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Cour fédérale

 

Federal Court

                                                                                                            Date : 20101105

 

Dossier : IMM-1510-10

Référence :  2010 CF 1093

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2010

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer 

 

ENTRE :

 

HANAN HUSSSEIN RAMADAN

EVELYN HAIDAR RESLAN RAMADAN

SIRENA HAIDAR RESLAN RAMDAN

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

Défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 c. 27 ( la LIPR ), d’une décision de la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié (le tribunal) rendue le 25 février 2010 rejetant la demande d’asile de la demanderesse et de ses filles au motif qu’elles n’avaient pas la qualité de réfugiées au sens de la Convention ni de personnes à protéger.

LES FAITS

 

[2]               La demanderesse principale est de citoyenneté libanaise. En juillet 1996, elle est allée rejoindre son mari au Paraguay et y a résidé pendant plus de dix années. Ses deux filles mineures sont citoyennes du Paraguay.

 

[3]               Dès 2002, la demanderesse allègue que la situation dans sa famille s’est détériorée alors que son mari restait souvent à l’extérieur du foyer et dilapidait le patrimoine familial en buvant et en s’adonnant au jeu.

 

[4]               Elle allègue également que les abus physiques et psychologiques sont devenus fréquents et que son mari a même tenté de lui faire signer de force des documents légaux l’autorisant à vendre un terrain au Liban dont elle avait hérité de son père.

 

[5]               La demanderesse est alors retournée au Liban mais est ensuite revenue vivre au Paraguay afin de tenter de régler ses problèmes avec son mari.

 

[6]               A son retour au Paraguay, elle a obtenu un poste de comptable à l’Ambassade du Liban mais son mari a continué à dilapider le revenu qu’elle gagnait. 

 

[7]               En juillet 2005, son mari est retourné au Liban et à la mi-septembre, elle a appris par téléphone que ce dernier ne comptait plus revenir au Paraguay.

 

[8]               Vers la fin septembre 2005, elle aurait commencé à recevoir des appels téléphoniques de personnes d’origine libanaise et paraguayenne voulant s’entretenir avec son mari. Lorsqu’elle les a informées que son mari ne vivait plus au Paraguay, ces personnes lui ont réclamé de l’argent qu’elles disaient lui avoir prêté.

 

[9]               La demanderesse allègue qu’avec le temps, les appels sont devenus de plus en plus fréquents, abusifs et violents, qu’elle a reçu des menaces de mort et d’enlèvement et qu’elle a dû prendre des mesures de sécurité pour protéger ses enfants. Elle soutient aussi que durant cette période, son mari la contactait régulièrement, l’insultait et la menaçait.

 

[10]            L’ambassadeur du Liban lui aurait conseillé de quitter le pays et lui aurait affirmé qu’il ne lui servait à rien d’informer les autorités paraguayennes puisqu’elle courrait un risque plus élevé, à l’instar d’autres familles qui avaient été enlevées et exécutées.

 

[11]           En janvier 2006, la demanderesse a commencé à vendre ses biens afin de rembourser les personnes qui la menaçaient le plus. Elle a alors demandé à son frère de les aider à fuir le Paraguay. Celui-ci lui a fait parvenir une lettre d’invitation et l’ambassade du Canada lui a accordé un visa.

 

[12]           Le 5 mars 2007, la demanderesse et ses filles ont quitté le Paraguay. Elles ont demandé l’asile au Canada le 22 mars 2007.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

(1)   Le tribunal a-t-il erré en concluant que la demanderesse et ses filles étaient exclues de l’application de l’article 1E de la Convention relative au statut des réfugiés (la Convention)?

 

(2)   Le tribunal a-t-il conclu déraisonnablement que la demanderesse et ses filles auraient pu bénéficier de la protection de l’État paraguayen?

 

NORMES DE CONTRÔLE APPLICABLES

 

[13]           La jurisprudence nous enseigne que deux normes s’appliquent relativement à l’exclusion en vertu de l’article 1E de la Convention. La norme de la décision correcte est utilisée pour déterminer si le bon critère juridique a été appliqué et la norme de la décision raisonnable est utilisée pour vérifier si le tribunal a bien appliqué les faits au droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Zeng), 2010 CAF 118; Mai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 FC 192).

 

[14]           La conclusion du tribunal relativement à la protection de l’État s’avère une question mixte de faits et de droit et en conséquence, la norme de la décision raisonnable s’applique (Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171; Rocque c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 802).

 

ANALYSE

 

(1) Le tribunal a-t-il erré en concluant que la demanderesse et ses filles étaient exclues de l’application de l’article 1E de la Convention  ?

 

[15]           La section E de l’article 1 de la Convention stipule :

Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel elle a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

 

[16]           Selon l’article 98 de la LIPR, toute personne visée par l’article 1E de la Convention ne peut avoir la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

 

[17]           La demanderesse soutient que le tribunal a erré en évaluant la preuve et en concluant qu’il y avait une preuve prima facie qu’au jour de la fin de l’audience, soit le 9 février 2010, elle avait le droit de retourner s’établir au Paraguay. Le tribunal ne pouvait exiger qu’elle renouvelle ses documents au Paraguay alors qu’elle craignait pour sa sécurité et celle de ses enfants dans ce pays. 

 

[18]           La jurisprudence a élaboré un cadre d’analyse afin de déterminer si une personne remplit les critères de l’article 1E de la Convention. D’abord, le Ministre doit établir, prima facie, que le demandeur peut revenir dans son pays et bénéficier des mêmes droits que les nationaux du pays. Si cette étape est remplie avec succès, le fardeau est alors renversé sur le demandeur qui doit démontrer qu’il ne peut effectivement bénéficier des droits que lui conférait sa résidence (Mai c. Canada (précité); Romero c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 506; Hassanzadeh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CF 1494).

 

[19]           Les droits dont le demandeur doit bénéficier pour que cette preuve prima facie soit établie ont également été définis par la jurisprudence. Il s’agit du droit de retourner dans son pays de résidence, du droit de travailler sans restriction, du droit d’étudier et du droit d’utiliser sans restriction les services sociaux  (Vifansi c. Canada (Citoyenneté et  Immigration,) 2003 CFPI 284, au par. 27).

 

[20]           L’arrêt Zeng c. Canada, (précité), au par. 34 propose une analyse à trois volets afin de déterminer le moment où le demandeur jouit d’un statut dans le tiers pays conférant les droits équivalents à ceux des nationaux. Le demandeur doit jouir de ce statut au moment où il dépose sa demande au Canada et le jour où sa demande d’asile est tranchée. Si c’est le cas, l’exclusion de l’article 1E de la Convention s’applique.  S’il ne jouissait pas de ce statut, le tribunal doit vérifier si le demandeur aurait pu préserver son droit d’entrer dans le pays ou s’il a une raison valable de ne pas l’avoir préservé. La Cour d’appel fédérale a confirmé cette analyse dans Canada c. Zeng, (précité).

 

[21]           Dans sa décision, le tribunal a estimé qu’à la lumière de la preuve documentaire et testimoniale, il était établi prima facie que la demanderesse rencontrait les critères de l’article 1E de la Convention.

 

[22]           Le tribunal a pris en considération les renseignements fournis par la demanderesse dans son Formulaire de renseignements personnels selon lesquels elle détenait la résidence permanente au Paraguay. Il s’est également appuyé sur le témoignage de la demanderesse en audience selon lequel elle avait la résidence permanente depuis 1996 ainsi que sur la preuve objective selon laquelle la détention de résidence permanente au Paraguay permet de séjourner de manière illimitée au pays.

 

[23]           A la lumière de cette preuve et de la jurisprudence, le tribunal a déterminé qu’il était établi, prima facie, que la demanderesse avait, le 9 février 2010, soit la journée de la fin de son audience, « le droit de retourner vivre dans son pays de résidence, le droit d’y travailler sans restriction, le droit d’y étudier et le droit d’y utiliser sans restriction différente de celle s’appliquant aux citoyens paraguayens, les services sociaux disponibles dans ce pays ».

 

[24]           La conclusion du tribunal à l’effet qu’il existait une preuve prima facie que la demanderesse détenait toujours la résidence permanente au Paraguay s’appuyait sur les éléments de preuve objectifs et crédibles et la Cour doit faire preuve de retenue à son égard.

 

[25]           Le tribunal a ensuite déterminé que la demanderesse n’avait pas renversé la présomption qu’au moment où elle a présenté sa demande d’asile et ce, jusqu’à la fin de l’audience, i.e. le 9 février 2010, la demanderesse était encore reconnue par le Paraguay comme détenant la résidence permanente.

 

[26]           La demanderesse n’a fourni aucune preuve que son statut de résident permanent aurait pu expirer. En outre, lors de son témoignage en audience, elle a admis ne pas s’être informée de la validité de son statut de résidente permanente au Paraguay, ce qui a été corroboré par le témoignage de son frère.

 

[27]           Ainsi, la conclusion à l’effet que la demanderesse ne s’était par déchargée de son fardeau de prouver qu’elle n’était plus reconnue au Paraguay comme résidente permanente et qu’elle ne pouvait bénéficier des droits que lui conférait son statut est également raisonnable.

 

[28]           En conséquence, je suis d’avis que le tribunal n’a pas commis d’erreur en concluant que la demanderesse principale était exclue en vertu de l’article 1E de la Convention.

 

(2) Le tribunal a-t-il conclu déraisonnablement que la demanderesse et ses filles auraient pu bénéficier de la protection de l’État au Paraguay?

 

[29]           En l’espèce, la demanderesse a allégué ne pas avoir tenté d’obtenir la citoyenneté paraguayenne au moment où elle était résidente permanente de ce pays parce qu’elle était victime des menaces de son mari et de ses créanciers. Or, lors de son audience devant le tribunal, elle a elle-même admis qu’elle n’avait effectué aucune démarche en vue d’obtenir la protection de l’État paraguayen.

 

[30]           Suite à ce témoignage, le tribunal a conclu, à la lumière de la preuve documentaire, que bien que la situation en matière des droits des personnes ne s’avère par parfaite et qu’il existe des problèmes de corruption et de violence faite aux femmes, la preuve objective documentaire indique que des efforts importants sont faits pour lutter contre la violence conjugale et qu’il est possible de porter plainte devant différents organismes étatiques. Il existe également plusieurs organisations non gouvernementales nationales et internationales ainsi que des organisations financées par le gouvernement spécialisées dans le domaine des droits de la personne qui sont actives au Paraguay et qui auraient pu guider ou aider la demanderesse dans ses démarches.

 

[31]           La demanderesse soutient que cette conclusion du tribunal est déraisonnable.

 

[32]           L’arrêt Canada (Procureur Général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 725 a clairement établi qu’à moins qu’il y ait un effondrement total de l’appareil étatique, l’on doit présumer qu’un État est capable de protéger ses ressortissants et qu’il faut se prévaloir des mesures de protection dans son pays avant de revendiquer l’asile dans un autre pays.

 

[33]           La jurisprudence à cet égard a insisté sur la qualité de la preuve qui devait être présentée pour que le demandeur se décharge de son fardeau de renverser la présomption :

 

« (…) La preuve aura une valeur probante suffisante si elle convainc le juge des faits de l’insuffisance de la protection accordée par l’État considéré. Autrement dit, le demandeur d’asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » (Carrillo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 94, au par. 30).

 

 

[34]           L’arrêt Ward, (précité), p. 724, nous enseigne aussi qu’en pratique, le demandeur peut « prouver l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection » du fait qu’il ait refusé de demander leur protection en présentant, par exemple, le témoignage de personnes dans une situation similaire dont les dispositions prises par l’État pour leur venir en aide n’ont pas donné de résultat. Il pourrait également présenter son propre témoignage au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels bien que sollicitée, la protection de l’État ne s’est pas concrétisée.

 

[35]           Or, la demanderesse a elle-même témoigné à l’effet qu’elle n’a fait aucune démarche pour s’adresser aux autorités, auquel cas elle aurait pu démontrer que l’État n’était pas en mesure d’assurer sa protection.

 

[36]           Tout en prenant en considération la vulnérabilité de la demanderesse en tant que femme séparée de son mari, le tribunal a jugé, à la lumière de la jurisprudence, que « son témoignage ne constitue pas une preuve pertinente, fiable et convaincante permettant de conclure que la présomption de la capacité des autorités paraguayennes de protéger leurs citoyens et leurs résidents permanents a été renversée dans son cas personnel et celui de ses filles mineures ».  Il a jugé qu’il ne s’agissait pas d’une situation dans laquelle il s’avérait déraisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse et ses filles fassent des démarches pour obtenir la protection étatique.

 

[37]           De la même façon, dans un arrêt récent, la Cour fédérale a confirmé qu’il existait actuellement au Paraguay des services pour les femmes victimes de violence :

 

« Il est évident, d’après la preuve documentaire, que la violence domestique est assez courante au Paraguay, mais cette preuve démontre aussi que plusieurs victimes portent plainte et s’avèrent des services offerts. De ce fait, il était loisible au Tribunal de conclure que la demanderesse principale n’avait pas renversé la présomption de protection de son État » (Ruiz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 903).

 

[38]           La Cour n’a pas à substituer sa propre appréciation des faits à celle du tribunal et compte tenu des faits et du droit en l’espèce, la conclusion tirée par le tribunal sur la protection de l’État m’apparaît faire partie des conclusions raisonnables et acceptables.

 

[39]           Par ailleurs, la demanderesse a allégué que la crainte des enfants était basée sur la sienne. Le tribunal n’a donc pas commis d’erreur en évaluant la crainte des enfants conjointement à celle de la demanderesse principale.

 

[40]           En conséquence, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

JUGEMENT

 

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1510-10

 

INTITULÉ :                                      

 

HANAN HUSSSEIN RAMADAN

EVELYN HAIDAR RESLAN RAMADAN

SIRENA HAIDAR RESLAN RAMDAN

 

 

demanderesses

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

Défendeur

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 3 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      le 5 novembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Luciano Mascaro

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Me Simone Truong

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Arpin, Mascaro et Associés

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDERESSES

 

Sous ministre de la Justice et

Sous-procureur général du Canada                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Montréal, Québec

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