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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20101207

Dossier : IMM-714-10

Référence : 2010 CF 1240

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

CAROLINE AJOKE AWOLAJA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R.C. 1985, ch. I‑2 (la Loi), visant la décision en date du 7 janvier 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est citoyenne du Nigeria. Son mari et elle vivaient avec leurs enfants dans la ville d’Ikorodu, dans l’État de Lagos, où elle travaillait comme infirmière. Elle allègue que son mari a adhéré au Democratic Alternative Party, qui était souvent en conflit avec le Advance Party, plus populaire.

 

[3]               Selon la demanderesse, son mari a disparu au mois de mars 2004, après avoir été accusé par des [traduction] « dirigeants de la communauté » d’avoir pris part à des actes de violence au cours de la période électorale et d’avoir assassiné une personne bien connue dans la communauté. Elle a affirmé avoir été approchée par des gens de la communauté qui la croyaient au courant de l’endroit où se trouvait son mari. Se sentant menacée, elle a caché ses enfants, et elle est partie seule pour l’Angleterre le mois suivant.

 

[4]               Elle est revenue au Nigeria au mois d’octobre 2005, à la mort de son fils par intoxication alimentaire. Elle a alors officialisé sa démission à l’hôpital où elle travaillait auparavant. Elle est retournée en Angleterre un mois plus tard. Elle n’y a pas fait de demande d’asile, et elle y est restée jusqu’en mai 2007, où elle est entrée au Canada munie d’un faux passeport et a présenté une demande d’asile en tant que réfugié au sens de la Convention ou personne à protéger.

 

[5]               Elle a comparu devant la SPR en novembre 2009. Elle invoquait à l’appui de sa demande : a) une crainte justifiée de persécution en tant qu’épouse d’un activiste politique, b) la probabilité qu’elle soit exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle retournait au Nigeria et c) l’impossibilité de vivre en sécurité ailleurs au Nigeria.

 

[6]               Dans la décision qu’elle a rendue le 7 janvier 2010, la SPR a rejeté la demande. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION SOUS EXAMEN

 

[7]               Dans cette décision, la SPR a formulé la conclusion générale selon laquelle les aspects fondamentaux des allégations de la demanderesse n’étaient ni crédibles ni étayés par la preuve documentaire.

 

[8]               La SPR a conclu, plus précisément, que la demanderesse n’avait pas établi suivant la prépondérance des probabilités qu’on s’en prenait à son mari en raison de son appartenance politique et que, par extension, elle‑même était visée parce qu’elle était sa femme. La SPR a relevé quatre contradictions dans le témoignage de la demanderesse.

 

[9]               Premièrement, la demanderesse avait déclaré dans son entrevue au point d’entrée (EPDE) qu’elle était partie du Nigeria parce qu’elle craignait des gens de sa communauté. À l’audience, toutefois, elle a ajouté qu’elle avait peur des répercussions de l’action politique de son mari. La seule explication qu’elle a pu donner de ce changement de position était qu’elle n’avait pas pensé à mentionner l’action politique de son mari lors de l’EPDE. La SPR a jugé que cette omission portait atteinte à la crédibilité de l’intéressée parce que « le lien de la demande d’asile a trait à l’appartenance du mari de la demandeure d’asile à un parti politique impliqué dans des actes de violence dans le cadre des élections ». Elle a considéré que, compte tenu de l’instruction de la demanderesse et de son « statut professionnel élevé », celle‑ci avait répondu de façon déraisonnable et évasive aux questions concernant la source de sa crainte en répétant simplement qu’elle se sentait menacée par les gens de la communauté qui avaient accusé son mari de meurtre. La SPR s’attendait à ce que la demanderesse puisse parler « à tout le moins, des activités politiques de son mari de façon cohérente » ; elle a indiqué avoir pris en compte les Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.

 

[10]           Deuxièmement, la demanderesse a déclaré, dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP), que son mari avait adhéré au Democratic Alternative Party en 1991, mais elle a indiqué à l’audience qu’il était devenu membre entre 2000 et 2001. Elle n’a pu expliquer cette contradiction dans les dates.

 

[11]           Troisièmement, elle a écrit dans son FRP, que des gens de la communauté étaient venus chez elle une fois, en mars 2004, à la recherche de son mari. À l’audience, elle a dit qu’ils étaient venus trois fois. La SPR a estimé que la demanderesse avait embelli cet aspect de sa demande à l’audience, et elle a conclu qu’il n’existait pas d’élément de preuve crédible que des personnes recherchant son mari étaient allées chez elle ou que son mari avait abandonné sa famille parce qu’il pensait qu’il devait s’enfuir ou parce qu’il était poursuivi par des gens de sa communauté.

 

[12]           Quatrièmement, la SPR a relevé que la demanderesse avait affirmé à l’audience que son fils avait été assassiné par des gens de sa communauté à cause de l’action politique de son mari, mais qu’elle n’avait rien dit de tel dans son EPDE. De plus, il n’existait pas selon elle d’élément de preuve crédible établissant que l’intoxication dont est mort son fils est liée de quelque façon à l’appartenance politique de son père ou démontre qu’elle a besoin de protection.

 

[13]           Aux conclusions défavorables en matière de crédibilité s’est ajouté le « poids considérable » attribué par la SPR au défaut de la demanderesse d’établir suivant la prépondérance des probabilités que sa crainte subjective de persécution, « appréciée de façon objective dans le contexte des conditions dans le pays », était fondée. C’est ce qu’exige l’article 96 de la Loi. La SRP a estimé que si la demanderesse avait été en proie à la crainte, elle ne serait pas retournée au Nigeria pendant un mois. Elle a rejeté son témoignage selon lequel elle « se cach[ait] » au Nigeria, parce qu’une personne qui se cache ne « s’occupe [pas] de ses affaires », en présentant une démission officielle, par exemple. Elle a jugé son témoignage concernant ce qu’elle a fait d’autre pendant son séjour au Nigeria « évasif et flou ».

 

[14]           La demanderesse a également été incapable d’établir l’existence d’une « possibilité sérieuse » qu’elle soit persécutée si elle retournait au Nigeria. Elle n’a pu expliquer pourquoi des gens de sa communauté voudraient s’en prendre à elle alors que son mari était parti depuis six ans et que ses filles et les parents de son mari vivaient tous en sécurité au Nigeria. Subsidiairement, la SPR a estimé qu’eût‑elle même jugé le témoignage de la demanderesse crédible, cette dernière disposait d’une PRI raisonnable. Il incombait à la demanderesse de fournir une « preuve claire et convaincante » de l’existence d’une possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée si elle retournait dans une autre partie du Nigeria. Si tant est que la demanderesse est en butte à des problèmes au Nigeria, ils sont concentrés dans une région du Lagos. Par conséquent, il lui serait raisonnablement possible de s’installer ailleurs, compte tenu, en particulier, de son instruction et de son expérience professionnelle.

 

[15]           Enfin, la SPR a tiré une conclusion défavorable du défaut de la demanderesse de demander asile dès que possible lorsqu’elle vivait en Angleterre, et elle n’a pas retenu son explication voulant qu’elle se soit fait voler son passeport, qu’elle n’ait pu en obtenir un autre et que son unique préoccupation fût de faire venir ses enfants.

 

[16]           Selon la SPR, le décès de son fils, sa séparation de ses filles et la disparition de son mari, facteurs qui figuraient tous dans les rapports psychologiques soumis à la SRP, pouvaient certes expliquer pourquoi elle était déprimée et « psychologiquement fragile », mais ces malheurs ne constituaient pas de la torture au sens des articles 96 ou 97 de la Loi.

 

[17]           En conséquence, la SPR a rejeté la demande en raison de la conclusion générale défavorable qu’elle avait tirée en matière de crédibilité et parce que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[18]           La présente demande soulève les questions suivantes :

a.       La SPR a‑t‑elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

b.      La SPR a-t-elle dérogé aux principes de justice naturelle en formulant sa décision négative?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[19]           Voici les dispositions de la Loi qui s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

  

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

  

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer chaque fois l’analyse relative à la norme de contrôle et que, lorsque la jurisprudence établit clairement la norme de contrôle applicable à la question particulière dont la cour de révision est saisie, celle‑ci peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[21]           La question de savoir si la SPR a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée est une question de fait qui doit, par conséquent, s’examiner suivant la norme de la raisonnabilité. Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 64.

 

[22]           Lorsque le tribunal examine une décision en fonction de la norme de la raisonnabilité, l’analyse s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, au sens où elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[23]           La demanderesse allègue également que la SPR n’a pas respecté les principes de justice naturelle. Les questions relatives à l’équité procédurale et à la justice naturelle exigent le recours à la norme de la décision correcte. Voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, 263 D.L.R. (4th) 113, au paragraphe 46, et Dunsmuir, précité, aux paragraphes 126 et 129. Par conséquent, c’est la norme de la décision correcte qu’il faut appliquer pour déterminer si la SPR a dérogé aux règles d’équité procédurale en rendant sa décision.

 

LES ARGUMENTS INVOQUÉS

            La demanderesse

                        La SPR a formulé une conclusion de fait erronée et arbitraire

 

[24]           La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur et a agi de façon arbitraire en reconnaissant que son mari avait disparu et que son fils était mort mais en rejetant son explication des circonstances entourant ces événements — à savoir que son mari s’était enfui pour des raisons politiques et que son fils avait été délibérément empoisonné par des gens de la communauté. Rien ne justifiait la SPR de ne pas ajouter foi à ses explications et il n’existait aucun élément de preuve contredisant ses dires.

 

[25]           La conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse était retournée au Nigeria en 2005 pour démissionner de son poste d’infirmière était en contradiction directe avec le témoignage qu’elle avait donné.

 

[26]           La SPR n’a pas pris en compte la preuve documentaire concernant l’exploitation et la violence dont les femmes étaient victimes au Nigeria.

 

[27]           La SPR a commis une erreur en accordant un poids minimal au rapport psychologique, compte tenu, en particulier, de la conclusion de ce rapport selon laquelle la demanderesse pouvait avoir subi un traumatisme psychologique. La SPR a attribué sa torture et son traumatisme psychologiques à la torture et au traumatisme physiques.

 

[28]           La SPR a erronément conclu que la demanderesse était évasive à l’audience. Si, au lieu de refuser de tenir compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, elle les avait appliquées, elle aurait compris que l’attitude de la demanderesse et ses réponses ne signifiaient pas qu’elle voulait éluder les questions mais qu’elle avait subi un traumatisme psychologique. La SPR a également attaché trop d’importance à l’instruction et aux réalisations professionnelles de la demanderesse dans l’évaluation de son état d’esprit.

 

[29]           La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur et a agi de façon arbitraire en concluant que la demanderesse n’avait pas indiqué aux agents d’immigration du PDE comment son fils avait été tué.

 

La SPR a dérogé aux principes de justice naturelle

 

[30]           La SPR a dérogé aux principes de justice naturelle en concluant que la demanderesse disposait d’une PRI viable. La demanderesse est une infirmière diplômée. Pour travailler dans sa profession au Nigeria, il lui faudrait travailler dans un établissement public, et l’insigne qu’elle devrait porter révélerait son identité, de sorte que ceux qui étaient à sa recherche pourraient aisément la trouver.

 

[31]           La SPR a manqué à l’équité en accordant peu de poids au rapport psychologique, même si elle a reconnu que la demanderesse était déprimée et psychologiquement fragile. Elle a aussi manqué à l’équité en concluant que les réponses de la demanderesse étaient évasives alors qu’elles s’expliquaient par le traumatisme psychologique qui en était la cause. 

 

[32]           La SPR a agi de façon inéquitable en concluant que la demanderesse ne craignait pas avec raison d’être persécutée, alors qu’elle était d’avis que [traduction] « la situation relative à son fils et à son mari était crédible (sic) ».

 

[33]           Le tribunal a agi de façon inéquitable en contredisant le témoignage de la demanderesse au sujet de la période pendant laquelle elle est retournée dans son pays d’origine et de la situation relative à sa démission.

 

Le défendeur

            La SPR a examiné la totalité de la preuve

 

[34]           Le défendeur fait valoir que la Cour doit présumer que la SPR a examiné et soupesé l’ensemble de la preuve, à moins que la demanderesse ne réfute cette présomption, ce qu’elle n’a pas fait en l’instance. Voir Florea c. Canada, [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL). Le fait que la SPR n’a pas mentionné chacun des documents soumis en preuve n’indique pas que les documents omis n’ont pas été pris en compte. Voir Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.), à la page 318.

 

 

La SPR est habilitée à soupeser la preuve

 

[35]           La SPR décide du poids à accorder aux éléments de preuve et il lui est permis de préférer des éléments de preuve documentaire au témoignage de la demanderesse. Voir Zvonov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 83 F.T.R. 138, page 141; Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) (QL). En l’espèce, la demanderesse n’a pas prouvé que la SPR a fait abstraction de certains éléments de preuve ou les a mal interprétés ou qu’elle a tiré des conclusions de fait abusives ou arbitraires. Le défendeur affirme que la demanderesse est simplement en désaccord avec la décision de la SPR et que la présente affaire ne soulève aucune question de droit justifiant d’accueillir la demande de contrôle judiciaire. Voir Brar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] A.C.F. no 346 (C.A.F.) (QL); Ye (Yao Cheng) c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1233 (C.A.F.) (QL).

 

La demanderesse n’avait pas de crainte subjective de persécution

 

[36]           Selon le défendeur, la SPR pouvait raisonnablement prendre en compte le défaut de la demanderesse de présenter une demande d’asile en Angleterre dans l’appréciation de la crédibilité de la demande d’asile au Canada et de la crainte subjective de celle‑ci d’être persécutée si elle retournait au Nigeria. Voir Heurta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.), page 225; Heer c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] A.C.F. no 330 (C.A.F.) (QL); Radulescu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 589 (C.F. 1re inst.) (QL); Bogus c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 71 F.T.R. 260 (C.F. 1re inst.), page 262, conf. par [1996] A.C.F. no 1220 (C.A.F.) (QL).

 

La SPR a examiné les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe

 

[37]           Le défendeur, reconnaissant que les Directives doivent être prises en considération dans les cas où cela est indiqué et affirmant qu’elles l’ont été en l’espèce, fait toutefois valoir qu’elles n’ont pas valeur obligatoire, qu’elles ne libèrent pas la demanderesse du fardeau d’établir le bien‑fondé de sa demande au moyen de preuves crédibles et qu’elles ne créent pas un nouveau motif permettant de conclure qu’il y a persécution. Les Directives exigent que la SPR se montre sensible à des facteurs déterminés pouvant expliquer les réactions et le comportement de femmes dans certaines situations, en particulier en matière de violence familiale, mais elles ne peuvent suppléer aux lacunes d’une demande. Voir Fouchong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1727 (C.F. 1re inst.), paragraphe 10.

 

ANALYSE

            Crédibilité et crainte subjective

 

[38]           Lors de l’audition de l’affaire à Toronto le 26 octobre 2010, l’avocate de la demanderesse a minutieusement passé le dossier en revue devant la Cour et montré où, selon elle, dans la décision de la SPR, cette dernière avait fait fi d’éléments de preuve substantiels, avait déformé les réponses de la demanderesse aux questions qui lui avaient été posées à l’audience, avait mal interprété d’autres éléments de preuve et n’avait pas tenu compte des explications fournies par la demanderesse. Bien que les motifs de contestation de la décision ne soient pas tous recevables, j’estime que la décision comporte suffisamment d’erreurs pour que ses conclusions relatives à la crédibilité et à la crainte subjective soient considérées comme déraisonnables.

 

[39]           Point n’est besoin de dresser l’inventaire de toutes les erreurs. Certains exemples significatifs suffiront pour exposer la nature du problème.

 

[40]           Au paragraphe 8 de la décision, la SPR a écrit « [s]elon la déclaration sous serment qu’elle a donnée au point d’entrée (PDE), elle craignait des membres de la communauté, mais elle n’a pas nommé de partis politiques ». Il est vrai que la demanderesse n’a mentionné aucun parti politique précis, mais elle a clairement fait état de la dimension politique de la menace . Elle a déclaré au PDE [traduction] « [c]’est un problème politique dans la communauté à Ikorodu, où nous vivons » et, dans ses déclarations, elle a lié sa venue au Canada au problème sévissant dans le village de son mari, où ce dernier a été accusé avec d’autres [traduction] « d’avoir tué l’un des habitants pendant la crise politique sévissant dans la communauté (2004) ... ». En outre, elle a expliqué dans l’exposé circonstancié du FRP que pendant la période de préparation à l’élection du gouvernement local en mars 2004 [traduction] « notre communauté à Ikorodu était en proie au chaos et à de graves violences. Les membres du parti d’opposition étaient impliqués dans des batailles, des blessures et des meurtres ». La SPR paraît n’avoir pas tenu compte de la preuve qu’au PDE la demanderesse avait bien établi un lien entre ses peurs et les violences politiques.

 

[41]           Il appert par contre que la demanderesse a soumis des éléments de preuve contradictoires dans d’autres cas. Au paragraphe 8 de sa décision, la SPR relève l’exemple suivant :

... elle a précisé à l’audience que son mari a adhéré au DAP entre 2000 et 2001 et qu’il assistait à des réunions tous les mois. Elle a toutefois indiqué dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) que son mari a adhéré au DAP vers 1991. La demandeure d’asile n’a formulé aucune explication quant aux dates contradictoires paraissant dans l’exposé circonstancié contenu dans son FRP et celles données pendant son témoignage oral.

 

 

[42]           La demanderesse fait valoir qu’elle avait répondu qu’elle ne se rappelait pas la date à laquelle son mari avait adhéré au DAP. On constate toutefois, à la page 372 du dossier du Tribunal, que l’échange suivant a eu lieu :

[traduction]

                     i.                                                [Votre mari est un] [m]embre actif de quoi?

 

C.        Le parti. Le Democratic Alternative. C’est le nom du parti.

M.        Quel est le nom du parti?

C.        Democratic Alternative.

M.        Quel genre de parti est‑ce?

C.        AD est un parti.

M.        Je sais que c’est un parti. Je vous demande ce que c’est. Quel genre de parti c’est? Est‑ce un parti?

 -

C.        C’est un parti politique.

M.        Est-ce un parti fédéral ou un parti local?

C.        C’est un parti fédéral.

M.        Donc, en 2000, il en est devenu membre.

C.        Oui, il est devenu membre.

 

[43]           Il me semble clair qu’aux paragraphes 6, 7 et 8 de l’exposé circonstancié du FRP la demanderesse a indiqué que son mari avait commencé à s’occuper de politique avec le Democratic Alternative au début des années 1990. Il y a donc bien contradiction. La demanderesse fait valoir que cette contradiction ne lui a pas été signalée et qu’elle n’a donc pas eu la possibilité de fournir une explication.

 

[44]           Dans Tanase c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 32, le juge Muldoon indique que le droit relatif à l’obligation d’un tribunal d’informer un demandeur des problèmes qu’il perçoit et de lui donner la possibilité de s’expliquer « n’a pas encore été établi par cette cour », ce dont je conviens après examen de la jurisprudence. Toutefois, il n’y a pas exactement divergence au sein de la Cour.

 

[45]           Il est vrai que l’existence d’une obligation est tantôt affirmée et tantôt niée mais, selon moi, la plupart des juges reconnaissent expressément que leur analyse en cette matière est fonction des faits en cause. Mon examen de la jurisprudence indique que la plupart des juges sont d’avis qu’il y aura des situations où la SPR devrait signaler les contradictions au demandeur parce que, dans les circonstances, c’est ce que l’équité demande.

 

[46]           La Cour semble hésiter à qualifier cela d’« obligation » de la SPR. Toutefois, le juge Muldoon a écrit, au paragraphe 12 de Tanase, précité : « il ne faudrait jamais oublier que les tribunaux fédéraux tels que la SSR doivent se montrer équitables et justes ».

 

[47]           D’un autre côté, le juge Gibson a indiqué, dans Ayodele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1833, paragraphe 17, qu’il ne faudrait pas imposer un « fardeau injustifié » aux tribunaux en ce qui concerne la façon d’exercer leurs fonctions. Toutefois, une cour de justice peut juger déraisonnable la décision de ne pas signaler les contradictions au demandeur prise par un tribunal dans l’exercice de ses fonctions.

 

[48]           Les décisions concluant à l’existence d’une obligation de signaler les contradictions et de donner au demandeur la possibilité de s’expliquer citent généralement l’arrêt Gracielome c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 463, de la Cour d’appel fédérale, dans lequel le juge Hugessen a indiqué :

Pour justifier sa conclusion que les requérants n’étaient pas crédibles, la majorité de la Commission s’est appuyée sur trois prétendues contradictions dans la preuve qu’ils ont présentée. Bien que notre Cour ne soit généralement pas habilitée à intervenir dans des questions d’appréciation de la preuve, il en est autrement lorsque cette appréciation est elle-même basée sur des erreurs de droit ou des conclusions de fait manifestement erronées; or tel est le cas dans le présent dossier.

 

[49]           Examinant les « prétendues contradictions » une à une, le juge Hugessen a conclu que les deux premières n’en étaient pas vraiment, car le tribunal avait mal interprété le témoignage des demandeurs, et que la troisième (relative à la graphie d’un nom) ne pouvait être imputée au témoin, qui était analphabète et témoignait par le truchement d’un interprète. C’est dans ce contexte que le juge Hugessen a tenu les propos suivants, maintes fois cités depuis :

Il est à noter que dans aucun des trois cas n’a-t-on confronté les requérants avec leurs prétendues contradictions ni demandé qu’ils s’expliquent à ce sujet. Au contraire, il est évident que chaque exemple a été relevé par la majorité après coup et suite à un examen minutieux des transcriptions de la preuve. Dans ces circonstances, la position de la Commission pour apprécier les contradictions n’est pas plus privilégiée que la nôtre.

 

 

 

[50]           Bien que l’arrêt Gracielome ait beaucoup été invoqué par des demandeurs soutenant que le tribunal devait leur signaler des contradictions, le juge Muldoon a formulé des commentaires éclairants concernant cet arrêt dans Tanase, précité. On peut lire ce qui suit au paragraphe 13 :

13     La décision Gracielome [...] a souvent été mentionnée à l’appui des thèses avancées par le demandeur. Voir par exemple les décisions Nadesu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (IMM-4606-96, 21 octobre 1997) (C.F. 1re inst.) et Vorobieva c. Canada (Solliciteur général) (IMM-4863-93, 15 août 1994) (C.F. 1re inst.). Malheureusement, la décision Gracielome, supra, a été à maintes reprises interprétée d’une façon erronée par les avocats.

 

[51]           Après avoir cité le passage bien connu du juge Hugessen, il ajoute :

14     Ce passage [de Gracielome] étaye la thèse selon laquelle, lorsque la formation ne confronte pas l’intéressé avec les prétendues contradictions ou ne lui demande pas d’explications avant de rendre une décision au sujet de la crédibilité, les motifs pour lesquels la Cour ferait preuve de retenue à l’égard de la décision de la formation sont beaucoup plus restreints puisque la formation n’est pas mieux placée que la Cour pour apprécier les contradictions. Toutefois, cela ne veut pas pour autant dire que l’obligation d’équité exige que la formation informe l’intéressé dans tous les cas, même lorsque la question a peu d’importance, de la possibilité qu’elle tire une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité. Il s’agit d’une obligation rigoureuse. Ni l’une ni l’autre partie n’a mentionné la décision Kahandani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (IMM-2742-98, 17 novembre 1999 (C.F. 1re inst.), mais cette cour note que dans cette décision, le juge Pinard a tiré une conclusion similaire. Il importe également de noter la décision Ayodele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (IMM-4812-96, 30 décembre 1997) (C.F. 1re inst.).

 

[52]           L’interprétation que fait le juge Muldoon de Gracielome ne l’amène pas à la conclusion qu’il y a obligation. Il indique plutôt que la légitimité de la décision d’un tribunal qui n’aura pas posé de plus amples questions à un demandeur au sujet des contradictions relevées sera « beaucoup plus restreint[e] », parce que le tribunal n’aura pas fait en sorte que le demandeur étoffe sa relation des faits. Il aura laissé passer l’occasion d’en savoir plus au sujet de la demande d’asile.

 

[53]           Même les jugements refusant le plus fermement de reconnaître l’existence d’une obligation de signaler les contradictions au demandeur tempèrent habituellement cette rigueur par une référence aux « faits ». La décision invoquée par le défendeur en l’espèce ne fait pas exception. Dans Ayodele, précité, le juge Gibson a traité ainsi de la question :

16     En toute déférence, du moins vu les faits d’affaires comme la présente, je ne suis pas convaincu que l’arrêt Gracielome va aussi loin que ce que l’avocat du requérant voudrait que je le conclus. Dans cet arrêt, le juge Hugessen écrit :

 

Il est à noter que dans aucun des trois cas n’a-t-on confronté les requérants avec leurs prétendues contradictions ni demandé qu’ils s’expliquent à ce sujet. Au contraire, il est évident que chaque exemple a été relevé par la majorité après coup et suite à un examen minutieux des transcriptions de la preuve. Dans ces circonstances, la position de la Commission pour apprécier les contradictions n’est pas plus privilégiée que la nôtre.

 

17        Vu les éléments dont je dispose, il n’y a rien qui permette de penser qu’en l’espèce, les contradictions n’étaient pas révélées par « un examen minutieux des transcriptions de la preuve ». L’audition de la présente affaire a eu lieu en une seule séance vraisemblablement assez brève. Je n’ai pas réussi à trouver quoi que ce soit dans le dossier certifié du tribunal administratif qui permette de penser que les membres du tribunal se sont fondés sur une transcription. De plus, le requérant était représenté par un avocat. Je crois qu’on peut légitimement présumer que les contradictions du témoignage du requérant auraient sauté aux yeux de l’avocat et des membres de la SSR. Dans ces circonstances bien précises, annuler la décision de la SSR en raison de son omission de signaler ses contradictions à un requérant représenté par un avocat irait bien au-delà de ce que j’estime être la position énoncée dans l’arrêt Gracielome et placerait, selon moi, un fardeau injustifié sur les épaules des membres de la SSR. Je répète que le requérant était représenté par un avocat qui, vraisemblablement, était attentif à son témoignage. Il était loisible à l’avocat d’interroger ou de réinterroger son client au sujet de toute contradiction qu’il percevait sans que les membres de la SSR aient à lui dire quoi faire. [Je souligne.]

 

 

[54]           Dans Ngongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1627, la juge Tremblay-Lamer résume la jurisprudence ainsi que les facteurs applicables à la question de savoir si la SPR a commis une erreur en ne signalant pas une contradiction au demandeur :

13     Je note que dans sa décision, le tribunal s’appuie sur la décision récente du juge Gibson, Ayodele c. Canada (M.C.I.). Cette décision limite la portée de l’arrêt Gracielome c. Canada (M.E.I.) et conclut que le fait de ne pas signaler à un revendicateur une contradiction ne constitue pas en soi une erreur de droit :

 

Je crois qu’on peut légitimement présumer que les contradictions du témoignage du requérant auraient sauté aux yeux de l’avocat et des membres de la SSR. Dans ces circonstances bien précises, annuler la décision de la SSR en raison de son omission de signaler ses contradictions à un requérant représenté par un avocat irait bien au-delà de ce que j’estime être la position énoncée dans l’arrêt Gracielome et placerait, selon moi, un fardeau injustifié sur les épaules des membres de la SSR. Je répète que le requérant était représenté par un avocat qui, vraisemblablement, était attentif à son témoignage. Il était loisible à l’avocat d’interroger ou de réinterroger son client au sujet de toute contradiction qu’il percevait sans que les membres de la SSR aient à lui dire quoi faire.

 

14    Plus récemment dans l’affaire Matarage c. M.C.I., le juge Lutfy adoptait le même raisonnement.

 

15     Le juge Lutfy indiquait cependant qu’il peut toujours exister des cas où une contradiction doit être portée à l’attention d’un revendicateur. À cet effet, il cite l’arrêt de Guo c. Canada (M.C.I.).

 

16     À mon avis, il s’agit de regarder dans chaque dossier la situation factuelle, la législation applicable et la nature des contradictions notées. Les facteurs suivants peuvent servir de guide:

 

1.         La contradiction a-t-elle été découverte après une analyse minutieuse de la transcription ou de l’enregistrement de l’audience ou était-elle évidente?

 

2.         S’agissait-il d’une réponse à une question directe du tribunal?

 

3.         S’agissait-il d’une contradiction réelle ou uniquement d’un labsus (sic)?

 

4.         Le demandeur était-il représenté par avocat, auquel cas celui-ci pouvait l’interroger sur toute contradiction?

 

5.  Le demandeur communiquait-il au moyen d’interprète? L’usage d’un interprète rend les méprises attribuables à l’interprétation (et alors, les contradictions) plus probables.

 

6.  Le tribunal fonde-t-il sa décision sur une seule contradiction ou sa décision est-elle fondée sur plusieurs contradictions ou invraisemblances?

 

17     Compte tenu de ces facteurs, je suis d’avis qu’en l’espèce le tribunal n’avait pas l’obligation de confronter le revendicateur. La présente affaire se déroule dans le contexte de la nouvelle législation. La contradiction était évidente et en réponse à une question directe du tribunal. Elle ne découle pas d’une recherche minutieuse du tribunal qui cherche à justifier une conclusion de non-crédibilité. Certes, elle a échappé à la vigilance du tribunal de telle sorte que le demandeur n’a pas été confronté directement avec la contradiction. Mais le demandeur jouissait de la représentation d’un conseiller. Comme dans la décision de Ayodele, je pense que la contradiction était aussi apparente au conseiller qu’aux membres de la Section du statut de sorte que, il aurait pu réinterroger son client à ce sujet.

 

[55]           Compte tenu de la jurisprudence susmentionnée et des faits de la présente espèce, il me faut conclure, pour les mêmes raisons, grosso modo, que la juge Tremplay-Lamer dans Ngongo, que la SPR n’était pas tenue de signaler cette contradiction particulière à la demanderesse et qu’il n’était pas déraisonnable de ne pas le faire. Toutefois, cette contradiction importante doit être évaluée au regard des autres cas où la SPR a, selon moi, tiré des conclusions déraisonnables.

 

[56]           Au paragraphe 9, la SPR mentionne les « réponses évasives [de la demanderesse] quant au fondement de sa crainte de retourner au Nigeria » et son incapacité de « parler [...] des activités politiques de son mari de façon cohérente ». On voit mal, à la lecture de la transcription, en quoi la demanderesse a été évasive. Elle a clairement expliqué que, culturellement, parce qu’elle est une femme, son mari ne serait pas enclin à lui donner le moindre détail au sujet de son action politique. Lorsqu’elle s’est fait demander ce qu’elle savait du Democratic Alternative Party, elle a expliqué ainsi les facteurs culturels à l’œuvre :

[traduction]

Je n’en sais pas beaucoup plus parce que je sais que c’est un parti. Il y a différents partis dont les gens deviennent membres. Parce que, lorsqu’il faut voter, on vote avec le parti qu’on appuie. Je suis plus, comme, à la maison, je m’occupe de ces choses, et au travail, mais lui il participe plus que moi parce qu’il va à des assemblées. Il ne – il ne dit même pas grand chose, vous savez. Non madame, ils ne parlent pas beaucoup de ce qu’ils font. Même si je demande « Qu’est‑ce que c’est ». Ce qui me regarde parfois –

 

[57]           La SPR n’a pas pris en compte ces importantes nuances culturelles dans l’appréciation de la crédibilité de la demanderesse sur ce point.

 

[58]           Une autre contradiction porte sur le nombre de visites qu’elle a reçues de la police et de personnes à la recherche de son mari. La demanderesse n’avait pas précisé dans son FRP combien il y avait eu de visites. À l’audience, elle a déclaré qu’il y en avait eu trois. La SPR a estimé que la demanderesse « a embelli son témoignage de vive voix et qu’aucun élément de preuve crédible ne montre que des personnes se sont rendues chez elle pour chercher son mari ».

 

[59]           Lorsque la SPR a soulevé la question du nombre de visites, la demanderesse a expliqué que, dans le FRP, elle avait parlé de la première visite mais qu’en tout et pour tout il y en avait eu trois (page 377 de la transcription ). La lecture du FRP ne fait pas nécessairement conclure qu’elle y affirme qu’une seule visite a eu lieu. Elle dit simplement qu’elle craignait pour la sécurité de son mari, mais qu’elle a été surprise de voir des dirigeants de la communauté venir chez elle en cherchant son mari et en accusant ce dernier d’avoir pris part aux bagarres et d’être responsable du meurtre d’un membre connu de la communauté. Elle ne dit  pas qu’ils ne sont venus qu’une fois. Il n’y a pas nécessairement là de contradiction et, parce que la SPR n’a pas fait part clairement de cette question à la demanderesse à l’audience, cette dernière n’avait aucun moyen de savoir que la SPR pouvait y voir une contradiction et que, de ce fait, de plus amples explications étaient nécessaires. Dans ces circonstances, je pense qu’il était déraisonnable pour la SPR de ne pas aborder explicitement cette question avec la demanderesse.

 

[60]           Au paragraphe 11 de sa décision, la SPR écrit que la demanderesse « n’a pas déclaré au PDE qu’elle pensait que son fils avait été tué ». Or, la demanderesse a déclaré ce qui suit au PDE : [traduction] « [p]puisqu’ils peuvent tuer mon fils, je crains pour ma vie moi aussi ... ». Ce genre d’omission donne l’impression que la SPR néglige des éléments de preuve importants et se fonde sur des contradictions qui sont tout simplement inexistantes.

 

[61]           Au sujet de la crainte subjective de persécution, la SPR mentionne, au paragraphe 12 de sa décision, le séjour d’un mois de la demanderesse au Nigeria en 2005 lorsque son fils est décédé. La demanderesse a témoigné que c’est pendant ce séjour qu’elle a officiellement remis sa démission. Selon la SPR, le témoignage de la demanderesse au sujet de ce mois était vague et évasif, et « le comportement de la demandeure d’asile lorsqu’elle s’occupe de ses affaires n’est pas compatible avec celui d’une personne qui se cache » :

Le tribunal estime que le séjour d’un mois de la demandeure d’asile au Nigeria fait état d’une absence de crainte subjective et qu’aucun élément de preuve crédible ne montre qu’elle se cachait, si elle a pris la peine de démissionner de son poste à l’hôpital.

 

 

[62]           Il ressort de l’examen de la transcription qu’il n’y a rien de vague ou d’évasif dans le témoignage de la demanderesse expliquant pourquoi elle a pu retourner dans son pays pendant un mois :

[traduction]

               i.                                                      Est-ce que quelqu’un de la communauté de votre mari a tenté d’entrer en contact avec vous?

C.                 Ils ne savaient même pas que j’étais là. Je ne suis même pas allée près. Personne ne savait que j’étais dans le coin, sauf mes amis qui savaient que je venais et qui ont fait venir les enfants en cachette – ils ont montré – ils m’ont amené les enfants.

 

[63]           Ainsi, la demanderesse s’est toujours tenue loin de la communauté de son mari. Pour ce qui est de sa démission, la demanderesse a témoigné que pour demeurer cachée elle devait [traduction] « démissionner par écrit ». La raison pour laquelle une démission par écrit serait incompatible avec le fait de demeurer caché ne saute pas aux yeux à mon avis. Encore une fois, la SPR n’examine pas réellement la preuve qui lui a été présentée.

 

[64]           Au paragraphe 17 de la décision, on peut lire que la demanderesse « n’a pas pu fournir d’éclaircissements raisonnables pour expliquer pourquoi des membres de la communauté voudraient s’en prendre à elle après près de six ans, en gardant à l’esprit que ses filles vivent au Nigeria et ne sont pas persécutées ». La demanderesse, en fait, a expliqué qu’elle continuait d’être une cible parce que son mari était toujours recherché :

[traduction]

                     i.                                                Vous dites avoir été menacée en 2004. C’était il y a cinq ans. Pourquoi êtes‑vous encore recherchée? Cela fait cinq ans.

C.                 Oui, cela fait cinq ans.

M.               Le risque doit – pour un réfugié – être ce qui vous fait craindre de retourner maintenant, pas nécessairement ce qui est arrivé avant. Alors, pourquoi, après cinq ans, vous recherche‑t‑on à présent?

C.        Oh! Parce qu’ils recherchent encore mon mari. Mon mari n’a pas réapparu. Et les enfants me le disent, ce qui se passe à la maison. Même mon ami qui était là, il arrive qu’il dise ce qui se passe, que les gens en parlent encore. Ils cherchent encore l’argent, les rumeurs courent encore et, selon une de mes enfants, ils m’envoient des lettres et me téléphonent. Ça m’effraie et me fait peur.

 

[65]           La demanderesse a aussi donné l’explication suivante:

[traduction]

               i.                                                      Mais ils en ont contre votre mari, madame.

C.                 Au Nigeria, s’ils ne voient pas le mari, ils s’en prennent alors à l’épouse.

 

[66]           Elle a ajouté :

[traduction]

C.                 Parce que le problème est toujours là. Le problème est toujours là. Il ne disparaît pas, en particulier lorsqu’il est question d’une vie. Ils n’oublient pas des choses comme (inaudible). Ils vont se venger. C’est, ils vont se – ils n’oublient pas quand – cela – la vie d’un être humain. Et cet homme, ce parti, cet homme (inaudible) est quelqu’un d’important. Il a tellement de discussions politiques (inaudible). Une vie est en cause. Dès qu’une vie est en cause, ils veulent se venger.

 

[67]           Quand il a été question des filles de la demanderesse, celle‑ci a expliqué que des raisons culturelles propres au Nigeria faisaient en sorte que ses filles n’étaient pas ciblées :

[traduction]

C.                 Non. Non, ils ne s’en prennent pas vraiment aux filles vous savez. Ils savent que les filles (inaudible), elles se marient et elles – elles s’en vont. Elles ne gardent pas leur nom de famille. Ils n’attachent pas beaucoup d’importance aux filles. Cela ne veut pas dire qu’ils ne le feront pas, ils changent. Alors, ils ne (inaudible) peur. Ils ne vont pas dans ce milieu du tout. Ils ne savent pas où elles sont.

 

[68]           Dans son FRP également, la demanderesse a expliqué qu’on n’attache pas beaucoup de valeur aux filles au Nigeria. Elles n’ont pas assez d’importance pour être prises pour cible.

 

[69]           Rien de cela n’est vague ou évasif, et ce n’est certainement pas déraisonnable. La SRP n’a tout simplement pas tenu compte de ce que la demanderesse a dit.

 

[70]           Il ne s’agit pas là des seuls problèmes de cet ordre, mais ils suffisent à me convaincre que, pour ce qui est des conclusions relatives à la crédibilité et à la crainte subjective, la décision est déraisonnable. Je n’exclus pas le fait, en disant cela, que le témoignage de la demanderesse n’était manifestement pas exempt de problèmes qui sont restés inexpliqués et pour lesquels les conclusions défavorables de la SPR ne peuvent être considérées comme déraisonnables. C’est prise globalement que la décision est préoccupante. Elle comporte tout simplement trop de conclusions défavorables fondées sur des déclarations que la SPR a qualifiées d’évasives ou de contradictoires alors qu’elles ne l’étaient pas.

 

[71]           Le seul autre point à trancher concerne la raisonnabilité de la conclusion relative à la PRI et la question de savoir si elle peut par elle‑même fonder la décision et remédier aux problèmes susmentionnés. Le défendeur prétend qu’elle le peut parce que les risques auxquels la demanderesse est exposée sont circonscrits dans une région et qu’elle peut les éviter en s’installant dans un autre des grands centres mentionnés dans la décision.

 

[72]           Le témoignage de la demanderesse, toutefois, indique qu’elle a peur d’une organisation politique nationale et de la police nigériane, qui sont à sa recherche. Ce point n’est pas abordé dans la décision mais, de toute manière, je ne vois pas comment la SPR pourrait valablement trancher la question de la PRI alors qu’elle n’a pas valablement évalué les risques que la demanderesse dit courir. Voir Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589.

 

[73]           Tout bien considéré, je pense qu’il serait imprudent de permettre que la décision soit maintenue. Elle doit être renvoyée pour réexamen.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et renvoyée pour réexamen par un tribunal de la SPR différemment constitué.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-714-10

 

INTITULÉ :                                       CAROLINE AJOKE AWOLAJA

 

                                                                                                                  demanderesse

                                                            -   et   -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                            L’IMMIGRATION

                                                                                                                        Défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 7 décembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Stella Iriah Anaele                                                                     DEMANDERESSE

                                                                                               

Kevin Doyle                                                                             DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Stella Iriah Anaele                                                                     DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                                        DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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