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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20101231

Dossier : IMM-1985-10

Référence : 2010 CF 1338

Ottawa (Ontario), le 31 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Lemieux 

 

ENTRE :

 

SOKSOURSDEY CHED

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défenderesse

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Madame Ched est une citoyenne du Cambodge. Elle nous dit dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que lorsqu’elle était en visite chez sa fille au Canada, elle a été informée que son mari, Chef du Bureau Général de la province de Kandal au sein du Ministère de l’intérieur, ainsi que leurs deux fils âgés de 16 et 12 ans avaient été arrêtés par la police nationale du Cambodge. Elle prétend que son mari, un militant de longue date dans le parti politique important de l’opposition dirigé par Sam Rainsy, est faussement accusé d’espionnage et de complot « un coup monté » par son adjoint de travail au Ministère. Cet adjoint serait le neveu du Chef de la police du Cambodge, bras droit du premier ministre Hun Seng. Elle témoigne que sa famille est disparue; elle ne sait pas où ils sont.

 

[2]               Le 16 mars 2010, un membre de la Section de la protection des réfugiés (le tribunal) refuse de reconnaitre à Mme. Ched la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger. Le tribunal ne croit pas à l’histoire de la revendicatrice étant d’avis « que cette histoire a été fabriquée pour les fins de cette demande ».

 

II.         La décision du tribunal

[3]               Le tribunal juge la demanderesse non crédible au motif que son témoignage est « incohérent, laborieux, implausible, invraisemblable et faible ». Mme. Ched aurait omis de répondre aux questions posées par le tribunal ou était incapable de fournir des détails simples et essentiels à son récit.

 

[4]               Il s’appuie sur les éléments suivants pour étayer à sa conclusion de non-crédibilité.

 

[5]               Elle n’a aucun document, par exemple, un acte d’accusation, pour démontrer le fait « d’une accusation sérieuse ». « On n’en sait pas plus », déclare le tribunal. Il s’étonne du témoignage de


Mme. Ched qu’au Cambodge toute la famille est arrêtée dans des situations semblables. Le tribunal raisonne :

[10]      Si monsieur est arrêté pour espionnage, j’estime invraisemblable qu’on arrête du même coup toute la famille incluant madame et les enfants s’ils n’ont rien à voir avec les agissements de monsieur. J’ai expliqué à madame qu’habituellement lorsqu’un individu est accusé d’un acte criminel quelconque, on n’arrête pas toute sa famille et qu’à la lumière de la preuve documentaire, je ne vois pas que cela serait différent au Cambodge. Madame n’a rien à dire là-dessus. Son avocate réfère à des documents d’Amnistie International qui font état de l’assassinat d’un opposant et son fils et de l’expulsion d’un autre et toute sa famille mais elle ne peut établir que d’arrêter toute la famille lorsqu’un individu est accusé d’espionnage ou autre chose serait une pratique courante au Cambodge. Je trouve donc que ceci n’est pas plausible.

 

[je souligne]

 

[6]               Le tribunal lui avait demandé comment elle aurait appris que ses enfants avaient été arrêtés et estime son témoignage « laborieux » en ajoutant:

[…] Elle explique finalement que les policiers les auraient laissés appeler sa sœur qui l’aurait ensuite avertie. Ceci est un élément nouveau, omis dans l’exposé circonstancié. Cette partie du témoignage était faible et m’a amené à me poser de sérieuses questions sur la crédibilité de cette allégation.

 

[je souligne]

 

[7]               Le tribunal souligne que Mme. Ched avait témoigné que sa famille était disparue depuis trois ans « mais qu’elle n’a fait pratiquement aucun effort pour tenter de la retrouver ». Il tire deux conclusions (1) « [c]e n’est pas le comportement d’un individu dont les proches sont arrêtés par l’État et disparaissent » et (2) son témoignage manque de cohérence puisqu’elle avait « [d]’abord….[soutenu] qu’elle n’avait rien fait pour essayer de savoir ce qui était réellement arrivé à sa famille » mais a changé son témoignage « et allège qu’elle aurait demandé à sa sœur de faire quelque chose ». Le tribunal poursuit en écrivant :

Cette dernière aurait contacté deux ONG à Phnom Penh qui lui auraient dit de ne rien faire parce que porter une plainte officielle aux autorités pourrait lui attirer des ennuis. Cette simple visite de sa sœur en juin 2007 aurait entrainé son arrestation. On apprend donc en plein milieu de l’audience que la sœur de madame aurait été arrêtée le 12 juin 2007 et on ne l’aurait plus jamais revu depuis. Pourquoi avoir omis ce fait dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP)? Madame raconte que son FRP était déjà écrit à ce moment. N’aurait-elle pas pu l’amender son exposé circonstancié il y a trois ans en faisant part à son avocate ou, nous en faire part, en début d’audience? Elle n’y aurait pas pensé. Je rejette cette explication. Ce fait, la disparition de sa sœur, est très important. S’il était réellement survenu, je crois que madame l’aurait mentionné bien avant le début de l’audience. De plus, le changement dans son témoignage mine sa crédibilité. Bref, je conclus que la sœur de madame n’a jamais été arrêtée et je ne crois pas non plus qu’elle est faite des démarches auprès de quelques ONG que ce soit. Cette partie du témoignage n’est pas crédible.

 

[je souligne]

 

[8]               Il reproche la revendicatrice de n’avoir entamés aucune demande au Canada pour savoir ce qu’il en était. Le tribunal note que Mme. Ched avait témoigné avoir demandé conseil le 30


novembre 2009 auprès d’une association cambodgienne. Le tribunal s’insurge « Pourquoi avoir entendu près de trois ans. Madame n’a pas de réponse » et conclut :

[14] Je comprends que madame n’ai pas un haut taux de scolarité mais si elle a été assez débrouillarde pour demander le statut de réfugier, j’estime qu’elle aurait été aussi capable de faire de démarche auprès des autorités cambodgienne via des avocats ou des organismes de droit de la personne par le biais de lettre ou de plainte afin de retrouver sa famille. Madame n’a pas démontré avoir fait quelques efforts que ce soit. Ce n’est pas le comportement d’un individu qui perd d’un coup ce qu’elle a de plus cher au monde. Dans de pareil cas, les gens se démènent, tentent de contacter les autorités, des organismes de droit de la personne, des avocats. Madame n’aurait absolument rien fait.

 

[je souligne]

 

 

III.       Analyse

A.  La Norme de Contrôle

[9]               La jurisprudence nous enseigne qu’une décision fondée sur l’absence de crédibilité est une question de fait. Depuis la réforme de la Cour Suprême du Canada sur les normes de contrôle dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2009 CSC 9, une question de fait s’apprécie selon la norme de la raisonnabilité par le biais de l’article 18.1(4)(d) de la Loi sur les Cours fédérales qui autorise cette Cour de casser une décision d’un tribunal si celle-ci est basée sur une conclusion de fait erronée, tirée d’une façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose. La Cour Suprême dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 a apporté cette nuances puisque l’article 18.1(4)(d)) est un indice législatif du Parlement canadien sur la façon d’aborder une conclusion de fait. Notamment, la Cour doit accorder au tribunal une grande déférence sur la question.

 

B.  La Plaidoirie de la Demanderesse

[10]           La demanderesse affirme que le tribunal :

§         a commis une erreur de droit en exigeant une preuve corroborant son témoignage;

§         juge invraisemblable certaine partie de son témoignage, par exemple, qu’on arrête du même coup toute sa famille incluant les enfants qui n’ont rien à voir avec les agissements du père. Selon elle une telle conclusion est arbitraire parce qu’elle est fondée sur une conjecture ou une hypothèse non étayée par la preuve.

§         a fondé sa décision sur des critères canadiens où sur une logique et l’expérience nord-américaine lorsqu’il estime que Madame Ched n’aurait absolument fait rien pour retrouver sa famille.

§         a ignoré la preuve documentaire du Cambodge sur le sort réservé aux personnes impliquées dans les partis d’opposition.

 

C.  Conclusion

[11]           J’estime que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. La décision du tribunal est fondée sur la non-crédibilité du témoignage de la demanderesse. Elle devait convaincre cette Cour que le tribunal avait tiré sa conclusion de non-crédibilité de façon arbitraire ou capricieuse ou sans tenir compte de la preuve dont il dispose et ceci dans le contexte que les conclusions de fait du tribunal jouissent d’une grande déférence. L’évaluation de la preuve ressort du domaine privilégié de la Section de la protection des réfugiés.

 

[12]           Le défendeur a raison de soumettre qu’une simple lecture de la transcription démontre l’absence de crédibilité de la demanderesse. La décision du tribunal est raisonnable. La demanderesse (1) a ajusté son témoignage plusieurs fois sur des éléments importants de son histoire par exemple, le fait qu’elle avait demandé à sa sœur de déposer une plainte aux autorités et que les policiers auraient laissé ses enfants appeler sa sœur. La demanderesse avait omis de mentionner cette preuve dans son formulaire de renseignements personnels (2) s’est contredite quant à savoir qui lui a dit que ses enfants avaient été arrêtés sa sœur ou l’ami de son mari au travail (3) n’a pas pu démontrer qu’au Cambodge il était pratique courante d’arrêter toute la famille d’un accusé.

 

[13]           Qui plus est, le tribunal était conscient qu’au Cambodge il existait des problèmes de droit (dossier du tribunal page 171). Le tribunal n’a pas ignoré cette preuve. J’estime aussi qu’il n’y avait rien de déraisonnable dans la façon dont le tribunal a évalué la convocation que Mme Ched avait reçue de la police du Cambodge en octobre 2007.

 

[14]           Pour ces motifs cette demande de contrôle judiciaire ne peut être accordée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question d’importance n’a été proposée.

 

 

« François Lemieux »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1985-10

 

INTITULÉ :                                       Soksoursdey Ched c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               17 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR :                     LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      31 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martial Guay

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Émilie Tremblay

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Martial Guay

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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