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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110117

Dossier : IMM-2628-10

Référence : 2011 CF 48

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2011

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

FLORENTINO SANCHEZ ROVIROSA

MARTHA PATRICIA ROSAS ROVIROSA

TRINIDAD SANCHEZ ROVIROSA

GRETEL ITZEL VELEZ SANCHEZ

(UNE MINEURE)

ELIACIM MARIA APREZA BAHENA

SOFIA SANCHEZ ROVIROSA

EDSON DAVID LOPEZ SANCHEZ

(UN MINEUR)

JONATHAN DE JESUS CASTRO SANCHEZ

 (ALIAS JONATHAN DE JES CASTRO SANCHEZ (UN MINEUR))

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Le contexte

 

[1]               Le demandeur principal, son épouse et les membres de la famille élargie (collectivement appelés les demandeurs) sont des citoyens du Mexique faisant une demande d’asile en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la LIPR). En résumé, les demandeurs craignent d’être persécutés par des membres de gangs liés au trafic de drogues illicites au Mexique. Dans une décision datée du 21 avril 2010, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.

 

[2]               La conclusion déterminante de la Commission était que la crainte des demandeurs n’était pas objectivement raisonnable. Après appréciation de l’ensemble de la preuve dont elle disposait, la Commission a conclu que : a) la protection offerte par l’État au Mexique était adéquate; b) les demandeurs n’avaient pas pris tous les moyens raisonnables pour se prévaloir de cette protection; c) les demandeurs n’ont pas fourni une preuve claire et convaincante que l’État était incapable de leur offrir sa protection. 

 

[3]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision, alléguant que la conclusion de la Commission quant à la protection offerte par l’État est déraisonnable.

 

II.        Les questions en litige

 

[4]               Les demandeurs soulèvent trois questions :

 

1.                  La Commission a-t-elle conclu de manière déraisonnable que les demandeurs n’avaient pas fait de démarches raisonnables pour se prévaloir de la protection offerte par l’État?

 

2.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en n’appréciant pas correctement la preuve documentaire quant à la protection offerte par l’État au Mexique?

 

3.                  Relativement à la deuxième question, la Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant le rapport de la professeure Hellman?

 

III.       Analyse

 

A.        La norme de contrôle

 

[5]               Déterminer si la protection offerte par l’État est adéquate est une question mixte de fait et de droit; la norme de contrôle applicable est donc la décision raisonnable. En fonction de celle-ci, la Cour ne peut intervenir que si la décision de la Commission ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

(1)               Première question : omission de solliciter la protection offerte par l’État

 

[6]               Les demandeurs contestent la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur principal n’avait pas pris tous les moyens raisonnables pour se prévaloir de la protection offerte par l’État contre les menaces faites par le gang trafiquant de la drogue à Mexico. Les demandeurs soutiennent que le dossier indique qu’ils ont fait un total de onze tentatives pour se prévaloir de la protection offerte par l’État. Ils allèguent de plus que certains de ces efforts avaient été dirigés vers les institutions mêmes que la Commission avait identifiées comme capables de venir en aide au demandeur principal.

 

[7]               Les demandeurs invoquent la décision Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1176, [2010] A.C.F. no 1589 (QL), dans laquelle un demandeur avait vainement tenté à quelques reprises d’obtenir l’aide des forces policières. Au paragraphe 3 de la décision Lopez, précitée, le juge Hughes a déclaré qu’il était « convaincu que, dans les circonstances, le demandeur a[vait] fait de son mieux pour faire part aux autorités des menaces et de l’agression et pour chercher refuge ailleurs au Mexique ». Ceci, d’après les demandeurs, vient appuyer leur argument selon lequel, étant donné la preuve des onze tentatives d’obtenir la protection offerte par l’État, la Commission aurait dût nécessairement conclure que ce dernier n’était pas en mesure de protéger les demandeurs.  

 

[8]               L’affaire Lopez n’appuie pas les arguments des demandeurs. La décision rendue ne révèle pas les faits présentés devant la Commission dans cette affaire. De plus, la conclusion déterminante du juge Hughes dans la décision Lopez n’était pas fondée sur la question de savoir si M. Lopez avait fait des efforts suffisants pour se prévaloir de la protection offerte par l’État. L’affaire a plutôt été décidée en tenant compte du fait que la Commission n’avait pas adéquatement apprécié la preuve documentaire dont elle disposait.

 

[9]               Il faut trancher chaque affaire au cas par cas. À première vue, onze tentatives de se prévaloir de la protection offerte par l’État semblent constituer une preuve solide du défaut de l’État d’offrir une protection. Cependant, compte tenu des faits particuliers en l’espèce, la conclusion de la Commission, selon laquelle on aurait pu raisonnablement en faire plus, n’est pas une issue en dehors de celles possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). L’affaire dont la Cour est saisie ne concerne pas qu’une seule personne qui a tenté onze fois en vain d’obtenir de l’aide : en l’espèce, le témoignage touchait cinq membres de la famille élargie. Ainsi, le fait qu’un des demandeurs n’ait pas réussi à recevoir de l’aide d’un service de police ou d’un organisme d’application de la loi ne signifie pas nécessairement que, de manière objective, il aurait été futile pour les autres demandeurs d’essayer. De plus, bien que la Commission ait reconnu la crédibilité des demandeurs, il ressort clairement de ses motifs qu’elle n’a pas accepté l’argument que certains des organismes décrits n’auraient pas offert leur aide. À la lumière de la preuve documentaire qui établissait objectivement le rôle et l’efficacité des différents organismes d’application de la loi, la Commission a minutieusement apprécié les motifs énoncés par le demandeur principal expliquant pourquoi il n’avait pas fait de démarches auprès de certains organismes.

 

(2)        Deuxième question : appréciation inadéquate de la preuve documentaire

 

[10]           Les demandeurs ont déposé beaucoup de documents qui, selon eux, démontrent que le Mexique a omis de façon constante d’offrir sa protection. Ils reconnaissent que la Commission n’a fait abstraction d’aucun des éléments de cette preuve. Ils avancent cependant que la Commission a apprécié la preuve de l’omission de l’État en regard d’autres documents qui ne démontraient que les efforts de celui-ci pour remédier aux problèmes de violence et de corruption rattachés au trafic de la drogue.

 

[11]           Il revient à la Commission d’apprécier la preuve dont elle dispose. La Cour n’interviendra pas à la légère dans une affaire, comme celle en l’espèce, où les motifs de la Commission démontrent qu’elle a effectué un examen minutieux de tous les éléments de preuve dont elle disposait. Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs que la Commission, à l’appui de sa conclusion, ne se serait fondée que sur des documents soulignant les efforts de l’État mexicain pour offrir une protection à ses citoyens. La Commission a reconnu que le processus visant à remédier aux problèmes de criminalité et de corruption était lent, mais elle a aussi décrit plusieurs résultats mesurables et positifs de l’intervention de l’État. Par exemple, la Commission a remarqué une augmentation du nombre de déclarations de culpabilité et d’incarcérations pour des crimes liés à la drogue. Ce sont des marques significatives de progrès. Je suis convaincue que la Commission n’a pas examiné que les efforts de l’État. Il n’y a pas d’erreur susceptible de contrôle.

 

(3)        Troisième question : le rapport Hellman 

 

[12]           L’un des principaux arguments des demandeurs est que la Commission n’a pas tenu compte d’un document particulier qui lui a été fourni. Il s’agit d’un rapport sur les droits de la personne au Mexique, rédigé en 2007, par la professeure Judith Adler Hellman (le rapport Hellman). Les demandeurs ont déposé le rapport Hellman avec leurs observations écrites rédigées après l’audience.

 

[13]           Les demandeurs invoquent deux décisions récentes de la Cour fédérale dans lesquelles le rapport Hellman a été pris en considération (Villicana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1205, 86 Imm. L.R. (3d) 191; Lopez, précitée). Dans les deux cas, le juge siégeant en révision avait conclu que la demande de contrôle judiciaire serait accueillie et que l’analyse du rapport Hellman conduite par la Commission présentait des défauts.

 

[14]           Il est bien établi en droit que la Commission peut examiner et apprécier la preuve dont elle dispose. Cependant, en ce faisant, la Commission doit examiner les éléments de preuve contradictoire et expliquer sa préférence. Il semble que cela n’a pas été fait dans les décisions dont étaient saisis les juges Russel (Villacana, précitée) et Hughes (Lopez, précitée). Le juge Russel a souligné ce point en particulier dans la décision Villicana, précitée, au paragraphe 79 :

La Commission n’était pas tenue d’accepter cette preuve contraire [le rapport Hellman]. Mais, elle avait l’obligation de l’examiner et de dire pourquoi elle pouvait être écartée en faveur d’autres rapports qui soutenaient ses propres conclusions. […] Elle ne l’a pas fait, et sa décision est donc déraisonnable.

 

 

[15]           Bien qu’il soit fort probable que le rapport Hellman dont je dispose soit le même qui fut présenté devant mes collègues dans les affaires Villicana et Lopez, je n’en sais que très peu à propos du dossier dont ils disposaient. Le simple fait que deux autres tribunaux de la Commission ont conduit une analyse erronée de certains éléments de preuve n’implique pas que tout autre tribunal de la Commission faisant référence au rapport Hellman fera de même. Les décisions rendues dans les affaires précitées n’appuient pas non plus la proposition selon laquelle le rapport Hellman est une preuve concluante que la protection offerte par l’État au Mexique est inadéquate. Le rapport Hellman n’est qu’un des éléments de preuve documentaire qui doivent être examinés et appréciés par la Commission. En l’espèce, en tant que juge siégeant en révision, il me faut examiner le dossier original et apprécier les motifs de la Commission dans leur ensemble, y compris la manière dont la Commission a abordé le rapport Hellman.

 

[16]           En l’espèce, la Commission a résumé la preuve contradictoire qui lui avait été présentée dans une longue section détaillée de ses motifs. Au paragraphe 26, la Commission décrit les conclusions principales du rapport Hellman et fait les commentaires suivants :

J’estime que si je devais reconnaître la véracité des conclusions principales exposées par le professeur Hellman dans son rapport sur les droits de la personne au Mexique, cela voudrait en fait dire que l’ensemble de l’appareil de sécurité de l’État au Mexique, y compris les systèmes judiciaire, criminel et pénal, est sur le point de s’effondrer, et que la corruption, l’anarchie et l’impunité ont complètement pris d’assaut les institutions démocratiques, y compris les organismes d’application de la loi, et ce, à tous les niveaux, ce qui a foncièrement déstabilisé la primauté du droit dans ce pays, de façon à ce qu’aucun citoyen ordinaire du Mexique ne soit jamais en mesure de demander une protection ou de l’aide à la police. J’estime que la prépondérance de la preuve documentaire contredit les conclusions principales du professeur Hellman.

 

[17]           La Commission donne ensuite une description de la preuve documentaire qui justifie un point de vue selon lequel, bien que la corruption existe toujours et que les changements s’opèrent lentement, « rien n’indique que le Mexique a perdu ce combat ou que ce pays est sur le point de s’effondrer ». La Commission fait référence à quelques exemples tirés de la preuve documentaire pour appuyer cette conclusion.

 

[18]           Je suis d’avis que l’analyse de la Commission révèle un examen minutieux de l’ensemble des éléments de preuve dont elle disposait, y compris le rapport Hellman. Celui-ci fut abordé de manière appropriée et les motifs expliquent clairement pourquoi la Commission a donné une plus grande valeur probante à la preuve documentaire contradictoire. La décision appartient donc aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

IV.       Conclusion

 

[19]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[20]           Aucune des parties ne propose de question en vue de la certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.                  qu’aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2628-10

 

INTITULÉ :                                       FLORENTINO SANCHEZ ROVIROSA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 JANVIER 2011

 

MOTIFS ET JUGEMENT :             LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT:                        LE 17 JANVIER 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Manuel Mendelzon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OTIS & KORMAN

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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