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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101208

Dossier : IMM-4921-09

Référence : 2010 CF 1252

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2010

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

GULER ARASAN

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant une décision datée du 15 septembre 2009 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), aux termes de laquelle il a été conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. Cette décision reposait sur la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible et ne craignait pas avec raison d’être persécutée en Turquie.

 

[2]               La demanderesse prie la Cour d’annuler la décision de la Commission et de renvoyer l’affaire pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

Le contexte

 

[3]               Guler Arasan (la demanderesse) est une citoyenne kurde-alévie de la Turquie. Elle prétend craindre avec raison la police turque en raison de son ethnie, de sa religion et de ses activités politiques. La demanderesse est une étudiante et une partisane des partis politiques de gauche, dont le HADEP (le parti démocratique du peuple) qu’elle a appris à connaître lors de ses études de premier et de second cycles. La demanderesse vient de la région de Tunceli (Turquie), laquelle constituerait une place forte de la résistance kurde-alévie. La demanderesse a participé à un certain nombre de manifestations étudiantes universitaires tout au long de ses études postsecondaires, de sorte qu’elle serait, selon ses allégations, devenue connue de la police. La demanderesse allègue qu’elle a été détenue par la police à quelques reprises :

            1.         mi-décembre 1999 (2 jours);

            2.         janvier 2002 (2 jours);

            3.         juillet 2005 (1 jour);

            4.         septembre 2006 (1 jour).

 

[4]               La demanderesse allègue avoir été agressée sexuellement et physiquement par la police durant ces périodes de détention. La police l’aurait menacée de mort durant sa dernière détention afin de la contraindre à agir comme espionne.

 

[5]               La demanderesse a décidé de quitter la Turquie après sa détention du 10 septembre 2006 parce qu’elle ne pouvait pas espionner ses amis et ses alliés politiques. Elle a obtenu un visa d’étudiant du Canada et est arrivée le 9 janvier 2007. La demanderesse a revendiqué l’asile le 17 janvier 2009.

 

La décision de la Commission

 

[6]               La Commission a rejeté les revendications de la demanderesse pour le motif que son témoignage, sa conduite après ses libérations et l’absence de documents corroborant ses quatre périodes distinctes de détention n’étaient pas crédibles. La Commission a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, la demanderesse n’avait pas été détenue et qu’elle n’avait pas fait l’objet de mauvais traitements par la police.

 

[7]               La Commission a mis en doute la capacité de la demanderesse de poursuivre sans difficulté ses études universitaires et sa routine quotidienne après chaque période prétendue de détention et de mauvais traitements. La Commission a rejeté les explications de la demanderesse relativement à son prompt rétablissement au paragraphe 7 de la décision :

L’une de ses explications était : [traduction] « La semaine où je suis restée éloignée n’était pas une semaine d’examen. » Elle a également dit : [traduction] « J’ai commencé ma maîtrise en septembre 2002. » Je ne trouve pas le témoignage de la demandeure d’asile crédible. Je n’estime également pas que ses explications précisent adéquatement comment elle a pu physiquement, psychologiquement et émotionnellement continuer sa vie après ce genre de brève interruption et sans avoir reçu de traitement ou d’aide.

 

 

[8]               La demanderesse a présenté une évaluation psychologique de M. Gerald M. Devin datée du 5 janvier 2008, selon laquelle elle souffrait de symptômes liés au stress. La Commission a accepté l’évaluation de M. Devin et a conclu que le stress subi par la demanderesse était dû au statut incertain de la demanderesse au Canada et non à sa persécution en Turquie.

 

[9]               La Commission a fait particulièrement ressortir les réserves suivantes quant à la crédibilité :

            1.         La conduite de la demanderesse après sa détention en Turquie était incompatible avec sa conduite actuelle au Canada, telle que M. Devin l’a décrite dans son évaluation.

            2.         La demanderesse, par sa participation à des manifestations, s’est fait remarquer à plusieurs reprises par la police, mais elle n’a pas cherché à obtenir des soins ou des traitements médicaux en raison de sa crainte de la détention;

            3.         La demanderesse n’a pas consulté un avocat même si son cousin est avocat;

            4.         Aucune plainte n’a été faite aux autorités turques parce que la demanderesse « ne croyait pas que cela donnerait quelque chose »;

            5.         L’absence d’action de la demanderesse à la suite de ses détentions;

            6.         L’absence de documentation corroborant ses détentions.

 

[10]           La Commission a estimé que la demanderesse était une partisane politique de peu d’importance qui participait à des activités pro-kurdes et qu’elle n’appartenait pas à un parti politique. La Commission a noté que la famille de la demanderesse continuait à vivre à Ankara. La Commission a conclu qu’il était improbable que la demanderesse vienne à l’attention des autorités à son retour en Turquie et a rejeté sa demande d’asile.

 

Les questions litigieuses

 

[11]           Les questions litigieuses sont les suivantes :

                 1.    Quelle est la norme de contrôle judiciaire?

                 2.    La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’appartenait pas à un parti politique?

                 3.    La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’était pas plausible que la demanderesse ait pu poursuivre sa vie normalement à la suite de ses détentions?

                 4.    La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse aurait dû cesser de participer aux manifestations si elle disait la vérité?

 

Les observations écrites de la demanderesse

 

[12]           La demanderesse fait valoir que la Commission a commis une erreur en déterminant que la demanderesse n’appartenait pas à un parti politique et qu’elle était plutôt une partisane de peu d’importance qui militait pour les causes kurdes. La demanderesse fait valoir que la lettre d’appartenance de la demanderesse confirme qu’elle est membre du parti.

 

[13]           L’appartenance à un parti expose la demanderesse à un plus grand risque se faire repérer et persécuter que si elle était seulement une partisane de peu d’importance. Le rapport sur la Turquie du Département d’État des États-Unis fait état d’un fort risque de persécution pour tout Kurde qui affirme son identité ou sa langue kurde de manière publique ou politique.

 

[14]           La demanderesse fait valoir que les conclusions de fait de la Commission relativement aux symptômes de stress de la demanderesse sont déraisonnables. Rien ne démontre qu’il n’était pas possible que la demanderesse poursuive sa vie à la suite de ses détentions, ou que ses problèmes psychologiques n’ont pas surgi à une date ultérieure. Les conclusions de la Commission outrepassent son domaine d’expertise et sont hypothétiques.

 

[15]           La demanderesse fait en outre valoir qu’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’elle ne participe pas à des manifestations politiques et que ses allégations selon lesquelles elle est incapable d’obtenir la protection de l’État sont raisonnables. Les conclusions de fait de la Commission sont par conséquent déraisonnables.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[16]           Le défendeur fait valoir que la demanderesse a déclaré, dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) et dans son témoignage, non pas appartenir à un parti politique, mais être une partisane qui milite pour les causes kurdes. Les documents de la demanderesse qui sont censés démontrer son appartenance à un parti politique sont contredits par son témoignage et ne suffisent pas à eux seuls à établir son appartenance selon la prépondérance de la preuve. Il n’y a pas de lien entre son appartenance alléguée à un parti et ses expériences personnelles de persécution ou les risques de persécution dans l’avenir.

 

[17]           Le défendeur fait valoir en outre que la Commission a avec raison accordé peu de poids à la preuve médicale de la demanderesse à la lumière de son témoignage. Le défendeur soutient que la demanderesse ne pouvait pas expliquer pourquoi il n’était pas plausible qu’elle ait pu poursuivre sa vie après les détentions, ce qui rend la preuve psychologique relative aux symptômes de stress insuffisante pour établir l’état de la demanderesse au moment où elle était en Turquie.

 

Analyse et décision

 

[18]           La question litigieuse no 1

            Quelle est la norme de contrôle judiciaire?

            La demanderesse conteste les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission. Une conclusion relative à la crédibilité constitue une conclusion de fait. Une cour de révision ne peut intervenir relativement à une conclusion de fait de la Commission que si la conclusion a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d)). En vérité, l’intention expresse du législateur est que les conclusions de fait tirées par un organisme administratif appellent un haut degré de déférence (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, paragraphe 46).

 

[19]           Il est bien établi que les décisions de la Commission en matière de demande d’asile sont des décisions portant sur des questions mixtes de fait et de droit et qu’elles sont susceptibles de révision selon la norme de raisonnabilité (voir Kaleja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 252, paragraphe 19, Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 796, au paragraphe 3). À ce titre, la cour de révision doit se demander si la décision possède les attributs de la raisonnabilité et s’attarder principalement à la justification de la décision ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La Cour se demandera également si la décision appartient aux issues possibles, acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du doit (voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[20]           Je me pencherai d’abord sur les questions nos 3 et 4.

 

[21]           La question litigieuse no 3

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’était pas plausible que la demanderesse ait pu poursuivre sa vie normalement à la suite de ses détentions?

            La Commission a conclu qu’il n’était pas plausible que la demanderesse ait pu poursuivre sa vie normalement si elle avait été détenue. La Commission a conclu que, si la demanderesse souffrait actuellement de problèmes de santé affectant sa vie quotidienne, elle aurait alors souffert de problèmes de santé par suite de sa détention et de la torture, lesquels l’auraient empêchée de poursuivre sa vie normalement. La Commission s’est appuyée sur ce motif pour conclure que la demanderesse n’était pas crédible. Elle a déclaré ce qui suit au paragraphe 8 de sa décision :

 

8          J’estime que la personne qui a pu accomplir tout ce que la demandeure d’asile a accompli en Turquie est complètement différente de la « personne décrite » par le psychologue, le Dr Devins, en janvier 2008. La demandeure d’asile affirme avoir été détenue en 1999, 2002, 2005 et 2006. En Turquie, elle a terminé une maîtrise d’études supérieures en 2004, après quoi elle a enseigné les sciences dans une école secondaire et une école intermédiaire jusqu’à ce qu’elle quitte la Turquie en décembre 2006 munie d’un visa d’étudiant canadien dont la demande avait été acceptée. Contredisant complètement ladite capacité de la demandeure d’asile à composer suffisamment avec sa situation au cours de la période allant de sa première détention, lorsqu’elle était à l’université, en décembre 1999, à son départ de la Turquie en décembre 2006, le Dr Devins a noté en 2008 que les problèmes de concentration de la demandeure d’asile sans travail la rendaient moins apte à apprendre l’anglais langue seconde. Durant son évaluation psychologique, la demandeure d’asile a dit au médecin qu’elle avait des symptômes liés au stress comme des maux de tête, des cauchemars, une perte d’appétit, un manque d’énergie, des problèmes de concentration et de mémoire, des étourderies, des distractions et l’esprit vide à l’occasion. J’estime, selon la prépondérance des probabilités, que si ces problèmes de santé existent aujourd’hui, il va de soi que ceux-ci auraient dû être pires juste après les détentions. J’estime raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne, qui a été détenue, torturée et menacée de mort souffre de stress et d’autres symptômes débilitants. Toutefois, puisque la demandeure d’asile n’a pas précisé avoir eu ses symptômes lorsqu’elle était en Turquie, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les symptômes qu’elle éprouve maintenant sont peut‑être liés à son statut incertain au Canada et à sa nervosité relativement à son audience concernant le statut de réfugié. Je ne trouve pas la demandeure d’asile crédible en ce qui concerne les allégations relatives à ses détentions et aux mauvais traitements qu’elle a subis aux mains de la police turque.

 

                                                                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

           

[22]           La demanderesse fait valoir que la Commission a commis une erreur en s’appuyant sur une expertise médicale qu’elle n’a pas pour conclure dans les deux dernières phrases du paragraphe 8 que les symptômes résultaient de son statut d’immigration et non de sa détention. Je suis d’accord. La Commission ne possède pas l’expertise médicale pour conclure que l’état de santé de la demanderesse aurait dû être pire lorsqu’elle était en Turquie. Il était erroné de conclure que la demanderesse n’était pas crédible pour cette raison.

 

[23]           La question litigieuse no 4

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse aurait dû cesser de participer aux manifestations si elle disait la vérité?

            La Commission a conclu qu’il n’était pas crédible que la demanderesse ne consulte pas un docteur par crainte de la détention, mais participe néanmoins à des manifestations. Le juge James Russel de la Cour a déclaré ce qui suit aux paragraphes 46 à 48 de la décision Gebremichael c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 547 :

46        En ce qui concerne la demande d’asile de Hiwote, la Commission a conclu que [traduction] « une personne qui aurait été vraiment agressée et maltraitée craindrait pour sa sécurité et s’efforcerait de se protéger contre toute rencontre de ce genre à l’avenir » (décision, p. 8). La Commission a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crainte subjective de Hiwote. Je crois qu’en agissant ainsi, la Commission est tombée dans le piège contre lequel une mise en garde a été formulée dans Anwar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1077.

 

47   Dans Anwar, comme le signalent les demandeurs, une personne a continué de vaquer à ses occupations quotidiennes après avoir été arrêtée et mise en liberté à quatre occasions distinctes. Ce n’est qu’après la cinquième fois qu’elle s’est cachée. Dans Anwar, la Cour a fait une série d’observations utiles :

 

48. L’analyse faite par le tribunal en ce qui a trait aux arrestations de la revendicatrice et à ses comportements subséquents mérite un examen. Le tribunal a conclu que le comportement de la demanderesse et de sa famille lors des quatre premières arrestations n’était pas vraisemblable. Une telle conclusion a été formulée et expliquée tout au long des motifs du tribunal.

 

49.  À mon avis, le tribunal a cependant évalué la vraisemblance de leur conduite pendant cette période avec un recul qui ne convient pas. En jetant un coup d’œil rétrospectif sur la période concernée, on voit quatre arrestations successives en 1999. Le fait que la revendicatrice ait continué à aller à l’école après chacune des quatre premières arrestations, plutôt que de demeurer à la maison, a constitué un élément qui a amené le tribunal à conclure que la version des événements présentée par la demanderesse était invraisemblable.

 

50. Toutefois, le dossier qui contient la transcription de l’audience, révèle que la revendicatrice agissait en étant convaincue qu’elle n’avait rien fait de mal et que par conséquent elle ne devrait pas changer la manière dont elle menait sa vie. Dans Samani, précitée, le juge Hugessen a dit au paragraphe 4 :

 

[...] L’argument voulant qu’une action soit invraisemblable simplement parce qu’elle peut se révéler dangereuse pour celui qui la commet par engagement politique, n’a jamais été particulièrement convaincante.

 

51. J’hésite à accepter complètement la prétention de la demanderesse que le fait qu’elle aille à l’école dans les circonstances devait être considéré comme le comportement d’une personne politiquement engagée. Cependant, j’accepte le raisonnement du juge Hugessen pour qui le comportement qu’un demandeur rapporte dans son témoignage n’est pas invraisemblable simplement parce qu’il est considéré comme à risques à partir de la position d’observation privilégiée d’un tribunal de la SSR, ou de celle d’une cour de justice qui procède à un contrôle judiciaire en ayant à sa disposition un dossier complet. Sans m’engager dans une spéculation comme celle qui a amené le tribunal à s’égarer dans la présente affaire, je ne peux m’imaginer que la preuve documentaire ou toute autre preuve au dossier mènerait nécessairement à la conclusion que la demanderesse n’avait aucune raison de croire, ou d’espérer, qu’après la première période de détention, pendant laquelle elle a nié être au courant de ce qui était allégué, ses démêlés avec les autorités prendraient fin.

 

52. Le tribunal a constaté que ses trois premières périodes de détention avaient duré respectivement une semaine, deux jours et cinq jours et qu’entre mai 1999 et mars 2000, la demanderesse n’avait pas été arrêtée. Il n’était pas invraisemblable pour elle de croire, pendant cette période, que le pire pour elle était passé. Il n’était pas non plus invraisemblable de croire que malgré les atteintes à son intégrité physique, comme le fait d’avoir reçu des électrochocs, d’avoir été battue et arrosée d’eau froide, il ait fallu une menace à son intégrité sexuelle pour faire naître chez elle la volonté d’entrer dans la clandestinité. Les conclusions du tribunal à cet égard sont déraisonnables étant entendu qu’elles ne sont pas justifiées par le dossier qui m’est soumis.

 

48   À mon avis, en l’espèce, la Commission a examiné le comportement de Hiwote, et surtout son retour à l’école, avec un recul qui ne convient pas. Il n’était pas invraisemblable que Hiwote ait cru ou espéré honnêtement qu’elle ne serait plus agressée sexuellement et qu’elle ne courrait pas de danger parce que les autorités s’intéressaient à son frère et non à elle. Les conclusions de la Commission sur ce point semblent avoir été tirées dans l’abstrait et ne tiennent pas compte du SSPT dont souffrait Hiwote ou des facteurs culturels qui peuvent avoir influencé sa décision de continuer de fréquenter l’école. Dans son rapport, le psychologue souligne que, dans les cultures amharique et éthiopienne, l’agression sexuelle est hautement stigmatisée (rapport Devins, dossier des demandeurs, page 62). La Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de cet élément de preuve important et pertinent. Le défendeur fait remarquer que la Commission utilise les mots « demandeure mineure » pour désigner Hiwote et a donc pris acte de son âge. Cependant, quand on lit l’ensemble de la décision de la Commission, on constate qu’il s’agissait manifestement d’une façon de désigner la demanderesse plutôt que d’une manière de montrer que la Commission avait tenté d’examiner le témoignage de Hiwote du point de vue d’une personne ayant le même âge et le même bagage culturel. C’est là l’aspect de la décision qui me préoccupe le plus. La Commission évalue le caractère raisonnable de l’explication de Hiwote selon son propre point de vue et non selon celui de Hiwote.

 

 

 

[24]           En appliquant ce raisonnement à l’espèce, je suis d’avis que la Commission a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas crédible parce qu’elle n’avait pas consulté un docteur et qu’elle avait néanmoins participé à des manifestations.

 

[25]           Étant donné ma conclusion quant au fondement de la conclusion relative à la non‑crédibilité de la demanderesse, je ne me pencherai pas sur la question litigieuse no 2. Comme la question de la crédibilité de la demanderesse semble avoir joué un rôle crucial dans l’issue de la décision, je ne peux pas dire qu’elle aurait été la décision définitive si ces conclusions défavorables relatives à la crédibilité n’avaient pas été tirées.

 

[26]           La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

[27]           Les parties ne souhaitent ni l’une ni l’autre proposer une question grave de portée générale aux fins de certification.


 

JUGEMENT

 

[28]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.


ANNEXE

 

Les dispositions légales pertinentes

 

 

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4921-09

 

INTITULÉ :                                       GULER ARASAN

 

                                                            c.

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LA DEMANDERESSE

Alexis Singer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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