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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

 

 

 

Date : 20110118

Dossier : IMM-2612-10

Référence : 2011 CF 54

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

ROBERT AMAURY GARCIA HERNANDEZ

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défenderesse

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               Dans l’affaire Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 (QL/Lexis), une cause de principe en matière des sursis accordés par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, la Section d’appel a énoncé les critères dont elle doit tenir compte afin de déterminer si l’octroi d’un sursis à une mesure de renvoi est approprié pour un cas particulier.

[2]               Les facteurs sont les suivants :

a.       la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion et la possibilité de réadaptation;

b.      les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité, qui sont à l’origine de la mesure;

c.       la période passée au Canada et le degré d’établissement du demandeur au Canada;

d.      la famille qu’il a au pays et les bouleversements que l’expulsion du demandeur occasionnerait pour cette famille;

e.       le soutien dont bénéficie le demandeur, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité;

f.        l’importance des difficultés que causerait au demandeur le retour dans son pays de nationalité (ce facteur est parfois appelé celui des « difficultés à l’étranger »).

 

II. Introduction

[3]               L’un des principaux objectifs de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) est la sécurité des Canadiens :

3.      (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

[...]

 

h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

 

 

i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité [...]

3.      (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

 

(h) to protect the health and safety of Canadians and to maintain the security of Canadian society;

 

(i) to promote international justice and security by fostering respect for human rights and by denying access to Canadian territory to persons who are criminals or security risks …

 

 

[4]               La décision contestée par le demandeur respecte cet objectif fondamental.

 

II.  Faits

[5]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire déposée par le demandeur en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR. Le demandeur conteste la décision de la SAI, rendue le 18 mars 2010. Cette décision refusait d’accorder au demandeur un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi émise à son égard.

 

[6]               Le demandeur, monsieur Robert Amaury Garcia Hernandez, est citoyen de la République dominicaine. Il a 25 ans. Il a obtenu sa résidence permanente en juillet 2000. Depuis 2006, le demandeur a des démêlés avec la justice. En 2008, il a été jugé inadmissible au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

 

[7]               En août 2008, à la suite de la déclaration de culpabilité du demandeur, un agent d’immigration a préparé, conformément au paragraphe 44(1) de la LIPR, un rapport d’interdiction de territoire.

 

[8]               Le rapport d’interdiction de territoire était fondé sur l’alinéa 36(1)a) de la LIPR lequel énonce qu’un résident permanent est interdit de territoire s’il est déclaré coupable au Canada d’une infraction passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans.

[9]               Ce rapport a été transmis à un délégué du ministre. Ce dernier, ayant conclu que le rapport était bien fondé, l’a déféré à la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR.

 

[10]           En juin 2009, une enquête et audition a été tenue par la SI. La SI a émis une mesure d’expulsion en vertu de l’alinéa 45d) de la LIPR.

 

[11]           La décision de la SI a été portée en appel devant la SAI en vertu du paragraphe 63(3) de la LIPR.

 

[12]           L’appel a été rejeté et cette décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

III.  Point en litige

[13]           La seule question soulevée par le demandeur est l’application des critères de l’affaire Ribic, ci-dessus, aux circonstances de son cas particulier.

 

IV.  Analyse

Cadre législatif

[14]           La sécurité des Canadiens et son maintien par l’interdiction de territoire aux personnes criminelles ou constituant un danger pour la société est l’un des objectifs importants de la LIPR :

3.      (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

[...]

 

h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

 

 

i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par [...] l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité [...]

3.      (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

 

(h) to protect the health and safety of Canadians and to maintain the security of Canadian society;

 

(i) to promote international justice and security by … denying access to Canadian territory to persons who are criminals or security risks …

 

 

[15]           Afin d’assurer l’atteinte de cet objectif, la LIPR prévoit donc un cadre législatif permettant aux autorités canadiennes de renvoyer un résident permanent dans son pays d’origine si ce dernier a commis une infraction criminelle grave :

36.      (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé [...]

 

36.      (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed …

 

[16]           Le renvoi d’un résident permanent est d’abord soumis à la préparation, par un agent d’immigration, d’un rapport d’interdiction conformément au paragraphe 44(1) de la LIPR :

44.      (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre [...]

 

44.      (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister…

 

[17]           Ce rapport est ensuite transmis à un délégué du ministre chargé de déterminer si ce dernier est bien-fondé. Si tel est le cas, ce dernier le réfère à la SI pour fins d’enquête :

44.      (2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête [...]

 

44.      (2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing …

 

[18]           La SI aura donc pour rôle de vérifier la légitimité du rapport d’interdiction. Dans l’éventualité où celle-ci conclut que le résident permanent est bel et bien interdit de territoire, elle émettra une mesure de renvoi à son encontre :

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l’immigration rend telle des décisions suivantes :

 

 

[...]

 

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre [...] le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.

45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions:

 

 

(d) make the applicable removal order against … the permanent resident is inadmissible.

 

[19]           La prise d’effet de la mesure de renvoi emportera pour le résident permanent la perte de son statut en plus de son renvoi immédiat :

46.      (1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

[...]

 

c) la prise d’effet de la mesure de renvoi [...]

 

46.      (1) A person loses permanent resident status

 

 

(c) when a removal order made against them comes into force …

 

[20]           Cependant, le paragraphe 63(3) de la LIPR octroie au résident permanent un droit d’appel de la décision de la SI devant la SAI :

63.      (3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

 

63.      (3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

 

[21]           En outre, la SAI peut surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi émise à l’encontre du résident permanent si elle considère que des motifs humanitaires le justifient :

68.      (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

68.      (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

La Retenue judiciaire

[22]           La Cour est d’accord avec la position du défendeur qui suit les cheminements des constatations de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339.

 

[23]           Dans cette cause, la Cour suprême a conclu que les tribunaux judiciaires doivent évaluer les décisions de la SAI avec beaucoup de retenue :

[60]      Compte tenu de la déférence considérable due à la SAI et de la portée étendue du pouvoir discrétionnaire conféré par la LIPR, je crois que rien ne permettait à la Cour d’appel fédérale d’annuler le refus de la SAI de prendre des mesures spéciales en l’espèce.

 

            La SAI n’a commis aucune erreur

[24]           La SAI n’a commis aucune erreur et l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée.

 

      Analyse des critères de l’arrêt Ribic

[25]           Dans l’arrêt Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 RCS 84, la Cour suprême a statué que les critères énoncés dans Ribic, ci-dessus, continuent de s’appliquer aujourd’hui.

 

[26]           Il ressort du paragraphe 5 de la décision de la SAI que celle-ci a correctement identifié les critères de l’arrêt Ribic.

 

[27]           De plus, la SAI a tenu compte des critères de l’arrêt Ribic. Pour démontrer cette affirmation, il suffit d’examiner la décision de la SAI à la lumière de ces six critères.

 

a)  Critère 1 : Gravité des infractions et possibilité de réadaptation

[28]           En ce qui a trait au premier critère, la SAI mentionne que les infractions commises sont nombreuses. Quelques une de ces infractions sont graves dont l’une est passible d’une peine d’emprisonnement de dix ans. En effet, le demandeur a commis près de dix infractions criminelles. Ces infractions comprennent des voies de fait, agression armée, harcèlement criminel, proférer des menaces de mort, plusieurs défauts de respecter des conditions, et ainsi de suite.

 

[29]           En ce qui a trait aux chances de réadaptation, la SAI a constaté qu’il existait un risque élevé que le demandeur commette d’autres infractions compte tenu du fait qu’il avait commis plusieurs infractions criminelles alors qu’il était en attente de son procès ou en probation. La SAI a noté aussi que le demandeur a commis une infraction juste après avoir suivi une thérapie.

 

[30]           De plus, certaines infractions dont le demandeur a été reconnu coupable sont passibles d’une peine d’emprisonnement maximal d’au moins dix ans. Ces infractions tombent sous la définition du terme « grande criminalité » du paragraphe 36(1) de la LIPR.

 

[31]           Ainsi, la SAI a conclu à bon droit que le premier facteur militait clairement contre l’octroi d’un sursis.

 

b)  Critère 2 : Les circonstances du manquement

[32]           La SAI a observé que les infractions commises par le demandeur étaient complètement injustifiées dans les circonstances. Le demandeur s’est livré à des actes de violence gratuite :

[15]      [...] Le tribunal conclut aussi qu’il existe un risque élevé qu’il commette d’autres infractions, compte tenu du fait que les circonstances des infractions indiquent que l’appelant est incapable de gérer le stress de la vie quotidienne. Par exemple, il a commis l’infraction qui a donné lieu à la mesure d’expulsion parce que son an[c]ienne petite amie voulait qu’il la laisse tranquille. Sa frustration est aussi à l’origine d’une infraction de voies de fait simples, que la police considère comme étant de la violence conjugale. L’infraction d’agression armée s’est produite dans un restaurant MacDonald, où l’appelant s’était rendu après avoir consommé de l’alcool, et où il s’en est pris à un client avec une chaise après que la victime aurait essayé de le faire trébucher alors qu’il sortait des toilettes.

[33]           Par conséquent, il était loisible à la SAI de conclure que le deuxième facteur aussi militait contre l’octroi d’un sursis.

 

c)      Critère 3 : la période passée au Canada et le degré d’établissement du demandeur au Canada

 

[34]           La SAI a noté que le demandeur parlait bien français, qu’il avait terminé ses études secondaires au Québec et qu’il travaillait. Ce facteur militait probablement en faveur d’un sursis.

 

d)  Critère 4 : la famille qu’il a au pays et les bouleversements que l’expulsion du demandeur occasionnerait pour cette famille

 

[35]           La SAI a noté que le demandeur a trois tantes et une demi-sœur en République dominicaine. Même si le demandeur vit avec sa mère et sa sœur, la SAI était d’avis que le renvoi du demandeur n’occasionnerait pas de bouleversements pour ces dernières.

 

e)  Critère 5 : le soutien dont bénéficie le demandeur, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité

 

[36]           Le demandeur n’a pas démontré qu’il bénéficiait d’un soutien quelconque de sa famille. La famille du demandeur n’a eu aucun effet dissuasif ou réhabilitant sur ce dernier. Les deux dernières années ont démontré que la présence de la famille du demandeur n’a pas eu l’effet désiré.

 

[37]           De même, le demandeur n’a déposé aucune preuve démontrant qu’il bénéficie du soutien de la collectivité.

 

 

 

f)  Critère 6 : difficultés reliées au retour dans son pays de nationalité

[38]           La SAI a noté que le demandeur maîtrisait bien la langue espagnole et qu’il avait de la parenté en République dominicaine. Par conséquent, la SAI a jugé que le demandeur n’éprouverait pas beaucoup de difficultés à la suite de son retour.

 

[39]           Essentiellement, le demandeur exige de cette Cour une réévaluation de la preuve présentée à la SAI et des facteurs énoncés dans la décision Ribic, ci-dessus. Le demandeur demande à la Cour de jouer le rôle de la SAI et de réexaminer de nouveau toute la preuve et tous les critères de l’affaire Ribic. Toutefois, tel n’est pas le rôle de la Cour, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (Khosa, ci-dessus; Badhan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1050, 132 ACWS (3d) 1164; Cherrington c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 94 FTR 198, 54 ACWS (3d) 1187 (CF 1re inst), au para 13; Bhalru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 777, 139 ACWS (3d) 920 (CF)).

 

V.  Conclusion

[40]           La SAI a examiné adéquatement l’ensemble des facteurs pertinents qu’elle a déterminés, positifs comme négatifs, et leur a accordé le poids qu’elle jugeait approprié. Le fait qu’elle a pu accorder plus de poids à certains facteurs plutôt qu’à d’autres ne signifie pas qu’elle a ignoré certains facteurs ni qu’elle a commis une erreur.

 

[41]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit rejetée. Aucune question à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2612-10

 

INTITULÉ :                                       ROBERT AMAURY GARCIA HERNANDEZ

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 12 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 18 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Luciano Mascaro

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Suzon Létourneau

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ARPIN, MASCARO ET ASSOCIÉS

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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