge Dawson en mars 2005. M. Harkat a contesté la constitutionnalité des articles 78 à 80 de l’ancienne loi au motif qu’ils étaient contraires aux principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Se fondant sur l’enseignement de l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, la juge Dawson a confirmé la constitutionnalité du processus relatif aux certificats de sécurité en et a conclu, pour de nombreuses raisons, qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Harkat s’était livré au terrorisme, en particulier en soutenant des activités terroristes en tant que membre du Réseau Ben Laden (RBL) (Harkat (Re), 2005 CF 393).

 

[6]               M. Harkat a interjeté appel de la décision de la juge Dawson en ce qui concerne la constitutionnalité du processus relatif aux certificats de sécurité. Le 6 septembre 2005, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel de M. Harkat au motif qu’il n’avait pas réussi à démontrer une erreur manifeste appelant une différente décision des jugements Charkaoui (Re), précité, et Almrei c. Canada (Ministre de Citoyenneté et Immigration), 2005 CAF 54, confirmant ainsi la constitutionnalité des mêmes dispositions de l’ancienne LIPR (voir Harkat (Re), 2005 CAF 285). M. Harkat a présenté une demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême, laquelle fut accueillie.

 

[7]               Le 23 février 2007, la Cour suprême du Canada a statué que la procédure de communication relative aux certificats de sécurité prévue dans l’ancienne LIPR était contraire à l’article 7 de la Charte et a déclaré que les dispositions pertinentes étaient inopérantes. Selon la juge en chef McLachlin, la communication avait été faite d’une manière telle qu’il y avait eu méconnaissance du droit de la personne visée de connaître la preuve produite contre elle et de son droit d’y répondre. La Cour a statué qu’une telle violation ne pouvait être validée par l’application de l’article premier de la Charte parce qu’elle ne portait pas le moins possible atteinte au droit en question (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 (Charkaoui no 1)).

 

[8]               La Cour suprême a également déclaré que l’ancien paragraphe 84(2) régissant les demandes de remise en liberté par voie judiciaire était contraire à l’article 9 et à l’alinéa 10c) de la Charte parce qu’il n’offrait pas la possibilité aux ressortissants étrangers de faire contrôler promptement leur détention comme c’est le cas pour les résidents permanents.

 

[9]               La Cour suprême a suspendu la déclaration d’invalidité des dispositions contestées de l’ancienne loi pour une durée d’un an afin de permettre au Parlement d’adopter une loi conforme à la Constitution. Par conséquent, M. Harkat a continué d’être assujetti au certificat de sécurité de 2002 et aux conditions de remise en liberté imposées par la juge Dawson le 23 mai 2006.

 

[10]           Le 22 février 2008, le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et
la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence
(le projet de loi C-3 ou la nouvelle LIPR), est entré en vigueur en réponse à l’arrêt Charkaoui no1 de la Cour suprême du Canada. Le projet de loi C-3 a apporté des modifications importantes à la procédure régissant le contrôle judiciaire des certificats de sécurité et des demandes de remise en liberté dans ce contexte. Ces modifications comprenaient un nouveau processus de communication des renseignements de sécurité nationale et l’ajout des avocats spéciaux chargés de représenter les intérêts des personnes désignées lors des audiences à huis clos. Ce texte a également éliminé la distinction entre les résidents permanents et les ressortissants étrangers aux fins de l’examen périodique par la Cour des motifs de
détention et de la remise en liberté en liberté sous conditions. Les Ministres ont demandé le maintien des conditions de remise en liberté de M. Harkat.

 

[11]           Le 26 juin 2008, la Cour suprême du Canada a rendu une deuxième décision concernant le processus relatif aux certificats de sécurité dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38 (Charkaoui no 2). Dans cet appel, M. Charkaoui demandait l’arrêt des procédures en raison de la destruction des notes originales prises par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service) au cours des entrevues menées avec lui. La Cour suprême a accueilli l’appel de M. Charkaoui en partie. Bien que l’arrêt des procédures ait été jugé prématuré, la Cour a conclu que la destruction des notes opérationnelles constituait une violation grave de l’obligation du SCRS de conserver et de communiquer des renseignements conformément à l’article 12 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C-23 (la Loi sur le SCRS).

 

[12]           Le 24 septembre 2008, conformément à ce jugement, la Cour a ordonné aux Ministres et au SCRS de [traduction] « déposer à la section des instances désignées de la Cour la totalité des informations et renseignements liés à Mohammed Harkat, lesquels comprennent notamment des brouillons, des diagrammes, des enregistrements et des photographies en possession du SCRS ».

 

[13]           La portée de la communication appelée par la jurisprudence Charkaoui no 2 a donné lieu au dépôt de milliers de documents, dont la plupart sont caviardés en partie. La production de tels documents a pris plus de six mois. Il s’agissait toutefois d’un processus continu qui a débuté dès que les premiers documents caviardés ont été prêts à être déposés. Les suppressions étaient nécessaires puisque bon nombre des documents portaient non seulement sur la situation de M. Harkat, mais aussi sur d’autres questions qui n’avaient aucun lien avec l’affaire. Conformément à la loi, les avocats spéciaux avaient accès aux renseignements liés à M. Harkat, mais uniquement à ces renseignements. Par conséquent, la Cour s’est acquittée de la tâche supplémentaire d’examiner la pertinence des suppressions. Cela a requis beaucoup de temps et n’a permis de relever que quelques suppressions douteuses. Dans tous les autres cas, les suppressions étaient justifiées. Les avocats spéciaux ont examiné les documents communiqués dans l’arrêt Charkaoui no2 et ont relevé certains renseignements lesquels, selon eux, étaient pertinents en l’espèce. Par suite de cet examen, des documents ont été produits en preuve (voir pièces M13, M15, M17, M18, M25 et M26). Sauf pour la question du test polygraphique subi par une source humaine, qui est traitée séparément, la Cour et les avocats spéciaux n’ont trouvé aucune preuve irréfutable ni aucun renseignement important qui ne faisait pas partie de la communication initiale. Ce processus de communication a prolongé l’instance de plusieurs mois.

 

[14]           À l’automne 2008, les audiences à huis clos concernant la question de la communication dans l’arrêt Charkaoui no2 ont eu lieu. De plus, des éléments de preuve ont été présentés par un témoin du Ministre à l’appui des allégations formulées contre M. Harkat et du caractère raisonnable du certificat. Étant donné que la communication dans l’arrêt Charkaoui no2 était en cours, le contre‑interrogatoire du témoin par les avocats spéciaux s’est limité à la question du danger associé à M. Harkat en ce qui concerne l’examen des conditions de sa remise en liberté. Le contre‑interrogatoire concernant le caractère raisonnable du certificat a été reporté au 23 novembre 2009. Au cours de ces audiences à huis clos, la Cour s’est penchée sur d’autres questions, notamment sur la demande présentée par les avocats spéciaux en vue d’obtenir l’accès au dossier d’un employé du SCRS et aux dossiers de sources humaines. Par suite de cet examen, la Cour a rendu des motifs de jugement dans les deux affaires (voir Harkat (Re), 2009 CF 203, et Harkat (Re), 2009 CF 1050).

 

[15]           En octobre 2008, les Ministres ont consenti au changement de résidence de M. Harkat et à l’annulation d’une condition l’obligeant à habiter avec deux cautions de surveillance. Le consentement des Ministres était conditionnel à l’acceptation par M. Harkat d’un certain nombre de conditions, notamment l’installation de caméras de surveillance par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Les Ministres ont également consenti au retrait de M. Weidemann à titre de caution de surveillance.

 

[16]           En décembre 2008, la Cour a été saisie de questions relativement à des interceptions téléphoniques et au secret professionnel. Des audiences publiques et à huis clos ont été tenues à ce sujet, et il a été conclu que ni l’ASFC ni le SCRS n’avaient écouté de conversation entre l’avocat et son client. Cette information a été mise à jour à la fin du mois d’août 2010. Encore une fois, aucun appel n’avait été écouté.

 

[17]           En mars 2009, la Cour a effectué un examen des conditions de la remise en liberté de M. Harkat dans le cadre d’audiences publiques. Elle a conclu que sa remise en liberté sans condition serait préjudiciable à la sécurité nationale, mais a confirmé sa remise en liberté en assortissant celle‑ci de conditions plus indiquées. En particulier, M. Harkat pouvait rester à la maison seul entre 8 h et 21 h à condition qu’il donne à l’ASFC un préavis de 36 heures et qu’il lui téléphone une fois l’heure (voir Harkat (Re), 2009 CF 241).

 

[18]           Le 23 avril 2009, dans le cadre des audiences à huis clos en cours, les Ministres ont diffusé au public des faits qui n’avaient pas été communiqués précédemment et sur lesquels ils s’étaient fondés ainsi qu’un résumé et d’autres documents visés par l’arrêt Charkaoui no2 (voir pièce M15). Les avocats des parties ont convenu que seuls les renseignements sur lesquels ils se sont fondés lors de l’interrogatoire et du contre-interrogatoire pouvaient être utilisés aux fins de l’instance.

 

[19]           Le 12 mai 2009, soit 19 jours avant le début des audiences publiques sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité, l’ASFC a effectué une perquisition dans la résidence de M. Harkat. Seize agents de la paix y ont participé, dont trois d’unités canines. Les perquisitions étaient autorisées par les conditions de remise en liberté. Ayant été mise au courant de la façon dont la perquisition a été effectuée, la Cour a immédiatement annulé l’autorisation accordée à l’ASFC dans les conditions de la remise en liberté et a exigé qu’elle obtienne une autorisation d’un juge désigné avant d’effectuer toute perquisition (voir l’ordonnance rendue le 12 mai 2009 modifiant les conditions de la remise en liberté). À la demande de M. Harkat, la perquisition a fait l’objet d’un contrôle judiciaire. Il a été statué que le paragraphe 16 des conditions de remise en liberté n’autorisait pas une perquisition et une saisie de nature aussi envahissante et de portée aussi large que celles effectuées le 12 mai 2009 (voir Harkat (Re), 2009 CF 659). La Cour a ordonné que tous les biens saisis soient rendus à M. Harkat.

 

[20]           Le 26 mai 2009, on a remis à la Cour une lettre des Ministres contenant de nouveaux renseignements sur la fiabilité d’une source humaine qui avait fourni des renseignements sur M. Harkat (la « question du test polygraphique »). La Cour a ordonné aux Ministres de déposer, de façon confidentielle, le dossier de source humaine étant donné qu’elle possédait des éléments de preuve lui permettant de douter que les Ministres aient fourni des renseignements complets. Le 16 juin 2009, la Cour a donné des directives publiques par lesquelles elle offrait aux trois témoins du SCRS l’occasion d’expliquer leurs dépositions ainsi que leur omission de fournir des renseignements pertinents. Les témoins du SCRS ont accepté l’invitation de la Cour.

 

[21]           Au titre du paragraphe 24(1) de la Charte, les avocats spéciaux ont demandé l’exclusion de tous les renseignements fournis par la source humaine en question. Le 15 octobre 2009, la Cour a rendu une ordonnance ainsi que les motifs publics de cette ordonnance (Harkat (Re), 2009 CF 1050). Elle a conclu que les employés du SCRS n’avaient pas délibérément filtré ou dissimulé les renseignements relatifs à la source humaine et qu’il n’existait pas de motifs suffisants pour conclure que les droits que tirait M. Harkat de la Charte avaient été violés. Cependant, la Cour a écarté le privilège relatif à la source humaine et a ordonné qu’un autre dossier de source humaine sur lequel les Ministres se sont fondés soit transmis aux avocats spéciaux et à la Cour afin de dissiper toute inquiétude quant à la capacité des avocats spéciaux de vérifier pleinement la preuve. Une telle mesure a été jugée incontournable pour réparer l’atteinte portée à l’image de l’administration de la justice et pour rétablir un climat de confiance dans la procédure judiciaire. L’examen des dossiers de sources humaines par les avocats spéciaux et la Cour n’a pas permis de démontrer que l’information produite devant la Cour était incomplète ou qu’elle ne reflétait pas les renseignements recueillis. Les Ministres ont déposé une nouvelle pièce classifiée qui reflétait plus adéquatement le contenu du dossier de source humaine relatif au test polygraphique. L’autre dossier de source humaine examiné par les avocats spéciaux et la Cour était conforme aux pièces originales déposées par les Ministres concernant les sources humaines. La mesure sollicitée par les avocats spéciaux au titre du paragraphe 24(1) de la Charte n’a pas été accordée, car des mesures appropriées avaient été accordées alors que la situation n’appelait pas l’exclusion des renseignements fournis par une source humaine.

 

[22]           Le 21 septembre 2009, M. Harkat a déposé une demande en vue d’obtenir une ordonnance modifiant les conditions de sa remise en liberté. Compte tenu de la nouvelle évaluation de la menace effectuée par les Ministres, un nombre important de restrictions ont été supprimées. Entre autres, M. Harkat pouvait dorénavant faire des sorties sans la présence d’une caution et avait désormais le droit de sortir de la région d’Ottawa sous certaines conditions (voir Harkat (Re), 2009 CF 1008). Toutefois, certaines restrictions demeuraient en vigueur, comme l’obligation de porter un bracelet GPS.

 

[23]           Au cours de l’audience à huis clos tenue avant l’audience publique sur le caractère raisonnable du certificat, une question a été soulevée à l’égard de renseignements provenant de tiers que les avocats spéciaux jugeaient nécessaire de transmettre à M. Harkat. Cependant, ces renseignements sont protégés par une exception applicable au monde des renseignements de sécurité : aucune communication n’est permise tant qu’une autorisation n’a pas été obtenue. Cette question délicate a été examinée en long et en large lors des audiences à huis clos. Les avocats spéciaux ont convenu qu’étant donné la nature confidentielle d’une partie des renseignements, il y avait lieu de demander l’autorisation des sources d’information en cause. Un processus a été établi par les Ministres afin d’obtenir de telles autorisations dans des cas précis. Une partie des renseignements a finalement été communiquée à M. Harkat sous la forme de résumés.

 

[24]           Les avocats spéciaux et les avocats publics ont tenté d’obtenir des renseignements à jour sur MM. Zubaydah et Wazir, deux personnes que l’on soupçonne d’avoir des liens avec M. Harkat. Des audiences à huis clos ont été tenues, et la question a été examinée attentivement. Lorsque c’était possible, il y a eu des communications publiques au sujet de l’information (voir la communication datée du 12 mai 2010). À la fin des audiences publiques, la Cour a informé les parties que tout nouveau renseignement concernant ces deux personnes pouvait être déposé auprès de la Cour jusqu’au 31 août 2010. D’autres documents ont été déposés lors d’audiences à huis clos, et un résumé de l’information a également été produit (voir la communication orale en date du 1er septembre 2010). Les audiences à huis clos ont débuté en septembre 2008 et se sont terminées par les plaidoiries au début de l’été 2010. Des audiences publiques ont également débuté à l’automne 2008 et se sont terminées par les plaidoiries au début de l’été 2010. De nombreux témoins ont été entendus lors des audiences publiques et à huis clos, certains d’entre eux à titre de  témoins factuels, d’autres à titre de témoins experts.

 

[25]           De nombreux avocats sont intervenus dans l’instance : cinq avocats pour le compte des Ministres, trois avocats publics représentant M. Harkat et deux avocats spéciaux. L’intervention de tant de personnes a donné lieu à de nombreuses demandes et requêtes qui ont nécessité des mois de préparation, d’audiences et de nombreuses écritures. D’autres avocats ont participé à l’examen de la question du test polygraphique, ce qui a demandé davantage de travail.

 

[26]           La Cour est censée procéder, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive (voir l’alinéa 83(1)a) de la LIPR). Plus de trente mois se sont écoulés entre février 2008 et juin 2010, moment où ont pris fin les audiences publiques. Il a été impossible pour la Cour de procéder plus rapidement. Un volume substantiel a été généré par les nombreux avocats agissant pour le compte de leurs clients respectifs. Il a fallu allouer suffisamment de temps aux Ministres pour qu’ils se conforment au jugement de la Cour Suprême dans Charkaoui no2 et le processus d’examen devait suivre son cours, y compris l’évaluation de la pertinence des suppressions. L’analyse de la perquisition faite à la résidence de M. Harkat et les questions relatives au test polygraphique ont également requis beaucoup de temps. L’établissement du rôle des audiences publiques auxquelles participaient tant d’avocats a exigé un temps considérable, et le processus de communication public a également connu des difficultés. Ces procédures ont été longues compte tenu du sujet en cause.

 

Observations des parties

a)                              Observations du demandeur sur l’exclusion des résumés de conversations de la preuve

 

[27]           Le demandeur soutient que la « destruction massive » de documents par le SCRS conformément à l’ancienne politique interne OPS-217 porte atteinte aux droits garantis par l’article 7 de la Charte. D’ailleurs, dans l’arrêt Charkaoui no 2, la Cour suprême a indiqué que cette politique était contraire à l’obligation de franchise du SCRS. Cependant, le demandeur fait valoir que la destruction de documents constitue une [traduction] « atteinte dévastatrice » à sa capacité de présenter une argumentation juridique complète.

 

[28]           En raison de la destruction des documents, le demandeur fait valoir que ni lui ni ses avocats publics ou spéciaux ne peuvent vérifier adéquatement les affirmations formulées par les Ministres. Comme il est privé des notes et des dossiers originaux pertinents dans le cadre de l’affaire, le demandeur soutient qu’il est victime d’un préjudice insurmontable qui l’empêche de présenter une défense pleine et entière.

 

[29]           Il allègue qu’on ne peut invoquer la bonne foi pour justifier la destruction des documents originaux par le SCRS. Le demandeur avance qu’une telle négligence ou qu’un tel aveuglement volontaire de la part du SCRS exclut la bonne foi. Par ailleurs, il affirme que même l’absence de mauvaise foi ne saurait justifier la violation des droits garantis par l’article 7 de la Charte.

 

b)         Observations du demandeur sur l’arrêt des procédures

[30]           Subsidiairement, le demandeur fait valoir que l’effet cumulatif de plusieurs violations présumées de la Charte justifie l’arrêt des procédures. Il avance que ces violations de la Charte qu’il relève constituent une [traduction] « violation systémique » des droits qu’il tire de l’article 7 et que, par conséquent, elles constituent un préjudice accablant et un affront à l’intégrité de l’administration de la justice. Selon le demandeur, les préjudices subis sont perpétués par la continuation des procédures, faisant ainsi de son cas l’un des « cas les plus manifestes » reconnus par la jurisprudence. En raison de la gravité des violations cumulatives, la Cour doit clairement réprouver une telle conduite. Les violations alléguées sont décrites comme suit.

 

a.         La destruction des documents originaux par le SCRS conformément à la politique interne applicable OPS-217

 

[31]           Comme on l’a vu, le demandeur affirme que la destruction des documents par le SCRS constitue une violation des droits garantis par l’article 7 étant donné qu’il ne peut présenter une défense adéquate et complète. Par conséquent, la destruction des documents doit être considérée comme l’une des violations cumulatives justifiant l’arrêt des procédures.

 

b.         L’incidence de la destruction des documents sur l’obligation des avocats spéciaux

 

[32]           En raison de la destruction des documents originaux, la présence des avocats spéciaux ne suffit pas à assurer que le demandeur sera entendu comme il y a droit: ils ne sont pas en mesure de remplir leur mission lors des audiences à huis clos.

 

c.         La violation alléguée de l’obligation de franchise du SCRS

[33]           Selon cette allégation, le SCRS, dans le cadre de la collecte et de la communication de renseignements, a favorisé les renseignements qui sont préjudiciables à M. Harkat et a exclu les renseignements neutres ou tendant à le disculper. Le demandeur fait valoir qu’en absence d’une vérification complète des renseignements qui sous-tendent le Rapport sur les renseignements de sécurité, le filtrage de l’information par le SCRS constitue un manquement à son obligation de franchise. Étant donné que les documents et les dossiers originaux ne sont pas disponibles, les enregistrements et les résumés des renseignements de sécurité fournis font l’objet d’une norme de contrôle moins élevée, ce qui porte atteinte aux droits que le demandeur tire de l’article 7. Enfin, le demandeur prétend que la Cour ne peut procéder à un examen sérieux de la fiabilité des conclusions tirées par le SCRS.

 

d.         L’écoulement du temps

[34]           Le demandeur soutient que la longueur des procédures a donné lieu à une violation des droits qui lui sont garantis par l’article 7. Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable est consacré à l’alinéa 11b) de la Charte, mais l’article 7 est également pertinent étant donné que la longueur du temps écoulé a une incidence sur la sécurité de la personne, d’où la nécessité d’appliquer les principes de justice fondamentale. Il est avancé que l’écoulement du temps entrave la capacité du demandeur de répondre aux allégations formulées contre lui en raison de la fragilité de la mémoire humaine. De plus, il compromet la capacité du demandeur de recueillir des éléments de preuve de nature à le disculper.

 

e.         La perquisition effectuée à la résidence du demandeur

[35]           Il a été jugé que la perquisition effectuée par l’ASFC était illégale et qu’elle avait été menée d’une manière déraisonnable, en violation des droits du demandeur (voir Harkat (Re), 2009 CF 659). Selon lui, cette perquisition a aggravé le préjudice subi par le demandeur et doit être prise en compte sous l’angle de l’abus de procédure.

 

f.          La violation alléguée du privilège du secret professionnel de l’avocat

[36]           Selon le demandeur, des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat ont été saisis lors de la perquisition susmentionnée effectuée à sa résidence. De plus, même si le SCRS prétend ne pas avoir utilisé ces conversations, des conversations téléphoniques ont été enregistrées et conservées. La gravité du manquement au privilège du secret professionnel de l’avocat n’a pas été appréciée. Par conséquent, la violation de la Charte doit être examinée sous l’angle de l’abus de procédure.

 

g.         Les questions relatives aux sources humaines et au test polygraphique

[37]           Ces questions sont liées tant à l’obligation de franchise du SCRS qu’à la fiabilité des renseignements produits par les Ministres à l’appui de leurs allégations. En effet, le SCRS a fait preuve de négligence en omettant de mentionner que des sources humaines avaient été jugées non fiables à la suite d’un test polygraphique. Cela appuie l’allégation du demandeur relativement à un abus de procédure portant atteinte à ses droits garantis par la Charte.

 

[38]           Le demandeur soutient que l’effet cumulatif de tous ces éléments appelle l’arrêt des procédures.

 

Observations des intimés sur l’exclusion des résumés de conversations de la preuve

[39]           Les Ministres soutiennent qu’il n’est pas approprié d’exclure la preuve produite devant la Cour. Ils estiment qu’on n’a pas démontré qu’il y avait eu une conduite abusive et que le droit à un procès équitable que tire de l’article 7 le demandeur a été respecté.

 

[40]           Les renseignements communiqués au demandeur sont suffisants. Selon la jurisprudence dominante, nul n’a droit à la procédure la plus favorable possible, mais plutôt à une procédure équitable eu égard au contexte et aux intérêts en cause. Étant donné que les avocats spéciaux ont rempli leur mission, et à la lumière de l’évolution des exigences en matière de communication, les Ministres font valoir que le demandeur a effectivement reçu les renseignements requis lui permettant de présenter une défense.

 

[41]           Les Ministres font valoir que l’exclusion de la preuve n’est pas justifiée. Rien ne permet de conclure à l’absence de bonne foi du SCRS en ce qui concerne son ancienne politique interne sur la destruction des documents. Dans la présente affaire, la destruction des documents n’était pas délibérée et n’a pas été effectuée en vue de contourner l’obligation de communication. De plus, suffisamment de mesures avaient été prises avant la destruction des éléments de preuve, notamment la préparation d’un résumé. Le SCRS a pris les mesures raisonnables dans les circonstances pour préserver les éléments de preuve aux fins de communication, ce qui satisfait aux exigences de l’article 7 dans le contexte des procédures relatives aux certificats de sécurité. Par ailleurs, compte tenu de la gravité des allégations et de la nécessité de protéger la sécurité nationale, la Cour ne doit pas exclure la preuve.

 

Observations des intimés sur l’arrêt des procédures

[42]           Les Ministres soutiennent que l’arrêt des procédures ne doit être accordé que dans les cas les plus manifestes, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. L’arrêt des procédures vise à faire cesser un tort qui persisterait si l’instruction de l’affaire devait se poursuivre. Les intérêts de la société peuvent et doivent être pris en considération. Un tel intérêt pourrait exiger que soit mené à terme l’examen de l’affaire du demandeur en ce qui a trait au caractère raisonnable du certificat de sécurité. De plus, la Cour a ordonné des mesures pour plusieurs des violations de l’article 7 dont a fait état le demandeur; par conséquent, rien n’indique que la poursuite de l’instance choquerait le sens de la justice de la société ou porterait atteinte à l’intégrité du système.

 

a.         La destruction des documents originaux par le SCRS conformément à la politique interne applicable OPS-217

 

[43]           Les Ministres font valoir que la Cour suprême, dans l’arrêt Charkaoui no 2, n’a pas statué que la destruction des documents par le SCRS constituait l’un des « cas les plus manifestes » appelant l’arrêt des procédures. Conformément aux conclusions de la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui no 2, le juge désigné est en mesure d’apprécier l’incidence de la destruction des notes, incidence que les Ministres jugent minime. Les arguments précédents concernant l’exclusion de la preuve sollicitée valent également pour le moyen d’abus de procédure. En somme, le demandeur n’a pas démontré que sa capacité de présenter une défense avait été compromise à un point tel que la Cour doit conclure à l’abus de procédure.

 

b.         L’incidence de la destruction des documents sur l’obligation des avocats spéciaux

 

[44]           Les Ministres font valoir que ce n’est pas parce que certains renseignements sont confidentiels que le demandeur est dans l’impossibilité de fournir une réponse complète aux allégations formulées contre lui dans un résumé. En raison de l’existence des avocats spéciaux qui constituent une garantie procédurale, la confidentialité des renseignements est assurée et le demandeur peut présenter une défense pleine et entière. La simple protection de la confidentialité des renseignements par les Ministres n’équivaut pas à un abus de procédure. De plus, rien n’empêche le demandeur de faire part de façon franche de toutes ses activités passées aux avocats spéciaux, avant que ceux-ci n’examinent les renseignements confidentiels. Sa capacité de le faire n’est pas compromise. Par l’entremise de ses avocats spéciaux et de ses avocats publics, le demandeur peut effectivement savoir ce qui lui est reproché et présenter une défense.

 

c.         La violation alléguée de l’obligation de franchise du SCRS

[45]           Aux termes des paragraphes 77(1) et (2) de la LIPR, les Ministres doivent déposer tous les renseignements et tous les éléments de preuve qui justifient le certificat ainsi qu’un résumé de la preuve qui permet à la personne visée d’être suffisamment informée de leur thèse. Il est normal que des renseignements supplémentaires soient fournis au fur et à mesure que la procédure avance et que l’information devient disponible. En conséquence, comme le SCRS et les Ministres ont respecté les exigences de divulgation consacrées dans l’arrêt Charkaoui no 2, il n’y a eu aucun manquement à l’obligation de franchise en l’espèce.

 

d.         L’écoulement du temps

[46]           L’écoulement du temps dans la présente affaire ne donne par lieu à un abus de procédure. La longueur du temps écoulé ne peut en soi appeler l’arrêt des procédures; pour qu’une telle mesure soit ordonnée, il faudrait démontrer que l’écoulement du temps a causé un préjudice. La détention du demandeur a été ordonnée et les procédures antérieures se sont déroulées conformément à la loi en vigueur à ce moment-là. Même si le demandeur a contesté avec succès le régime législatif précédent, le fait qu’il y a eu des procédures antérieures et que beaucoup de temps s’est écoulé ne donne pas pour autant lieu à un abus de procédure. Par ailleurs, le temps nécessaire pour trancher les contestations judiciaires ne doit jouer contre aucune des parties. Enfin, comme le demandeur s’est contenté de nier les allégations, il est difficile d’imaginer que l’écoulement du temps a porté préjudice à sa capacité de présenter une défense. L’écoulement du temps ne doit donc pas être pris en considération en ce qui concerne le moyen d’abus de procédure.

 

e.         La perquisition effectuée à la résidence du demandeur

[47]           Peu après la perquisition, les Ministres ont informé la Cour que tous les documents saisis seraient mis sous scellés en attendant d’autres directives de la Cour. À la suite de l’intervention de la protonotaire Tahib, un petit nombre de documents ont été jugés confidentiels et ont été rendus au demandeur. Puis, à la suite de la décision de la Cour concernant la perquisition, l’ASFC s’est conformée à l’ordonnance. Par conséquent, le demandeur a obtenu réparation, et rien ne permet de conclure que la perquisition a donné lieu à une violation du privilège du secret professionnel au détriment du demandeur.

 

f.          La violation alléguée du privilège du secret professionnel de l’avocat

[48]           Les Ministres soutiennent que le demandeur a obtenu une mesure parfaitement adéquate en ce qui concerne la violation du secret professionnel. Il n’existe plus de préoccupation à cet égard appelant l’arrêt des procédures. Aucun préjudice n’a résulté de l’interception des communications protégées par le secret professionnel puisqu’aucun rapport n’en a découlé. La Cour a déjà accordé une mesure, et aucun préjudice ne sera subi.

 

g.         Les questions relatives aux sources humaines et au test polygraphique

[49]           Comme la Cour l’a conclu dans Harkat (Re), 2009 CF 1050, et dans Harkat (Re), 2009 CF 553, le SCRS n’a pas cherché à induire en erreur la Cour. En raison de défaillances institutionnelles, la Cour a été privée de renseignements pertinents, mais ces défaillances ont été remédiées par la communication exceptionnelle à la Cour et aux avocats spéciaux des dossiers de sources humaines. Par conséquent, une mesure appropriée a été accordée au demandeur en ce qui concerne les questions relatives aux sources humaines et au test polygraphique.

 

Les questions en litige

[50]           La présente requête soulève des questions en ce qui concerne la conduite des Ministres, du SCRS et, d’une certaine façon, de la Cour quant à la procédure relative aux certificats de sécurité. Ces questions peuvent être divisées de la façon suivante :

 

1)                  La destruction d’enregistrements originaux de conversations qui ont été résumées conformément à la politique du SCRS appelle-t-elle l’exclusion les résumés, en application de la doctrine de l’abus de procédure et du paragraphe 24(1) de la Charte?

2)                  L’une des situations suivantes, ou l’effet cumulatif de certaines de ces situations, équivaut‑elle à un abus de procédure appelant l’arrêt des procédures :

a)                  La destruction d’enregistrements originaux de conversations (qui ont été résumées) par le SCRS conformément à la politique OPS- 217 a-t-elle porté atteinte au droit de M. Harkat à la communication de la preuve?

b)                  Les répercussions de la destruction d’enregistrements originaux de conversations (qui ont été résumées) sur les obligations des avocats spéciaux?

c)                  La violation alléguée de l’obligation de franchise du SCRS;

d)                  L’écoulement du temps;

e)                  La perquisition effectuée à la résidence de M. Harkat;

f)                    La violation alléguée du privilège du secret professionnel de l’avocat;

g)                  Les questions relatives aux sources humaines et au test polygraphique.

 

Le droit applicable

            En ce qui concerne l’exclusion de la preuve

[51]           M. Harkat se fonde sur la doctrine de l’abus de procédure pour demander l’exclusion des résumés de conversations et invoque le paragraphe 24(1) de la Charte. Pour l’accorder, la Cour doit conclure que la mesure demandée est juste et convenable (R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, par. 68 (O’Connor)). Les critères applicables à l’exclusion fondée sur l’abus de procédure sont les suivants : 1) le préjudice causé par l’abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue; 2) aucune autre mesure ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice (O’Connor, par. 75).

 

[52]           L’approche élaborée en droit pénal en ce qui concerne l’exclusion de la preuve est instructive puisqu’elle permet de cerner les critères et les facteurs pertinents. Dans l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32 (Grant), la Cour suprême a indiqué que l’exclusion de la preuve doit être envisagée au regard de l’objet du paragraphe 24(2) de la Charte, lequel est de préserver la considération dont jouit l’administration de la justice. Le paragraphe 85 de l’arrêt Grant expose les trois critères à appliquer lorsqu’il est envisagé de sanctionner par l’exclusion de la preuve une violation de la Charte :

-                     l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond;

-                     l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte;

-                     la gravité de la conduite attentatoire de l’État.

Ces trois critères « englobent "toutes les circonstances" de l’affaire » (Grant, par. 85) et permettent au juge de rechercher si, selon la prépondérance des probabilités, l’admission de la preuve obtenue par une violation de la Charte est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

[53]           M. Harkat demande l’exclusion des résumés de conversations sur le fondement du paragraphe 24(1) de la Charte et de la doctrine de l’abus de procédure. Bien que l’exclusion de la preuve soit habituellement fondée sur le paragraphe 24(2), elle peut également être accordée en application du paragraphe 24(1), mais seulement dans les « circonstances où il est impossible de concevoir une réparation moins draconienne pour sauvegarder l’équité du procès et l’intégrité du système de justice » (R. c. Bjelland, 2009 CSC 38, par 19 (Bjelland)). L’accusé doit ensuite prouver l’un de ces deux éléments : 1) le préjudice subi nuit à l’équité du procès, à savoir le procès est équitable tant du point de vue de l’accusé que de celui de la société; 2) l’admission de la preuve porterait atteinte à l’intégrité du système de justice (voir Bjelland, paragraphes 19, 22 et 23). La Cour se doit d’analyser l’exclusion de la preuve sous le prisme du paragraphe 24(1), tel que les soumissions écrites de Mr. Harkat l’indique. Toutefois, comme les deux parties l’ont abondamment fait dans leurs soumissions écrites, la Cour se réfèrera à certains principes jurisprudentiels issus du paragraphe 24(2), dans l’optique d’analyser de manière complète les prétentions de M. Harkat. Cette approche est également suivie dans le contexte de l’arrêt des procédures. Il est utile ici de rappeler le contenu de l’article 24 de la Charte :

Recours en cas d'atteinte aux droits et libertés

Enforcement of guaranteed rights and freedoms

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

24. (1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.

 

Irrecevabilité d'éléments de preuve qui risqueraient de déconsidérer l'administration de la justice

Exclusion of evidence bringing administration of justice into disrepute

 

(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

(2) Where, in proceedings under subsection (1), a court concludes that evidence was obtained in a manner that infringed or denied any rights or freedoms guaranteed by this Charter, the evidence shall be excluded if it is established that, having regard to all the circumstances, the admission of it in the proceedings would bring the administration of justice into disrepute.

 

En ce qui concerne l’arrêt des procédures

[54]           La Cour suprême a énoncé très clairement le critère applicable relatif à l’arrêt des procédures et les facteurs dont doit tenir compte le tribunal qui statue sur une requête en arrêt des procédures fondée sur le paragraphe 24 (1) lorsqu’il prend sa décision. Dans l’arrêt O’Connor, au paragraphe 68, la Cour suprême a conclu en ces termes :

Cependant, il importe de se rappeler que, même si une violation de l’art. 7 est établie selon la balance des probabilités, le tribunal doit quand même déterminer, en vertu du par. 24(1), quelle réparation est convenable et juste. Le pouvoir conféré au par. 24(1) est discrétionnaire, ce qui signifie qu’une violation de l’art. 7 ne donnera pas automatiquement lieu à un arrêt des procédures. En fait, je crois qu’un arrêt des procédures, à titre de réparation, n’est approprié en vertu du par. 24(1) que dans les cas les plus manifestes. Par conséquent, le test pour l’obtention d’un arrêt des procédures continue de relever des « cas les plus manifestes », tant en vertu de la Charte que de la doctrine de l’abus de procédure en common law.

 

[55]           Ainsi, l’arrêt des procédures n’est pas automatique lorsqu’il y a violation de la Charte. La norme applicable est celle des « cas les plus manifestes » où l’arrêt est justifié; l’arrêt des procédures est donc ordonné en dernier recours (Canada c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391 (Tobiass)). Dans tous les autres cas, la Cour peut accorder une mesure fondée sur le paragraphe 24(1) en vue de remédier à la violation de la Charte. Comme il a été mentionné plus tôt, la Cour suprême a reconnu que pour conclure à l’abus de procédure, il faut démontrer : (1) que le préjudice causé par l’abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue; et (2) qu’aucune autre mesure ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice (O’Connor, par. 75). À plusieurs reprises, on a expliqué en effet que «  forcer le prévenu à subir son procès violerait les principes de justice fondamentale qui sous-tendent le sens du franc-jeu et de la décence qu’a la société, ainsi que d’empêcher l’abus des procédures de la cour par une procédure oppressive ou vexatoire », et l’arrêt des procédures ne doit être ordonné que dans les cas les plus manifestes (voir par exemple R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880; R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 (« Blencoe »)). L’arrêt des procédures s’impose lorsque les procédures sont à ce point viciées que permettre la poursuite de la procédure compromettrait l’intégrité du tribunal (R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659). Ce critère relatif à l’arrêt des procédures provient du droit pénal et de la common law, mais est entièrement applicable au droit administratif (Blencoe, par. 120). Ce ne sont pas toutes les violations d’un droit garanti par la Charte qui constituent un abus de procédure : l’abus doit « avoir causé un préjudice réel d’une telle ampleur qu’il heurte le sens de la justice et de la décence du public » (Blencoe, par. 133).

 

[56]           Lorsque l’incertitude persiste quant à savoir si la conduite reprochée est suffisamment blâmable pour appeler l’arrêt des procédures, un troisième critère est utilisé : l’intérêt que représente pour la société une audience complète et une décision définitive sur le fond (R. c. Regan, 2002 CSC 12, par. 57 (« Regan »); Tobiass, par. 92). Cela comprend, comme les Ministres l’ont mentionné, le maintien d’une procédure d’immigration contre une personne accusée de crimes contre l’humanité (Lopes c. Canada (M.C.I.), 2010 CF 403). Dans l’arrêt Al Yamani c. Canada (M.C.I.), 2003 CAF 482, les allégations de terrorisme étaient considérées comme des plus graves, et leur gravité justifiait la continuation des procédures. De plus, une décision définitive quant à la validité des accusations de terrorisme sert l’intérêt supérieur de la société, comme il est clairement indiqué aux paragraphes 38 et 39 :

Les organisations terroristes sont par leur nature imprévisibles. L’existence de cellules dormantes est largement reconnue et le simple fait que quelqu’un vit d’une façon paisible au Canada depuis bien des années ne l’empêche pas de menacer la sécurité des Canadiens. Contrairement aux arguments de l’appelant, l’allégation selon laquelle une personne est un ancien membre d’une organisation terroriste est donc fort sérieuse. Par conséquent, la gravité des allégations milite en faveur de la continuation des procédures.

[...]

Enfin, l’appelant soutient qu’il faut [TRADUCTION] « tenir compte du contexte de l’affaire dans son ensemble » plutôt que de disséquer chaque argument individuellement. Je reconnais que certaines des questions soulevées par l’appelant pourraient, dans certains cas, étayer un argument fondé sur l’abus de procédure. Toutefois, dans le contexte de procédures concernant l’allégation selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que l’appelant est ou a été membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des actes de terrorisme, il existe pour la société un intérêt irrésistible à ce que soit rendu un jugement au fond.

 

[57]           En l’absence de violation de la Charte, la doctrine de l’abus de procédure peut quand même s’appliquer puisqu’elle est reconnue par la common law, même s’il tend à y avoir une forte convergence entre les deux (O’Connor; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, par. 36 (S.C.F.P.); États-Unis d’Amérique c. Shulman, 2001 CSC 21). La Cour suprême souligne, au paragraphe 70 de l’arrêt O’Connor, « qu’il n’y a pas lieu de maintenir de distinction entre les deux régimes, sauf, peut-être dans les cas où la Charte, pour quelque raison, ne s’appliquerait pas mais que les circonstances, elles, révéleraient un abus de procédure ». Essentiellement, l’abus de procédure est reconnu en common law, mais est en grande partie subsumé sous les principes de la Charte (Regan; S.C.F.P., par. 36).

 

[58]           Le pouvoir de la Cour de déclarer qu’il y a eu abus de procédure est « un pouvoir discrétionnaire résiduel inhérent », dont les juges disposent « pour empêcher les abus de procédure » (S.C.F.P., par. 35). En ce qui concerne la similarité des critères appliqués lorsque l’abus de procédure est examiné comme réparation relevant du paragraphe 24(1) de la Charte, la Cour suprême a souligné que l’arrêt  peut être ordonné lorsque le fait de forcer le prévenu à subir son procès violerait les principes de justice fondamentale qui sous-tendent le sens du franc-jeu et de la décence qu’a la société, et qu’il faut empêcher l’abus des procédures de la cour par une procédure oppressive ou vexatoire; l’arrêt des procédures ne doit être ordonné dans les cas les plus manifestes (R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128).

 

L’analyse

La destruction des enregistrements originaux des conversations, qui ont été résumées conformément à la politique du SCRS, justifie-t-elle d’exclure de la preuve les résumés selon la doctrine de l’abus de procédure et le paragraphe 24(1) de la Charte?

 

[59]           M. Harkat prétend que les résumés des conversations (voir la pièce M7 à l’annexe K) doivent être exclus de la preuve puisque les enregistrements originaux des conversations ont été détruits conformément à la politique OPS-217 du SCRS. La Cour suprême a déclaré que cette politique était inappropriée puisqu’à son avis, le SCRS est tenu de conserver les informations qu’il rassemble dans les limites prévues par la législation régissant ses activités (voir l’arrêt Charkaoui no 2, par. 2).

 

[60]           Les preuves publiques déposées par les Ministres comprennent les résumés des six entrevues entre M. Harkat et les agents du renseignement et les résumés des conversations auxquelles M. Harkat prenait part. Les notes des agents du renseignement et les enregistrements originaux des conversations ont été détruits après que des résumés eurent été préparés conformément à la politique du SCRS. Ces conversations mettent en scène les principales personnes liées à M. Harkat, que ce soit des personnes qu’il a rencontrées ou des membres de sa famille comme son père, son frère ou sa fiancée algérienne et sa mère. M. Harkat ne demande que l’exclusion de la preuve de ces résumés de conversations. Il ne demande pas l’exclusion des résumés des six entrevues avec les agents du renseignement.

 

[61]           Afin de comprendre ce que la demande de M. Harkat vise à exclure, il est important de citer les résumés des conversations de la façon dont ils ont été communiqués à M. Harkat. Les résumés des conversations sont les suivants :

[traduction]

 

1) En septembre 1996, HARKAT a discuté de la date et de l’heure de l’arrivée d’une personne, qui serait Mohammed Aissa Triki (également appelé Wael) à l’aéroport de Montréal. HARKAT a donné des conseils à Triki sur son processus d’immigration au Canada : HARKAT lui a conseillé de donner son récit sans le changer et de ne pas mentir, et de lui téléphoner lorsqu’il aurait quitté l’aéroport. HARKAT viendrait le chercher. HARKAT a également dit à Triki que l’entrevue à l’aéroport serait brève et qu’il devrait fournir aux personnes qui donnent l’entrevue des photocopies de ses documents, mais conserver les documents originaux en vue de les remettre à son avocat. HARKAT a aussi conseillé à Triki de nier connaître des personnes au Canada. Triki a demandé à HARKAT de ne pas informer « les gars de Peshawar » de son arrivée.

 

2) En septembre 1996, HARKAT a reçu un message de Wael, également appelé Mohammed Aissa Triki, indiquant que ce dernier pouvait être joint à un hôtel à Montréal.

 

3) En septembre 1996, Wael (également appelé Mohamed Aissa Triki) a avisé HARKAT qu’il était installé à un hôtel à Montréal. Wael et HARKAT ont discuté de la question de savoir si ce dernier irait chercher Wael à Montréal. Si HARKAT n’était pas libre, un ami de Wael à Toronto lui a offert d’aller le chercher. Wael prévoyait rester à Ottawa, voir « les gars » et peut-être aller ensuite à Toronto. Wael a indiqué qu’il prendrait l’autobus et a demandé à HARKAT de l’attendre à la station d’autobus à Ottawa. HARKAT a dit qu’il enverrait un ami chercher Wael, et cet ami conduirait Wael à la maison de HARKAT. HARKAT rencontrerait Wael à la maison plus tard ce jour-là. Plus tard, un ami a avisé HARKAT que Wael était arrivé à Ottawa. HARKAT a demandé à cet ami de conduire Wael chez lui.

 

4) En novembre 1996, Al Shehre a parlé à HARKAT depuis Londres, au Royaume-Uni. Al Shehre a appelé HARKAT « Abu Muslim » et lui a demandé comment les « frères » se portaient. Quand Al Shehre a dit que HARKAT pourrait se souvenir de lui comme étant « Abu Messab Al Shehre de Babi », HARKAT, qui s’était identifié en tant que Mohamed, a rapidement dit qu’Abu Muslim n’était pas là. Quand Al Shehre lui a demandé où se trouvait Abu Muslim, HARKAT a répondu qu’il ne le savait pas et qu’il ne savait pas non plus quand il serait de retour.

 

5) En novembre 1996, HARKAT a reçu les excuses d’Abu Messab Al Shehre pour avoir utilisé son alias, Abu Muslim. HARKAT essayait d’éviter d’être appelé Abu Muslim.

 

6) En février 1997, HARKAT a communiqué avec Hadje Wazir, et il a dit s’appeler « Muslim » du Canada. HARKAT a par la suite posé des questions au sujet de Khattab ou de l’un ou l’autre de ses « hommes ». Hadje Wazir n’avait pas vu Khattab depuis quelque temps mais avait vu ses « hommes ». HARKAT a également posé des questions sur Wael, également appelé Mohamed Aissa Triki. HARKAT lui a donné son numéro de téléphone et a demandé que l’on fournisse son numéro de téléphone à Wael et « à tout autre frère qui se présente au commerce de Wazir pour effectuer des transactions ». HARKAT avait également l’habitude d’effectuer des « transactions » au commerce de Hadje Wazir. On pourrait également fournir le numéro de téléphone de HARKAT à Abu Baseer, qui avait également l’habitude de visiter le centre de Hadje Wazir pour faire des transactions. Hadje Wazir n’avait pas vu Abu Baseer depuis quelque temps mais voyait régulièrement Abu Mazen et Abu Maher. HARKAT était satisfait de cette nouvelle et a demandé le numéro de téléphone d’Abu Maher. Hadje Wazir a promis de faire en sorte qu’Abu Maher communique avec HARKAT. HARKAT a également posé des questions sur Al Dahhak et Dr Abdelsamad. De plus, HARKAT a demandé le numéro de téléphone de Wael. Le numéro de téléphone cellulaire de Wael ne se trouvait pas « sur la liste » de Hadje Wazir.

 

7) En mars 1997, HARKAT a fait savoir qu’Ahmed Khadr était à Ottawa. HARKAT l’avait rencontré au commerce et le rencontrerait de nouveau le lundi suivant.

 

8) En mars 1997, HARKAT a discuté de certains arrangements financiers avec une connaissance à Ottawa, qui a affirmé avoir communiqué avec Abu Zubaydah à « l’endroit » (probablement un pays) où HARKAT « se trouvait avant ». Abu Zubaydah voulait que HARKAT l’aide à payer les frais juridiques d’Abu Messab Al Shehre et il lui a demandé s’il pourrait fournir 1 000 $. HARKAT a répondu qu’il était prêt à payer cette somme si Abu Zubaydah communiquait avec lui. Lorsqu’on lui a demandé s’il ne craignait pas qu’Abu Zubaydah l’appelle à la maison, HARKAT a répondu par la négative et il a affirmé qu’il le connaissait personnellement.

 

9) En août 1997, HARKAT a obtenu le numéro de téléphone d’Al Dahak et de Zuhair. HARKAT a également discuté du fait que le centre Ad Daawah Center avait invité tous les musulmans à acheter de l’essence à Mohamed, le Marocain. HARKAT a fait savoir qu’il avait dépensé les 30 000 dollars qu’il avait mis de côté. Il avait l’intention de se rendre où Hadje Wazir résidait, et de lui demander de l’argent. HARKAT pouvait facilement obtenir de l’argent de Hadje Wazir.

 

10) En novembre 1997, deux individus (1 et 2) ont discuté de la façon dont HARKAT s’était éloigné de l’Islam. HARKAT était un musulman pratiquant qui est devenu dépendant du jeu et habitué à la vie occidentale. L’individu 2 a souligné que HARKAT avait vécu au Pakistan. Lorsque l’individu 1 a demandé si HARKAT faisait partie de l’Al Gamaa Al Islamiya (AGAI), au Pakistan, l’individu 2 a répondu que HARKAT était « l’un des leurs », mais qu’on ne lui demandait pas de faire de « grandes choses » en raison du problème qu’il éprouvait à une jambe.

 

11) En janvier 1998, deux connaissances de HARKAT ont eu une discussion au sujet de ce dernier. Lorsqu’une des deux connaissances a demandé où se trouvait Abu Muslim, l’autre personne lui a dit d’ignorer HARKAT puisqu’il fréquentait le casino et les discothèques et qu’il consommait de l’alcool. Une de ces personnes a dit à l’autre de demander aux relations de HARKAT en Arabie saoudite d’arrêter de lui virer de l’argent puisqu’« il (HARKAT) avait changé radicalement », et que l’argent qu’il recevait n’était pas utilisé convenablement. Une de ces personnes a demandé à l’autre de dissimuler l’histoire de HARKAT et a dit qu’elle tenterait de ramener HARKAT à la foi islamique.

 

12) En février 1998, HARKAT a déclaré à Fahad Al Shehri qu’il devait se faire « discret » parce qu’il fallait qu’il obtienne son statut au Canada. HARKAT a mentionné qu’il avait au moins été en mesure d’envoyer un ami à la prison afin de visiter et d’aider Al Shehri. HARKAT a dit à Al Shehri que dès que son statut allait lui être accordé, il serait « prêt ». HARKAT a fait savoir qu’il n’avait pas pu dire ce qu’il voulait dire.

En février 1998, HARKAT a discuté de son dossier relatif à l’immigration avec Al Shehri. Les problèmes de HARKAT avec l’Immigration ont commencé à la suite de la visite d’Al Shehri au Canada et de la confirmation que HARKAT et Al Shehri étaient associés. HARKAT a demandé à Al Shehri de lui envoyer 1 500 dollars afin de payer les honoraires d’avocat relatifs à sa demande d’immigration. Al Shehri a promis d’envoyer l’argent dès que possible. HARKAT a demandé à Al Shehri d’obtenir l’argent auprès du « groupe » s’il ne pouvait l’obtenir par lui-même.

 

13) En septembre 1998, une connaissance de HARKAT lui a dit qu’un enquêteur de sexe féminin du SCRS l’avait interrogée en rapport à la nationalité de HARKAT, ses activités antérieures en Afghanistan et au Pakistan, et sa relation avec les membres de la communauté algérienne d’Ottawa. Cette personne a dit à l’enquêteur du SCRS que HARKAT était Algérien de la province de Tirat (sic) et que HARKAT était connu des Algériens en tant que Mohamed, le Tiarti. HARKAT a indiqué que le SCRS avait enquêté sur lui auprès de bien des membres de la communauté algérienne d’Ottawa et qu’il le surveillait en raison d’informations contradictoires que le SCRS avait obtenues à son sujet. HARKAT a fait savoir qu’il avait été questionné par le SCRS par rapport à des surnoms possibles et à la question de savoir s’il était entré au Canada grâce à un faux passeport. Il a ajouté qu’il avait tenté de dire la vérité au SCRS mais que selon lui, les agents du SCRS ne l’écoutaient pas. HARKAT a dit aux agents du SCRS qu’ils pouvaient faire une enquête à son sujet auprès du gouvernement de l’Algérie. HARKAT a également fait l’observation selon laquelle si le SCRS avait de forts éléments de preuve contre lui, il aurait déjà été expulsé du Canada.

 

14) Le 12 mars 2009 – En mai 2001, Harkat a parlé avec son frère Badrani, qui se trouvait en Algérie. Harkat a réprimandé Badrani parce qu’il a donné de l’argent à un Algérien qui lui avait promis de lui fournir les documents d’immigration moyennant 385. Harkat a expliqué à son frère qu’il s’agissait d’un stratagème en vue de soutirer de l’argent aux gens naïfs. Harkat a dit qu’il connaissait des gens mariés au Canada qui ne pouvaient toujours pas obtenir de statut au Canada, alors comment pourrait-on croire qu’il serait possible pour un Algérien peu instruit comme Badrani d’obtenir des documents d’immigration au Canada? Harkat était en colère et a dit à Badrani de ne pas gaspiller l’argent qu’il lui avait envoyé de cette façon. Harkat a alors parlé à sa mère et lui a dit qu’il avait envoyé 40 millions. Harkat a parlé de nouveau à son frère Badrani et lui a demandé de lui envoyer une copie de son casier judiciaire et de laisser tomber l’idée de venir au Canada. Badrani a promis qu’il se pencherait sur la question. Harkat a ensuite parlé à sa sœur Jamaa et lui a dit qu’il n’avait pas été blessé lors de l’accident de voiture qu’il a subi, mais qu’il avait perdu son emploi. Harkat a dit à Jamaa qu’il consultait souvent les sites Web algériens et qu’il était au courant de ce qui se passait en Algérie.

 

15) En mai 2001, Harkat a dit à un ami que l’imam ne lui avait jamais envoyé les documents d’enregistrement pour son mariage. Harkat a dit qu’il avait besoin des preuves relatives à son mariage parce qu’il rencontrait son avocat afin d’annuler sa demande d’asile et de la remplacer par une procédure d’immigration fondée sur le mariage. Harkat a expliqué qu’il avait besoin de ces documents parce que son père avait 80 ans et était malade. Harkat et son ami ont convenu de visiter l’imam plus tard ce soir-là.

 

16) En juin 2001, Harkat a parlé avec une amie, qui lui a dit qu’elle devrait présenter une nouvelle demande d’immigration dans les deux mois suivants ou quitter le Canada, à moins que son frère ne les parraine, elle et sa famille. Harkat a dit que le frère de cette amie n’avait pas encore reçu ses propres documents d’immigration. L’amie a dit que le dossier d’immigration de son frère avait été bloqué par le SCRS et a ajouté qu’elle ne devrait pas en parler et que le SCRS était à la recherche de certaines personnes. Harkat a suggéré qu’elle devrait se marier, ce à quoi elle a répondu que son frère avait demandé à un de ses amis s’il voulait épouser sa sœur moyennant une somme d’argent. Harkat a dit à son amie qu’il ne pouvait plus la voir parce qu’il ne voulait pas créer d’autres problèmes en vue de son mariage. Harkat a dit qu’il aimerait discuter avec elle et lui a suggéré de l’appeler lorsqu’il aurait fini sa journée de travail.

 

17) En juin 2001, Harkat a parlé avec Badrani, qui se trouvait en Algérie, et lui a demandé de lui trouver une maison en Algérie qu’il pourrait acheter. Harkat a affirmé qu’il irait bientôt en Algérie. Harkat a parlé à son père et lui a demandé des nouvelles concernant la situation politique et économique en Algérie. Son père lui a dit que la situation était très calme. Harkat lui a mentionné qu’il pensait se rendre en Algérie au cours des deux prochains mois.

 

18) En mai 2001, HARKAT a eu une conversation avec sa fiancée Khaira Abdel Khader et sa mère Yamina, qui se trouvaient en Algérie. HARKAT a affirmé qu’il attendait toujours une copie de son dossier judiciaire et qu’une fois qu’il l’aurait reçue, il pourrait préparer ses documents en vue d’aller en Algérie afin d’épouser Khaira. Khaira a dit à HARKAT qu’elle n’était pas capable de réussir son baccalauréat et a demandé à HARKAT de lui envoyer 500 000 pour qu’elle puisse acheter le baccalauréat.

 

19) En mai 2001, au cours d’une autre conversation avec Khaira Abdel Khader et sa mère Yamina, qui se trouvaient en Algérie, Yamina a suggéré à HARKAT d’acheter une maison. HARKAT a affirmé qu’il pensait envoyer de l’argent en Algérie de façon à ce que lorsqu’il arriverait, il aurait assez d’argent pour acheter une maison. HARKAT a expliqué qu’il bénéficiait de l’assurance-emploi pendant une période six mois et qu’il ne travaillerait pas tant que ses documents ne seraient pas prêts. HARKAT a ajouté qu’une fois que ses documents seraient prêts, avant la fin de l’année, il se rendrait en Algérie pour s’y marier.

 

20) En juin 2001, dans une autre conversation avec sa fiancée Khadija (autre nom pour Khaira Abdel Khader) et sa mère Yamina, qui se trouvaient en Algérie (sic), HARKAT a dit à Yamina que s’il ne recevait pas de réponse concernant ses documents, il se rendrait en Algérie, où il achèterait une maison et demeurerait pendant six mois. HARKAT a expliqué à Khadija qu’il ne comprenait pas pourquoi les choses ne fonctionnaient pour lui, et que son avocat lui avait dit qu’il avait de la malchance puisqu’une personne paresseuse s’occupait de son dossier. HARKAT a ajouté que son avocat faisait tout en son possible pour régler le problème. En réponse à Khadija, HARKAT a dit qu’il ne pensait pas l’emmener au Canada pour y vivre avec lui. Khadija a affirmé qu’elle aimerait vivre au Canada, mais HARKAT a expliqué qu’il aimerait qu’elle demeure en Algérie afin d’élever leurs futurs enfants.

 

(Voir la pièce M7 à l’annexe K)

 

[62]           M. Harkat demande à la Cour d’exclure tous les 20 résumés des conversations, y compris les résumés des conversations avec des membres de sa famille (conversations 14 à 20). Toutefois, il a admis avoir eu des conversations avec des membres de sa famille, et il n’était pas en désaccord avec le contenu des résumés de ces conversations (voir Transcription des débats judiciaires, vol. 15 (5 févr. 2010), 41). En ce qui concerne les autres résumés des conversations, il rejette bon nombre de ceux-ci (voir K5, K6, K7, K8, K9 et K12 et les observations écrites des avocats publics, à l’annexe B); il reconnaît qu’il est possible qu’il ait eu d’autres conversations (K1, K3, K4, K13), mais les a mises en contexte. Il rejetait  également les propos tenus par deux connaissances à son sujet (K10) et a apporté des nuances à d’autres conversations (K1, K2).

 

[63]           Les enregistrements originaux des conversations ont été détruits une fois qu’ils ont été transcrits dans un rapport conformément à la politique OPS-217 du SCRS. Cette politique a été invoquée par le SCRS en réponse à ce qu’il considérait comme étant l’exigence applicable prévue par la loi (article 12 de la Loi sur le SCRS), en ce qui concerne l’utilisation et la conservation des notes opérationnelles. La politique visait les notes opérationnelles, les notes manuscrites et les enregistrements audio et vidéo. La politique précisait que les notes opérationnelles étaient temporaires par leur nature, et qu’elles devaient être détruites une fois transcrites dans un rapport (voir Charkaoui no 2, par. 29 et suivants). Les résumés des conversations ont été préparés en conséquence, et font partie des rapports préparés par les agents du renseignement conformément à d’autres politiques du SCRS aux fins de la communication dans le cadre de la présente instance. Les résumés des conversations ont été tirés de ces rapports, lesquels porteraient atteinte à la sécurité nationale s’ils étaient divulgués. Comme il a été souligné plus tôt, dans l’arrêt Charkaoui no 2 (par. 64), la Cour suprême a invalidé la politique OPS-217 au motif que le SCRS doit conserver les notes opérationnelles aux fins de la communication aux Ministres, au tribunal et aux avocats spéciaux au moment de la délivrance de certificats de sécurité. Il incombe alors au juge désigné, avec l’aide des avocats des Ministres et des avocats spéciaux, de communiquer les renseignements non protégés à la personne visée sans porter atteinte à la sécurité nationale ou mettre en danger la sécurité de toute personne.

 

[64]           Par conséquent, à ce moment, la destruction des originaux a été exécutée conformément à la politique du SCRS une fois seulement qu’un rapport a été établi, assurant ainsi la conservation de l’information. Cette destruction n’a pas été effectuée avec quelque intention malveillante que ce soit.

 

[65]           John, l’agent du renseignement qui a témoigné publiquement à l’appui des allégations des Ministres contre M. Harkat, a expliqué le processus suivi par le personnel du SCRS en vue de veiller à la qualité des résumés des enregistrements audio. Des éléments de preuve ont également été produits à ce sujet lors des audiences à huis clos.

 

[66]           J’ai examiné tous les renseignements confidentiels à l’appui des allégations et j’ai pris connaissance des faits entourant la vie de M. Harkat à cette époque; je constate que chaque résumé de conversation, y compris celles avec sa famille ou sa fiancée, est appuyé par des preuves, qu’elles soient publiques ou confidentielles, qui appuient à leur tour le contenu de ces résumés. Il est révélateur que les personnes qui ont participé à ces conversations soient rattachées à la vie passée de M. Harkat et le contenu des conversations porte sur les faits réels de son passé. Les résumés reflètent correctement la vie de M. Harkat à cette époque, et par conséquent, je les trouve dignes de foi.

 

[67]           Les résumés ont été rédigés de façon à fournir à M. Harkat le plus de renseignements possible à l’appui des allégations portées contre lui. Ils lui permettent de mieux comprendre la preuve produite contre lui et d’y répondre s’il le souhaite. Dans la plupart des cas, il a démenti avoir eu ces conversations.

 

[68]           Comme il a été mentionné dans l’arrêt R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680 (« R. c. La »), il n’existe pas de droit absolu à la production des documents originaux, mais la disparition de documents pertinents qui ont déjà été disponibles appelle une explication adéquate. Tel était le cas en l’espèce. Dans le cas où les documents originaux ne sont plus disponibles, nous devons établir si l’absence de ces documents originaux a empêché la personne visée de présenter une défense pleine et entière, et si les circonstances décrites violent les principes de justice fondamentale qui reflètent le sens du franc-jeu et de la décence qu’a la société et portent préjudice à l’intégrité du système judiciaire. Si tel est le cas, la violation de l’article 7 est été démontrée et une mesure fondée sur le paragraphe 24(1) sera accordée.

 

[69]           En l’espèce, les documents originaux ont été résumés dans le cadre de rapports confidentiels, à partir desquels les résumés des conversations ont été préparés et communiqués à M. Harkat. La communication de ces résumés a eu pour effet de fournir à M. Harkat des renseignements supplémentaires pour sa défense pleine et entière. De plus, la perte des enregistrements originaux des conversations ne découlait pas d’une intention malhonnête visant la destruction d’éléments de preuve valides, mais était plutôt le résultat de l’application de la politique du SCRS.

 

[70]            Les renseignements communiqués à M. Harkat en raison, en partie, de l’intervention des avocats spéciaux chargés de défendre ses intérêts lors des audiences à huis clos, lui ont donné un meilleur accès aux renseignements que le SCRS avait recueillis à son sujet. Grâce au travail constant de toutes les personnes concernées, une grande quantité de renseignements a été communiquée à M. Harkat et à ses avocats.

 

[71]           M. Harkat soutient que les enregistrements originaux de ces conversations lui auraient permis de les contester au motif d’une erreur d’identification de la voix, d’une traduction inexacte, etc. Rien ne prouve que ces contestations auraient abouties. Au contraire, les éléments de preuve produits lors des audiences publiques et à huis clos appuient les faits et le fond de ces résumés.

 

[72]           Comme il a été mentionné plus tôt, depuis l’arrêt O’Connor, l’arrêt des procédures peut être ordonné si le préjudice causé par l’abus allégué sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue et qu’aucune autre mesure ne peut être accordée. Comme les résumés et les renseignements fournis à M. Harkat le montrent, le préjudice allégué, même si on conclut à son existence (ce qui à mon avis est douteux), ne serait pas perpétué ou aggravé par la poursuite de l’instance. En fait, l’instance a abouti à l’octroi de mesures additionnelles. M. Harkat a incontestablement bénéficié d’une communication très élargie. De plus, ses avocats spéciaux ont apprécié la preuve secrète en vue de défendre ses intérêts.

 

[73]           Dans les arrêts Grant et Bjelland, la Cour suprême a clairement démontré un intérêt à veiller à ce que l’administration de la justice et l’intégrité du système de justice soient protégées. Selon la gravité de la violation de la Charte, la réparation doit être telle que la bonne administration de la justice prévale. La mesure choisie doit faire en sorte que le procès soit juste, tant du point de l’accusé que de celui de la société.

 

[74]           Qu’on l’envisage sous l’angle de « l’intégrité du système de justice » ou de celui de la « déconsidération de l’administration de la justice », il est évident qu’il faut tenir compte des répercussions de l’admission ou de l’exclusion de la preuve au regard de la considération dont jouit le système judiciaire. Ainsi, les circonstances de l’espèce n’indiquent pas qu’il y a eu abus de procédure, ni que M. Harkat a subi un préjudice. La destruction des documents originaux ou l’admission de la preuve tirée de documents détruits n’ont pas eu d’incidence sur l’équité du procès, du point de vue du demandeur et de celui de la société. Comme l’impose l’arrêt Bjelland, la Cour doit rechercher si une mesure moins draconienne pourrait être accordée. En l’espèce, des mesures ont en effet été accordées, conformément à l’arrêt Charkaoui no 2, et la Cour a rendu les ordonnances de communication.

 

[75]           Comme il a été démontré, de l’information importante a été dévoilée par l’entremise de résumés, et bien que les documents originaux aient été détruits, cette destruction faisait suite à un effort de conservation du contenu. Il est important de rappeler les conclusions de la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui no 2, au paragraphe 77, en ce qui concerne l’admission de documents dont les sources ont été détruites :

Il est par conséquent prématuré à ce stade des procédures pour la Cour de déterminer quel est l’impact de la destruction des notes sur la fiabilité de la preuve produite. Ceci pourra être évalué par le juge désigné, qui disposera de l’ensemble de la preuve et qui pourra assigner et interroger les témoins qui ont consigné les notes d’entrevues. Si le juge désigné conclut qu’il y a une base raisonnable au soutien du certificat de sécurité, mais que la destruction des notes a eu un impact préjudiciable, il se penchera alors sur le droit à réparation de M. Charkaoui. (non souligné dans l’original)

 

[76]           Par conséquent, dans l’exécution de son office, la Cour n’exclura pas de la preuve les résumés des conversations pour les motifs mentionnés ci-dessus. Il est également dans l’intérêt supérieur de la justice, qui inclut un intérêt sociétal supérieur, qu’il soit statué sur la présente affaire de certificat en fonction de l’ensemble de la preuve produite. En raison de la communication des résumés des conversations, M. Harkat était en mesure de mieux comprendre la preuve produite contre lui et d’y répondre. La destruction des enregistrements originaux des conversations remplacés par les résumés des conversations n’a pas causé de préjudice constituant une violation de la Charte au regard de la doctrine de l’abus de procédure. Rien n’appelle une mesure fondée sur l’article 24 de la Charte.

Les faits ou les restrictions suivants, cumulativement, équivalent-ils à un abus de procédure qui appellent l’arrêt des procédures?

            La destruction des documents originaux par le SCRS conformément à la politique OPS-217 porte-t-elle atteinte au droit de M. Harkat à la communication?

[77]           Pour les raisons mentionnées ci-dessus concernant l’exclusion de la preuve des résumés des conversations, le droit de M. Harkat à la divulgation n’a pas été méconnu. De plus, je réfère aux décisions Harkat (Re), 2010 CF 1241 et Harkat (Re), 2010 CF 1242, dans lesquelles le nouveau processus de communication, auquel les avocats spéciaux participent, est expliqué en détail. J’aimerais faire des observations supplémentaires.

 

[78]           M. Harkat soutient qu’« [traduction] il pourrait être impossible »  de mettre sur pied un mécanisme procédural qui permette la communication d’une quantité suffisante de documents, et assurant que la personne visée soit adéquatement informée de la preuve produite contre elle et capable d’y répondre, en raison d’exigences relatives à la sécurité nationale. Comme il peut être constaté en fonction des textes législatifs actuels, le législateur a adopté un processus de communication qui aide la personne visée à connaître la preuve produite contre elle et à y répondre.

 

[79]           Des éléments de preuve substantiels et pertinents ont été communiqués à M. Harkat, ce qui lui a permis d’être informé de la preuve produite contre lui. Les soumissions présentées en vue de réfuter les allégations montrent qu’il a été informé de façon satisfaisante. L’examen de son témoignage est également instructif en ce sens.

 

[80]           Pour donner une idée claire des allégations présentées et d’une partie de la preuve communiquée à M. Harkat, il est utile de signaler certains éléments qui ont été divulgués.

 

[81]     Le certificat de sécurité est appuyé par un rapport secret en matière de sécurité à partir duquel a été produit un rapport public en matière de sécurité (pièce M5) qui a été déposé le 22 février 2008 et fourni à M. Harkat. Il était possible de consulter cette pièce lorsque les deux avocats spéciaux ont été nommés, et M. Harkat et ses avocats publics ont disposé d’un mois pour en discuter avant qu’on ne communique les renseignements classifiés aux avocats spéciaux. À ce stade, ces derniers ont dû demander l’autorisation à la Cour de communiquer parce qu’ils avaient obtenu l’accès au rapport secret en matière de sécurité. Un rapport public révisé en matière de sécurité (le RPRS – pièce M7) a été fourni le 6 février 2009; il a été produit au terme d’un processus continu d’examen des renseignements classifiés effectué lors des audiences à huis clos auquel ont participé toutes les parties et qui a permis la communication de renseignements supplémentaires. De façon générale, il est allégué dans le RPRS que M. Harkat, avant et après son arrivée au Canada, s’était livré au terrorisme en soutenant des activités terroristes en tant que membre d’une organisation terroriste connue sous l’appellation Réseau ben Laden (le RBL). Les allégations et la preuve des Ministres sont les suivantes :

[traduction]

 

a)         Avant son arrivée au Canada en octobre 1995, Harkat était un membre actif du Réseau ben Laden et était lié à des individus que l’on croyait appartenir à ce réseau. Il a menti au sujet de ses activités au Pakistan : il a caché aux autorités canadiennes le soutien qu’il a apporté à des organisations extrémistes islamiques;

 

b)         En Algérie, Harkat était membre du Front Islamique du Salut (le FIS), un parti politique licite à cette époque. Harkat a reconnu qu’il appuie le FIS depuis 1989. Après avoir été déclaré illégal en 1992, le FIS a mis sur pied une branche militaire, l’Armée islamique du salut, qui a adopté une doctrine prônant la violence politique, et elle était liée au Groupe islamique armé (le GIA). Le GIA appuyait une doctrine fondée sur la perpétration d’actes de violence immoraux et aveugles dont même les civils étaient la cible. Lorsque le FIS a coupé les ponts avec le GIA, Harkat a fait savoir qu’il était loyal au GIA. La décision de Harkat de se ranger du côté du GIA révèle qu’il est en faveur du recours à la violence terroriste;

 

c)         Harkat était lié à Ibn Khattab;

 

d)         L’Algérien Mohammad Adnani (alias Harkat), un ancien soldat en Afghanistan, était membre d’une organisation terroriste égyptienne, soit Al Gamaa al Islamiya (l’AGAI);

 

e)         Après son arrivée au Canada, Harkat s’est livré à des activités au nom du Réseau ben Laden en utilisant des méthodes typiques des agents dormants;

 

f)          À l’appui de leurs activités clandestines, les membres du Réseau ben Laden ont recours à de faux documents. Lorsque Harkat est arrivé au Canada, il avait deux passeports en sa possession, un passeport saoudien et un passeport algérien. Le passeport saoudien, qui était au nom de Mohammed S. Al Qahtani, a été vérifié et déclaré faux. Il a été conclu que les passeports saoudiens sont les passeports les plus utilisés par les extrémistes musulmans qui sont entrés au Canada avant 2002 : les détenteurs de passeport saoudien n’ont pas besoin de visa pour entrer au Canada;

 

g)         Harkat a employé des pseudonymes tels que Mohammed M. Mohammed S. Al Qahtani Abu Muslim, Abu Muslima, Mohammad Adnani, Mohamed Adnani, Abu Muslim, Mohammed Harkat et Mohamed – le Tiarti, et les a gardés secrets afin de cacher son identité et de dissimuler ses véritables activités au nom du Réseau ben Laden;

 

h)         Harkat est resté discret parce qu’il devait obtenir un statut au Canada, après quoi il serait « prêt ». Il était un agent dormant entré au Canada pour s’établir dans la collectivité afin de mener des activités clandestines à l’appui de l’extrémisme islamique;

 

i)          Harkat a eu recours à des techniques de sécurité et il était au fait des questions de sécurité parce qu’il a pris de très grandes précautions pour ne pas être repéré;

 

j)          Harkat a tenu secrètes ses allées et venues précédentes, y compris le temps qu’il a passé en Afghanistan. Il a également dissimulé ses liens avec des extrémistes islamistes, notamment ses liens avec des personnes au Canada, en partie pour se dissocier des individus ou des groupes qui auraient pu appuyer le terrorisme;

 

k)         Harkat a maintenu ses liens avec la structure financière du Réseau ben Laden et a dissimulé ces liens. Il avait accès à de l’argent provenant du Réseau ben Laden et en a reçu, conservé ou investi au Canada. Il a également des liens avec Hadje Wazir, un banquier qu’il a connu au Pakistan et que l’on croit être Pacha Wazir, une personne participant au financement du terrorisme au moyen de transactions financières pour Ibn Khattab et le Réseau ben Laden;

 

l)          Harkat a aidé des extrémistes islamistes au Canada, a facilité leur entrée au Canada et a gardé secrètes leurs activités. Harkat a donné des conseils à Wael (alias Mohammed Aissa Triki) sur son processus d’immigration au Canada et il lui a notamment conseillé de nier connaître des personnes vivant au Canada et de communiquer avec lui au terme de son processus d’immigration. Harkat a parlé à Abu Messab Al Shehre pendant qu’il était à Londres, au Royaume‑Uni. Al Shehre a été fouillé à son arrivée au Canada et il était en possession de divers documents (c.‑à‑d. une liste d’achat de munitions et d’armes) et de divers articles (c.‑à‑d. des armes ou des parties d’armes), y compris un bandeau habituellement porté par des extrémistes islamistes lorsqu’ils sont au combat et que l’on croyait être couvert de versets du Coran. Al Shehre a été détenu et Harkat lui a rendu visite en prison, mais Harkat a nié l’avoir rencontré auparavant;

 

m)        Harkat a communiqué avec de nombreux extrémistes islamiques à l’étranger, notamment les membres du Réseau ben Laden, et d’autres extrémistes islamistes, dont Ahmed Said Khadr et Abu Zubaydah.

 

 

[82]     Les annexes du RPRS renferment une brève description d’organisations ou de personnes comme Al‑Qaïda, le Groupe Islamique Armé (GIA), Ibn Khattab et Ahmed Said Khadr. Elles touchent également 6 résumés du SCRS portant sur des entrevues de M. Harkat tenues entre le 1er mai 1997 et le 14 septembre 2001 ainsi que 13 résumés de conversations (les conversations K) (voir le paragraphe 61 des présents motifs). Ces résumés de conversations portent sur M. Harkat : soit il participait à la conversation, soit il en était l’objet, et les conversations avaient eu lieu entre septembre 1996 et septembre 1998. Les Ministres les invoquent à l’appui de leurs allégations. De tels éléments d’information n’avaient jamais été divulgués auparavant. Le contenu de ces conversations a été soigneusement énoncé en fonction du cahier de renseignements du SCRS et a été déposé en tant que pièce. C’est grâce aux avocats qui ont participé aux audiences à huis clos que cette communication a été possible. Enfin, le RPRS renferme également des renseignements publics qui ont été invoqués et des documents d’immigration portant sur M. Harkat. Ce type d’éléments de preuve révèle l’opinion que les Ministres ont de la situation de M. Harkat.

 

[83]     Par suite des examens continus des renseignements classifiés ayant eu lieu pendant les audiences à huis clos, des allégations factuelles et des éléments de preuve plus précis ont été fournis à M. Harkat et déposés publiquement le 23 avril 2009 (voir la pièce M10) :

                        [traduction]

 

            a)         Harkat dirigeait un [traduction] « lieu d’hébergement » en banlieue de Peshawar, au Pakistan. Des renseignements donnent à penser que le lieu d’hébergement pourrait être lié à Ibn Khattab et avoir été utilisé par des moudjahidines qui se rendaient dans des camps de formation en Afghanistan ou qui en revenaient avec l’aide de Harkat;

 

            b)         Des renseignements révèlent que Harkat avait accès à de l’argent lorsqu’il en avait besoin. Après son arrivée au Canada, Harkat a reçu de l’argent de personnes à l’étranger;

 

            c)         Des renseignements montrent que Harkat a travaillé pour la même organisation qu’Ahmed Said Khadr (Human Concern International) et qu’il connaissait Khadr avant de venir au Canada. En outre, des renseignements donnent à penser que l’on a confié à Harkat des tâches précises à accomplir pour aider Khadr.

 

[84]     Les avocats spéciaux ont soutenu que de tels renseignements devaient être communiqués afin que M. Harkat soit adéquatement informé. La préparation de documents sur la base de renseignements sensibles a permis cette communication. Le 10 février 2009, les Ministres ont déposé un rapport secret supplémentaire en matière de sécurité à partir duquel a été produit un rapport public supplémentaire en matière de sécurité (pièce M11), dans lequel ils alléguaient ce qui suit :

[traduction]

a)         De 1994 à 1995, Abu Muslim (alias Harkat) était un djihadiste actif à Peshawar et travaillait pour Ibn Al Khattab, et non Al-Qaïda, pour qui il faisait des courses et était chauffeur;

 

b)         De 1994 à 1995, Dahhak était l’un des amis de HARKAT. En février 1997, HARKAT a communiqué avec une personne au Pakistan qu’il a appelée Hadje Wazir. HARKAT a dit s’appeler « Muslim » du Canada, et a demandé à Wazir s’il connaissait Al Dahhak, ce à quoi Wazir a répondu par la négative. On croit que les noms Dahhak, Al Dahhak et Abu Dahhak (alias Ali Saleh Husain) désignent la même personne, et que cette personne est liée à Al-Qaïda;

 

c)         Pendant qu’il était au Pakistan, il était reconnu que HARKAT avait les cheveux aux épaules et boitait visiblement.

           

[85]     Ces renseignements ont été rendus publics par suite de nombreuses demandes présentées par les avocats spéciaux et, en définitive, avec la collaboration des avocats des Ministres. À la suite de l’examen des dossiers secrets effectué en raison de la communication imposée par l’arrêt Charkaoui no 2, des renseignements plus précis ont été communiqués à M. Harkat :

                        [traduction]

1996

                        Communication avec Mohammed Aissa Triki

En septembre 1996, Harkat a discuté avec des connaissances de la visite prochaine de son ami tunisien Wael au Canada, qui a utilisé le nom de Mohammed Issa pour sa visite au Canada. (On croit que Wael est Mohammed Aissa Triki). Harkat a donné des conseils à « Wael » sur son processus d’immigration au Canada. Harkat a conseillé à Triki de donner son récit sans le changer et de ne pas mentir. Puis Harkat a conseillé à Triki de nier connaître des personnes au Canada et lui a dit de communiquer avec lui au terme de son processus d’immigration. Triki, qui a affirmé avoir 45 000 $ lorsqu’il est arrivé à Montréal en septembre 1996, s’est directement rendu à Ottawa et a demeuré chez Harkat.

 

Triki a quitté Toronto le 23 octobre 1996 muni d’un faux passeport saoudien au nom de Mohamed Sayer Alotaibi. Plus tard, en novembre 1996, on a appris que Harkat rembourserait une personne pour toute facture de téléphone impayée visant les appels faits par Triki pendant qu’il était au Canada.

 

Processus d’immigration

 

En octobre 1996, on a appris que Harkat ne voulait être associé à personne tant qu’il n’aurait pas terminé le processus d’immigration.

 

Situation financière

 

En novembre 1996, lors d’une conversation entre Harkat et une autre personne, cette dernière a demandé combien Harkat était prêt à payer pour s’acheter une automobile. Harkat a dit que l’argent n’était pas un problème pour lui. Il a ajouté qu’il paierait jusqu’à 8 000 $ pour une automobile en bon état. En décembre 1996, Harkat a informé une personne qu’il paierait 7 650 $ pour l’automobile. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait l’argent en main, Harkat a répondu que son ami à l’école où il apprenait l’anglais l’avait assuré qu’il allait mettre cette somme à sa disposition. M. Harkat a ajouté que l’argent se trouvait aux États‑Unis et qu’il transférerait l’argent.

 

Communications avec Abu Messab Al Shehre

 

En novembre 1996, Aub Messab Al Shehre a parlé à Harkat depuis Londres, au Royaume-Uni. Al Shehre a appelé Harkat « Abu Muslim » et lui a demandé comment les « frères » se portaient. Quand Al Shehre a dit que Harkat pourrait se souvenir de lui comme étant « Abu Messab Al Shehre de Babi », Harkat, qui s’était identifié en tant que Mohammed, a rapidement dit qu’Abu Muslim n’était pas là. Quand Al Shehre lui a demandé où se trouvait Abu Muslim, Harkat a répondu qu’il ne le savait pas et qu’il ne savait pas non plus quand il serait de retour. En conclusion, Al Shehre a dit qu’il était désolé de l’avoir dérangé et l’a appelé Sheikh Mohamed. Plus tard, en novembre 1996, Harkat a reçu les excuses d’Abu Messab Al Shehre pour avoir utilisé son alias, Abu Muslin; Harkat essayait d’éviter d’être appelé Abu Muslim. En décembre 1996, Harkat a révélé à une personne qu’il connaissait très bien Al Shehre et qu’Al Shehre était son ami.

 

À son arrivée au Canada en décembre 1996, les effets personnels d’Al Shehre ont été fouillés par des agents de Revenu Canada Douanes et Accise (RCDA), maintenant connu sous l’appellation Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Al Shehre avait en sa possession divers documents et articles, notamment une liste d’achat de munitions et d’armes (p. ex., fusil Kalashnikov, grenade propulsée par fusée) et des documents expliquant comment tuer. Parmi les armes saisies par RCDA lors de la fouille, on comptait un nunchaku (une arme interdite suivant le Code criminel du Canada), une cordelette pour étrangler et une épée de samouraï (wazi). On a également trouvé un étui d’épaule (apparemment utilisé pour porter un pistolet fait en Russie), un passe‑montagne et un bandeau habituellement porté par les extrémistes islamistes lorsqu’ils sont au combat et que l’on croyait être couvert de versets du Coran. Par conséquent, Al Shehre a été détenu par RCDA.

 

Au cours de cette période, Harkat a régulièrement communiqué avec des connaissances pour se tenir informé de la situation d’Al Shehre. Harkat a insisté pour que l’une de ces connaissances trouve de l’argent pour payer l’avocat d’Al Shehre et il lui a proposé d’appeler le frère d’Al Shehre à l’étranger pour lui demander de l’argent. Harkat s’est tenu informé de la situation d’Al Shehre jusqu’à ce que ce dernier soit expulsé en Arabie Saoudite le 29 mai 1997, où il a été arrêté le 30 mai 1997.

 

1997

 

Processus d’immigration

 

En février 1997, Harkat a informé certaines connaissances qu’il avait été accepté en qualité de réfugié et qu’il pouvait maintenant présenter une demande afin d’obtenir le droit d’établissement.

 

Communication avec Hadje Wazir

 

En février 1997, Harkat a communiqué avec une personne au Pakistan qu’il a appelée Hadje Wazir, et il a dit s’appeler « Muslim » du Canada. Harkat a par la suite posé des questions au sujet de « Khattab » (que l’on croit être Ibn Khattab) ou de l’un ou l’autre de ses « hommes ». Wazir a répondu que Khattab n’avait pas été vu depuis longtemps, mais que l’on avait vu ses hommes. Harkat a alors demandé si Wael (que l’on croit être Mohammed Aissa Triki) rendait régulièrement visite à Wazir, ce à quoi Wazir a répondu par l’affirmative. Harkat lui a donné son numéro de téléphone et a demandé que Wael communique avec lui. Il a également demandé que l’on fournisse son numéro de téléphone soit à Wael, soit à tout autre frère qui se présente au commerce de Wazir pour effectuer des transactions. Harkat a par la suite expliqué qu’il avait l’habitude de faire des transactions au commerce de Wazir.

 

En août 1997, Harkat a dit qu’il avait l’intention de se rendre où Hadje Wazir demeurait et de lui demander de l’argent. Il a ajouté qu’il pouvait facilement obtenir de l’argent de Hadje Wazir.

 

Communication avec Ahmed Said Khadr

 

En mars 1997, Harkat a dit qu’il avait rencontré Ahmed Said Khadr au Islamic Information and Education Centre (IIEC) à Ottawa et qu’il le verrait de nouveau sous peu.

 

Liens avec Abu Zubaydah

 

En mars 1997, Harkat a discuté d’arrangements financiers avec une connaissance à Ottawa qui a affirmé avoir communiqué avec Abu Zubaydah à « l’endroit » où Harkat « se trouvait avant ». Abu Zubaydah voulait que Harkat l’aide à payer les frais juridiques d’Abu Messab Al Shehre et il lui a demandé s’il pourrait fournir 1 000 $. Harkat a répondu qu’il était prêt à payer cette somme si Abu Zubaydah communiquait avec lui. Lorsqu’on lui a demandé s’il ne craignait pas qu’Abu Zubaydah l’appelle à la maison, Harkat a répondu par la négative et il a affirmé qu’il le connaissait personnellement. À un certain moment pendant la discussion, la connaissance a parlé d’Abu Zubaydah comme étant Addahak / Aldahak

 

Emploi

 

En mars 1997, Harkat a discuté avec un partenaire d’affaires potentiel de la possibilité de fonder une entreprise commerciale ensemble. Harkat a révélé qu’il voyagerait pour aller voir un ami commun et obtenir des fonds de cet ami. Il a expliqué qu’il ouvrirait au Canada une franchise de l’entreprise de leur ami commun. Harkat a également ajouté qu’il se rendrait en Arabie Saoudite pour obtenir l’argent si son partenaire potentiel considérait sérieusement établir un partenariat d’affaires. Le partenaire a dit que la meilleure entreprise que lui et Harkat pourraient exploiter serait une station‑service. Cette entreprise exigerait 45 000 $ de chaque partenaire. Harkat a répondu que l’argent n’était pas un problème pour lui.

 

En octobre 1997, Harkat a commencé à travailler en tant que livreur dans une pizzéria à Orleans, mais il a démissionné deux jours plus tard.

 

Études

 

En septembre 1997, Harkat s’est inscrit en tant qu’étudiant à temps plein à une école secondaire pour adulte à Ottawa. Harkat voulait continuer ses études en anglais, en physique et en chimie.

 

Activités antérieures

 

En octobre 1997, Harkat a avisé une connaissance que le SCRS avait interrogé Mohammed Elbarseigy pendant six heures et que ce dernier leur avait dit tout ce qu’il savait à son sujet, y compris le fait qu’il avait travaillé à Amanat.

 

De 1998 à 1999

 

Communication avec Abu Messah Al Shehre

 

En février 1998, lors d’une conversation avec Abu Messab Al Shehre, qui se trouvait en Arabie Saoudite à ce moment‑là, Al Shehre, qui a appelé Harkat comme étant leur Sheikh, a demandé à Harkat comment il voyait son amitié avec lui. Harkat a répondu qu’il s’agissait d’un genre de confrérie. Al Shehre a répliqué qu’il s’agissait davantage que d’une confrérie. Harkat a dit que, vu qu’il devait obtenir un statut au Canada, il avait essayé de rester discret pendant la détention de Al Shehre, mais qu’il avait été en mesure d’envoyer une connaissance à la prison et de l’aider de diverses façons. Harkat a demandé à Al Shehre d’envoyer 1 500 $ afin de payer les honoraires d’avocat de ce dernier. Il a conseillé à Al Shehre d’obtenir les fonds du « groupe » s’il ne pouvait pas trouver l’argent lui‑même. Harkat a ouvertement affirmé qu’il devait se faire « discret » parce qu’il fallait qu’il obtienne son statut au Canada. En outre, Harkat a dit à Al Shehre que, dès que son « statut » allait lui être accordé, il serait « prêt ».

 

Projet de mariage

 

En juin 1998, Harkat a dit à une connaissance qu’il craignait d’être renvoyé du pays par les autorités du Canada et qu’il avait donc décidé d’épouser une musulmane canadienne afin d’éviter d’être expulsé.

 

En février 1999, Harkat a dit à sa petite amie à Ottawa qu’il lui rendrait visite le lendemain afin de la demander en mariage.

 

En juillet 1999, Harkat a révélé à une connaissance que ses parents lui avaient également trouvé une épouse en Algérie. Lorsqu’on lui a suggéré de faire venir cette femme au Canada, Harkat a affirmé que sa petite amie du moment à Ottawa ne l’accepterait pas.

                       

Emploi

 

En 1998 et 1999, Harkat a travaillé dans diverses stations‑services et dans une pizzéria.

 

En octobre 1998, Harkat a révélé à une connaissance qu’il avait l’intention d’acheter le bail d’une station‑service si on lui accordait son statut. Harkat a ajouté qu’il n’avait aucun problème à trouver des fonds. Il n’avait besoin que d’un dépôt de 25 000 $.

 

En août 1999, Harkat a pris rendez‑vous avec Canada Trust pour discuter de la possibilité d’obtenir un prêt de 30 000 $ afin d’investir dans une station‑service.

 

Plans pour se rendre en Algérie et en Tunisie

 

En décembre 1998, Harkat a révélé qu’il rendrait visite à sa famille en Algérie à l’été 2001. En août 1999, Harkat a dit à une connaissance que sa famille lui avait déconseillé de retourner en Algérie et qu’il leur avait alors proposé qu’ils se rencontrent en Tunisie. Harkat a ajouté que, s’il se rendait en Algérie, il risquait d’être arrêté simplement parce qu’il était important au sein du Front.

 

Études

 

En août 1999, Harkat a laissé savoir qu’il s’inscrirait à une école secondaire pour adulte afin de suivre des cours d’anglais langue seconde.

 

En décembre 1999, Harkat cherchait quelqu’un qui puisse passer l’examen de chauffeur de taxi à sa place. En février 2000, une connaissance de Harkat lui a dit avoir trouvé quelqu’un qui pourrait passer l’examen de chauffeur de taxi à sa place.

 

Situation financière

 

En octobre 1999, Harkat a confié à sa petite amie qu’il avait fait une erreur en quittant son autre emploi. Il a ajouté qu’il ne pouvait pas se permettre de ne pas avoir deux emplois parce qu’il devait payer de lourdes factures. Il a ajouté qu’après s’être disputé avec le propriétaire de la pizzéria au sujet de son horaire et d’une augmentation de salaire le propriétaire l’avait congédié. Harkat a dit que, grâce à ses deux emplois, il faisait auparavant 2 500 $ par mois, mais que maintenant, avec un seul emploi à la station‑service, il travaillait sept jours par semaine et ne gagnait que 1 500 $ par mois. Harkat a aussi estimé que sa situation s’améliorerait s’il pouvait passer l’examen de chauffeur de taxi en novembre 1999. Cependant, avant la fin du mois de novembre, il travaillait de nouveau à la pizzéria et avait le même horaire. Il a expliqué qu’il était retourné travailler à la pizzéria parce qu’il devait payer ses dettes.

 

De 2000 à 2002

 

Processus d’immigration

 

Entre 2000 et 2002, Harkat était très inquiet quant à l’état d’avancement de sa demande de résidence permanente et a souvent fait part de sa situation difficile à ses amis. En outre, pendant cette période, Harkat communiquait régulièrement avec Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) afin de s’informer de l’état d’avancement de sa demande.

 

Mariage

 

En mars 2000, Harkat croyait que la seule solution à ses problèmes d’immigration était de se marier. En avril 2000, Harkat s’est trouvé une nouvelle petite amie, Sophie Lamarche. Harkat ne voulait pas lui mettre de la pression pour qu’ils se marient, mais Harkat pensait qu’il pourrait la garder comme solution de rechange.

 

En avril 2000, Harkat a révélé avoir parlé à Sophie au sujet de sa situation et a dit que Sophie, en réponse, lui avait promis qu’elle l’aiderait en temps utile. Harkat a ajouté que, si quelque chose arrivait, il la marierait.

 

En mai 2001, on a appris que Harkat avait épousé Sophie en janvier 2001. Plus tard en mai 2001, Harkat a affirmé que son mariage avec Sophie n’était pas sérieux et qu’il pourrait la quitter à tout moment.

 

Plans pour se rendre en Algérie

 

En mars 2000, Harkat prévoyait se rendre en Algérie en août 2000. En mai 2001, il a dit qu’une fois qu’il obtiendrait son statut de résident permanent, il irait en Algérie. En juin 2001, Harkat a mentionné qu’il aimerait obtenir bientôt son statut de résident permanent pour qu’il puisse se rendre en Algérie. En juillet 2001, Harkat a fait savoir qu’il prévoyait se rendre en Algérie en janvier 2002.

 

Cours

 

En juillet 2001, Harkat a commencé un cours de conduite de camion.

 

Jeu au casino

 

En décembre 2001, Harkat a révélé qu’il allait au casino depuis cinq ans et qu’il continuait d’y aller. De 1997 à 2002, Harkat est régulièrement allé au Casino du Lac Leamy à Hull (Gatineau) ainsi qu’au Casino de Montréal, quoiqu’il y soit allé moins souvent. Pendant cette période, Harkat a gagné et a perdu de grandes sommes d’argent. Selon Harkat, en juin 2001, le casino lui a offert une passe pour un siège en première rangée au théâtre pour qu’il puisse assister à tous les spectacles présentés au casino parce que le casino savait qu’il avait perdu 100 000 $ au jeu. Par conséquent, Harkat a souvent dû emprunter de l’argent à sa petite amie et à son frère au cours des années. Pendant son témoignage présenté devant la Cour fédérale le 27 octobre 2004, Harkat a reconnu avoir un problème de jeu.

 

Emploi

 

En février 2000, Harkat avait trois emplois : pompiste, livreur de pizza et livreur de pièces d’automobile. En mars 2000, Harkat a quitté son emploi à la pizzéria et a perdu ses deux autres emplois, mais il en a trouvé deux autres, dont un dans une station‑service.

 

En décembre 2001, Harkat était prestataire de l’assurance‑emploi pendant qu’il travaillait dans une pizzéria. Harkat a dit que le gérant de la pizzéria avait accepté de signer une lettre affirmant qu’il avait commencé à travailler le 15 décembre, et que si on lui posait des questions il affirmerait qu’il travaillait bénévolement à la pizzéria lorsqu’il s’ennuyait à la maison ou qu’il voulait rendre service au gérant lorsqu’il avait besoin d’aide. Harkat n’a jamais été payé par chèque, par conséquent, rien n’a pu être prouvé.

 

Emploi précédent

 

En septembre 2001, Harkat a dit qu’il avait travaillé pour le Human Concern International en Arabie Saoudite et pour l’entreprise « Muslim ».

 

            (Voir pièce M15 – Les passages soulignés font état de ce qui avait déjà été communiqué à M. Harkat. Les deux groupes d’avocats ont convenu que ce ne sont pas tous les renseignements qui pouvaient être utilisés en preuve devant la Cour. Ces renseignements ne sont reproduits ici qu’à titre d’exemple, notamment afin d’indiquer la portée de la communication faite à M. Harkat et aux avocats publics aux termes de l’arrêt Charkaoui no 2. Toutefois, le numéro de pièce ne vise que la partie des documents qui a été produite en preuve.)

 

[86]           D’autres résumés de conversations qu’il a eues en mai et juin 2001 avec des membres de sa famille, des amis ainsi qu’avec une fiancée et sa mère en Algérie ont été mis à la disposition de M. Harkat et ajoutés au rapport public en matière de sécurité par suite de la décision Harkat (Re), 2009 CF 167 (voir le paragraphe 61 des présents motifs). Ces résumés ont été communiqués à M. Harkat et à ses avocats qui ont par la suite eu dix jours pour signifier et déposer une requête afin que la Cour ordonne que ces résumés de conversations soient traités de façon confidentielle. Vu que M. Harkat n’a pas présenté une telle requête, les résumés ont dès lors fait partie du rapport public révisé en matière de sécurité (voir pièce M7 dans l’annexe K).

 

[87]           La communication faite à M. Harkat comprenait également d’autres documents qui ne puissent être inclus à la présente puisque trop volumineux (voir les annexes du rapport public en matière de sécurité et du rapport public révisé en matière de sécurité).

 

[88]           M. Harkat a parlé de la qualité de la preuve communiquée. Il a fait valoir que seule la preuve de moindre importance a été communiquée. Je rejette cette allégation. La preuve communiquée à M. Harkat était importante et directement pertinente quant aux allégations portées contre lui. Elle était instructive et éclaircissait des faits importants.

 

[89]           Afin d’illustrer la portée de la communication et ses répercussions sur la capacité du demandeur de répondre aux allégations formulées contre lui, les Ministres allèguent que M. Harkat connaissait Ahmed Said Khadr (un Canadien décédé qui aurait été étroitement lié à Oussama ben Laden), qu’il a été à son service pendant qu’il était à Peshawar et qu’il l’a vu au Canada après son arrivée. M. Harkat a répondu qu’il ne l’avait vu qu’une fois quelques jours après son arrivée à Ottawa, qu’il ne le connaissait pas lorsqu’il était au Pakistan, et qu’il ne l’avait pas vu de nouveau au Canada. La quantité d’éléments de preuve qui ont été rassemblés, par qui ils l’ont été et de quelles sources ils proviennent ne sont pas des faits connus publiquement. Les renseignements non communiqués n’ajoutent pas au contenu des renseignements. Par conséquent, M. Harkat a eu  une connaissance substantielle de l’allégation portée contre lui et il était en mesure d’y répondre. Les avocats spéciaux ont été en mesure de vérifier les renseignements qui n’avaient pas été communiqués au demandeur, et de les mettre en question. Les renseignements communiqués et les actions des avocats spéciaux qui ont représenté M. Harkat lors de l’audience à huis clos ont permis que les intérêts de celui-ci soient bien défendus. Les avocats spéciaux ont obtenu l’autorisation de communiquer avec M. Harkat à ce sujet (voir l’ordonnance datée du 10 novembre 2009). Des conclusions précises ont été formulées à propos de cette allégation, certaines favorables à M. Harkat, d’autres non (voir la décision sur le caractère raisonnable, Harkat (Re), 2010 CF 1241, para 484). Cet exemple vaut  également pour les autres allégations.

 

[90]           Selon le processus de communication, la personne visée doit être « suffisamment informée de [la] thèse » du Ministre (voir les paragraphes 77(2) et 85.4(1) de la LIPR). De plus, la Cour suprême a déclaré dans l’arrêt Charkaoui no 1 que les principes de justice fondamentale exigent que la personne visée puisse connaître la preuve produite contre elle et y répondre. Toutefois, les renseignements pouvant porter atteinte à la sécurité nationale ne doivent pas être divulgués. Dans l’arrêt Charkaoui no 1, au paragraphe 61, la Juge en chef de la Cour suprême du Canada a précisé que la communication doit être suffisante pour permettre à la personne visée de connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre. Dans l’arrêt Charkaoui no 2, au paragraphe 47, la Cour suprême a souligné que l’approche doit être plus nuancée « que la simple transposition du modèle que la jurisprudence a établi dans le domaine de la justice pénale ». Toutefois, en ce qui concerne les droits prévus à l’article 7 et la communication, bien qu’aucun processus précis ne soit nécessaire et que la personne visée n’ait pas nécessairement droit à la procédure la plus favorable possible, la procédure doit être équitable compte tenu de la nature de l’instance et du contexte (Charkaoui no 1, par. 20 et la jurisprudence qui y est citée).

 

[91]           Il a été conclu dans l’arrêt Charkaoui no 2 que la politique OPS-217 du SCRS relative à la destruction des notes opérationnelles était contraire à l’obligation de divulgation du SCRS. Toutefois, la Cour n’a pas jugé nécessaire d’ordonner l’arrêt des procédures, puisqu’elle estimait cette mesure prématurée. C’est au juge désigné qu’il incombe d’évaluer les répercussions de la destruction des documents sur la fiabilité de la preuve (Charkaoui no 2, par. 77). L’appréciation des répercussions de la destruction des notes opérationnelles et des documents originaux relève donc de la responsabilité du juge désigné. Bien qu’elle ait refusé d’ordonner un arrêt des procédures, la Cour suprême a confirmé l’obligation de divulgation du SCRS envers la Cour, laquelle fournit ensuite à la personne visée des renseignements filtrés mais pertinents. Ainsi, les ordonnances de divulgation peuvent être considérées comme une mesure accordée à l’égard de la destruction des notes opérationnelles ou des enregistrements originaux des conversations.

 

[92]           Il est vrai qu’on doit adopter une approche plus nuancée que la simple transposition des approches élaborées en droit pénal aux affaires de sécurité nationale (Charkaoui no 2, par. 47); toutefois, la divulgation ne vise pas nécessairement tous les documents originaux en la possession d’une personne; en fait, le droit pénal lui-même ne va pas aussi loin. Dans l’arrêt R. c. La, au paragraphe 18, la Cour suprême a déclaré :

Le ministère public ne peut produire que ce qu’il a en sa possession ou ce dont il a le contrôle. Il n’existe pas de droit absolu de faire produire les originaux. Si le ministère public a les originaux des documents qui doivent être produits, il doit les produire ou permettre qu’ils soient examinés. Cependant, si les originaux ne sont pas disponibles et si le ministère public les a déjà eus en sa possession, il doit expliquer leur absence. Si l’explication est satisfaisante, le ministère public s’est acquitté de son obligation, sauf si la conduite qui a entraîné l’absence ou la perte des originaux est en elle‑même telle qu’elle pourrait justifier une réparation aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[93]           De plus, la Cour suprême a établi qu’il faut principalement tenir compte, lors de l’évaluation de la conduite de la Couronne dans un tel cas, des circonstances entourant la perte des éléments de preuve, surtout si des mesures ont été prises en vue d’empêcher que les éléments de preuve soient communiqués (R. c. La, par. 21). Toutefois, plus la pertinence d’un élément de preuve est grande, plus le degré de diligence attendu des policiers pour conserver cette preuve est élevé (R. c. La, par. 21 in fine). Dans l’arrêt R. c. La, la Cour suprême enseigne également que la destruction délibérée de documents en vue de contourner les obligations de divulgation de la Couronne constitue clairement un abus de procédure (R. c. La, par. 22). Dans l’affaire R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80 (« Carosella »), un tiers avait délibérément détruit la seule source d’information qui pouvait être utilisée par l’accusé dans le cadre de la préparation de sa défense. Il n’y a eu aucune tentative de conservation, soit par des résumés ou autrement, et le tiers qui a procédé à la destruction contestée a agi dans le but évident d’éviter toute communication lors d’un procès éventuel. Dans l’affaire Carosella, puisqu’aucun substitut ou résumé des documents détruits n’a été fourni, le juge a ordonné l’arrêt des procédures étant donné que l’accusé subissait un préjudice évident quant à sa capacité de présenter une défense pleine et entière.

 

[94]           La Cour suprême fit cette remarque judicieuse :

une contestation fondée sur la non-divulgation nécessitera généralement la preuve d’un préjudice véritable quant à la possibilité pour l’accusé de présenter une défense pleine et entière [...] Il va sans dire qu’une telle détermination exige une enquête suffisante sur le caractère substantiel des renseignements non divulgués. Lorsque les renseignements sont considérés non substantiels quant à la possibilité pour l’accusé de présenter une défense pleine et entière, il ne saurait y avoir violation de la Charte à cet égard. Je ferai observer, de plus, que les déductions ou conclusions relatives à l’à-propos de la conduite ou de l’intention du ministère public ne sont pas nécessairement pertinentes lorsqu’il s’agit de savoir s’il y a eu violation ou non du droit de l’accusé à un procès équitable. L’accent doit être mis principalement sur l’effet que les actions contestées auront sur l’équité du procès de l’accusé (O’Connor, par. 74).

 

[95]           Ainsi, la Cour doit évaluer l’effet de la non-divulgation sur la capacité de la personne visée à connaître la preuve produite contre elle et à y répondre. En tout état de cause, cela n’appelle pas nécessairement l’accès à tous les documents originaux, tant qu’il existe des solutions de rechange adéquates, puisque certains documents ne peuvent être divulgués pour des raisons de confidentialité, de sécurité nationale ou autre (Charkaoui no 1, par. 61).

 

[96]           La valeur probante des documents originaux est évidemment plus élevée que celle des résumés, et la Cour suprême a dit que l’appréciation du caractère raisonnable d’un certificat de sécurité peut être compromise par la destruction des documents originaux (Charkaoui no 2, par. 42).

 

[97]           Qui plus est, la Cour suprême a dit expressément « [q]u’il faudra aussi se garder de conclure que notre opinion sur l’interprétation de l’art. 12 de la Loi sur le SCRS et de la politique opérationnelle OPS-217 signifie également que nous concluons à l’illégalité des enquêtes tenues en vertu de l’art. 12 et des procédures où la politique a été utilisée » (Charkaoui no 2, par. 46). Ainsi, compte tenu de ce qui précède, le demandeur doit montrer qu’il a subi un préjudice réel quant à sa capacité de présenter une défense pleine et entière afin que cet élément soit considéré comme constitutif de l’abus de procédure.

 

[98]           Dans l’arrêt Jaballah (Re), 2010 CF 224 (« Jaballah (Re) »), la juge Dawson (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale), a reconnu que le droit d’être informé de la preuve, comme il a été expliqué dans l’arrêt Charkaoui no 1, n’était pas absolu, tant qu’il existe des solutions de rechange adéquates :

« [32] En résumé, dans Charkaoui I la Cour suprême a conclu que l’article 7 de la Charte exige soit qu’une personne désignée dans un certificat de sécurité ait la possibilité de connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre, soit que l’on trouve une autre façon importante de fournir des renseignements suffisants.

 

...

 

[41] La dernière difficulté que je vois dans l’établissement d’un lien de causalité entre la violation de l’article 7 et le témoignage de M. Jaballah est que, dans l’arrêt Charkaoui I, la Cour suprême a pris soin de reconnaître que le droit de connaître la preuve produite contre soi n’est pas absolu. Des considérations relatives à la sécurité nationale peuvent limiter l’étendue de la divulgation de renseignements à un intéressé. Il semble que la Cour suprême ait envisagé qu’une personne désignée dans un certificat de sécurité puisse dans l’avenir devoir procéder en l’absence d’une divulgation complète de la preuve à réfuter, tant qu’on offre une solution de rechange importante à cette divulgation manquante (par exemple, les services d’un avocat spécial) [...] »

 

[99]           De plus, mon collègue le juge Mosley, dans la décision Almrei (Re), 2009 CF 1263 (« Almrei (Re) »), au paragraphe 484, a conclu que M. Almrei avait connaissance des allégations des Ministres contre lui, bien que tous les renseignements ne lui aient pas été communiqués. Il souligne que le processus de divulgation prévu par la LIPR du Canada donne lieu à la production d’un plus grand nombre d’éléments de preuve qu’une procédure semblable au Royaume-Uni (voir Almrei (Re), par. 487). Il a expliqué que les efforts du législateur ont été couronnés de succès lorsqu’il a adopté le nouveau processus de divulgation de la LIPR et les dispositions relatives aux avocats spéciaux pour deux raisons. La première est que le défendeur a pu comprendre suffisamment les allégations qu’on lui reprochait grâce à des résumés publics et à la communication d’autres renseignements. La seconde est que les avocats spéciaux ont joué très efficacement leur rôle, soit celui de protéger les intérêts de M. Almrei, ont remis en question des renseignements confidentiels et ont contesté la pertinence, la fiabilité et l’utilité des renseignements qui n’ont pas été communiqués (par. 489). Encore dans l’arrêt Almrei (Re), il a été conclu que la destruction des notes originales d’entrevue n’était pas une « question importante en l’espèce », la Cour étant satisfaite des rapports qui avaient été rédigés à la même époque (Almrei (Re), par. 492).  Je retiens ces observations, lesquelles sont pertinentes en l’espèce.

 

[100]       Pour ces motifs, il est impossible de conclure que le processus de divulgation de la LIPR et la divulgation effectuée (y compris la divulgation de certains résumés des documents originaux) ont donné lieu, en l’espèce, à un abus de procédure. Une importante quantité de documents ont été communiqués à M. Harkat dans son intérêt, ce qui lui a permis, à mon avis, d’avoir une bonne connaissance de la preuve produite contre lui et d’y répondre. La communication n’était pas complète puisqu’il fallait tenir compte de préoccupations en matière de sécurité nationale, mais les avocats spéciaux connaissaient les renseignements confidentiels et les ont vérifiés activement au nom de M. Harkat. De toute façon, étant donné la grande quantité de documents communiqués, M. Harkat n’a pas rapporté la preuve d’un préjudice réel quant à sa capacité de répondre à la preuve produite contre lui ou subi un tel préjudice.


 

 

L’incidence de la destruction des documents sur l’obligation des avocats spéciaux de représenter les intérêts de M. Harkat

 

[101]       M. Harkat prétend que puisqu’il ne connaît pas toute la preuve produite contre lui, il n’est pas en mesure de donner des instructions adéquates à ses avocats publics et aux avocats spéciaux, et par conséquent il n’est pas en mesure de réfuter adéquatement la preuve produite contre lui. Le demandeur fait valoir que les avocats spéciaux doivent recevoir communication de la preuve en fonction des normes consacrées par l’arrêt Stinchcombe. Ainsi, il soutient que la destruction des documents originaux a empêché irréparablement la capacité des avocats spéciaux de remplir leur mission en ce qui concerne l’appréciation de la preuve. Comme il a été reconnu dans l’arrêt Charkaoui no 1, le régime législatif en vigueur avant la création de la fonction d’avocat spécial était inconstitutionnel et contrevenait aux droits de la personne visée garantis par l’article 7 de la Charte.

 

[102]       Toutefois, les observations énoncées au paragraphe 20 de l’arrêt Charkaoui no 1 demeurent pertinentes :

L’article 7 de la Charte exige non pas un type particulier de procédure, mais une procédure équitable eu égard à la nature de l’instance et des intérêts en cause : États‑Unis d’Amérique c. Ferras, [2006] 2 R.C.S. 77, 2006 CSC 33, par. 14; R. c. Rodgers, [2006] 1 R.C.S. 554, 2006 CSC 15, par. 47; Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631, p. 656‑657.  Les mesures procédurales requises par la justice fondamentale dépendent du contexte (voir Rodgers; R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, p. 361; Chiarelli, p. 743‑744; Centre hospitalier Mont‑Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), [2001] 2 R.C.S. 281, 2001 CSC 41, par. 20‑21).  On peut prendre les intérêts sociétaux en considération pour clarifier les principes applicables de justice fondamentale : R. c. Malmo‑Levine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74, par. 98.

 

[103]       À la suite de l’arrêt Charkaoui no 1, lequel enseigne que le droit à la divulgation complète n’est pas absolu, la juge Dawson s’est exprimée en ces termes dans la décision Jaballah (Re), au paragraphe 41 :

Des considérations relatives à la sécurité nationale peuvent limiter l’étendue de la divulgation de renseignements à un intéressé. Il semble que la Cour suprême ait envisagé qu’une personne désignée dans un certificat de sécurité puisse dans l’avenir devoir procéder en l’absence d’une divulgation complète de la preuve à réfuter, tant qu’on offre une solution de rechange importante à cette divulgation manquante (par exemple, les services d’un avocat spécial)

 

[104]       De plus, la législation va à l’encontre des arguments du demandeur en ce qui concerne le rôle des avocats spéciaux : d’abord, le juge désigné a l’obligation de veiller à ce que la personne visée soit raisonnablement informée de la preuve produite contre elle, mais doit éviter la divulgation de renseignements en matière de sécurité nationale qui pourrait être préjudiciable. Ensuite, la personne visée a accès à un résumé du rapport sur les renseignements de sécurité au début de l’audience. Ses avocats publics et les avocats spéciaux disposent d’une période raisonnable afin d’examiner le rapport public en matière de sécurité avant que les avocats spéciaux aient accès au rapport sur les renseignements de sécurité. Une fois cet examen effectué, les avocats spéciaux examinent, vérifient et contestent les demandes de non-divulgation et la preuve à l’appui du rapport sur les renseignements de sécurité. Comme c’est le cas en l’espèce, une plus grande quantité de documents ont été divulgués en raison des interventions des avocats spéciaux et des avocats des Ministres tout au long de l’instance.

 

[105]       M. Harkat et ses avocats publics ont pu communiquer par écrit avec les avocats spéciaux tout au long de l’instance sans l’intervention du juge désigné. Si, à tout moment, les avocats spéciaux voulaient communiquer avec M. Harkat et ses avocats publics, ils pouvaient le faire avec l’autorisation de la cour. Dans le cadre du processus de la LIPR, M. Harkat a fréquemment eu la possibilité de donner des instructions aux avocats spéciaux.

 

[106]       Le Rapport public en matière de sécurité contient des informations pertinentes quant aux allégations formulées et il comprend certains des éléments de preuve à l’appui. Cela a permis à  M. Harkat de renseigner ses avocats publics et avocats spéciaux sur ses activités antérieures en Algérie, au Pakistan, et au Canada. Ce rapport indique également le nom de personnes clés et d’organisations avec lesquelles il était lié, selon les Ministres. Au fur et à mesure de la divulgation, M. Harkat pouvait aussi mettre à jour les instructions qu’il donnait à ses avocats publics et avocats spéciaux. Au besoin et selon certaines conditions, la Cour a également donné son autorisation aux avocats spéciaux pour qu’ils communiquent avec M. Harkat et ses avocats publics. Le juge désigné accorde une telle autorisation s’il conclut que la présentation et les sujets de discussion ne favoriseront pas la divulgation par inadvertance de renseignements liés à la sécurité nationale.

 

[107]       Les avocats spéciaux sont au courant de renseignements précis dont M. Harkat n’est pas au fait. Ils ont le pouvoir de contester la pertinence, la fiabilité et la suffisance d’éléments de preuve confidentiels. Les dispositions de la LIPR prévoient même que les avocats spéciaux ont d’autres pouvoirs de vérifier cette preuve avec l’autorisation de la Cour.  Avec l’important apport des avocats spéciaux, comme on a pu le constater dans la présente instance, et de concert  avec les avocats des Ministres, des résumés appropriés qui contenaient d’importants renseignements ont été rédigés, mais d'où avaient été omis les renseignements confidentiels liés à la sécurité nationale. 

 

[108]       L’avocat spécial a donc pour mission de  « défendre les intérêts » de la personne  visée (par. 85.1(1) de la LIPR) en contestant d’une part, les refus des Ministres de divulguer des renseignements pour des motifs liés à la sécurité nationale et d’autre part, la suffisance, la fiabilité et la pertinence des renseignements fournis (par. 85.1(2) de la LIPR). Les communications entre l’avocat spécial et la personne visée jouissent d’une protection comparable à celle du secret professionnel liant l’avocat à son client, mais les rapports entre les avocats spéciaux et la personne visée ne sont pas ceux qui existent entre un avocat et son client (par. 85.1(3) et (4) de la LIPR). Bien que les avocats spéciaux ne puissent communiquer avec la personne visée qu’avec l’autorisation du juge (par. 85.4(2) de la LIPR), cette personne n’est quant à elle soumise à aucune restriction quant aux renseignements qu’elle peut fournir aux avocats spéciaux pour leur permettre de mieux remplir la mission qui leur est confiée par la loi. 

 

[109]       Les vastes pouvoirs et responsabilités des avocats spéciaux sont décrits en détails dans la décision Jaballah (Re), au paragraphe 23 :

De plus, la personne nommée dans le certificat de sécurité a le droit de faire défendre ses intérêts par un avocat spécial dans le cadre d’une audience à huis clos. Comme le démontrent les communications publiques qui ont été transmises à M. Jaballah, les avocats spéciaux, en l’espèce, ont contre‑interrogé les témoins du SCRS, ont demandé que des renseignements complémentaires soient communiqués à M. Jaballah, ce qui a été fait, ont présenté des demandes de renseignements supplémentaires aux avocats des Ministres et ont présenté une requête en vue d’obtenir l’arrêt des procédures à huis clos en invoquant un abus de procédure et l’autorité de la chose jugée.

 

 

[110]       De plus, l'aptitude des avocats spéciaux à défendre les droits que tire la personne visée de l’article 7 semble avoir été reconnue par le juge Mosley dans la décision Almrei, au paragraphe 489 :

Il s’agit essentiellement de la même conclusion que celle tirée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui 1 en 2007. L’individu a droit à une divulgation complète ou « une autre façon » doit être trouvée pour qu’il ait droit à l’équivalent d’une divulgation complète. À mon sens, les efforts du législateur pour créer un autre moyen adéquat ont été couronnés de succès en l’espèce pour deux raisons. La première est que le défendeur a pu comprendre suffisamment les allégations qu’on lui reprochait dans le RRS grâce au résumé public et aux autres renseignements dont la divulgation avait été ordonnée. La seconde est que les avocats spéciaux ont joué très efficacement le rôle que leur confère la Loi : protéger les intérêts du défendeur aux audiences à huis clos, remettre en question la confidentialité des renseignements ainsi que contester la pertinence, la fiabilité et l’utilité des renseignements et autres éléments de preuve non divulgués dont se sont servis les Ministres.

 

[111]       Vu les vastes pouvoirs et responsabilités des avocats spéciaux et leur accès étendu aux renseignements sous-jacents contenus dans les documents des Ministres au sujet de la personne visée, les avocats spéciaux ont bénéficié d’un accès considérable au dossier des Ministres. Ils ont adéquatement représenté la personne visée, comme l’exige la loi. Bien que la destruction de documents originaux n’ait pas constitué une situation idéale il n’y a pas eu méconnaissance pendant toute l’instance des droits que tire la personne visée de l’article 7 vu la divulgation  subséquente de documents ordonnée par la Cour et l’intervention des avocats spéciaux,. Comme le veut l’arrêt Charkaoui no 1, il y a eu recours à une « autre façon d’informer pour l’essentiel  ».  Les interventions des avocats spéciaux, qui ont eu un large accès aux renseignements pertinents ont permis à ceux-ci et à la Cour d’acquérir une pleine connaissance du dossier, qui a donné lieu à une divulgation supplémentaire. Monsieur Harkat n’a subi aucun préjudice en raison de la destruction de documents originaux.

 

[112]       Rien n’interdit à la personne visée de remettre tous les renseignements pertinents qu’elle possède aux avocats spéciaux pour que ceux-ci soient en mesure de la défendre.  Il n’a pas été établi que la destruction de certains originaux a nui aux interventions des avocats spéciaux, et il n’y a pas eu méconnaissance des droits que tire la personne visée de l’article 7.  En fait, il n’a pas été démontré qu’il avait été porté atteinte à la capacité de M. Harkat de présenter une défense pleine et entière, sauf en des termes généraux. Un abus de procédure ne semble pas en être résulté.

 

[113]       Par conséquent, avec la collaboration des avocats spéciaux, le processus prévu dans la LIPR en matière de communication de la preuve a permis à M. Harkat de donner des instructions à ses avocats publics et avocats spéciaux. Sous le régime de la LIPR, la personne visée doit être en mesure de connaître la preuve qui pèse contre elle et d’y opposer une défense.  La loi permet à la personne visée de donner des instructions appropriées.

 

 

La violation présumée de l’obligation de franchise du SCRS

 

[114]       Il est utile de définir à ce stade en quoi consiste l’obligation de franchise des Ministres et du SCRS, ses sources et la pertinence de celle-ci en l’espèce.  Dans l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75 (« Ruby »), la Cour suprême a expliqué ce qu’était l’obligation de franchise. Cette obligation s’applique aux instances à huis clos et ex parte  lorsque la partie qui présente des observations est dans une situation dont elle peut abuser eu égard à ce qu’elle présente à la Cour, en raison de l’accès privilégié et exclusif à la Cour pour présenter sa thèse. Cette partie exerce aussi le plein contrôle sur la banque de  renseignements d’où sont tirés les faits invoqués à l’appui des allégations. L’une de ses obligations est de veiller à ce qu’un examen complet des renseignements soit effectué, y compris des renseignements susceptibles d’être défavorables à sa thèse. Ces renseignements doivent être communiqués pour que le juge désigné et les avocats spéciaux puissent en faire l’examen.  De façon générale, selon la Cour suprême : 

La partie qui plaide ex parte devant un tribunal a l’obligation de présenter ses arguments avec la bonne foi la plus absolue. Elle doit offrir une preuve complète et détaillée, et n’omettre aucune donnée pertinente qui soit défavorable à son intérêt [...].

 

[....] l’institution fédérale qui présente des arguments en l’absence de l’autre partie devant le tribunal de révision est tenue d’agir avec la bonne foi la plus absolue et d’exposer les faits de manière complète, franche et impartiale, y compris ceux qui pourraient lui être défavorables. (Ruby, par. 27 et 47)

 

 

[115]       Selon l’arrêt Ruby, l’obligation de franchise est essentiellement l’obligation de faire preuve de bonne foi lors de la présentation des observations et des éléments de preuve. La qualification d’une obligation de franchise en tant que telle dans les procédures concernant les certificats de sécurité, découle de la décision Almrei rendue par le juge Mosley qui affirme au paragraphe 500 :  « Les obligations de bonne foi la plus absolue et de franchise impliquent que la partie s’appuyant sur une preuve ex parte effectuera un examen approfondi des renseignements en sa possession et présentera des observations fondées sur tous les renseignements, y compris ceux qui ne sont pas favorables à sa thèse. »

 

[116]       Il est évident que l’obligation de franchise peut et doit être assimilée, dans les faits et à des fins sémantiques, à l’obligation de bonne foi la plus absolue définie dans Ruby. L’obligation de bonne foi la plus absolue doit également être examinée en fonction des circonstances particulières entourant les procédures relatives aux certificats de sécurité. La nature de ces procédures exige que la communication de la preuve soit continue, dans la mesure où les demandes de divulgation complémentaire n’obéissent pas à des considérations tactiques ou ne sont pas entachées de  mauvaise foi (Charkaoui no 2, aux paras 71 à 73).  Une définition fonctionnelle de l’audition ex parte est utile. Dans ce genre d’audition, il n’existe pas de garantie procédurale ni d’obligation de rendre compte de ce qui est soumis par une partie; l’audience ex parte est simplement régie par l’obligation de bonne foi consacrée par l’arrêt Ruby. Est-ce que les  audiences à huis clos, dont la tenue est nécessaire pour l’examen de renseignements sensibles ou protégés, peuvent être qualifiées de véritables audiences ex parte? D’un point de vue formel, c’est le cas : la personne visée et ses avocats publics sont absents. Cependant, d’un point de vue fonctionnel, vu la jurisprudence Charkaoui no 1 et les modifications subséquentes apportées à la LIPR, des avocats spéciaux doivent être présents aux audiences à huis clos concernant les certificats de sécurité. De plus, le juge joue un rôle actif dans l’appréciation de la preuve et de l’évaluation des mesures à prendre dans le cadre de l’examen de l’équité procédurale à l’égard de la personne visée (Charkaoui c. Canada, 2004 CAF 421, au par. 80 : « En outre, durant tout le processus, le juge désigné joue un rôle proactif destiné à en assurer l'équité. »). Dans l’arrêt Charkaoui n1, la Cour suprême du Canada a accepté ce rôle (voir les par. 32 et suivants). Les avocats spéciaux ont commencé à participer aux audiences à huis clos, et la Cour s’est adaptée en conséquence. Ainsi, le processus doit se dérouler selon les paramètres de ce nouveau système accusatoire.

 

[117]       Lorsqu’est observée l’obligation de bonne foi, il s’agit de voir à ce que le juge n’a pas une version déformée des faits. Dès lors, force est de reconnaître que la divulgation de type Charkaoui n2, la présence des avocats spéciaux et le rôle et les responsabilités du juge désigné réduisent grandement le risque que le SCRS et les Ministres manquent à leur obligation de communication complète, franche et impartiale, en d’autres mots à leur « obligation de franchise ». Ladite « obligation de franchise » n’est rien de plus que l’obligation de bonne foi la plus absolue consacrée par l’arrêt Ruby, laquelle doit être respectée lors des procédures relatives aux certificats de sécurité, comme il a été statué dans les arrêts Harkat (Re), 2009 CF 1050 et Charkaoui c. Canada, 2004 CAF 421. La nature des procédures relatives aux certificats de sécurité et les exigences prévues par la loi en matière de communication de la preuve renforcent davantage cette obligation de franchise. En outre, le rôle des avocats spéciaux et la nature de la communication de type Charkaoui n2 garantissent le respect par les Ministres et le SCRS, de l’obligation d’agir de bonne foi.

 

[118]       Dans la décision Almrei, au paragraphe 499, le juge Mosley a conclu que le projet de loi C-3, y compris l’intervention des avocats spéciaux lors d’audiences à huis clos, n’a pas aboli les  obligations de bonne foi la plus absolue et de franchise. Ces obligations tiennent toujours  puisque la preuve relative à la sécurité nationale est examinée à huis clos en l’absence de la personne visée et des avocats publics. J’abonde dans le même sens. Les obligations de franchise et de bonne foi la plus absolue continuent d’incomber aux Ministres et au SCRS.  Dans la décision Almrei, le juge Mosley a aussi conclu qu’il y avait eu manquement à ces obligations car il n’y avait pas eu d’examen approfondi des renseignements et que, par conséquent, le RRS avait été colligé à l’aide de renseignements qui ne pouvaient être interprétés que de façon défavorable à la thèse de M. Almrei. Enfin, le juge Mosley a décidé de ne pas ordonner l’arrêt des procédures et il a affirmé qu’une décision sur le caractère raisonnable du certificat était la mesure appropriée (voir par. 500 et 503).

 

[119]       Il est nécessaire de formuler des commentaires supplémentaires au sujet des répercussions éventuelles d’une communication de type Charkaoui n2 et de son lien avec l’obligation de bonne foi. Bien qu’il existe un chevauchement entre les présentes instances, l’arrêt Charkaoui n2 et les règles en matière de communication de la preuve qui en émanent, ce ne sera pas le cas dans les instances futures. Les dossiers du SCRS dans ces instances comporteront les documents originaux, conformément aux enseignements de l’arrêt Charkaoui n2 au sujet des obligations des Ministres et du SCRS. Ainsi, l’obligation de bonne foi consacrée par l’arrêt Ruby s’appliquera aussi lors des procédures relatives aux certificats de sécurité, et les Ministres et le SCRS ne seront pas exemptés de leur obligation de bonne foi même si les dossiers renfermeront les documents originaux. Les Ministres auront toujours l’obligation de faire preuve de bonne foi dans le cadre des audiences à huis clos et ex parte

 

[120]       Chaque cas est un cas d’espèce et mon examen de la communication de type Charkaoui no 2 me permet de conclure que le récent RRS présentait un tableau approprié de l’ensemble de la preuve et que l’existence d’aucun élément favorable à la thèse de M. Harkat n’aurait pu être établi ou inclus au dossier. Il y a eu la question de la source humaine et des résultats du polygraphe (les renseignements à ce sujet n’ont pas fait l’objet d’une communication appropriée à l’origine), mais elle a été examinée séparément comme cela est mentionné précédemment dans les présents motifs. Une mesure de réparation a été accordée. De façon générale, les Ministres et le SCRS ont respecté les obligations de bonne foi la plus absolue et de franchise. En l’espèce, la Cour ne peut tirer de conclusion sur le fondement de la doctrine de l’abus de procédure.


L’écoulement du temps

[121]       Selon M. Harkat l’écoulement du temps, la durée de l’instance antérieure relative au premier certificat, les délais attribués aux Ministres et l’existence d’un préjudice indéterminé constituent un abus de procédure. Là encore, je rejette cette thèse.

 

[122]       Le certificat en cause en l’espèce a été déposé le 28 février 2008.  Des audiences publiques et des audiences à huis ont eu lieu au début du mois de septembre 2008 et les observations finales ont été entendues au début de l’été 2010. Toutes les décisions relatives à ces audiences ont été rendues à l’automne 2010.  Compte tenu du nombre élevé d’avocats au dossier (leur travail a été substantiel et il a été difficile de fixer des dates d’audience qui convenaient à tous), du processus de communication d'une preuve comptant des milliers de documents déposés dans la foulée de l’arrêt Charkaoui no 2, et de la participation de nombreux témoins aux audiences publiques et aux audiences à huis clos, il a fallu à la Cour un peu plus de 32 mois pour rendre trois jugements sur le fond, ce qui n’est pas déraisonnable.

 

[123]       L’instance précédente relative à l’ancienne LIPR a commencé au mois de décembre 2002. Dans l’arrêt Charkaoui no 1, la Cour suprême a déclaré une partie de cette loi inconstitutionnelle et a accordé un an au gouvernement pour remédier aux vices relevés. Au cours de cette période, le statu quo a été maintenu et M. Harkat est demeuré assujetti aux mêmes conditions de remise en liberté. Les lenteurs encourues à la suite des décisions de la Cour suprême ne peuvent être invoqués comme argument à l’appui de la thèse de l’abus de procédure.

 

[124]       La présente instance a donné lieu à de nombreuses questions, dont le règlement a pris du temps. Citons  le processus de communication de la preuve, les requêtes visant à obtenir accès aux dossiers des sources humaines et au dossier de l’employé, les questions relatives aux communications entre l’avocat et son client, l’examen des conditions de remise en liberté, les  questions précises en cours, notamment la perquisition dans la résidence de M. Harkat, et la question concernant les sources humaines et le polygraphe. Des délais sont inévitables puisqu’ils résultent des interactions humaines et de systèmes en évolution constante. Bien que les circonstances puissent varier, aucune des actions ayant contribué à des délais supplémentaires ne visait à ralentir le processus de façon intentionnelle ou délibérée. Ainsi, on ne peut reprocher à aucune partie les lenteurs incontrôlables.

 

[125]       L’écoulement du temps n’a pas donné lieu à un préjudice qui empêcherait M. Harkat de présenter une défense pleine et entière.

 

[126]       Les faits de la présente affaire remontent au début des années 1990. En raison de sa demande d’asile et de résidence permanente, M. Harkat a fourni des renseignements sur son passé.  Ces renseignements font partie de la preuve en l’espèce.  Pour la première fois en 1997, M. Harkat a été interviewé par des agents du renseignement sur son passé.  Il a été arrêté en décembre 2002 et c’est à ce moment là qu’il est devenu formellement au courant des allégations particulières qui pesaient contre lui. Depuis lors, avec l’aide de ses avocats, il a été en mesure de préparer sa défense. Son plus récent témoignage indiquait qu’il avait une bonne connaissance des faits en cause et l’exposé qu’il a fait de son passé n’a révélé aucun trou de mémoire, mais plutôt le contraire. Même avec l’écoulement du temps, il n’y a pas eu dépérissement des preuves et il n’a pas non plus eu d’effet sur la capacité de M. Harkat de contester les allégations formulées. Des témoins factuels (dont lui-même) et experts ont déposé en sa faveur. Ses avocats publics ont présenté des observations professionnelles d’une grande qualité, qui démontraient clairement une très bonne connaissance des questions juridiques en cause.

 

[127]       Dans l’arrêt Blencoe, la Cour suprême a dit que « le délai ne justifie pas, à lui seul, un arrêt des procédures comme l’abus de procédure en common law. Mettre fin aux procédures simplement en raison du délai écoulé reviendrait à imposer une prescription d’origine judiciaire [...] » (Blencoe, par. 101). Puis, la Cour suprême a énoncé plusieurs critères dont il faut tenir compte pour rechercher si des lenteurs sont excessives :

La question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de la nature de l’affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l’objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne désignée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d’autres circonstances de l’affaire. Comme nous l’avons vu, la question de savoir si un délai est excessif et s’il est susceptible de heurter le sens de l’équité de la collectivité dépend non pas uniquement de la longueur de ce délai, mais de facteurs contextuels, dont la nature des différents droits en jeu dans les procédures. (Blencoe, par. 121)

 

[128]       Je n’ai pas l’intention d’examiner chaque facteur. Il me semble qu’une période de moins de trois ans était raisonnable compte tenu de la nature de l’instance, de la nouvelle procédure à suivre aux termes de la LIPR, de la complexité des questions en litige, de la création de la fonction d’avocat spécial, des milliers de documents déposés dans la foulée de l’arrêt Charkaoui no 2 et de l’intervention de quatorze avocats à l’instance. À un certain nombre de reprises, la Cour a rappelé aux avocats que la loi exigeait que le juge procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive (voir par. 83(1)a) de la LIPR). Compte tenu de cet objectif législatif, l’instance a abouti à une décision ayant un certain caractère définitif dans des délais raisonnables.

 

[129]       Outre l’historique détaillé des procédures et les délais qui y sont inhérents, citons  un aperçu des facteurs contextuels pertinents dont il faut particulièrement tenir compte en l’espèce :

-                     L’instance a été engagée en vertu d’un régime qui a été attaqué presque sur tous les plans lors de contestations fondées sur la Charte et de diverses requêtes. Certaines de ces contestations ont été tranchées par la Cour suprême. En fait, la présente instance s’inscrit dans un contexte de règles de droit en évolution, peaufinées par la Cour et modifiées par le gouvernement afin de se conformer à l’arrêt de la Cour. 

-                     L’affaire en tant que telle porte sur des faits complexes qui s’étendent sur plusieurs années.

-                     La communication de la preuve de type Charkaoui no 2 a mené, en l’espèce, à la communication de plusieurs milliers de documents qui ont dû être examinés en vue d’un caviardage. Par la suite, les avocats spéciaux ont cerné certains de ces renseignements en vue d’une communication. 

-                     Dans les arrêts Harkat (Re), 2004 CF 1717 et Harkat (Re), 2005 CF 393, la Cour a reconnu que le demandeur avait contribué aux retards accumulés au cours de l’instance.

-                     La nature de la preuve est un facteur à considérer (Lopes c. Canada (M.C.I.), 2010 CF 403). En l’espèce, le demandeur soutient qu’il a subi un préjudice à cause des  « limites de la mémoire humaine ». Toutefois, le demandeur a généralement manifesté un déni à l’égard de la preuve, des conversations qui auraient eu lieu et de la connaissance de certaines personnes. Une personne ne peut pas invoquer que l’écoulement du temps lui a causé un préjudice lorsqu’elle répond aux accusations par un déni généralisé. Par contre, si une personne visée conteste la preuve à l’aide d’affirmations nuancées et fondées sur des faits, il se pourrait que l’écoulement du temps lui a causé préjudice. Ce n’est pas le cas en l’espèce. 

-                     La procédure qui a abouti à la déclaration d’inconstitutionnalité du certificat de 2002 ne peut pas constituer un délai déraisonnable et préjudiciable, comme son seul objectif était de faire valoir les droits de M. Harkat garantis par la Charte et que cette procédure n’était aucunement vexatoire.

 

[130]       Par conséquent, conformément à l’analyse contextuelle formulée dans l’arrêt Blencoe, l’écoulement du temps, en l’espèce, n’a pas donné lieu à aucun abus ni causé de préjudice. Le sens de la justice et de la décence de la collectivité n’a pas non plus été heurté par les lenteurs accumulées au cours de la présente instance.

 

Les communications entre l’avocat et son client

[131]       M. Harkat soutient que certaines conversations protégées par le secret professionnel de l’avocat ont été enregistrées et conservées, malgré les prétentions de l’ASFC voulant qu’existe une pratique de dissociation.  Il est vrai que certaines conversations visées par le secret professionnel ont été enregistrées, mais elles n’ont pas été écoutées. On a suivi une pratique de dissociation.

 

[132]       Cette ambiguïté vient du fait que si les conditions de remise en liberté initiales de M. Harkat comprenaient la surveillance de ses conversations, elles étaient muettes quant aux conversations avec ses avocats. Ce sont les avocats des parties qui ont rédigé ces conditions.

 

[133]       Lorsque cette question a été soulevée à l’automne 2008, la Cour a modifié les conditions pour clarifier la situation :

[TRADUCTION] Il est entendu que si le contenu d’une communication orale interceptée sur la ligne téléphonique terrestre de la résidence de M. Harkat constitue une communication entre l’avocat et son client, l’analyste, dès qu’il se rend compte qu’il s’agit d’une telle communication doit cesser la surveillance de la communication et effacer l’interception.

 

(voir l’ordonnance du 23 décembre 2008 qui ajoute le paragraphe 13.1 à l’ordonnance du 5 décembre 2008)

 

 

[134]       Lors des audiences publiques et des audiences à huis clos, la Cour a également examiné la question de l’interception des communications qui ont lieu entre avocat et client. Lors de l’audience publique du 15 décembre 2008, la Cour a lu le résumé ci-après de l’audience à huis clos :

[TRADUCTION] Les appels téléphoniques en provenance et à destination de la résidence de M. Harkat sont interceptés conformément aux ordonnances rendues par la Cour et aux consentements donnés par les parties. Le SCRS effectue l’interception des appels téléphoniques à titre de mandataire de l’ASFC.

 

Les analystes de l’ASFC écoutent les conversations interceptées. Une partie de ces conversations comprend des enregistrements d’appels téléphoniques entre M. Harkat et ses avocats. Dès qu’un analyste de l’ASFC s’aperçoit qu’une conversation est protégée par le secret professionnel de l’avocat, l’analyste cesse l’écoute, c’est-à-dire qu’il arrête d’écouter cette conversation et n’écoute aucune autre partie de cette conversation. Parfois, il doit écouter le début de la conversation pour pouvoir établir qu’il s’agit de l’avocat ou d’un membre de son personnel qui a téléphoné.

 

L’ASFC interprète largement  la notion de conversation protégée par le secret professionnel de l’avocat. Tout appel d’un avocat ou de la part de son personnel est considéré comme protégé par ce privilège. La politique sur la cessation de l’écoute des conversations protégées par ce privilège n’est pas une politique écrite. On en avise verbalement les analystes de l’ASFC qui commencent à travailler dans ce genre de dossiers. Mme Snow ne sait pas si on a avisé les avocats ou le SCRS de l’existence de cette politique.

 

Les documents sont conservés de façon sécuritaire. Mme Snow est au courant du témoignage rendu par M. Philip Whitehorne dans l’affaire Mahjoub concernant les communications interceptées. M. Whitehorne est gestionnaire au Bureau régional du Nord de l’Ontario ( NORO) de l’ASFC. Il ne fait pas partie de l’équipe de Mme Snow et ne relève pas d’elle.

 

Selon Mme Snow, le SCRS a communiqué directement avec NORO au sujet d’une conversation entre M. Harkat et ses avocats car celle‑ci soulevait des questions urgentes relatives à la sécurité de certaines personnes. Il s’agissait d’une question de vie privée. C’est moi qui ajoute ceci : il s’agissait d’une question personnelle.

 

Cette communication n’a pas suivi la façon habituelle  susmentionnée de transmission des documents à l’ASFC. Dans ce cas-ci, les renseignements ont été communiqués directement à NORO à cause de l’urgence apparente de la situation. NORO s’occupe de la supervision des conditions, des sorties et des visiteurs.

 

NORO a communiqué avec l’unité antiterroriste. Ces renseignements n’ont donné lieu à aucune mesure et n’ont eu aucune suite. La situation urgente s’est finalement réglée.

 

Mme Snow a entendu dire par quelqu’un qui travaille à NORO que la situation était réglée, mais elle ne sait pas par quel moyen cette information a été obtenue. Les détails au sujet de cette situation personnelle ont été révélés aux avocats de M. Harkat il y a quelques instants dans mon bureau.

 

À part l’appel téléphonique susmentionné et les bribes de conversations permettant aux analystes d’établir si un appel était de nature privilégiée, l’ASFC n’est pas au courant du contenu d’aucun autre appel téléphonique entre les avocats et leur client. Aucun courrier électronique n’a été intercepté entre les avocats de M. Harkat et les personnes habitant avec M. Harkat.

 

(voir les transcriptions de l’audience du 15 décembre 2008, de 2 à 5 et les transcriptions de l’audience du 16 décembre 2008, de 163 à 164)

 

Telle était la situation jusqu’à la fin de l’année 2008.

 

 

[135]       Récemment, M. Michael Pierce, avocat des Ministres chargé des questions de la communication entre un avocat et son client, a fait une mise à jour de l’état de la situation dans une lettre en date du 30 août 2010. Une fois les locuteurs identifiés, aucune conversation entre les avocats et leur client n’a été écoutée.

 

[136]       Dès que se sont manifestés des indices révélateurs d’un problème possible relatif aux communications entre un avocat et son client, la Cour est intervenue pour clarifier la situation, elle l’a examinée et s’est prononcée sur la question lors des audiences publiques. Aucune autre question n’a été soulevée à ce sujet depuis que la situation a été éclaircie en décembre 2008. Ainsi, aucun fait indicateur d’un abus de procédure possible n’a été établi. 

 

La perquisition effectuée à la résidence de M. Harkat

 

[137]       Le 12 mai 2009, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a effectué une perquisition à la résidence de M. Harkat. Lorsqu’elle a été mis au courant de la perquisition et de la façon dont elle avait été menée, la présente Cour a modifié les conditions de remise en liberté en vue de garantir que toute future perquisition (voir l’ordonnance datée du 12 mai 2009) soit préalablement autorisée par elle. De leur propre initiative, les Ministres ont conservé les articles saisis dans une enveloppe scellée jusqu’à la décision de la Cour.

 

[138]       De plus, la Cour a ordonné la tenue d’une audience relative à la perquisition et a déféré à la protonotaire Tabib la question du secret professionnel de l’avocat, découlant de la saisie des documents, pour que celle-ci statue sur toute question s’y rapportant. Il a été ordonné que certains documents protégés soient rendus à M. Harkat (voir l’ordonnance datée du 21 mai 2009). Par conséquent, la perquisition n’a donné lieu à aucune violation du secret professionnel de l’avocat.

 

[139]       À l’issue de l’audience, la Cour a conclu que la perquisition était déraisonnable et a ordonné que tous les renseignements, les biens et les dossiers saisis soient rendus à M. Harkat (voir Harkat (Re), 2009 CF 659). Une mesure entièrement appropriée a été accordée au demandeur à l’égard de la perquisition effectuée à sa résidence. La Cour a critiqué l’ASFC pour sa conduite et a souligné sans hésitation ni ambiguïté le caractère illégal et abusif de la perquisition. Par exemple, la Cour a dit au paragraphe 59 :

Après examen de la preuve dont dispose la Cour, je conclus que le paragraphe 16 de l’ancienne ordonnance n’autorisait pas une perquisition et une saisie de nature aussi envahissante et de portée aussi large que celles effectuées par l’ASFC le 12 mai 2009. L’autorisation judiciaire d’effectuer une perquisition doit être interprétée de façon raisonnable, suivant le bon sens et à la lumière de l’obligation qui incombe à tous les représentants de l’État de respecter la Charte. L’interprétation large et libérale donnée au paragraphe 16 par l’ASFC, comme en font foi les témoignages, est inacceptable lorsqu’il est question du droit à la vie privée des personnes vivant au Canada.

 

 Par conséquent, une violation de la Charte pour laquelle une mesure appropriée a été accordée ne peut appeler l’arrêt des procédures. 

 

Les questions relatives aux sources humaines et au polygraphe

[140]       La question relative aux sources humaines et au polygraphe a été soulevée par les avocats des Ministres,  dans une lettre datée du 26 mai 2009, dans laquelle ils informaient la Cour qu’il n’y avait pas eu communication de certains renseignements d’importance concernant une source humaine et des résultats à un test polygraphique. La Cour a immédiatement ordonné que le dossier complet de la source humaine soit exceptionnellement communiqué à la Cour et aux avocats spéciaux (voir Harkat (Re), 2009 CF 553). Après la tenue d’une audience à huis clos complète  sur la question, la Cour a conclu que les témoins n’avaient pas eu l’intention délibérée de l’induire en erreur.  En raison d’un ensemble de lacunes institutionnelles, certains renseignements pertinents n’ont pas été produits devant la Cour et que cette situation aurait pu entraîner un grave préjudice pour  M. Harkat s’il n’y en avait pas eu communication. Exceptionnellement, il a été ordonné que la Cour et les avocats spéciaux aient accès à un autre dossier d’une source humaine. Une telle mesure était nécessaire afin de rétablir la confiance dans le processus, tout en protégeant les sources humaines au nom de la sécurité nationale (voir Harkat (Re), 2009 CF 1050). Les avocats spéciaux ont demandé une mesure fondée sur l’article 24 de la Charte, sollicitant l’exclusion de tout élément de preuve émanant de la première source humaine, ce qui a été refusé.

 

[141]       La Cour a conclu, dans l’arrêt Harkat (Re), 2009 CF 1050, que le défaut de communiquer des renseignements relatifs à la fiabilité de certaines sources humaines découlait de lacunes institutionnelles, et non de la mauvaise foi ou d’une attitude par ailleurs malveillante du SCRS.

 

[142]       Comme la Cour l’a souligné, si elle ne s’était pas prononcée sur la fiabilité des sources humaines, le demandeur aurait pu subir un préjudice grave. Toutefois, elle s’est bel et bien prononcée et la Cour a accordé une mesure efficace. Ainsi, il n’est pas nécessaire de débattre à nouveau cette question.

 

[143]       Dans les deux cas, la Cour a remédié au problème de manière tangible en ordonnant la remise à M. Harkat de tous les documents saisis dans le cadre de la perquisition, en imposant l’obligation d’obtenir l’autorisation de la Cour pour toute perquisition future ainsi qu’en ordonnant la production de deux dossiers de sources humaines vus par la Cour et les avocats spéciaux.  Des mesures importantes ont été accordées et rien ne justifie une autre intervention de la Cour. 

 

 

L’effet cumulatif

[144]       Il est utile de rappeler les trois critères qui permettent d’établir s’il a eu un abus de procédure, rendant nécessaire l’arrêt des procédures : (1) le préjudice causé par l’abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue; 2) aucune autre mesure ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice (O’Connor, par. 75); et (3) il faut mettre en balance et évaluer l’intérêt que représente pour la société une audience complète et une décision définitive sur le fond (Regan, par. 57).

 

[145]       En l’espèce, il faut tenir compte de l’effet cumulatif des éléments constitutifs de l’abus de procédure. Ainsi, les observations formulées portent simplement sur des violations antérieures et alléguées, auxquelles la Cour a remédié. Les motifs possibles qui n’ont pas été examinés, notamment l’écoulement du temps et la violation alléguée de l’obligation de franchise, ne permettent aucunement de croire qu’il y a eu abus de procédure, encore moins un abus de procédure appelant l’arrêt des procédures. Le déroulement du procès n’a ni perpétué ni aggravé la conduite reprochée, il l’a plutôt corrigée. À de nombreuses reprises, la Cour a été attentive et sensible aux droits que tire le demandeur de la Charte. Par conséquent, puisqu’il n’est pas satisfait au premier critère eu égard à la tenue des audiences à huis clos et aux audiences publiques  et aux autres mesures accordées, il n’y a pas lieu d’ordonner l’arrêt des procédures.  

 

[146]       De plus, par souci de clarté, compte tenu du troisième critère de l’« intérêt public », celui-ci appelle le maintien de la procédure.  On a allégué qu’il s’est écoulé beaucoup de temps. Des ressources publiques considérables ont été affectées aux procédures visant le demandeur. L’arrêt des procédures, sans qu’il soit statué sur  l’allégation des Ministres portant que  le certificat délivré contre M. Harkat est raisonnable pour des motifs de sécurité, choquerait le sens de la justice du grand public, au lieu de le favoriser.  La gravité des accusations et l’intérêt public à ce que soit rendu une décision sur le fond  ont été reconnus (Al Yamani c. Canada, 2003 CAF 482). Outre l’intérêt de la collectivité, M. Harkat a lui-même un intérêt personnel à ce qu’une décision sur le fond soit rendue, quelle qu’en soit l’issue. On ne peut ordonner l’arrêt des procédures et laisser susbsister l’incertitude quant à la réputation de M. Harkat.  L’arrêt des procédures ne se veut pas une forme de punition pour les autorités publiques (Tobiass). Par conséquent, il est dans l’intérêt public que les questions soient tranchées sur le fond.   

 

[147]       Par conséquent, il n’y a pas eu d’abus de procédure cumulatif et l’arrêt des procédures ne constitue pas une mesure appropriée.

 

Questions certifiées

[148]       Les parties sont invitées à présenter des questions à certifier. Elles disposent de quinze (15) jours pour le faire. À la réception de ces questions, les parties disposeront de cinq (5) jours pour présenter des observations, s’il y a lieu.  


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE  :

 

-           La requête fondée sur l’abus de procédure tendant à l’exclusion des résumés des conversations ou l’arrêt des procédures est rejetée.

 

 

« Simon Noël »

Juge


 

Date : 20110114

Dossier : DES-5-08

Ottawa (Ontario), le 14 Janvier 2011

En présence de monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT UN CERTIFICAT EN VERTU DU PARAGRAPHE 77(1) DE LA LOI SUR L'IMMIGRATION ET LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS

et

 

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT

 MOHAMED HARKAT

 

            Annexe A Très Secret caviardé aux Motifs d’Ordonnance et l’Ordonnance concernant la requête pour abus de procédure. Citation Neutre No. 2010CF1243

 

« Simon Noël »

Juge


TRÈS SECRET

 

ANNEXE « A »

 

[1]   Dans le cadre des soumissions présentées à huis clos, les avocats spéciaux ont déposé  une requête indiquant que les ministres avaient manqué à leur obligation de franchise et de bonne foi la plus absolue puisqu’ils n’ont pas fait de leur mieux pour recueillir les renseignements devant permettre à la Cour de prendre une décision éclairée. Ils demandent un arrêt des procédures. Les ministres sont d’avis qu’une telle obligation ne s’applique pas aux audiences à huis clos. En présumant qu’elle reçoive application, ils affirment que cette obligation a été respectée. Pour bien comprendre la présente ordonnance, les présents motifs devraient être lus conjointement avec les motifs publics rendus sur la question. 

 

Observations des avocats spéciaux

[2]   Dans le cadre des observations présentées à huis clos, les avocats spéciaux ont fait valoir que les ministres et le Service avaient manqué à leur obligation de franchise et de bonne foi la plus absolue puisqu’ils n’ont pas fait de leur mieux pour recueillir toute l’information disponible pour aider la Cour à prendre une décision appropriée et éclairée. Ils se fondent seulement sur l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3 (« Ruby ») comme faisant autorité sur la question de l’existence de l’obligation de la bonne foi la plus absolue. Par ailleurs, les avocats spéciaux soutiennent que les ministres et le SCRS ont omis d’obtenir tous les renseignements et opinions xxx xxxxxx xxxxxxx xxx xxx xxxxxxx xx xx xxxxxx xxxxxxxx, qu’ils n’ont pas tenté d’obtenir xxxxxxxxx une mise à jour des renseignements ou une évaluation concernant la situation d’Abu Zubaydah, qu’ils n’ont pas obtenu de renseignements additionnels sur Triki xxx xxxxxxx xxxxxxxxx, et qu’ils n’ont jamais cherché, jusqu’à un stade extrêmement avancé des procédures, à obtenir des renseignements au sujet de Wazir, et ce, seulement après qu’on eut appris que ce dernier avait été remis en liberté. Les avocats spéciaux soutiennent que l’obligation de bonne foi la plus absolue telle que définie dans Ruby (qui oblige les ministres à communiquer tout renseignement pertinent, y compris les renseignements non favorables à leur position) devrait être élargie de façon à inclure une obligation de mise à jour de la preuve à mesure qu’évoluent les procédures. 

 

[3]   Les avocats spéciaux ont fait référence à l’allégation avancée par les avocats publics et les ministres au sujet de l’abus de procédure ainsi qu’aux moyens et à la jurisprudence cités dans les soumissions écrites des ministres en réponse à la requête invoquant l’abus de procédure, tout particulièrement la partie sur l’arrêt des procédures. Sauf la mention de l’arrêt Ruby, les avocats spéciaux n’ont signalé aucune autre décision à l’appui de leur allégation que l’obligation de bonne foi la plus absolue devrait être élargie pour inclure une obligation de mise à jour de la preuve à mesure qu’avancent les procédures.

 

Les observations des ministres

[4]   Les ministres ont répondu que l’obligation de bonne foi la plus absolue ne s’applique pas en règle générale aux procédures relatives aux certificats de sécurité. Ils soutiennent que les avocats spéciaux ne font pas référence à  l’obligation de bonne foi la plus absolue qui s’applique aux obligations de l’avocat dans une procédure ex parte lorsque le décideur peut être induit en erreur par une présentation unilatérale des faits pertinents. Ils semblent plutôt faire référence à l’obligation de se renseigner qui incombe au procureur de la Couronne dans une instance criminelle. Les ministres soutiennent qu’une telle obligation n’existe pas ou, en présumant qu’elle reçoive application, qu’ils  l’ont pleinement respecté et qu’ils ont agi raisonnablement dans les circonstances.

 

Analyse

 

[5]   Sans que j’aie à me prononcer sur l’étendue de l’obligation de bonne foi la plus absolue dans le cadre des audiences à huis clos, il ressort des faits de la présente affaire  que les ministres et le SCRS se sont efforcés d’obtenir les renseignements et de les  mettre à jour. Dans le cadre des présentes procédures, la Cour et les parties ont eu le privilège d’obtenir une communication complète des xxxx dossiers de sources humaines. La Cour en a donc fait l’appréciation. Ces renseignements sont habituellement protégés par le privilège relatif aux sources humaines secrètes (voir Harkat (Re), 2009 CF 204). Ayant examiné l’ensemble de la preuve relative aux sources humaines, y compris xxxxx, la Cour conclut qu’il n’existait pas d’obligation d’obtenir de xxx xxx xxxx x xxxx xxx xxxxxxxxxxxxx xxx xxx xxxxxx xx xx xxxxx xx xxxxxxxx xx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx. Le SCRS a fait part à la Cour et aux avocats spéciaux de tous les renseignements qu’il a reçus de xxxxxxx xxxxx xxxxxxxx xx xxxxxx xx xxxxxx xxxxxxxx, xx xxxx x xxxxxx xx xxxxxx xxxx xx xxxxxxxx xxx xxxxxxxx xxxxxxx x xxxxxx xx xx xxxx xxxx xxxx xx xxxxxxx xxxxxx xx xxxxxx, xxxx xxxxxxxxxx, xx xxxxxxxxxxx xx xxxxxxx, xx xxxx xxx xxxxxx xxxxx xxxxxx xxx xxxxxx xx xxxxxxxx xxxxxxxxx xxx xxx xxxxxxx xx xxx xxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxx xxxx xxxx xxx xxxxxx, xx x xxxx-xxxx xxx xxxxxxxxxx xxxx xx xxxxxxxx xx xxxxxxxx xxx xxxxxxxx xxxx xx xxxxxx xxxxxxxx xxxx xxx xxxxxxxx xxxxxxxx x xxx xxxxxxxxx x xx xxxxxxxxxxxx xxx xxxxxxxx xxxxxxxx. De toute façon, le Service a fourni des renseignements et il appartient à la Cour d’établir l’importance de cette preuve. La mise à jour de certains renseignements xxx xxxxxxx,  souhaitée par les avocats spéciaux, n’est donc pas nécessaire puisque la Cour est d’avis qu’elle dispose de renseignements qui lui ont permis de conclure xxxxxx xxx xxxxxxx xx xx xxxxx xx xxxxxxxxxx xx xxxxxx.

 

[6]   L’obligation des ministres d’obtenir des renseignements à jour a été soulevée au cours de l’audience publique. La Cour a clairement indiqué que, même si elle ne peut contraindre les ministres à retourner à leurs sources et à leur demander des mises à jour, cela lui serait utile si quelque chose était fait à cet égard (voir la transcription des débats publics, Vol. 24, p. 145, 146 et 147). Cependant, comme l’ont indiqué les avocats des ministres lors de l’audience publique, les avocats publics ont été mis au courant des efforts que les ministres ont déployés pour obtenir davantage de renseignements à la fois sur M. Zubaydah et M. Wazir (voir la transcription des débats publics, Vol. 25, p. 2). En réponse, les ministres ont envoyé une demande x xx xxx et ont reçu une réponse relativement à Abu Zubaydah (voir pièce M65). En xxxx xxxx, ils ont également envoyé xxxxxxxxxx une demande au sujet de Hadje Wazir. Puisqu’ils n’avaient reçu aucun nouveau renseignement et que la Cour avait autorisé les parties à déposer de nouveaux renseignements jusqu’au 31 août 2010, les ministres ont de nouveau communiqué avec xx xxx au début d’août 2010 pour s’enquérir au sujet de nouveaux renseignements concernant Hadje Wazir. En date du 31 août 2010, aucun renseignement n’a été reçu xx xx xxx au sujet de M. Wazir (voir pièce M73). Les ministres se sont donc acquittés de leur obligation et ont déployé des efforts raisonnables pour obtenir xx xx xxx des renseignements à jour.  Il ne revient pas aux ministres de contrôler ni de décider si la réponse xx xx xxx était suffisante ou non. Cela ne plaît peut-être pas aux avocats spéciaux, mais il appartient à la Cour de faire l’appréciation de la preuve telle qu’elle est présentée.

 

[7]   En ce qui a trait à Triki, la preuve indique que les renseignements présentés étaient suffisants, comme l’illustre la décision sur le caractère raisonnable. Compte tenu xx xxxxxx de preuve sur cet individu, il n’était pas nécessaire d’obtenir davantage de renseignements à son sujet. 

 

Conclusion

[8]   Pour les motifs susmentionnés, la Cour rejette la demande des avocats spéciaux en vue d’un arrêt des procédures, fondée sur l’obligation de franchise et de bonne foi la plus absolue des ministres et du SCRS. 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        DES-5-08

 

INTITULÉ :                                       Dans l’affaire du certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et dans l’affaire concernant Mohamed HARKAT

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               audiences publiques:     les 3, 4, 5 et 6 novembre 2008

les 18, 19, 20, 21 et 22 janvier 2010

les 25, 26, 27, 28 et 29 janvier 2010

                                                                                                les 1er, 2, 3, 4 et 5 février 2010                                                                                     les 8, 9, 10, 11 et 12 février 2010

                                                                                                les 8, 9, 10 et  11 mars 2010

                                                                                                les 30 et 31 mars 2010

                                                                                                le 31 mai 2010

                                                                                                les 1er et 2 juin 2010

 

                                                            audiences à huis clos :   les 10, 11, 12, 15, 16, 17,

                                                                                                18 et 19 septembre 2008

les 23, 24, 25 et 26 novembre 2009

                                                                                                les 1er et 2 décembre 2009

                                                                                                le 30 mars 2010

                                                                                                les 26 et 27 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      9 décembre 2010

 

COMPARUTION :

 

Andre Séguin

David Tyndale

Bernard Assan

Amina Riaz

Gordon Lee

 

POUR LES MINISTRES

Matthew Webber

Norman Boxall

Leonardo Russomanno

 

POUR MOHAMED HARKAT

Paul Cavalluzzo

Paul Copeland

 

AVOCATS SPÉCIAUX

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES MINISTRES

Webber Schroeder

Ottawa (Ontario)

and

Bayne Sellar Boxall

Ottawa (Ontario)

 

POUR MOHAMED HARKAT

Paul Cavalluzzo

Paul Copeland

 

AVOCATS SPÉCIAUX

 

 

 

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