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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20101222

Dossier : IMM-2194-10

Référence : 2010 CF 1320

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

 

CYNTHIA GUADALUPE HERNANDEZ GUTIERREZ

 

 

 

Partie demanderesse

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

Partie défenderesse

 

 

 

 

     MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 (la « Loi »), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le « tribunal ») datée du 29 mars 2010, selon laquelle la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger aux termes de la Loi.

 

Les faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne mexicaine qui habitait la ville de Zacatecas dans l’État de Zacatecas et y travaillait comme journaliste pour un journal Internet.

 

[3]               Elle allègue craindre pour sa vie en raison d’un travail d’enquête fait à compter du mois d’août 2006, sur le trafic de drogues dans l’État de Zacatecas au bénéfice de Monsieur Santiago Gonzalez, un agent de l’Agence fédérale d’investigation. Au cours de cette enquête, elle aurait appris que la vente et la distribution de drogues dans cet État étaient contrôlées par certains membres du gouvernement de l’État de Zacatecas et par les chefs du groupe de Zeta.

 

[4]               En octobre 2006, alors qu’elle tente de rejoindre monsieur Gonzalez, un ami lui apprend par téléphone qu’il a été assassiné. Elle quitte aussitôt Zacatecas et se réfugie dans le village de Tlachichila, où elle se cache jusqu’en décembre 2006.

 

[5]               En janvier 2007, elle séjourne à Guadalajana, et en juin de la même année commence à y travailler pour une station radiophonique locale. Son nom est mentionné sur les ondes comme contributrice.

 

[6]               En janvier 2008, elle retourne à Zacatecas pour obtenir copie de son acte de naissance, nécessaire à la délivrance d’un passeport. Le 1er février 2008, elle reçoit un appel téléphonique anonyme mentionnant monsieur Gonzalez et l’avertissant qu’un cadeau l’attend à son auberge. Elle s’y rend et constate qu’un début d’incendie a été conscrit par les pompiers.

 

[7]               Le 10 février 2008, elle quitte le Mexique pour rendre visite à un ami montréalais.

 

[8]               Le 10 avril 2008, elle dépose une demande d’asile.

 

La décision contestée

[9]            Le tribunal a conclu que la demanderesse n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État, car elle n’a produit aucun élément de preuve corroborant les faits essentiels de son récit, ni fourni d’explications satisfaisantes quant à son défaut de ce faire, ni déposé de plaintes auprès des autorités.

 

[10]           Le tribunal a conclu également que, dans les circonstances de ce cas, la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer qu’il n’existait pas de possibilité de refuge interne (« PRI »).

 

Les questions en litige

[11]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

 

            1.         Est-ce que le tribunal a erré en reprochant à la demanderesse d’avoir fait défaut de produire des éléments de preuve externes pour corroborer sa version des faits, particulièrement en ce qui a trait à la possibilité de la demanderesse de se prévaloir de la protection de l’État?

 

            2.         Est-ce que le tribunal a erré en concluant que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve de démontrer qu’il n’existe pas de PRI pour elle?

 

L’analyse

A.        La norme de contrôle

[12]           L’évaluation de la crédibilité et l’appréciation de la preuve relèvent de la compétence du tribunal administratif qui doit évaluer l’allégation d’une crainte subjective que lui présente un demandeur d’asile (voir Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, 83 ACWS (3e) 264 au paragraphe 14 et Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, 42 ACWS (3e) 886 au paragraphe 4). Comme le mentionne la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, les questions de faits et les questions mixtes de faits et de droit sont révisées selon la norme de la décision raisonnable (antérieurement la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable).

 

[13]           La norme de contrôle applicable aux questions de protection de l’État est la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, précitée, aux paragraphes 55, 57, 62 et 64). La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Hughey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 DLR (4e) 413, au paragraphe 38, précise que « les questions concernant le caractère adéquat de la protection étatique sont des questions mixtes de faits et de droit habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ».

 

[14]           La question de PRI est également révisée selon la norme de la décision raisonnable. À cet effet, le juge Beaudry s’exprimait ainsi au paragraphe 9 de la décision Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 487, [2009] ACF no 617 (QL) :

La norme de contrôle applicable aux questions de PRI était la décision manifestement déraisonnable (Khan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 44, 136 A.C.W.S. (3d) 912 et Chorny c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 999, 238 F.T.R. 289). Suivant Dunsmuir, [précitée], la Cour doit continuer de faire preuve de retenue dans la détermination d’une PRI et cette décision est révisée selon la nouvelle norme de la raisonnabilité. Conséquemment, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas “aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci-dessus, par. 47). Le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel.

 

B.         La production d’éléments de preuve externes

[15]           La jurisprudence de cette Cour est constante. Les questions de crédibilité et d’appréciation des faits et des éléments de preuve relèvent entièrement de la discrétion du tribunal, à titre de juge des faits. Le juge Beaudry dans la décision Gutierrez, précitée, rappelle au paragraphe 14, que :

Le tribunal est le mieux placé pour évaluer les explications fournies par la demanderesse au sujet des contradictions et invraisemblances apparentes. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son jugement aux conclusions de faits tirées par le tribunal au sujet de la crédibilité de la demanderesse (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 181, 146 A.C.W.S. (3d) 325 au par. 36).

 

[16]           Dans son mémoire, la demanderesse reproche au tribunal de ne pas avoir tenu compte de certains éléments de preuve documentaire, notamment la pièce P-6, ni de la jurisprudence de cette Cour qu’elle a déposée au dossier. Dans Cepeda-Gutierrez, précitée, reprise dans Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 656, 35 Imm LR (3e) 202, cette Cour rappelait que l’obligation de commenter un élément de preuve documentaire précis dépend de l’importance de cet élément de preuve. La demanderesse soutient que les éléments de preuve ignorés vont au cœur même de sa revendication; ce faisant, la décision du tribunal est entachée d’une erreur manifeste et est ainsi déraisonnable.

 

[17]           À l’audience, le procureur de la demanderesse a fait valoir la décision du juge Mainville dans l’affaire Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 503, [2010] ACF no 607 (QL), en particulier les paragraphes 30 à 33, pour reprocher au tribunal d’avoir omis d’analyser « la question de crainte subjective de persécution, ou autrement de se prononcer sur la crédibilité de la demanderesse d’asile et sur la vraisemblance de son récit, avant d’aborder le volet de la crainte objective, ce dernier comprenant une analyse de la disponibilité de la protection de l’État ».

 

[18]           Toutefois, la Cour constate que le tribunal a relevé plusieurs omissions dans le dossier de la demanderesse. Par exemple, la demanderesse a affirmé que l’incendie à l’auberge avait été causé par une bombe, alors que cet élément crucial est absent de son Formulaire de renseignements personnels révisé. Le tribunal a également constaté l’absence d’éléments de preuve pour corroborer l’essentiel des faits sur lesquels reposent la crainte subjective de la demanderesse, tels qu’une copie de l’ébauche de son projet d’article de deux pages écrit à la suite de son enquête ou une preuve de l’existence et de l’assassinat de monsieur Gonzalez.

 

[19]           Quoique la demanderesse ait fait valoir sa crainte des Zeta et des autorités de l’État de Zacatecas qui, selon elle, seraient de connivence, aucune preuve tangible n’a été déposée au soutien de cet élément fondamental. De plus, la Cour constate que la demanderesse n’a pas raisonnablement expliqué son défaut de produire des éléments de preuve corroborant au moins un des faits essentiels de son récit.

 

[20]           Le tribunal était-il en droit de tirer une conclusion négative, d’une part quant à la crédibilité de la demanderesse en raison de l’absence d’éléments de preuve corroborant son récit et, d’autre part, en raison de l’absence d’explications raisonnables et crédibles quant à son défaut d’entreprendre des démarches pour obtenir de tels éléments de preuve? La jurisprudence de cette Cour permet de tirer une telle inférence négative en l’absence d’efforts pour obtenir une corroboration documentaire (Muthiyansa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 17, 103 ACWS (3e) 809.

 

[21]           Le tribunal demeure le mieux placé pour évaluer la crédibilité des explications fournies par la demanderesse, ce qu’il a fait en l’instance. Il n’appartient donc pas à cette Cour de substituer son jugement aux conclusions de faits tirées par le tribunal quant à la crédibilité de la demanderesse (Mavi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 104 ACWS (3e) 925, [2001] ACF no 1 (QL)). En l’espèce, les explications fournies par la demanderesse quant à l’absence d’éléments de preuve pour corroborer sa version des faits ne semblent pas raisonnables.

 

C.        La protection de l’État

[22]           Le tribunal a ensuite procédé à l’analyse de la capacité de l’État mexicain de fournir la protection nécessaire à la demanderesse. Cette dernière reproche au tribunal de ne pas tenir compte des critères énoncés dans l’arrêt Hinzman, précité. La demanderesse s’appuie sur cette décision afin d’affirmer qu’elle ne pouvait être tenue de s’exposer à quelque risque que ce soit en portant plainte aux autorités municipales, étatiques ou même fédérales. En conséquence, elle soutient que le tribunal a erré en lui opposant l’absence de plainte et en déduisant de ce fait qu’elle ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve quant à l’impossibilité de recourir à la protection de l’État.

 

[23]           La Cour constate que le tribunal a procédé à une analyse détaillée de l’International Narcotics Control Strategy Report du 27 février 2009. Il en a conclu que l’État mexicain déploie des efforts et obtient des résultats concrets en ce qui concerne la protection de ses citoyens et la lutte contre la corruption.

 

[24]           La jurisprudence de cette Cour est constante et affirme clairement que la demanderesse devait fournir une preuve claire que le Mexique était incapable de lui fournir la protection nécessaire. Cet élément est essentiel aux termes des articles 96 et 97 de la Loi pour se mériter la qualité de personne à protéger (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 aux pages 724 et 725).

 

[25]           Quant au niveau de protection que l’État mexicain doit assurer, il doit au moins être adéquat (Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636). La demanderesse devait donc présenter des éléments de preuve que l’État mexicain ne pouvait lui accorder une protection suffisante eu égard aux circonstances de son récit.

 

[26]           L’arrêt Hinzman, précité, auquel la demanderesse et la partie défenderesse font référence, précise que dans le cas d’un état démocratique, le fardeau qui incombe au demandeur de démontrer qu’il n’avait pas à épuiser tous les recours disponibles avant de demander la protection internationale est lourd. Or, la demanderesse n’a fait aucune démarche en vue d’obtenir la protection de l’État mexicain. À cet égard, il est fort intéressant de mentionner l’affaire Cordova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 309, 178 ACWS (3e) 203. Dans cette cause, le demandeur était un journaliste qui demandait asile en raison de caricatures qui auraient été publiées au Mexique. La Cour a conclu qu’une protection étatique adéquate était disponible au défendeur. À cet égard, la juge Snider s’exprime ainsi au paragraphe 23 de la décision :

Selon moi, sur la base de la preuve dont elle disposait, cette conclusion était ouverte à la Commission. En fin de compte, le demandeur n’avait pas produit de preuve claire et convaincante qu’il n’avait pas été en mesure d’obtenir la protection de l’État au Mexique, parce qu’il ne s’est simplement pas donné la peine de tenter de demander quelque protection de l’État que ce soit. Par conséquent, la Commission a raisonnablement conclu que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État. La conclusion de la protection de l’État appartient donc bien « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, para 47).

 

[27]           Enfin, la demanderesse reproche au tribunal le défaut de se prononcer sur le motif invoqué par cette dernière au soutien de sa crainte de persécution. La Cour constate que la décision du tribunal tient compte de l’ensemble des éléments de preuve versés au dossier. La demanderesse devait réfuter la présomption de protection de l’État mexicain et apporter des éléments de preuve quant à l’incapacité de l’État de la protéger dans son cas particulier. En notant son défaut de s’adresser aux autorités mexicaines, le tribunal n’a pas commis d’erreur d’appréciation des faits et sa conclusion s’avère raisonnable dans les circonstances.

 

[28]           La Cour est d’avis que dans ces circonstances la demanderesse aurait pu se prévaloir de la protection de l’État et constate que la décision du tribunal est raisonnable à cet effet.

 

D.        La possibilité de refuge interne

[29]           La jurisprudence de cette Cour est claire. Dans l’arrêt Gutierrez, précité, le juge Beaudry résume les principes généraux applicables et affirme au paragraphe 21 que :

Quant à la possibilité de refuge interne la Cour a statué qu’on ne peut exiger du revendicateur qu’il s’expose à un grand danger physique ou qu’il subisse des épreuves indues pour se rendre dans une région pour y demeurer. Dans Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.) la Cour a statué que deux critères s’appliquaient dans l’établissement d’une PRI : 1) le revendicateur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une possibilité de refuge; et 2) la situation dans la partie du pays que l’on identifie comme PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le revendicateur d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances.

 

[30]           Le tribunal devait donc considérer les deux critères. Dans un premier temps, le tribunal avait à soupeser si la demanderesse risquait d’être persécutée ailleurs que dans l’État de Zacatecas. Dans un deuxième temps, il devait établir s’il était raisonnable pour la demanderesse de déménager dans une des villes identifiées comme étant sécuritaire.

 

[31]           Dans son mémoire, la demanderesse conteste essentiellement l’appréciation du tribunal à savoir si sa crainte de persécution était justifiée dans les circonstances, sans pour autant avoir déposé d’éléments de preuve pour établir qu’elle était susceptible de persécution partout au Mexique et qu’elle risquait d’être persécutée même dans les villes de Monterey, Mexico DF, Acapulco ou Cancun, qui ont été mentionnées comme PRI.

 

[32]           La Cour s’est prononcée ainsi dans la cause Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164, [2000] ACF no 2118 (QL), affirmant au paragraphe 15 que :

Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. L’absence de parents à l’endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d’autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause.

 

[33]           Les conclusions de fait auxquelles en est venu le tribunal apparaissent raisonnables à cette Cour compte tenu des éléments de preuve au dossier et de son appréciation de ceux-ci.

 

[34]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judicaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et ce dossier n’en contient aucune.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judicaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

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