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Date : 20101022

Dossier : IMM‑1828‑09

Référence : 2010 CF 1044

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2010

En présence de monsieur le juge Crampton

 

 

Entre :

SULEYMAN ALFAKA ALHARAZIM

demandeur

et

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

défendeur

 

 

Dossier : IMM‑2689‑09

 

Et entre :

 

ABDUL WAHID ALHARAZIM

 

défendeur

 

et

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

défendeur

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               M. Suleyman Alfaka Alharazim et M. Abdul Wahid Alharazim sont des citoyens de la Sierra Leone. Ils ont fui la Sierra Leone avec leur sœur en février 2000 pour échapper à la guerre civile qui avait régné dans ce pays pendant la plus grande partie de la décennie précédente. Ils ont présenté des demandes de résidence permanente dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou dans celle des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières en vertu des articles 138 à 151 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). 

 

[2]               En février 2009, l’agente d’immigration A. Blouin a rejeté les demandes de résidence permanente des demandeurs dans deux décisions distinctes mais pratiquement identiques.

 

[3]               Les demandeurs sollicitent l’annulation de ces décisions au motif que l’agente Blouin a commis les erreurs suivantes :

 

                                            i.         elle n’a pas tenu compte de l’exception relative aux raisons impérieuses prévue au paragraphe 108(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR);

 

                                           ii.         elle ne leur a pas donné l’occasion de réfuter une preuve extrinsèque qui a influencé sa conclusion selon laquelle ils sont interdits de territoire parce qu’ils auraient été complices de crimes contre l’humanité, comme le prévoit l’alinéa 35(1)a) de la LIPR.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, la décision de l’agente selon laquelle les demandeurs sont interdits de territoire en raison de complicité dans des crimes contre l’humanité est annulée. Les autres éléments invoqués dans les présentes demandes sont rejetés.

 

I.          Contexte

[5]               Les demandeurs sont des frères qui vivaient à Freetown, en Sierra Leone, pendant la guerre civile qui semble avoir véritablement pris fin quelque temps après leur départ. Suleyman allègue qu’il a été battu par des membres des forces rebelles. Son frère et lui affirment tous deux que certains membres de leur famille élargie ont été tués, que leur résidence et leurs biens ont été brûlés et qu’ils ont été témoins du viol de leur sœur. En conséquence, ils ont fui en Guinée avec leur sœur au début de 2000 et se sont par la suite rendus à Dakar, au Sénégal.

 

[6]               Lorsque les demandeurs sont arrivés à Dakar, ils ont présenté des demandes de résidence permanente en qualité de membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou de membres de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières. Après une entrevue qui a eu lieu en août 2001, la sœur des demandeurs a obtenu un visa et est venue au Canada, où elle vit maintenant. Les demandeurs n’ont cependant pas obtenu de visa parce qu’ils avaient indiqué que de 1997 à 1999, ils étaient des membres actifs de l’unité de défense civile (l’UDC) en Sierra Leone. Leurs demandes ont donc été renvoyées aux autorités de l’immigration pour un examen plus approfondi.

 

[7]               En novembre 2008, les demandeurs ont participé à une autre entrevue aux fins de déterminer l’étendue de leur participation à l’UDC.

 

[8]               En février 2009, leurs demandes de résidence permanente ont été refusées.

 

II.        La décision faisant l’objet du présent contrôle

[9]               Au début de sa décision, l’agente Blouin a indiqué qu’en vertu de l’article 147 du Règlement, appartiennent à la catégorie de personnes de pays d’accueil les étrangers considérés comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes : a) ils se trouvent hors de tout pays dont ils ont la nationalité ou dans lequel ils avaient leur résidence habituelle; b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour eux.

 

[10]           L’agente Blouin a alors fait observer qu’en vertu de l’alinéa 139(1)d) du Règlement, un visa de résident permanent ne sera délivré à l’étranger qui a besoin de protection que si aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle, soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays.

 

[11]           L’agente Blouin a déclaré que les demandeurs ne répondaient pas à cette exigence parce que l’Accord de paix de Lomé avait mis fin à la guerre civile en 1999 et que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (l’UNHCR) avait mis au point des programmes de rapatriement qui avaient aidé des centaines de milliers de Sierra‑Léoniens à retourner dans leur pays. L’agente Blouin a également indiqué que les demandeurs n’avaient pas fourni de raison valable pour ne pas retourner en Sierra Leone, à l’exception du fait qu’ils n’y avaient plus de famille. Compte tenu de ces conclusions, elle a rejeté les demandes au motif qu’elles ne répondaient pas aux exigences prévues à l’alinéa 139(1)d) du Règlement.

 

[12]           L’agente Blouin a alors mentionné que les deux demandeurs avaient avoué qu’entre 1997 et 1999, ils avaient été des membres actifs de l’UDC et qu’ils s’étaient consacrés à plein temps à fournir des fonctions de soutien à la Brigade de surveillance du cessez‑le‑feu de la CEDEAO (l’ECOMOG) en identifiant les personnes qu’ils soupçonnaient être des rebelles. L’agente Blouin a ajouté que les demandeurs avaient confirmé au cours de leurs entrevues qu’ils savaient que les personnes qu’ils avaient dénoncées seraient détenues, brutalisées et peut‑être tuées sans aucune forme de procès équitable. Après avoir brièvement mentionné que des organismes gouvernementaux et non gouvernementaux crédibles avaient documenté les violations systématiques des droits de la personne commises par l’ECOMOG et leurs collaborateurs, y compris l’UDC, pendant le conflit en Sierra Leone, l’agente Blouin a conclu que les demandeurs étaient complices de crimes contre l’humanité et qu’ils étaient donc interdits de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. En conséquence, elle a déclaré qu’elle rejetait également les demandes pour ce deuxième motif.

 

III.       Délimitation des questions en litige

[13]           Le défendeur reconnaît que l’agente Blouin a commis une erreur en omettant de fournir aux demandeurs l’occasion de réfuter une preuve extrinsèque.

 

[14]           Les parties conviennent toutefois que la conclusion de l’agente Blouin concernant l’interdiction de territoire des demandeurs en vertu de l’alinéa 35(1)a) offrait un motif supplémentaire de rejeter leurs demandes, de sorte que sa décision sera maintenue si elle n’a pas commis d’erreur en omettant d’examiner le paragraphe 108(4) de la LIPR.

 

[15]           Par conséquent, les parties conviennent qu’il n’est pas nécessaire que je me penche sur l’erreur qui a été commise à l’égard de la preuve extrinsèque. Toutefois, afin d’éliminer les conséquences défavorables possibles pour les demandeurs qui peuvent découler de la décision de l’agente déclarant qu’ils sont interdits de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a), le défendeur a reconnu que je devrais simplement annuler cette décision dans mon jugement qui suit, ce que je ferai. La suite des présents motifs du jugement ne visera donc que la question soulevée à l’égard du paragraphe 108(4).

 

IV.       Norme de contrôle

[16]           La Cour a déjà statué que la norme de la décision correcte s’appliquait au contrôle de la question de savoir si l’agente a commis une erreur en omettant d’examiner si les demandeurs satisfaisaient aux exigences prévues au paragraphe 108(4) de la LIPR (Decka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 822, au paragraphe 5).

 

[17]           J’ai récemment suivi Decka sur ce point (voir Rivadeneyra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 845, au paragraphe 20), mais, après réflexion, j’estime que cette question doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. En l’espèce, que la norme de contrôle soit celle de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte ne tire pas à conséquence, étant donné que je suis convaincu que l’omission de l’agente d’effectuer une évaluation en vertu du paragraphe 108(4) résiste à un examen fondé sur la norme de la décision raisonnable comme sur celle de la décision correcte.

 

[18]           En mars 2008, moins de deux semaines après que la Cour suprême du Canada a rendu son arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la juge Dawson, alors juge de la Cour fédérale, a reconnu que Dunsmuir permettait d’affirmer que la norme de la décision raisonnable pouvait être la norme de contrôle applicable à cette question (Musialek c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 403, aux paragraphes 6 et 7). Toutefois, en l’absence d’observations détaillées sur ce point de la part des parties dans cette affaire, elle a laissé la question ouverte.

 

[19]           Tout comme dans Musialek, les parties en l’espèce n’ont pas présenté d’observations détaillées sur cette question. Cependant, compte tenu de la fréquence à laquelle la question de l’omission d’examiner le paragraphe 108(4) est soulevée devant la Cour, j’estime qu’il peut être utile pour la Cour d’apporter maintenant plus de précisions concernant la norme de contrôle applicable.

 

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême a déclaré ce qui suit, au paragraphe 54 : « Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise. » Elle a ensuite dit, au paragraphe 55, que les éléments suivants « permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité » : (i) l’existence d’une clause privative, à savoir une disposition qui traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence; (ii) l’existence d’un régime administratif distinct et particulier; (iii) le décideur possède une expertise spéciale; (iv) la question de droit revêt « une importance capitale pour le système juridique [et est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur.

 

[21]           Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. no 12, au paragraphe 25, le juge Binnie, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême, a donné des précisions sur ce point :

 

Dans Dunsmuir, notre Cour a reconnu que, sans égard à l’existence d’une clause privative, il est maintenant admis qu’une certaine déférence s’impose lorsqu’une décision particulière a été confiée à un décideur administratif plutôt qu’aux tribunaux judiciaires. Cette déférence s’étend non seulement aux questions touchant aux faits et à la politique, mais aussi à l’interprétation, par le tribunal administratif, de sa loi constitutive et des dispositions législatives connexes étant donné « qu’une disposition législative peut donner lieu à plus d’une interprétation valable, et un litige, à plus d’une solution, et que la cour de révision doit se garder d’intervenir lorsque la décision administrative a un fondement rationnel » (Dunsmuir, par. 41).

 

[22]           Le juge Binnie a ensuite appliqué, dans le contexte de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, l’« analyse contextuelle » décrite dans l’arrêt Dunsmuir et a conclu que la norme de contrôle applicable relativement à l’approche de la SAI concernant l’alinéa 67(1)c) est la norme de la décision raisonnable (Khosa, précité, aux paragraphes 55 à 58).

 

[23]           À mon avis, l’application de l’analyse contextuelle visée par l’arrêt Dunsmuir à la présente affaire donne un résultat semblable. En bref, les facteurs suivants indiquent qu’il faudrait faire preuve de déférence envers les agents d’immigration en ce qui a trait à leur interprétation du paragraphe 108(4) et les cas dans lesquels il s’applique :

 

i.           Ces agents exercent un pouvoir délégué du ministre, leurs décisions relatives aux demandes présentées dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et dans celle des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières ne peuvent faire l’objet d’un appel et ces décisions sont susceptibles de contrôle uniquement par la Cour, si une autorisation est accordée à cette fin (Khosa, précité, au paragraphe 55). Les droits d’appel énoncés à l’article 63 ne s’appliquent pas aux décisions dans ces types d’affaires. (En ce qui a trait aux décisions de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), l’existence du paragraphe 162(1) de la LIPR semble indiquer qu’il faudrait faire preuve d’une certaine déférence à l’égard de la question à trancher en l’espèce (Khosa, précité; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Pearce, 2006 CF 492, au paragraphe 24).

 

ii.         Pour se prononcer sur des demandes de résidence permanente présentées dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et dans celle des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières en vertu des articles 138 à 151 du Règlement, les agents d’immigration doivent développer et mettre à profit sa grande expertise quant aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit souvent difficiles et « à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause » (Khosa, précité, aux paragraphes 25 et 56). (Il en va de même à l’égard de la SPR en ce qui a trait à ses décisions.)

 

iii.        La nature de la question qui a été soulevée en l’espèce ne revêt pas « une importance capitale pour le système juridique [et n’est pas] étrangère au domaine d’expertise » d’un agent d’immigration. Contrairement aux questions constitutionnelles, aux véritables questions de compétence, aux questions qui sont au cœur de l’administration de la justice et aux questions concernant la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 58 à 61), la question du moment où un agent d’immigration (ou la SPR) est tenu d’effectuer une évaluation en vertu du paragraphe 108(4) est une question juridique étroite qui survient uniquement dans le domaine hautement spécialisé du droit de l’immigration et de la protection des réfugiés. En effet, il en va de même à l’égard de la question de savoir si les « raisons impérieuses » visées par le paragraphe 108(4) existent dans un cas donné. De plus, ces questions juridiques « sont […] intimement liées au contexte factuel à l’intérieur duquel elles ont été soulevées » (Ramsawak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 636, au paragraphe 13). En outre, contrairement à l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 112(3) et à l’article 113 de la LIPR (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 75, au paragraphe 20), il ne s’agit pas de questions qui sont directement au cœur du régime législatif. Au contraire, ces questions concernent une disposition législative qui s’applique uniquement dans des circonstances exceptionnelles ou extraordinaires.

 

[24]           Il ne semble pas y avoir de facteur, comme c’était le cas dans les arrêts Dunsmuir et Khosa, précités, qui tende à indiquer que la norme de la décision correcte devrait être appliquée au contrôle de la question à trancher en l’espèce.

 

[25]           Par conséquent, je conclus que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable relativement à la question de savoir si l’agente a commis une erreur en omettant d’effectuer une évaluation en vertu du paragraphe 108(4). Cependant, cela n’est pas déterminant puisque j’ai conclu que même selon la norme de la décision correcte, l’agente n’a pas commis d’erreur à cet égard.

 

V.        Analyse

A.     L’agente a‑t‑elle commis une erreur en omettant de tenir compte de l’exception portant sur les raisons impérieuses prévue au paragraphe 108(4) de la LIPR?

 

[26]           Les demandeurs soutiennent que leurs demandes de résidence permanente ont été rejetées en raison d’un changement de situation depuis leur départ de la Sierra Leone. Dans ce contexte, ils prétendent que l’agente avait l’obligation d’examiner l’applicabilité du paragraphe 108(4), peu importe qu’ils aient présenté ou non des observations précises concernant cette disposition. Je ne partage pas cet avis.

 

[27]           Le refus de l’agente d’accorder des visas de résident permanent aux demandeurs se fondait sur sa conclusion que les demandeurs n’avaient pas rempli une des exigences cumulatives énoncées dans le paragraphe 139(1) du Règlement. Plus précisément, l’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas satisfait à l’exigence de l’alinéa 139(1)d), qui prévoit ce qui suit :

 

139. (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

[…]

 

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

 

(i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

 

(ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays;

 

[28]           L’agente a expliqué que les demandeurs [traduction] « ne satisfont pas à ces exigences parce que depuis l’Accord de paix de Lomé qui a mis fin à la guerre civile en 1999 et les programmes de rapatriement de l’UNHCR, des centaines de milliers de Sierra‑Léoniens qui avaient fui pendant le conflit sont retournés en Sierra Leone. » L’agente a ajouté ce qui suit : [traduction] « Vous n’avez pas été en mesure de fournir une raison valable pour ne pas retourner dans votre pays d’origine, à l’exception du fait que votre famille n’est plus en Sierra Leone. »

 

[29]           Dans ce contexte, il n’était pas nécessaire que l’agente examine l’applicabilité du paragraphe 108(4).

 

[30]           Dans la première partie de la décision, l’agente semble avoir immédiatement examiné la question de savoir si les demandeurs satisfaisaient aux exigences de l’alinéa 139(1)d), comme elle avait le droit de le faire, sans jamais tirer de conclusion sur la question de savoir si les demandeurs satisfaisaient aux exigences de l’appartenance à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou à la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières, prévues à l’alinéa 139(1)e) du Règlement.

 

[31]           Cette approche est semblable à celle adoptée par la SPR dans les cas où il y a eu un changement de situation. Dans ces cas, il est bien établi en droit que la SPR a le droit de procéder directement à un examen prospectif de la question de savoir si le demandeur d’asile craint avec raison d’être persécuté ultérieurement, sans tout d’abord décider si une personne a été victime de persécution dans le passé et, dans l’affirmative, si le paragraphe 108(4) s’applique. (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (C.A.); Yusef c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 35, au paragraphe 2 (C.A.); Brown c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 988, au paragraphe 7 (1re inst.); Corrales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1283, aux paragraphes 6 et 7 (1re inst.); Kudar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 648, au paragraphe 10; Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, aux paragraphes 6 à 9; décision Decka, précitée, aux paragraphes 15 et 16; Thiaw c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 965, au paragraphe 24; Cardenas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 537, au paragraphe 37).

 

[32]           À plusieurs égards, les faits de l’espèce sont semblables à ceux de Kamara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 785. Dans cette affaire, la demanderesse principale et ses enfants avaient fui la Sierra Leone en 1999 et demandé la résidence permanente au Canada dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou celle des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières. Entre autres choses, l’agent des visas a conclu que les demandeurs pouvaient être rapatriés en Sierra Leone, sans craindre avec raison d’être persécutés, parce que les circonstances qui les avaient incités à partir avaient cessé d’exister. Ainsi, un des motifs pour lesquels l’agent a rejeté les demandes des demandeurs était que les exigences de l’alinéa 139(1)d) n’avaient pas été remplies. En réponse à la prétention des demandeurs selon laquelle l’agent aurait dû examiner la question de savoir s’il existait des « raisons impérieuses » au sens du paragraphe 108(4) de la LIPR d’accueillir leur demande, la Cour a conclu (au paragraphe 19) que « le critère minimal à respecter pour pouvoir appliquer le paragraphe 108(4) n’a pas été satisfait », car l’agent des visas n’avait pas conclu que les demandeurs avaient été persécutés dans le passé.

 

[33]           Les demandeurs soutiennent que la présente espèce se distingue de la décision Kamara, précitée, au motif qu’il y avait eu dans cette affaire une conclusion affirmative selon laquelle la demanderesse n’avait pas été victime de persécution dans le passé. Je ne suis pas d’accord pour dire qu’il s’agit d’un fondement pour faire une distinction entre cette affaire et la présente espèce. Dans Kamara, la prétention de la demanderesse concernant le paragraphe 108(4) visait une erreur distincte que la SPR aurait commise. Le rejet de cette observation par la Cour n’avait aucun lien avec les conclusions concernant les autres erreurs alléguées.

 

[34]           Les demandeurs prétendent de plus qu’on peut établir une distinction avec la décision Kudar, précitée, du fait que la SPR a conclu dans cette affaire que le demandeur pouvait obtenir la protection de la police et qu’il n’était pas un réfugié. À mon avis, Kudar ne contient aucun élément tendant à indiquer que la Cour n’avait pas l’intention de reconnaître, comme principe général, qu’« il n’est pas question de perte de l’asile si le demandeur ne s’est jamais vu reconnaître la qualité de réfugié (ou de personne à protéger), de sorte que l’exception relative aux raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures ne peut s’appliquer » (décision Kudar, précitée, au paragraphe 10).

 

[35]           Quoi qu’il en soit, l’arrêt Hassan, précité, et la décision Decka, précitée, portent carrément sur la question, car il semble qu’aucune conclusion n’ait été tirée dans ces affaires selon laquelle le demandeur n’avait pas été victime de persécution dans le passé.

 

[36]           Les demandeurs font en outre valoir que dans l’arrêt Yamba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 457, au paragraphe 4 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a statué que la SPR a l’obligation de tenir compte de l’application de ce qui est maintenant devenu le paragraphe 108(4) une fois qu’elle est convaincue que le statut de réfugié ne peut être revendiqué en raison d’un changement de situation dans le pays. Ce que les demandeurs omettent cependant de souligner, et comme l’a souligné le juge Mosley dans la décision Decka, précitée, la Cour d’appel fédérale a précisé dans Yamba que cette obligation ne survient que « lorsqu’elle [la SPR] conclut qu’un demandeur de statut a déjà été persécuté » (Yamba, précité, au paragraphe 6). Comme l’indiquent les décisions citées au paragraphe 31 des présents motifs, on a toujours reconnu qu’une conclusion explicite ou implicite de persécution passée de la part du décideur pertinent est une condition préalable à l’application possible du paragraphe 108(4).

 

[37]           Les demandeurs soutiennent ensuite qu’il a bel et bien été décidé qu’ils étaient des réfugiés et que, si ce n’était du changement de situation dans le pays, ils seraient toujours des réfugiés. À l’appui de cette prétention, ils affirment que leurs demandes de résidence permanente étaient approuvées en principe, sous réserve de l’examen médical et du contrôle de sécurité. Ils déclarent que cette affirmation est étayée par une note figurant dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) qui indique ce qui suit : [traduction] « ils viendront vendredi prendre les éval. méd. et signer IMM 500***éval. méd. recueillies le 2‑2‑2001***formulaire de prêt no ». 

 

[38]           Les demandeurs déclarent que « IMM 500 » désigne le formulaire de prêt pour immigration pour les frais de transport et que l’article 3.1 du guide opérationnel OP5 de Citoyenneté et Immigration Canada, intitulé Sélection et traitement à l’étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et de personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières (le guide OP5), indique qu’il s’agit d’un formulaire « [p]our autoriser les prêts au titre du transport, du droit à la résidence et des frais médicaux et connexes ». Les demandeurs ajoutent que « éval. méd. » désigne les évaluations médicales et que l’article 23.8 du guide OP5 prévoit que « [l]’évaluation médicale doit être entreprise et coordonnée par le bureau des visas aussitôt que la décision de traiter la demande a été prise. » Les demandeurs concluent de ce qui précède qu’une décision favorable de traiter leurs demandes doit avoir été prise, et qu’il a dû être décidé, du moins de façon provisoire, qu’ils étaient des réfugiés et, par conséquent, des victimes de persécution, à un certain moment dans le passé.

 

[39]           Je ne me suis pas d’accord avec eux, et ce, pour deux raisons. Premièrement, le fait qu’une décision favorable peut avoir été prise de traiter les demandes des demandeurs ne signifie pas qu’une décision favorable avait été prise d’approuver leurs demandes. Le traitement des demandes exige de nombreuses étapes et ne donne pas lieu à une approbation ou à un refus avant que toutes ces étapes aient été achevées. Deuxièmement, comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Dass c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1996] 2 C.F. 410, au paragraphe 23, « on présume qu’une décision a été prise lorsqu’il en est dûment donné avis aux parties concernées. On ne peut demander le contrôle judiciaire des décisions avant qu’elles aient été formulées et communiquées aux parties concernées. »  

 

[40]           Les demandeurs soutiennent en outre qu’il ressort d’une des réponses offertes par l’agente Blouin lors de son contre‑interrogatoire qu’elle a examiné l’application possible du paragraphe 108(4). Ils prétendent que l’omission de l’agente de fournir un avis selon lequel elle examinait cette disposition constitue un manquement à l’équité procédurale. Le passage pertinent de la transcription du contre‑interrogatoire de l’agente Blouin est le suivant :

 

[traduction]

20 Q. D’accord. Et dans la présente affaire, avez‑vous examiné la question de savoir s’il existait des raisons impérieuses?

 

R. Je ne l’examinais pas, je l’examinais, j’avais lu la demande. D’accord. Et la déclaration dans laquelle ils alléguaient qu’ils étaient victimes de mauvais traitements, de discrimination et de comportements violents. Et ils, un des frères a mentionné cela également à l’entrevue. Mais je n’ai pas jugé que cela était suffisant, vous savez pour, comment dire, pour les considérer comme des réfugiés. Même si, vous savez, alors que la situation avait changé, cela était un fait, mais je n’ai pas estimé que ce qu’ils avaient subi rendait leur retour dans leur pays d’origine impossible.

 

[41]           Je ne peux pas accepter qu’il ressorte du passage en question que l’agente a examiné le paragraphe 108(4). À mon avis, le passage précité indique qu’elle s’intéressait à l’alinéa 139(1)d) du Règlement, la disposition sur laquelle elle a fondé sa décision de rejeter les demandes, plutôt qu’au paragraphe 108(4) de la LIPR. Après avoir examiné la transcription dans son ensemble, je ne suis pas convaincu que l’agente a examiné le paragraphe 108(4), et encore moins pris une décision à cet égard. Quoi qu’il en soit, même si l’agente a examiné au départ la question de savoir s’il pouvait s’agir d’une affaire dans laquelle le paragraphe 108(4) devait être pris en compte, je ne crois pas que l’agente a commis une erreur en omettant de donner aux demandeurs un avis à propos de cette question, parce qu’« il incombe au demandeur d’établir sous le régime du paragraphe [108(4)] qu’il existe des raisons impérieuses pour ne pas être renvoyé » (décision Brown, précitée, au paragraphe 7).

 

[42]           Finalement, les demandeurs ont soutenu dans leurs plaidoiries que la nature de la persécution passée dont ils avaient été victimes était telle que l’omission de l’agente d’examiner l’application possible du paragraphe 108(4) constituait une erreur susceptible de contrôle. À l’appui de cette position, ils se sont reportés à Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, au paragraphe 17, où le juge Evans a déclaré que « plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “sans tenir compte des éléments dont il [disposait]”. »

 

[43]           Je ne suis pas d’accord pour dire que Cepeda‑Gutierrez milite en faveur de la thèse selon laquelle, dans certains cas, la nature de la persécution passée qu’un demandeur d’asile allègue avoir subie peut être telle qu’elle impose à la SPR ou à un agent d’immigration l’obligation d’examiner l’applicabilité du paragraphe 108(4). Il ressort clairement du passage de cette décision cité ci‑dessus, de même que du reste du paragraphe 17 de ce jugement, que le juge Evans voulait que sa déclaration s’applique à des conclusions de fait.

 

[44]           Cela dit, compte tenu de l’esprit du paragraphe 108(4), je conviens avec les demandeurs qu’il peut exister des situations dans lesquelles la nature de la persécution passée est si grave que quiconque omettrait d’examiner l’applicabilité de cette disposition dans le cadre de l’examen d’une demande d’asile dans de telles situations irait à l’encontre de cet esprit et commettrait une erreur susceptible de contrôle, nonobstant qu’il est bien établi en droit que l’évaluation qui doit être effectuée en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR est de nature prospective.

 

[45]           Comme l’a reconnu l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739, aux pages 747 et 748 (C.A.), la disposition qui est maintenant le paragraphe 108(4) s’inspire du paragraphe 1C(5) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951 (la Convention relative aux réfugiés), rédigé comme suit :

 

C. Cette Convention cessera, dans les cas ci‑après, d’être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci‑dessus :

 

[...]

 

(5)   Si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d’exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité;

 

Etant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s’appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures.

 

 

[46]           En ce qui a trait au deuxième alinéa du paragraphe 1C(5), le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés des Nations Unies (le Guide) indique ce qui suit :

 

136.           Le second alinéa de la cinquième clause est une exception au cas de cessation d’applicabilité prévu par le premier alinéa. Ce second alinéa prévoit le cas particulier d’une personne qui a fait l’objet de violentes persécutions dans le passé et qui, de ce fait, ne cesse pas d’être un réfugié même si un changement fondamental de circonstances intervient dans son pays d’origine. La référence au paragraphe 1 de la section A de l’article premier indique que cette exception s’applique aux « réfugiés statutaires ». Au moment où la Convention de 1951 a été élaborée, la majorité des réfugiés appartenait à cette catégorie. Néanmoins, l’exception procède d’un principe humanitaire assez général qui peut également être appliqué à des réfugiés autres que les réfugiés statutaires. Il est fréquemment admis que l’on ne saurait s’attendre qu’une personne qui a été victime – ou dont la famille a été victime – de formes atroces de persécution accepte le rapatriement. Même s’il a eu un changement de régime dans le pays, cela n’a pas nécessairement entraîné un changement complet dans l’attitude de la population ni, compte tenu de son expérience passée, dans les dispositions d’esprit du réfugié.

 

[47]           En discutant de la disposition qui est maintenant le paragraphe 108(4), la Cour d’appel fédérale a adopté un point de vue semblable dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739, aux pages 747 et 748 (C.A.), lorsqu’elle a interprété cette disposition comme « exigeant des autorités canadiennes qu’elles accordent la reconnaissance du statut de réfugié pour des raisons d’ordre humanitaire à cette catégorie spéciale et limitée de personnes, c’est‑à‑dire ceux qui ont souffert d’une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu’ils n’auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution. » La Cour a fait ensuite observer : « Les circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe [108(4)] doivent certes s’appliquer uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels. »

 

[48]           Un point de vue semblable quant à la nature exceptionnelle du paragraphe 108(4) a été adopté dans les décisions Brown, précitée, au paragraphe 4, Brovina, précitée, au paragraphe 5, Shahid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 251, au paragraphe 25, et Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 630, au paragraphe 11, où le juge Rothstein a expressément adopté le point de vue exprimé dans l’arrêt Obstoj et a ensuite ajouté ce qui suit :

 

Bien qu’un grand nombre de demandeurs du statut de réfugié pourront s’estimer visés par le paragraphe [108(4)], on doit se souvenir que toute forme de persécution est associée, par définition, à la mort, à des blessures physiques ou à d’autres sévices. Le paragraphe [108(4)], tel qu’il a été interprété, ne s’applique qu’à des cas extraordinaires de persécution si exceptionnelle que même l’éventualité d’un changement de contexte ne justifierait pas le renvoi du requérant.

 

[49]           Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu que la catégorie de situations à l’égard de laquelle un décideur peut, en appliquant la LIPR, commettre une erreur susceptible de contrôle en omettant d’examiner l’applicabilité du paragraphe 108(4) doit être circonscrite étroitement, pour faire en sorte que cette catégorie inclue uniquement des situations véritablement exceptionnelles ou extraordinaires. Il s’agira de situations qui comportent une preuve prima facie de persécution passée qui est d’une gravité si exceptionnelle qu’elle atteint un degré tel qu’on la qualifie d’« épouvantable » ou d’« atroce ».

 

[50]           Je tiens compte des décisions Elemah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 779, au paragraphe 28, et Suleiman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1125, aux paragraphes 16 à 21, qui indiquent que le paragraphe 108(4) ne requiert pas qu’il soit tranché que la gravité de la persécution passée alléguée est « atroce » ou « épouvantable », avant qu’une conclusion favorable puisse être tirée en vertu de ce paragraphe. Ces deux affaires visaient des situations dans lesquelles la SPR a effectué des évaluations en vertu du paragraphe 108(4) ou de la disposition qui l’a précédé.

 

[51]           Je reconnais qu’il peut y avoir des situations dans lesquelles il peut être possible de répondre aux exigences du paragraphe 108(4), sans qu’il soit nécessaire de démontrer une persécution passée atteignant un degré qui peut être qualifié d’« atroce » ou d’« épouvantable ». Conformément à la jurisprudence établie dans l’arrêt Obstoj, précité, et aux décisions qui ont été rendues dans sa foulée, ces situations doivent être véritablement exceptionnelles ou extraordinaires par rapport à d’autres cas dans lesquels l’asile a été accordé.

 

[52]           Toutefois, aux fins de déterminer les cas dans lesquels peut constituer une erreur susceptible de contrôle l’omission d’un commissaire de la SPR, d’un agent d’immigration ou d’un autre décideur qui applique la LIPR d’effectuer une évaluation en vertu du paragraphe 108(4), il y a lieu de définir une catégorie étroite de situations à l’égard desquelles une telle évaluation est exigée.

 

[53]           Gardant à l’esprit les éclaircissements fournis par le paragraphe 136 du Guide des Nations Unies et la difficulté qui serait liée à la tentative d’identifier, au préalable, des situations exceptionnelles qui ne comportent pas une persécution passée grave, il convient de limiter cette catégorie de situations à celles dans lesquelles il y a une preuve prima facie de persécution passée « épouvantable » ou « atroce ». Dans ces cas, un décideur qui applique la LIPR est tenu d’effectuer une évaluation en vertu du paragraphe 108(4) de la LIPR. Dans tous les autres cas, un décideur peut exercer son pouvoir discrétionnaire concernant la question de savoir s’il doit ou non effectuer une telle évaluation.

 

[54]           Malheureusement pour les demandeurs en l’espèce, la preuve prima facie concernant la persécution qu’ils allèguent avoir subie dans le passé n’atteint pas le degré décrit dans le paragraphe qui précède. La preuve était troublante et comportait des événements qui étaient sans aucun doute très traumatisants pour les demandeurs et leurs proches, mais la persécution en cause n’était ni exceptionnelle ni extraordinaire par rapport à l’éventail des autres cas dont la Cour est saisie, et elle n’a pas atteint le degré où elle était « épouvantable » ou « atroce ». En conséquence, je ne suis pas en mesure de conclure, soit selon la norme de contrôle de la décision raisonnable ou la norme de la décision correcte, que l’agente a commis une erreur en omettant d’effectuer une évaluation en vertu du paragraphe 108(4).

 

VI.       Conclusion

[55]           Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

 

[56]           Les demandeurs ont proposé deux questions aux fins de certification. La première question visait les situations dans lesquelles un tribunal agissant sous l’autorité de la LIPR a tiré une conclusion provisoire selon laquelle le demandeur est un réfugié, il y a une preuve de persécution dans le passé et les motifs pour lesquels la personne a demandé l’asile ont cessé d’exister. La question était de savoir si le tribunal en cause doit effectuer une évaluation en vertu du paragraphe 108(4) dans de telles situations. Je ne suis pas disposé à certifier cette question, particulièrement étant donné (i) les difficultés factuelles qu’il y aurait à déterminer, dans un cas donné, si une conclusion provisoire a été tirée, (ii) le fait que les décideurs ne tirent habituellement pas de conclusions provisoires et (iii) le fait que de telles conclusions n’ont pas de force sur le plan juridique.

 

[57]           La deuxième question consistait à décider si une évaluation visée par le paragraphe 108(4) doit être effectuée dans le cadre de l’évaluation visant à savoir si un demandeur est un réfugié au sens de la Convention. Cette question est essentiellement celle qui a été proposée aux fins de certification dans la décision Decka, précitée, et que le juge Mosley a rejetée au motif que cette question avait été tranchée dans la décision Yamba, précitée. Je suis d’accord avec le juge Mosley et je ne crois pas que la décision Decka soit incompatible avec la décision Yamba.

 

[58]           En conséquence, il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que les parties des décisions de l’agente Blouin, datées du 9 février 2009, dans lesquelles elle a conclu que les demandeurs étaient complices de crimes contre l’humanité commis à la fois par l’unité de défense civile en Sierra Leone et par la Brigade de surveillance du cessez‑le‑feu de la CEDEAO sont annulées et les autres éléments invoqués dans les présentes demandes de contrôle judiciaire sont rejetés.

 

« Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS

 

 

DOSSIERS :                                                  IMM‑1828‑09 et IMM‑2689‑09

 

Intitulé :                                                   SULEYMAN ALFAKA ALHARAZIM
c. Le ministre de
la citoyenneté
et de
l’IMMIGRATION

 

                                                                        ET

 

                                                                        ABDUL WAHID ALHARAZIM
c. Le ministre de la citoyenneté
et de l’
IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 13 octobre 2010

 

Motifs du jugement

et jugement :                                          le juge Crampton

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 22 octobre 2010

 

 

Comparutions :

 

David Matas

Pour les demandeurs

 

Aliyah Rahaman

Pour le défendeur

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

 

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour les demandeurs

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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