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Date : 20110112

Dossier : IMM-874-10

Référence : 2011 CF 30

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 12 janvier 2011

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

ISURUNI MERCY ERANGA PREMARATNE

 

 

demanderesse

 

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, qui a 28 ans, est citoyenne du Sri Lanka. Par demande écrite en date du 17 novembre 2009, elle a sollicité un permis d’études (également appelé visa étudiant) lui permettant de venir au Canada suivre au Collège George Brown de Toronto (Ontario), un programme d’étude de huit mois menant au certificat en gestion internationale des affaires. Par décision en date du 26 novembre 2009, une agente des visas (l’agente) a rejeté sa demande. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]               L’agente a consigné les motifs de son refus dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI), expliquant que :

[traduction]
Les conditions d’établissement de la demanderesse ne me paraissent pas satisfaisantes dans la mesure où c’est son oncle, qui vit au Canada, qui va devoir payer ses études. Je vois mal, en outre, pourquoi elle a attendu d’en être arrivée à ce point dans sa carrière pour décider d’effectuer des études à l’étranger. Je ne pense pas qu’elle ait vraiment l’intention d’effectuer des études et je pense plutôt qu’elle entend utiliser cette procédure pour être admise au Canada.

 

 

[3]               Le défendeur reconnaît que l’agente d’immigration a eu tort de ne pas prendre en compte la situation financière de l’oncle de la demanderesse, qui vit au Canada, ainsi que divers éléments de preuve fournis par la demanderesse et semblant montrer que l’oncle est effectivement en mesure de payer ses études. Reconnaissant cette erreur, le défendeur estime que la Cour devrait annuler la décision de l’agente et renvoyer l’affaire à un autre agent pour nouvelle décision.

 

[4]               Cette solution ne satisfait pas la demanderesse. En effet, outre l’annulation de la décision en cause, elle sollicite de la Cour :

 

1.      une ordonnance enjoignant au défendeur de réexaminer, dans les 30 jours à dater du prononcé de l’ordonnance, la demande de visa étudiant de la demanderesse;

2.      une ordonnance prescrivant que, dans l’hypothèse où le défendeur éprouverait des doutes au sujet de la demande de visa, la demanderesse sera dans les trois jours avisée par écrit des inquiétudes précises éprouvées par le défendeur, celui-ci accordant à la demanderesse 15 jours pour répondre par écrit;

3.      une ordonnance prescrivant que la demanderesse ne soit pas tenue d’acquitter des droits supplémentaires;

4.      une ordonnance enjoignant au défendeur d’adopter, pour l’examen de sa demande de visa étudiant, des critères dénués d’arbitraire et de parti pris;

5.      une ordonnance enjoignant au défendeur d’adopter des procédures permettant d’assurer que le processus de décision est dénué de tout parti pris de caractère ethnique et religieux, et que ces procédures soient immédiatement rendues applicables à la requérante et publiées au Sri Lanka;

6.      une ordonnance prescrivant au défendeur de faire en sorte que les opinions ou avis de membres du personnel recrutés localement ne soient pas pris en compte par les décideurs désignés pour évaluer l’authenticité d’une demande de visa;

7.      une ordonnance prescrivant que toute demande de visa ne soit examinée que par des agents canadiens des visas ayant les qualités et la formation voulues;

8.      une ordonnance interdisant au défendeur d'altérer le passeport des personnes qui se voient refuser un visa;

9.      une ordonnance lui adjugeant les dépens.

 

[5]               Dans le cadre du contrôle judiciaire de décisions rendues en matière d’immigration, le demandeur qui obtient gain de cause se voit normalement accorder à titre de réparation une ordonnance renvoyant son dossier à un autre décideur pour que son affaire soit tranchée à nouveau. Dans des circonstances exceptionnelles, la Cour peut donner des directives spéciales (voir, par exemple, Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Rafuse, 2002 CAF 31, 222 F.T.R. 160, au paragr. 14). Je ne suis cependant en l’occurrence disposée à rendre aucune des ordonnances « supplémentaires » sollicitées par la demanderesse, à l’exception de sa demande numéro 3 excluant que lui soit imposé le paiement de frais supplémentaires.

 

[6]               J’estime en outre que la réparation habituelle qui consiste à renvoyer l’affaire devant un autre agent des visas pour nouvelle décision n’est pas en l’occurrence possible. La demande visait initialement un permis d’études avec pour but précis l’inscription à un programme du Collège George Brown allant du mois de janvier 2010 au mois d’août 2010. La lettre d’acceptation reçue du Collège George Brown concernait uniquement ce programme. La demanderesse reconnaît qu’il lui va falloir déposer une nouvelle demande de visa étudiant afin de pouvoir s’inscrire à la session de mai ou septembre 2011. C’est dire que, tout va devoir, en fait, être recommencé. Sur le plan pratique, le défendeur peut décider d’attribuer à la nouvelle demande le même numéro de dossier; sur ce point, je laisse la décision entièrement à l’initiative du défendeur. En outre, le défendeur admet que la nouvelle demande, si la demanderesse en présente une, n’exigera de celle-ci le paiement d’aucuns frais supplémentaires.

 

[7]               En ce qui concerne les mesures de réparation sollicitées par la demanderesse, je relève en premier lieu qu’il est tout à fait à supposer que les agents des visas respecteront les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et les règles de droit dégagées dans le cadre de la jurisprudence applicable. Je note, ensuite, qu’il s’agit en l’occurrence d’une affaire concernant un particulier et non pas d’un recours collectif, ou d’une demande représentative d’un grand nombre de demandes de contrôle judiciaire portant sur des questions connexes. L’avocat de la demanderesse fait fermement valoir qu'il y a d’autres exemples d'erreurs comme celles que le défendeur admet avoir commises dans le présent dossier, mais les preuves à cet égard ont un caractère purement anecdotique et n’ont pas été plaidées en bonne et due forme.

 

[8]               Pour ce qui est des diverses ordonnances que la demanderesse sollicite de la Cour, mon avis est que :

 

  1. La demanderesse demande à la Cour d’enjoindre au défendeur de lui communiquer, en lui accordant un délai de réponse, les inquiétudes que pourrait éventuellement éprouver l’agent des visas chargé du dossier. Il est de droit constant qu’il appartient au demandeur de fournir à l’agent des visas toute la documentation nécessaire à l’appui de sa demande. Comme l’a reconnu le défendeur, les éléments de preuve extrinsèques retenus par un agent doivent normalement être communiqués à l’auteur de la demande. Outre cette obligation de communication, cependant, il est acquis qu’un agent des visas n’a pas à tenir le demandeur au courant de sa réflexion au fur et à mesure qu'il avance dans l'examen du dossier (voir, par exemple, Wen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1262, 25 Imm. L.R. (3d) 316 (C.F. 1re inst.)). L’octroi de l’ordonnance sollicitée constituerait une directive qui n’a pas lieu d’être, et serait peut-être même contraire à la jurisprudence actuelle.
  2. Le calendrier de traitement de la nouvelle demande n’a pas à être arbitrairement imposé par la Cour. Cela est particulièrement vrai en l’espèce, puisque la demanderesse reconnaît qu’il va lui falloir présenter une nouvelle demande au Collège George Brown. Je tiens pour acquis que le défendeur répondra dans un délai raisonnable à la nouvelle demande de visa étudiant. En ce qui concerne les délais de traitement de la demande, je relève que la décision en cause a été rendue neuf jours après la présentation de la demande, ce qui montre que les agents des visas sont conscients du facteur temps lorsqu’ils examinent une demande de visa étudiant. Il n’est donc pas nécessaire que la Cour prescrive un délai particulier.
  3. Compte tenu des circonstances, je suis disposée à ordonner que la demanderesse ne soit pas tenue d’acquitter des frais supplémentaires, dans l’hypothèse où elle présente une nouvelle demande.
  4. La Cour n’est très certainement pas disposée à enjoindre au défendeur [traduction] « d’adopter pour l’examen de demandes de visa étudiant, des critères dénués d’arbitraire ou de parti pris » ou enjoignant au défendeur d’« adopter des procédures permettant d’assurer que le processus de décision est dénué de tout parti pris de caractère ethnique et religieux, et que ces procédures soient immédiatement rendues applicables à la demanderesse et publiées au Sri Lanka ». Il est en effet à supposer que l’agent des visas appelé à se prononcer dans cette affaire le fera de manière objective et impartiale en se fondant sur l’ensemble des éléments du dossier, conformément aux lignes directrices adoptées par le défendeur et à la jurisprudence applicable. C’est une simple question de droit et de bon sens; une ordonnance sur ce point n’est pas nécessaire, et ne serait pas convenable. Si le nouvel agent des visas agit autrement, la demanderesse pourra contester sa décision par une nouvelle demande de contrôle judiciaire.
  5. En ce qui concerne la formation et les aptitudes des agents des visas, le dossier ne contient rien qui permette de supposer l’intervention d’agents des visas n’ayant ni la formation ni les aptitudes requises.
  6. Je ne suis guère convaincue que l’agente qui a signé la décision en cause se soit fondée, ou se soit laissée indûment influencer par [traduction] « les opinions ou les avis de membres du personnel recrutés localement ». Sur le plan des opérations, il n’est ni inhabituel ni contraire à une règle de droit – de voir des agents des visas recourir aux services d’un personnel administratif, de bureau ou de secrétariat, pour les aider à traiter les demandes. En l’absence de preuves convaincantes que de tels collaborateurs auraient soit influencé soit pris eux-mêmes la décision en cause, il n'y a en l’occurrence aucune erreur appelant le contrôle judiciaire. Il semblerait, certes, que les membres du personnel aient effectivement et dans une certaine mesure participé à la décision en cause. Cela ne veut pas dire, cependant, que l’agente n’a pas elle-même évalué les éléments du dossier, ou que ce n’est pas elle qui a pris la décision finale. J’estime, par conséquent, qu’il n’y a pas lieu de rendre l’ordonnance sollicitée par la demanderesse.
  7. Je ne relève en l’occurrence aucune « raison spéciale » de rendre une ordonnance adjugeant des dépens à la demanderesse, comme l’autorise à le faire l'article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22.

 

[9]               Et, enfin, la demanderesse demande que la Cour mette un terme à la pratique en vigueur dans les services du défendeur et qui consiste à [traduction] « altérer » le passeport des personnes qui, au Sri Lanka, se voient refuser un visa étudiant. Dans une lettre en date du 6 janvier 2011 adressée à la Cour, la demanderesse précise ses arguments à cet égard :

[traduction]
Une des principales questions que la présente demande soumet à la Cour concerne la pratique habituelle qui consiste, pour l’agente des visas et ses collègues, à altérer les passeports étrangers, pratique qui, comme le reconnaissent le ministre défendeur et l’Agence canadienne des services frontaliers n’est autorisée ni par une loi ni par un règlement. Cette pratique constitue en fait dans le pays d’origine de la demanderesse, une infraction pénale grave dont la perpétration porte régulièrement atteinte à la réputation du Canada.

 

 

[10]           Je ne suis pas disposée à rendre une telle ordonnance ou à donner des directives en ce sens. Dans le cadre de ses observations orales, l’avocat de la demanderesse a retiré l’accusation relative à une « infraction pénale ». Outre cette allégation, le dossier ne contient pas le moindre élément de nature à étayer les arguments avancés sur ce point par la demanderesse. Par exemple, la demanderesse n’a pas produit devant la Cour une copie des pages de son passeport qui, selon elle, auraient été ainsi altérées

 

[11]           J’ajoute que l’argument développé de vive voix par la demanderesse qui faisait valoir que cette pratique qui consiste à « altérer » un passeport est contraire aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, ne figure pas dans la demande de contrôle judiciaire et ne se fonde par conséquent sur aucun des éléments de preuve versés au dossier.

 

[12]           J’éprouve, enfin, de sérieuses réserves quant à certaines allégations avancées par la demanderesse. Elle affirme que l’agente des visas [traduction] « s’est parjurée en insistant que la loi l’autorise effectivement à altérer les passeports ». La lecture du dossier (dont, en tout état de cause, bon nombre d’éléments n’ont pas été dûment soumis à la Cour) ne révèle, de la part de l’agente des visas, aucune insistance sur ce point. La demanderesse a paraphrasé les déclarations de l’agente des visas, lui prêtant des propos qui n’étaient pas les siens. De graves allégations comme celles-ci risquent de porter atteinte à la réputation de l’agente concernée, et ne devraient donc pas être avancées en l’absence de preuves permettant d’en établir nettement le bien-fondé. Or, de tels éléments font défaut en l’espèce. Ayant pris connaissance d’extraits de la transcription du contre-interrogatoire de l’agente des visas effectué dans une autre affaire et invoqué par la demanderesse, j’estime que ces documents démontrent que l’agente des visas a tenté de répondre avec professionnalisme et honnêteté aux questions qui lui étaient posées. L’accusation de parjure est entièrement dénuée de fondement.

 

[13]           Outre le « parjure », le mémoire de la demanderesse porte, sans non plus les justifier, des accusations d'« outrage au tribunal » et d'« activité criminelle ». Bien que, dans le cadre de ses observations orales, l’avocat de la demanderesse semble dans une certaine mesure avoir rétracté de telles affirmations, ces imputations non fondées et injustifiées mettant en cause l’intégrité du défendeur et de ses collaborateurs seraient de nature à faire condamner personnellement aux dépens l’avocat de la demanderesse. Le défendeur n’ayant présenté aucune demande en ce sens, il n’y aura pas d’adjudication des dépens.

 

[14]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie; la Cour rendra une ordonnance portant que, si la demanderesse choisit de présenter une nouvelle demande de visa étudiant, sa demande sera renvoyée pour décision à un autre agent des visas. En outre, à moins que les droits initialement acquittés par la demanderesse lui aient été remboursés, elle n’aura pas, si elle présente une nouvelle demande, à acquitter de droits supplémentaires.

 

[15]           Je considère que la présente affaire dépend entièrement des faits et circonstances qui lui sont propres, et qu’il n’y a pas lieu en l’occurrence de certifier une question.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  la décision de l’agente des visas en date du 26 novembre 2009 est annulée;

2.                  dans l’hypothèse où la demanderesse présente une nouvelle demande de visa étudiant :

a.                   la nouvelle demande sera renvoyée devant un autre agent des visas;

b.                  les documents présentés dans le cadre de la première demande, dans la mesure où ils sont pertinents quant à la nouvelle demande, seront tenus pour partie du dossier de la nouvelle demande; et

c.                   l’examen de cette nouvelle demande n’occasionnera pas de frais.

 

3.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

                                                                                                              « Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-874-10

 

INTITULÉ :                                       ISURUNI MERCY ERANGA PREMARATNE

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 11 janvier 2011

 

MOTIFS DE JUGEMENT

  MODIFIÉS :                                    LA JUGE SNIDER

 

DATE :                                               le 12 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

T. Viresh Fernando

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kareena R. Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

T. Viresh Fernando

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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