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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20101208

Dossier : IMM-1253-10

Référence : 2010 CF 1250

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

JOSE LUIS NAVARRO LINARES

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendue le 2 février 2010, qui lui a refusé la qualité de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est Mexicain. Il vivait dans le village de San Juanico, dans l’État de Michoacán, et, à l’époque pertinente, il exerçait la fonction de trésorier d’un comité du village chargé de déterminer l’admissibilité des familles à un programme fédéral d’aide. La personne chargée de la distribution de l’aide était Elias Caraves (Elias). En 2002, le demandeur et deux autres membres du comité, soupçonnant qu’Elias conservait pour lui-même une partie de la nourriture et de l’argent, ont formé un groupe de surveillance pour voir ce qu’il en était. En mai 2004, ils ont fait part de leurs soupçons aux dirigeants municipaux, qui ont repoussé leurs inquiétudes et signalé leur visite à Elias.

 

[3]               Peu après, Elias s’est rendu au domicile du demandeur pour l’avertir qu’il ne devait pas se mêler de la manière dont lui, Elias, s’acquittait de ses responsabilités.

 

[4]               Plus tard ce mois-là, ou au cours du mois suivant, le groupe de surveillance a fait part de ses préoccupations aux représentants de l’État de Michoacán. Les représentants de l’État ont accusé le groupe de lancer de fausses accusations, et ils ont eux aussi signalé à Elias la visite du groupe. La semaine suivante, Elias s’est à nouveau rendu chez le demandeur, et cette fois la famille du demandeur était présente. Elias a menacé de tuer le demandeur s’il persistait dans ses dénonciations et de sévir également contre sa famille. Le demandeur a mis fin à ses plaintes contre Elias. Il n’a jamais signalé les menaces à la police parce qu’il craignait pour sa vie et pour la sécurité de sa famille et parce qu’il croyait que les autorités ne feraient rien pour lui.

 

[5]               En 2004, des inconnus sont entrés par effraction chez le demandeur. Le demandeur a déclaré d’abord que cet incident s’était produit au début de 2004, mais il s’est plus tard contredit en affirmant qu’il avait eu lieu au milieu de 2004. Le demandeur croit que c’est Elias qui est à l’origine de ce délit. Il a signalé le délit à la police. À la suite de cet incident, le demandeur et sa famille ont décidé de quitter le Mexique.

 

[6]               Le demandeur a affirmé, devant la SPR, que les autres membres du groupe de surveillance s’étaient querellés avec Elias, mais qu'il ne savait pas s’ils avaient été menacés par lui. Les deux autres membres du groupe étaient décédés de causes naturelles après que le demandeur avait quitté le Mexique.

 

[7]               Le demandeur et sa famille ont quitté le Mexique en octobre 2004 et se sont établis illégalement aux États-Unis jusqu’en 2008, année de récession qui avait réduit ses espoirs de trouver du travail. Le 11 mai 2008, le demandeur est entré au Canada, où il a présenté une demande d'asile le jour même.

 

[8]               Le demandeur a comparu devant la SPR le 31 août 2009. Il affirme qu’il craint de retourner au Mexique parce qu’Elias a des relations, directes ou indirectes, dans tout le pays, relations qui lui permettraient de trouver le demandeur où qu’il se trouve. La SPR a rejeté la demande d'asile au motif qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, parce qu’il dispose au Mexique d’une possibilité de refuge intérieur (PRI). C’est de cette décision qu’il s’agit ici.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[9]               La SPR a fait observer que la preuve corroborante du demandeur consistait en une déclaration notariée de deux individus qui avaient connu le demandeur au Mexique. La déclaration ne désigne pas Elias comme l’agent de persécution; elle ne donne pas de détails sur le conflit ni sur les menaces proférées contre le demandeur; elle est fondée sur ce que le demandeur avait lui-même relaté aux auteurs de la déclaration.

 

[10]           La SPR a conclu que, contrairement à ce qu’affirmait le demandeur, il disposait bel et bien d’une PRI viable « dans une région éloignée de San Juanico, de l’État de Michoacán [et] […] des régions entourant la ferme d’Elias ». Cette conclusion de la SPR reposait sur quatre appréciations de faits.

 

[11]           D’abord, l’affirmation du demandeur selon laquelle Elias a suffisamment d’influence et de relations au-delà de la sphère municipale pour trouver le demandeur où qu’il se trouve dans le pays est une simple conjecture. Le demandeur n’a produit aucune preuve objective de cela.

 

[12]           Deuxièmement, ni le demandeur ni les autres membres du groupe de surveillance n’ont jamais été inquiétés ou mis en danger alors même qu’Elias pouvait leur nuire. Il semble donc évident qu’« Elias n’aurait que peu ou pas d’intérêt » à traquer le demandeur s’il devait se réinstaller dans une autre région du Mexique.

 

[13]           Troisièmement, les menaces d’Elias étaient conditionnelles; le demandeur serait éliminé s’il continuait de s’ingérer dans ses affaires. La capitulation du demandeur devant les menaces proférées par Elias, sans oublier la cessation de ses dénonciations, « diminue considérablement » toute raison qu’Elias pourrait avoir de mettre à exécution une menace vieille de cinq ans.

 

[14]           Quatrièmement, Elias est aujourd’hui âgé de 75 ou 80 ans. Il est difficile de croire qu’il veuille se mettre à dos le demandeur, quand bien même il apprendrait son retour au Mexique.

 

[15]           La SPR a estimé que la PRI était raisonnable. Le demandeur a reçu une éducation postsecondaire, il est encore assez jeune, et il a une vaste expérience de l’agriculture, de l’aménagement paysager, de la peinture et de la construction. Entre 1998 et 2008, il n’a pas eu de difficulté particulière à trouver du travail, et il est improbable que cela changerait s’il devait retourner au Mexique.

 

[16]           Se fondant sur sa conclusion d’existence d’une PRI, la SPR s’est abstenue de considérer la crédibilité du demandeur, le bien-fondé de sa crainte de persécution ou les risques auxquels il serait exposé s’il devait retourner au Mexique.

 

LE POINT LITIGIEUX

 

[17]           Le demandeur a soulevé le point suivant :

La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur? Plus précisément, le raisonnement de la SPR était-il fondé sur des conclusions de fait erronées, tirées d’une manière abusive ou arbitraire, et la SPR s’est-elle correctement demandé si le demandeur disposait vraiment d’une PRI et si cette PRI était raisonnable?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[18]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

  

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

  

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[19]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[20]           Selon les parties, la question de savoir si la SPR s’est fourvoyée en concluant à l’existence d’une PRI viable appelle l’application de la norme de raisonnabilité. Voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 46 et 72.

 

[21]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS DES PARTIES

            Le demandeur

                        Des appréciations de faits abusives ou arbitraires

 

[22]           Selon le demandeur, la conclusion de la SPR selon laquelle il dispose d’une PRI viable était fondée sur des appréciations de faits qui étaient erronées parce que la SPR n'avait pas procédé à l’analyse requise.

 

[23]           D’abord, la SPR a écrit, au paragraphe 23 de sa décision, que le demandeur n’avait pas été inquiété ou mis en danger lorsqu’il se trouvait au Mexique. Cette affirmation contredit le témoignage du demandeur qui affirmait qu’Elias l’avait menacé deux fois et, selon ce qu’il croit, était à l’origine de l’entrée par effraction commise à son domicile. Le demandeur n’avait pas reçu de coups, mais il avait manifestement été inquiété. Selon lui, cette appréciation de faits erronée de la SPR touche directement sa revendication concernant le bien-fondé de sa crainte de persécution. La SPR avait donc l’obligation d’analyser la preuve, par exemple en passant en revue son témoignage, en le comparant à la preuve objective et en se prononçant sur sa crédibilité. La SPR n’a rien fait de tout cela, et elle a donc manqué à son obligation.

 

[24]           Deuxièmement, la SPR a estimé qu’Elias n’avait plus aucune raison de traquer le demandeur ailleurs au Mexique. C’est là tout simplement une prise de position, exprimée sans une appréciation préalable de la preuve.

 

[25]           Troisièmement, la SPR a rejeté comme « hypothétiques » les allégations du demandeur selon lesquelles Elias dispose des moyens nécessaires pour le trouver n’importe où au Mexique. La SPR met ainsi en doute sa crédibilité sous le couvert d’une analyse de la PRI. Le demandeur a affirmé qu’Elias avait accès à des fonds fédéraux et que des représentants de la municipalité comme de l’État l’avaient informé des plaintes du groupe de surveillance à son encontre, ce qui montrait bien que l’influence d’Elias s’étendait au-delà du village. En rejetant ce témoignage, la SPR se devait d’expliquer pourquoi il n’était pas crédible.

 

[26]           La SPR écrit au paragraphe 28 de sa décision qu’elle s’est abstenue de considérer la crédibilité du demandeur, le bien-fondé de sa crainte de persécution et la menace à sa vie, mais en réalité elle a effectivement considéré ces questions, sauf qu’elle l’a fait d’une manière qui la dispensait de procéder à l’analyse requise.

 

La SPR a commis une erreur en s’abstenant de préciser le lieu de la PRI

 

[27]           La SPR a écrit que le demandeur disposait d’une PRI viable « dans une région éloignée de San Juanico, de l’État de Michoacán [et] […] des régions entourant la ferme d’Elias ». Cela ne suffit pas. Dans la décision Valdez Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 387, aux paragraphes 17 et 18, la juge Eleanor Dawson faisait observer qu’il ne suffit pas à la Commission de désigner une zone approximative de danger pour ensuite conclure que le demandeur est en sécurité n’importe où ailleurs. La Commission doit plutôt préciser la zone géographique pouvant constituer un refuge pour le demandeur et faire l’analyse des conditions qui ont cours à l’endroit en question. En l’espèce, les conclusions de la SPR sur l’existence d’une PRI sont défectueuses sous les deux aspects. La SPR n’ayant apparemment examiné que la question de l’existence d’une PRI viable, l'absence de l’analyse requise rend sa décision déraisonnable.

 

Le défendeur

            Les appréciations de faits de la SPR sont raisonnables

 

[28]           Selon le défendeur, le demandeur n’a pas apporté la preuve de nature à établir qu’Elias avait fait du tort aux deux autres membres du groupe de surveillance; qu’il était à l’origine de l’entrée par effraction commise à son domicile; qu’il continuait d’avoir des raisons de le traquer où qu’il se trouve au Mexique. En outre, le témoignage du demandeur sur la date de l’entrée par effraction était contradictoire. La SPR a apprécié la preuve, elle a fondé sa décision sur cette appréciation et, ce faisant, elle a agi comme elle le devait.

 

[29]           C’est à la SPR qu’il appartient d’apprécier la preuve produite. Voir l’arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Pour infirmer une décision en raison de l’existence d’une prétendue erreur de fait, la Cour doit considérer que la conclusion de la SPR est véritablement erronée, qu’elle a été tirée d’une manière arbitraire et au mépris de la preuve et qu’elle constituait le fondement de la décision. Voir l’arrêt Rohm and Hass Canada Ltd. c. Canada (Tribunal antidumping) (1978), 22 N.R. 175 (C.A.F.). Le demandeur n’a pas satisfait à ce critère.

 

[30]           Le demandeur peut être en désaccord avec les conclusions de la SPR et avec le poids qu’elle a attribué à son témoignage, mais cela ne rend pas déraisonnable la décision de la SPR. Voir le jugement Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1146, au paragraphe 11. Au contraire, la décision de la SPR était fondée sur une appréciation cumulative de la preuve, et elle a fait état de cette preuve. Pour cette raison, les conclusions de fait de la SPR ne devraient pas être modifiées.

 

Le demandeur dispose d’une PRI viable

 

[31]           Selon le défendeur, la notion de PRI fait partie intégrante de la définition de « réfugié au sens de la Convention » et, lorsqu’un demandeur dispose d’une PRI, il ne pourra se voir reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention. Voir l’arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), aux paragraphes 4, 6, 8; l’arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), au paragraphe 12.

 

[32]           C’est au demandeur qu’il appartient d’établir qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution dans la zone de la PRI. Voir l’arrêt Rasaratnam, précité, aux paragraphes 4 et 8; l’arrêt Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 6. En l’espèce, le témoignage du demandeur n’a pas persuadé la SPR qu’Elias avait les moyens de le traquer et qu’il entendait encore le traquer n’importe où au Mexique.

 

[33]           Le défendeur récuse aussi l’argument du demandeur selon lequel la SPR n’a pas, dans son analyse de la PRI, délimité une zone géographique précise. Selon le défendeur, la SPR a conclu que le demandeur pouvait s’établir sans risque à Mexico et que, vu son éducation et sa réussite professionnelle, il lui serait possible d’y vivre en toute sécurité.

 

La réponse du demandeur

 

[34]           Le demandeur récuse l’affirmation du défendeur pour qui la SPR a validement appliqué le critère pertinent pour conclure que le demandeur ne courait aucun risque sérieux de persécution au Mexique. En fait, le demandeur soutient que la SPR n’a appliqué aucun critère. Elle a plutôt tiré des conclusions de fait et des conclusions sur sa crédibilité quant au bien-fondé de sa crainte de persécution sans faire quelque analyse que ce soit.

 

[35]           L’inexactitude de l’affirmation de la SPR selon laquelle elle pouvait se limiter à dire s’il existait ou non une PRI est évidente dans ses conclusions touchant la crédibilité du demandeur, ainsi que dans ses conclusions de fait, conclusions qui toutes intéressent le fond de la demande d'asile et qui toutes ont été tirées sans analyse préalable et au mépris de la procédure à suivre.

 

[36]           Le demandeur fait aussi valoir que la seule mention de Mexico comme PRI viable ne satisfait pas au critère d'évaluation de la viabilité d'une PRI exposé dans la décision Valdez Mendoza, précitée. La SPR devait, à tout le moins, passer en revue les conditions ayant cours à Mexico, et elle ne l’a pas fait. L’absence d’une analyse appropriée de la question de la PRI a pour effet de vicier la décision de la SPR.

 

ANALYSE

 

[37]           Dans ses observations, le demandeur consacre beaucoup de temps à plaider des points qui ne sont pas en litige dans la présente instance. La décision de la Commission était fondée sur un seul élément : l’existence d’une PRI au Mexique. Sur ce sujet, le demandeur élève de sérieuses objections à la conclusion de la Commission selon laquelle il disposait d’une PRI viable. Au paragraphe 28 de sa décision, la SPR a écrit ce qui suit :

En raison de mes conclusions concernant la disponibilité d’une possibilité de refuge intérieur, je n’ai pas à examiner d’autres questions en l’espèce, comme la crédibilité du témoignage du demandeur d’asile, le bien-fondé de sa crainte d’être persécuté ou la menace à sa vie à laquelle il serait exposé s’il retournait au Mexique.

 

 

[38]           En premier lieu, le demandeur dit que la SPR n’a pas précisé l’endroit géographique où il serait à même de se réinstaller sans risque. Une lecture de la décision tout entière révèle que la SPR ne se limite pas à dire que le demandeur pourrait « retourn[er] vivre au Mexique dans une région éloignée de San Juanico ».

 

[39]           Dans sa décision, la SPR écrit que « le demandeur d’asile a une possibilité de refuge intérieur viable dans au moins une des régions analysées dans la preuve, et [qu’]il en existe certainement d’autres au Mexique, et ce, dans des régions éloignées de l’État de Michoacán ».

 

[40]           Il ressort clairement aussi du paragraphe 18 de la décision que le demandeur a été interrogé à propos de possibilités de refuge intérieur à Monterrey et dans le Yucatán, de même qu’à Mexico. Un endroit général a donc été précisé – « des régions éloignées de l’État de Michoacán » – de même que plusieurs endroits précis, dont Mexico.

 

[41]           Le demandeur dit aussi que la SPR n’a fait aucune analyse des raisons pour lesquelles un lieu précis pourrait constituer un refuge raisonnable et réaliste. Une lecture de la décision de la SPR montre que la SPR a fait cette analyse.

 

[42]           La SPR a conclu que les PRI envisagées étaient sûres, qu’Elias n’aurais pas la volonté, ni ne serait en mesure, de le trouver à ces endroits et que lesdites PRI étaient raisonnables, parce que :

Le demandeur d’asile est assez jeune et il a une éducation postsecondaire. Selon son FRP, il a une vaste expérience de travail dans le domaine de l’agriculture, de l’aménagement paysager, de la peinture et de la construction et il a été en mesure d’exercer un emploi rémunéré de façon continue ou presque au Mexique et aux États-Unis entre 1986 et 2008. Il ne devrait pas avoir de problèmes importants à déménager au Mexique.

 

 

[43]           Contrairement à la situation considérée dans l’affaire Valdez Mendoza, précitée, la SPR a fait, en l'espèce, davantage qu’affirmer simplement que le demandeur disposait d’une PRI « aillleurs au Mexique ».

 

[44]           Je suis d’avis que l’unique point défendable soulevé par le demandeur est celui de savoir si, dans son analyse de la PRI, la SPR a accordé une attention suffisante à la preuve produite qui concernait les difficultés financières et les questions de sécurité entraînées par une réinstallation de la famille du demandeur aux endroits mentionnées par la SPR. Il semblait qu’un climat général de violence régnait au Mexique, ainsi qu’à Monterrey, au Yucatán et à Mexico, les trois endroits explicitement mentionnés par la SPR.

 

[45]           Dans l’arrêt Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 12, la Cour d'appel fédérale précise que, après que le commissaire ou la Commission a averti un demandeur d’asile que la question d’une PRI sera évoquée, alors c’est au demandeur d’asile qu’il revient de montrer qu’il serait excessif de l’obliger à s’installer à l’endroit visé par la PRI.

 

[46]           En l’espèce, l’avocate du demandeur a soulevé la question des moyens financiers. Selon moi, la SPR aborde correctement cet aspect au paragraphe 27 de sa décision, lorsqu’elle parle de l’âge, de l'éducation et des antécédents professionnels du demandeur. Vu la capacité démontrée du demandeur à trouver du travail au Mexique, rien ne donne à penser que son installation au Mexique ne serait pas financièrement réalisable.

 

[47]           L’avocate du demandeur a aussi invoqué des questions de sécurité dans ses observations, à la page 298 du dossier du tribunal, mais ce que craint ici le demandeur, c’est qu’Elias décide de se mettre à sa recherche, un aspect que la SPR traite correctement dans sa décision. La SPR, après examen de la preuve, a estimé qu’Elias ne s’intéresserait probablement plus au demandeur si celui-ci devait retourner dans une autre région du Mexique, par exemple à Mexico.

 

[48]           Il ressort clairement aussi de la décision tout entière que la SPR n’a pas tiré de conclusions de fait erronées ni fondé sa décision sur des questions de crédibilité, contrairement à ce qu’affirme le demandeur. La conclusion selon laquelle aucun mal n’a été fait au demandeur signifie clairement qu’il n’a pas reçu de coups; cette conclusion ne signifie pas qu’il n’a pas été menacé. Et la conclusion selon laquelle les objections du demandeur aux PRI envisagées par la SPR reposaient sur des conjectures n’est pas une conclusion sur sa crédibilité. La SPR n’a pas mis en doute la conviction du demandeur à propos des raisons pour lesquelles il ne pourrait pas s’installer, par exemple, à Mexico. Elle a conclu que, au vu de l’ensemble de la preuve, la conviction du demandeur qu’il pourrait encore être inquiété à ces endroits reposait sur des conjectures.

 

[49]           Le seul fait que la SPR ne soit pas du même avis que le demandeur sur le sens à donner à la preuve ne signifie pas que la SPR se prononce sur sa crédibilité. La SPR n’écarte pas la preuve objective. Elle met en balance les observations du demandeur et les autres facteurs révélés par la preuve, et elle arrive à la conclusion, comme ce fut le cas ici, que le demandeur ne sera pas exposé à un risque s’il s’établit à Mexico ou dans l’un des autres endroits envisagés. La Cour n’a pas pour mandat d’apprécier à nouveau la preuve. Voir la décision Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1404; ainsi que l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, aux paragraphes 34 à 38.

 

[50]           La décision de la SPR est transparente et intelligible, et elle appartient à la gamme des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

 

[51]           Une autre formation de la SPR aurait évidemment pu statuer autrement et apprécier la preuve d’une manière qui aurait produit une conclusion autre, mais cela ne rend pas déraisonnable la décision dont il s’agit ici.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1253-10

 

INTITULÉ :                                       JOSE LUIS NAVARRO LINARES

 

                                                                                                                  

                                                            -   c.   -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 novembre 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 décembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rishma N. Shariff                                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

Camille Audain                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rishma N. Shariff

Avocat                                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

 

Myles J. Kirvan                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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