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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

 

 

 

 

 

Date : 20110114

Dossier : IMM-3882-10

Référence : 2011 CF 44

Ottawa (Ontario), le 14 janvier2011

En présence de monsieur le juge Shore 

ENTRE :

 

AMBROISE MAPANGU ISHAKU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               « Ceux qui ne connaissent pas leur histoire s’exposent à ce qu’elle recommence [...] » Elie Wiesel (prix Nobel de la paix, 1986).

 

[2]               Une Cour ne constate que ce qui est déjà arrivé, comme testament à l’histoire qui s’enregistre que par une preuve, une fois constatée, comme fait accompli, en créant que encore un précédent [...]

 

[3]               Dans le cas présent, le demandeur, un avocat, aurait dû connaître les conséquences à sa personne suite à l’adhésion à une organisation, connue pour ses agissements, ses antécédents et donc ses conséquences présentes et futures.

 

[4]               La Cour est entièrement d’accord avec la position plaidée si éruditement par l’avocat du défendeur, Me Normand Lemyre, que l’exclusion du demandeur n’est pas déraisonnable comme elle n’est pas viciée par aucune erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire.

 

II.  Introduction

[5]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), d’une décision rendue le 4 juin 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SPR), selon laquelle la demande d’asile du demandeur est rejetée, puisqu’il y a des raisons sérieuses de penser qu’il a commis des crimes contre l’humanité.

 

III.  Faits

[6]               Le demandeur, monsieur Ambroise Mapangu Ishaku, âgé de 50 ans, est citoyen de la République Démocratique du Congo (RDC). Il est arrivé au Canada au point d’entrée de Lacolle (Québec), le 2 janvier 2008 et y a demandé l’asile au pays ce jour-là, en vertu de l’article 96 et alinéas 97(1)a) et b) de la LIPR. Il était alors muni d’un passeport congolais et avait passé seize jours à New York aux États-Unis pour assister à une conférence du Barreau pénal international.

 

[7]               Le demandeur a 17 ans de scolarité et est membre du Barreau de Kinshasa-Gomba dans la RDC.

 

[8]               Le Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile est intervenu dans ce dossier pour demander l’exclusion du demandeur du bénéfice des articles 96 et 97, en vertu de l’article 98 de la LIPR, du fait que, selon lui, le demandeur est une personne visée par les alinéas 1Fa) et 1Fc) de la Convention relative au statut des réfugiés (Convention). Selon le ministre, il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis des crimes contre l’humanité et qu’il s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et principes des Nations unies.

 

[9]               Le demandeur prétend craindre pour sa vie en raison de ses activités politiques au sein du Mouvement pour la Libération du Congo (MLC), un mouvement politico-militaire fondé en 1998, soutenu par l’Ouganda, armé par la Libye et dirigé par Jean-Pierre Bemba. De son propre aveu, ce mouvement visait à renverser le gouvernement dictatorial de la RDC par des moyens politiques et de lutte armée (Décision de la SPR aux para 2 et 9).

 

[10]           Les problèmes du demandeur auraient commencé en fin d’année 2006 et auraient culminé avec sa détention en 2007. Le demandeur fut ensuite soi-disant libéré sous la pression du Barreau et aurait réussi à fuir la RDC pour les États-Unis, où il devait assister à une assemblée du Barreau pénal international. Comme déjà dit, le demandeur est entré au Canada le 2 janvier 2008 et a demandé l’asile le même jour (Décision de la SPR au para 2).

 

[11]           La SPR a convenu avec les parties qu’elle rendrait d’abord une décision sur l’exclusion du demandeur et, qu’advenant qu’elle ne l’exclue pas, les parties seraient convoquées pour une audience concernant son inclusion, c’est-à-dire, sa soi-disant crainte de persécution (Décision de la SPR au para 5).

 

[12]           Le 4 juin 2010, la SPR a conclu qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur « s’est rendu complice de crimes contre l’humanité » (Décision de la SPR au para 54).

 

[13]           Par conséquent, ce même jour, la SPR a décidé que le demandeur est exclu de l’application de la Convention, en vertu de son alinéa 1Fa), et qu’il ne peut donc bénéficier de la protection du Canada, comme le prévoit l’article 98 de la LIPR (Décision de la SPR au para 58).

 

[14]           C’est cette décision que le demandeur conteste en cette instance.

 

IV.  Question en litige

[15]           L’exclusion du demandeur, en vertu de l’alinéa 1Fa) de la Convention est-elle raisonnable, compte tenu de la preuve et du droit applicable?

 

 

 

V.  Analyse

[16]           Selon la Cour, la décision est entièrement justifiée dans son contexte. La Cour est entièrement d’accord avec la position du défendeur.

 

Normes de contrôle applicables

[17]           Les conclusions purement factuelles sous-jacentes au raisonnement de la SPR pour parvenir à sa décision sont assujetties à la norme de la décision déraisonnable (Tayar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 567, [2009] ACF no 733 (QL/Lexis), au para 14; Noha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 683, 347 FTR 265, au para 20; Harb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, 238 FTR 194, au para 14).

 

[18]           Les questions purement juridiques de portée générale tranchées par la SPR sont contrôlables selon la norme de la décision correcte (Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 RCS 84, 2002 CSC 3, au para 20; Dunsmuir c New-Brunswick, 2008 SCC 9, [2008] 1 RCS 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au para 44).

 

[19]           La question de savoir si la preuve permet d’établir des raisons sérieuses de penser que le demandeur est une personne visée par l’alinéa 1Fa) est contrôlable suivant la norme de la décision raisonnable (Ndabambarire c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1, [2010] ACF no 40 (QL/Lexis), au para 27; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Imeri, 2009 CF 542, 353 FTR 230, au para 5; Tayar, ci-dessus, au para 14; Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 238, 324 FTR 62, au para 10, confirmé pour d’autres motifs : 2008 CAF 404, [2009] 4 RCF 164).

 

[20]           Si la décision attaquée possède les attributs de la raisonnabilité, qui tiennent à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, elle est raisonnable (Dunsmuir, ci-dessus, au para 47).

 

[21]           La question à trancher à ce sujet est donc de savoir s’il existait des preuves permettant d’appuyer de façon rationnelle la conclusion de la SPR, selon laquelle il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur est une personne visée par l’alinéa 1Fa). Il est important de rappeler que cette Cour n’occupe pas les mêmes fonctions que la SPR. Le rôle de cette Cour n’est pas de décider si, selon la preuve présentée à la SPR, il existait des « raisons sérieuses de penser », mais seulement de décider s’il était irrationnel pour la SPR de tirer cette conclusion (Thanaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 122, [2007] 1 RCF 474, aux para 32-33; Rizwan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 781, [2010] ACF no 957 (QL/Lexis), au para 29; Mohammad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 51, 361 FTR 184, au para 49, Dunsmuir, ci-dessus).

 

Dispositions applicables concernant les causes d’exclusion

[22]           L’article 98 de la LIPR se lit :

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

[23]           Selon le paragraphe 2(1) de la LIPR, l’expression « Convention sur les réfugiés » signifie la Convention susmentionnée.

 

[24]           Les parties pertinentes de la section F de l’article premier de la Convention se lisent :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

[…]

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

(a) He has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

 

[25]           La SPR a conclu avoir des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis des crimes contre l’humanité.

 

[26]           Contrairement à ce que prétend le demandeur, lorsqu’une clause d’exclusion s’applique, la SPR n’a pas à se prononcer sur l’inclusion, en raison notamment de l’article 98 de la LIPR (Howbott c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 911, 160 ACWS (3d) 856, au para 5; Xie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, [2005] 1 RCF 304, au para 38; Gonzalez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994) 3 CF 646, 48 ACWS (3d) 388 (CA); Arica c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 182 NR 392, 55 ACWS (3d) 1017 (CAF)).

 

La norme de preuve

[27]           La norme de preuve applicable est prévue à la section 1F de la Convention, selon laquelle les dispositions de cette Convention ne sont pas applicables aux personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis, entre autres, un crime contre l’humanité au sens susmentionné.

 

[28]           En effet, une audience concernant une « exclusion » en vertu de la section 1F n’est pas de même nature qu’un procès criminel, où le ministre doit prouver la culpabilité ou l’innocence hors de tout doute raisonnable. Il incombe plutôt au ministre de démontrer, à la lumière de la preuve présentée à la Commission, qu’il existe « des raisons sérieuses de penser » que le demandeur a commis un crime visé par l’alinéa 1Fa) ou 1Fb) ou qu’il s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et principes des Nations unies (1Fc)) (Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, 139 ACWS (3d) 113, au para 23; Sumaida c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 66, 79 FTR 148 (CA); Bazargan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 205 NR 282, 67 ACWS (3d) 132 (CAF)).

 

[29]           De manière générale, la SPR doit évaluer et apprécier la preuve qu’elle a jugée crédible ou digne de foi en l’occurrence, et décider si l’on a satisfait ou non au critère minimal des « raisons sérieuses de penser » que le ou les crime(s) ou agissements allégué(s) on été commis. La norme de preuve qu’il faut utiliser dans l’application du critère minimal va au-delà du simple soupçon, mais sans aller jusqu’à la norme de droit civil de la prépondérance de la preuve. La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi (Lai, ci-dessus, au para 25; Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 RCS 100, 2005 CSC 40 au para 114; Charkaoui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 RCS 350, 2007 CSC 9, au para 39).

 

[30]           Cette norme s’applique à des décisions quant aux faits. La question de savoir si l’acte ou l’omission en cause constitue un crime visé par l’alinéa 1Fa) est une question de droit (Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 RCF 78, 262 FTR 246, confirmée 2005 CAF 303, 142 ACWS (3d) 828 au para 26).

 

L’exclusion du demandeur en vertu de l’alinéa 1Fa)

Qu’est-ce qu’un « crime contre l’humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes »?

 

[31]           L’alinéa 1Fa) doit être interprété de manière à inclure les instruments internationaux conclus depuis son adoption en 1951, de sorte que pour appliquer cette disposition, on doit aussi tenir compte de la définition du crime contre l’humanité contenue dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, adopté le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002 (Harb, ci-dessus, au para  8).

 

[32]           L’article 7 du Statut de Rome est important pour l’application de l’alinéa 1Fa), puisqu’il contient une définition contemporaine des crimes contre l’humanité. Ce Statut est en fait le premier instrument international conventionnel multilatéral à portée générale, définissant de manière détaillée la liste des comportements qualifiés de crimes contre l’humanité, reconnus antérieurement par divers instruments internationaux (Harb, ci-dessus, au para 7; Lison Néel, la judiciarisation internationale des criminels de guerre : la solution aux violations graves du droit international humanitaire ? (2000) 33(2) Criminologie 151 à la p 166).

 

[33]           Les parties pertinentes du paragraphe 7(1) du Statut de Rome se lisent :

[...] on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :

 

a) Meurtre ;

 

b) Extermination ;

 

c) Réduction en esclavage ;

 

d) Déportation ou transfert forcé de population ;

 

e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ;

 

f) Torture ;

 

g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;

 

h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;

 

i) Disparitions forcées de personnes ;

 

j) Crime d’apartheid ;

 

k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

… "crime against humanity" means any of the following acts when committed as part of a widespread or systematic attack directed against any civilian population, with knowledge of the attack:

 

 

(a) Murder;

 

(b) Extermination;

 

(c) Enslavement;

 

(d) Deportation or forcible transfer of population;

 

(e) Imprisonment or other severe deprivation of physical liberty in violation of fundamental rules of international law;

 

 

(f) Torture;

 

(g) Rape, sexual slavery, enforced prostitution, forced pregnancy, enforced sterilization, or any other form of sexual violence of comparable gravity;

 

 

(h) Persecution against any identifiable group or collectivity on political, racial, national, ethnic, cultural, religious, gender as defined in paragraph 3, or other grounds that are universally recognized as impermissible under international law, in connection with any act referred to in this paragraph or any crime within the jurisdiction of the Court;

 

 

(i) Enforced disappearance of persons;

 

(j) The crime of apartheid;

 

(k) Other inhumane acts of a similar character intentionally causing great suffering, or serious injury to body or to mental or physical health.

 

[34]           Le paragraphe 7(2) du même Statut stipule:

2. Aux fins du paragraphe 1 :

 

 

a) Par « attaque lancée contre une population civile », on entend le comportement qui consiste en la commission multiple d’actes visés au paragraphe 1 à l’encontre d’une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque ;

[...]

 

c) Par « réduction en esclavage », on entend le fait d’exercer sur une personne l’un quelconque ou l’ensemble des pouvoirs liés au droit de propriété, y compris dans le cadre de la traite des être humains, en particulier des femmes et des enfants ;

 

d) Par « déportation ou transfert forcé de population », on entend le fait de déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par d’autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis en droit international ;

 

[...]

 

g) Par « persécution », on entend le déni intentionnel et grave de droits fondamentaux en violation du droit international, pour des motifs liés à l’identité du groupe ou de la collectivité qui en fait l’objet ;

 

[...]

 

i) Par « disparitions forcées de personnes », on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée.

2. For the purpose of paragraph 1:

 

(a) "Attack directed against any civilian population" means a course of conduct involving the multiple commission of acts referred to in paragraph 1 against any civilian population, pursuant to or in furtherance of a State or organizational policy to commit such attack;

 

 

 

(c) "Enslavement" means the exercise of any or all of the powers attaching to the right of ownership over a person and includes the exercise of such power in the course of trafficking in persons, in particular women and children;

 

 

(d) "Deportation or forcible transfer of population" means forced displacement of the persons concerned by expulsion or other coercive acts from the area in which they are lawfully present, without grounds permitted under international law;

 

 

(g) "Persecution" means the intentional and severe deprivation of fundamental rights contrary to international law by reason of the identity of the group or collectivity;

 

 

 

 

(i) "Enforced disappearance of persons" means the arrest, detention or abduction of persons by, or with the authorization, support or acquiescence of, a State or a political organization, followed by a refusal to acknowledge that deprivation of freedom or to give information on the fate or whereabouts of those persons, with the intention of removing them from the protection of the law for a prolonged period of time.

 

Les crimes contre l’humanité commis par la MLC à l’époque pertinente

            Période de temps considérée

[35]           La SPR s’est penchée sur les crimes contre l’humanité commis par le MLC de juin 1999 jusqu’à la fin de 2003, quand ce mouvement est devenu un parti politique proprement dit.

 

Sources des informations

[36]           La SPR s’est fondé sur de très nombreux extraits de rapports rédigés par des organismes internationaux de surveillance de la situation des droits humains dans le monde, par exemple : Amnistie Internationale, Human Rights Watch, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, le Conseil Économique et Social et le Conseil de Sécurité des Nations unies, Reporters Sans Frontières, et le United States Country Reports on Human Rights, entre autres. Il s’agit là de sources fiables.

 

[37]           Contrairement à ce que prétend le demandeur, la SPR renvoie dans ses motifs sur les crimes contre l’humanité commis par la MLC à l’époque pertinente à plusieurs documents spécifiques provenant des sources d’information susmentionnées (Voir à ce sujet, les notes de bas de page 5 à 14 incl et 29 à 35 incl des motifs du tribunal).

 

Les crimes en cause

[38]           Selon une preuve documentaire volumineuse et accablante, des membres du MLC ont commis, en RDC et en Centrafrique, comme instruments de guerre prémédités, des meurtres de civils, des viols de femmes, jeunes filles et garçons, des arrestations et des détentions arbitraires, des enlèvements, des disparitions forcées, ainsi que des tueries arbitraires de civils, des tortures, des séquestrations à des fins de travail forcé, des massacres, des incendies et pillages de maisons abandonnées par des populations en fuite, des villages entiers ayant été détruits de fond en comble, des transferts forcés de population (plus de 100,000 personnes), en génocide et une purification ethnique. La preuve rapporte que toutes ces horreurs furent commises à grande échelle et visaient des milliers et des milliers de victimes innocentes.

 

[39]           La preuve rapporte aussi des cas de cannibalisme par des soldats de l’Armée de Libération du Congo (ALC), la branche armée du MLC, au su des dirigeants du MLC. Selon la preuve également, l’ALC a recruté des milliers d’enfants soldats, qui en certains endroits constituaient jusqu’à 40% des forces armées. Ces enfants étaient soumis à d’inimaginables horreurs, forcés de combattre et souvent de tuer leur propre famille, contraints de se livrer à l’anthropophagie, ils étaient en outre violés et utilisés comme esclaves sexuels. Il est important de souligner que l’ALC fait partie intégrante du MLC; les statuts du mouvement le confirment clairement.

Crimes contre l’humanité

[40]           Compte tenu de cette preuve, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure que le MLC s’est livré de manière systématique, de 1999 à 2003, à de très nombreux actes barbares et inhumains et à des persécutions graves et que cette persécution était répandue et systématique contre la population civile et les groupes ciblés.

 

[41]           Ces crimes commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque, en application ou dans la poursuite de la politique d’une organisation ayant pour but une telle attaque sont des crimes contre l’humanité visés par les alinéas du Statut de Rome : 7(1)a) (meurtre), 7(1)c)-7(2)c) (réduction en esclavage), 7(1)d)-7(2)d) (transfert forcé de population, 7(1)e) (emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international), 7(1)f)-7(2)e) (torture), 7(1)g) (viols, esclavage sexuel), 7(1)h)-7(2)g) (persécution), 7(1)i)-7(2)i) (disparations forcées de personnes) et 7(1)k) (autres actes inhumains de caractère analogue)du Statut de Rome.

 

[42]           Les exactions commises en territoire centrafricain par le MLC en 2002-2003 furent dénoncées par la République centrafricaine, qui a transmis le dossier à la Cour pénale internationale en 2006. En 2007, un mandat d’arrêt international pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité fut lancé contre le chef du MLC, Jean-Pierre Bemba Gombo, qui fut arrêté à Bruxelles cette même année. En janvier 2009, son procès était en cours d’instruction.

 

[43]           Dans les circonstances, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure que le MLC a commis des crimes contre l’humanité pendant la période pertinente.

La complicité par association du demandeur

[44]           La SPR s’est penchée sur la question de savoir s’il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur s’est rendu complice de crimes contre l’humanité, comme acteur ou comme complice; étant donné que la preuve ne permet pas de conclure qu’il aurait lui-même commis les actes rapportés par la preuve documentaire.

 

[45]           La SPR a donc concentré son analyse sur les crimes contre l’humanité commis par le MLC à l’époque pertinente, pour décider s’ils pouvaient justifier une inférence de complicité du demandeur.

 

La période de temps durant laquelle le demandeur fut membre du MLC

[46]           Le demandeur, pendant son témoignage à l’audience, a nié avoir été membre du MLC pendant la période où ce mouvement commettait les crimes en cause. Au début de son témoignage à l’audience il a prétendu avoir joint le MLC seulement en 2004 et qu’avant cette date, il aurait été brièvement membre, en 2002, d’un comité d’accueil qui avait pour but d’accueillir le MLC, si jamais le mouvement arrivait à Kinshasa. Il a expliqué qu’en tant qu’élite intellectuelle, il voulait s’assurer de jouir de certains avantages, dès que le MLC arriverait au pouvoir, comme par exemple obtenir des postes prestigieux au sein du gouvernement comme conseiller d’un ministre. De plus, il prétend qu’après quelques mois, ce comité d’accueil avait cessé d’exister. Le demandeur allègue qu’il n’a eu aucune activité politique jusqu’en août 2004, alors qu’il aurait officiellement joint le MLC.

 

[47]           Dans le formulaire qu’il a rempli lors de sa demande d’asile initiale, le demandeur a toutefois indiqué avoir été membre du collège juridique du MLC dès mai 2000 et n’a pas indiqué avoir cessé d’en être membre. Confronté avec ces contradictions importantes, le demandeur a d’abord corrigé son témoignage pour dire que c’est bien en 2000 qu’il a joint le comité d’accueil et non en 2002. Concernant la différence entre un « comité d’accueil » et un « collège juridique », le demandeur expliqua que ces termes désignent le même organisme.

 

[48]           Quant à savoir pourquoi il n’a pas indiqué dans son formulaire au point d’entrée avoir cessé d’être membre du « comité d’accueil/collège juridique » en 2000 pour ne joindre le MLC proprement dit qu’en 2004, mais indique plutôt avoir été membre du MLC dès 2000 sans interruption, le demandeur témoigna que c’est dans sa culture d’expliquer tout et que sur le formulaire il n’y avait pas assez de place pour écrire tout en détail.

 

[49]           La preuve contient une autre déclaration importante du demandeur : il a été convoqué à une entrevue au processus accéléré le 8 janvier 2009. Lors de cette entrevue, qui fut enregistrée, l’agent de la SPR a expliqué au demandeur que son appartenance au MLC pourrait être problématique, étant donné les violations de droits humains que ce mouvement a commises. Après cette mise en garde exprimée clairement, le demandeur a déclaré avoir effectivement été membre du MLC; interrogé à savoir depuis quand, il a indiqué être « membre adhérent depuis 2000 ». C’est cette déclaration qui a mis fin à l’entrevue au processus accéléré (Dossier du tribunal (DT) aux pp 75-76, 1090-1108, 1115-1116).

 

[50]           Lors de l’audience devant la SPR, le demandeur fut confronté avec ses déclarations à l’entrevue du processus accéléré. Il a alors changé sa version des faits, pour indiquer qu’il avait voulu parler du comité d’accueil quand il a parlé du MLC. Il aurait attendu que l’entrevue se poursuive pour bien s’expliquer et s’est finalement trouvé dans la situation de ne pas pouvoir le faire.

 

[51]           Interrogé à l’audience sur sa définition de « membre adhérent », expression qu’il avait utilisée à l’entrevue du processus accéléré, le demandeur témoigna qu’il parlait du comité d’accueil.

 

[52]           Le demandeur, à l’audience en mars 2010, a tenté de modifier un témoignage dont il a appris par la suite qu’il était fort incriminant, étant donné l’intervention du ministre déposée en mars 2009. On peut raisonnablement penser qu’autant au point d’entrée en janvier 2008 qu’à son entrevue au processus accéléré en janvier 2009, il disait spontanément la vérité sur son appartenance au MLC.

 

[53]           Or, le premier récit que fait une personne est généralement le plus fidèle et, de ce fait, celui auquel il faut ajouter le plus de foi (Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, 231 FTR 276, au para 21; Chavez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 10, 159 ACWS (3d) 266, au para 14).

 

[54]           Il n’y a aucune raison de douter ici de la véracité et de l’exactitude des déclarations du demandeur à l’agent d’immigration au point d’entrée et devant la SPR au stade du processus accéléré. D’autre part, le demandeur est un homme instruit, puisqu’il est avocat et s’exprime dans un excellent français. On pouvait donc s’attendre à ce qu’il puisse expliquer à l’agent d’immigration et au tribunal avec une certaine clarté les raisons l’ayant amené à quitter son pays. Enfin, il ne s’agit pas d’un cas où la preuve démontre qu’un préjudice réel fut causé à un demandeur d’asile à cause d’erreurs flagrantes de traduction commises par un interprète à l’audition ou lors de l’entrevue initiale avec l’agent d’immigration (Chavez, ci-dessus, au para 15).

 

[55]           Compte tenu de son degré d’instruction et surtout de sa profession, le demandeur devait savoir à quel point étaient importantes les déclarations qu’il faisait aux représentants de l’autorité canadienne en matière d’immigration, à qui il demandait la protection.

 

[56]           Par conséquent, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur fut membre du MLC depuis 2000 et qu’il n’a pas cessé d’en être membre jusqu’à son départ de RDC en 2007.

 

La jurisprudence concernant la complicité par association

[57]           Des complices, de même que des auteurs principaux, peuvent être considérés comme ayant commis des crimes au sens du droit pénal international, dits crimes internationaux. La jurisprudence a reconnu le concept de complicité défini comme une participation personnelle et consciente et le concept de complicité par association par lequel des individus peuvent être tenus responsables d’actes commis par d’autres en raison de leur association étroite et volontaire avec les acteurs principaux au sein d’une organisation qui commet des crimes internationaux. La complicité dépend de l’existence d’une intention commune et de la connaissance que l’individu en cause a de la commission des crimes (Zazai, ci-dessus, au para 27, décision confirmée : 2005 CAF 303; Ryivuze c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 134, 325 FTR 30, au para 28).

 

[58]           La simple adhésion à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales n’implique pas normalement la complicité. Par contre, lorsque le principal objectif de l’organisation est réalisé au moyen de crimes contre l’humanité ou vise des fins limitées et brutales, l’appartenance suffit généralement pour établir la complicité (Zazai, CF, ci-dessus, au para 28; Thomas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 838, 317 FTR 6, au para 23).

 

[59]           Sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s’il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l’appuie activement. On voit là une intention commune. Cet énoncé ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l’opération (Zazai, CF, ci-dessus au para 28; Ndabambarire, ci-dessus, au para 38).

 

[60]           L’association avec une organisation responsable de crimes internationaux peut emporter complicité si l’intéressé a personnellement ou sciemment participé à ces crimes, ou les a sciemment tolérés (Sivakumar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 433, 44 ACWS (3d) 563 (CA)).

 

[61]           L’élément mental permettant d’établir la complicité à des crimes contre l’humanité a été désigné de diverses façons, comme l’« intention commune », participer « personnellement et sciemment » aux activités criminelles ou les tolérer et participer aux activités d’une organisation en sachant qu’elle commet des crimes contre l’humanité, joint au défaut de prendre des mesures pour empêcher les crimes ou de s’en dissocier (Sabadao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 292, 146 ACWS (3d) 698, au para 24).

 

[62]           Le rang qu’occupe une personne au sein d’une organisation, notamment, dénote la probabilité que cette personne connaisse les agissements répréhensibles de l’organisation et qu’elle y participe. Il n’est toutefois pas nécessaire d’occuper un poste de premier plan pour être considéré comme complice. Par conséquent, le poste d’une personne dans l’organisation peut établir que cette personne en était membre personnellement et en connaissance de cause et, en fin de compte, établir la complicité de cette personne dans la perpétration des crimes de l’organisation. Plus l’intéressé se trouve à un échelon supérieur de l’organisation, plus il est vraisemblable qu’il était au courant des crimes commis et partageait le but poursuivi par l’organisation dans leur perpétration. En conséquence, peut être jugé complice celui qui demeure à un poste élevé de l’organisation tout en sachant qu’elle a été responsable de crimes contre l’humanité (Escorcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 644, 158 ACWS (3d) 796, aux para 15-16; Thomas, ci-dessus, au para 26-48; Ryivuze, ci-dessus, aux para 44-45, 58; Collins c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 732, 276 FTR 60, au para 25).

 

 

 

Le MLC était une organisation aux fins limitées et brutales

[63]           Il importe donc de déterminer si le MLC, dans la période où le demandeur en était membre, c’est-à-dire dès 2000, peut être qualifié d’une organisation qui vise des fins limitées et brutales.

 

[64]           La jurisprudence indique qu’une organisation dont l’existence même « repose sur l’atteinte d’objectifs politiques ou sociaux par tout moyen jugé nécessaire » ouvre à une présomption que la simple appartenance à cette organisation implique la complicité, sans qu’il soit nécessaire de lier la complicité du demandeur à un crime en particulier commis par l’organisation (Moreno c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 298, 42 ACWS (3d) 1048 (CA), au para 45).

 

[65]           En l’espèce la MLC avait, de 2000 à la fin de 2003, années pendant lesquelles le demandeur en était membre, comme objectif principal de faire en sorte que le MLC renverse la dictature du président Kabila et de prendre le pouvoir. Cet objectif est même indiqué dans les statuts du mouvement. De plus, malgré que le demandeur était membre de la branche politique du mouvement et non de sa branche armée, étant membre du « collègue juridique », il est clair que le MLC comptait atteindre ses objectifs en comptant principalement sur sa branche armée qui ne lui était pas dissociée. Les statuts du mouvement encore une fois sont clairs là-dessus, et la preuve documentaire le confirme.

 

[66]           Selon la preuve, tous les moyens jugés nécessaires étaient utilisés par le MLC pour parvenir à son objectif, moyens que nous avons mentionnés plus haut, soit : arrestations arbitraires, meurtres, viols, exécutions sommaires, cannibalisme, massacres, torture pratiquée systématiquement, pillages, incendies, utilisation d’enfants soldats, génocide et purification ethnique.

 

[67]           Dans les circonstances, il n’est pas déraisonnable de conclure que, sans aucun doute, le MLC, dans les années où le demandeur en était membre, avait continûment et régulièrement recours à des crimes contre l’humanité pour atteindre son objectif politique. Cela laisse supposer que le MLC était une organisation poursuivant les fins limitées et brutales (Imeri, ci-dessus, au para 12). Rappelons que dans un tel cas, l’appartenance à une telle organisation suffit généralement pour établir la complicité (Thomas, ci-dessus, au para 23).

 

[68]           La SPR pouvait donc raisonnablement présumer que le demandeur possède l’élément mental requis, le mens rea nécessaire à une conclusion de complicité et qu’il fut par conséquent complice des crimes contre l’humanité commis par le MLC de 2000 à la fin de 2003.

 

[69]           Cette présomption est toutefois réfutable (Imeri, ci-dessus, au para 6; Thomas, ci-dessus, au para 24; Yogo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 390, 205 FTR 185, au para 15; Saridag c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 85 FTR 307, 50 ACWS (3d) 1284).

 

[70]           La jurisprudence a précisé les facteurs à prendre en compte pour trancher la question de savoir s’il existe vraiment des raisons sérieuses de penser qu’un revendicateur peut être considéré comme complice de la perpétration de crimes ou d’agissements visés par la section 1F de la Convention. Ces facteurs sont les suivants : la méthode de recrutement, le poste et le rang du demandeur dans l’organisation, la nature de celle-ci, la connaissance que le demandeur avait des crimes ou agissements commis, la durée de sa participation aux activités de l’organisation et la possibilité de la quitter (Ndabambarire, ci-dessus, aux para 38-44; Thomas, ci-dessus, au para 20; Muchai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 944, 160 ACWS (3d) 682, au para 7).

 

[71]           L’application de ces facteurs en l’espèce confirme la complicité du demandeur.

 

Nature de l’organisation

[72]           Le MLC à l’époque pertinente était un mouvement rebelle et non un parti politique.

 

[73]           Tel que susdit, selon une abondante preuve citée par la SPR, le MLC, dans les années où le demandeur en était membre, avait continûment et régulièrement recours à des crimes contre l’humanité pour atteindre son objectif politique.

 

Méthode de recrutement

[74]           Il est clair que le demandeur a joint le MLC volontairement : en effet il a témoigné qu’il voulait bien se positionner sur l’échiquier politique et devenir un proche conseiller du gouvernement lorsque le MLC aurait renversé le président Kabila et pris le pouvoir. Il a aussi témoigné « j’ai épousé leurs convictions politiques; j’avais l’espoir d’une nouvelle ère politique » (Décision de la SPR au para 39).

 

 

Poste au sein de l’organisation

[75]           Le demandeur occupait un poste de décision ou à tout le moins de conseil, étant membre du collège juridique du mouvement. Il n’était pas un subalterne ignorant tout des directions que prenait son organisme. Compte tenu de son militantisme et de ses prises de position contre le pouvoir en place, il fut, à la Cour suprême de Justice de la RDC, l’avocat de Jean Pierre Bemba Gombo, qui fut, comme on l’a dit, chef du MLC (DT à la p 181).

 

Connaissance des atrocités

[76]           Sur la connaissance que le demandeur avait des atrocités commises par le MLC, le demandeur a livré un témoignage non crédible.

 

[77]           Il a d’abord témoigné qu’il n’était pas au courant des détails concernant la branche armée du MLC. La preuve documentaire indique au contraire que les violations commises par l’ALC étaient connues et très publicisées.

 

[78]           Après plusieurs questions et confrontations, le demandeur a finalement témoigné qu’entre 2000 et 2004, il était au courant des violations des droits humains commises par le MLC (DT aux pp 992-993, 999, 1001, 1005-1006, 1008, 1010, 1012, 1035, 1043-1044,1046). Sur les massacres au Nord-Kivu, le demandeur témoigna avoir été au courant, mais pas de manière détaille (DT à la p 994). Il dit qu’il entendait dans les informations des médias qu’il y avait de la guerre et qu’il était, selon lui, normal qu’une balle perdue puisse atteindre un civil, qu’en état de guerre, les civils aussi périssent, mais qu’il n’était pas au courant que les civils ont été la cible des attaques (DT à la p 995). À savoir s’il avait entendu parler des viols systématiques de femmes, de filles et de garçons, utilisés comme arme de guerre et de meurtres de civils, il prétendit ne pas en avoir entendu parler  (DT aux pp 995-996, 998), pour ensuite admettre qu’il était effectivement au courant de cela (DT aux pp 1043-1044, 1046) (Décision de la SPR au para 44).

 

[79]           Interrogé à savoir si le gouvernement parlait des exactions commises par le MLC à cette époque; il témoigna qu’il était difficile de traiter ces informations comme la vérité et qu’il les mettait sur le compte de l’intoxication politique (DT aux pp 998-999, 1001-1002). Il n’a toutefois pas cherché à vérifier la véracité de ces informations, car, selon son témoignage, il était très occupé par son travail au sein d’un cabinet d’avocats (DT à la p 1003) (Décision de la SPR au para 45).

 

[80]           Questionné sur les incendies et massacres dans des villages entiers en avril 2001, qui furent largement rapportés par les médias, le demandeur témoigna qu’il avait entendu parler de l’affrontement entre les Maï Maï et le MLC, mais que cet incident précis, il ne le savait pas. Il savait toutefois qu’il y avait des massacres en général de la part du MLC (DT aux pp 1010-1011). Plus tard dans son témoignage le demandeur tenta de minimiser la situation en disant essentiellement que cela dépend du sens que l’on donne au mot massacre. «Si j’entends qu’il y a eu mort d’homme, vais-je chercher à savoir si c’est un massacre? » (Décision de la SPR au para 46; DT à la p 1022-1024).

 

[81]           Sur l’opération « Effacez le tableau » qui est largement rapportée dans la preuve documentaire, le demandeur sait seulement que « le MLC a tué un groupe de Pygmées et s’est attaqué aux Pygmées » (DT à la p 1011). Il ajouta cependant qu’il avait d’abord cru, mais qu’il a ensuite douté de la véracité de cette information parce que cela dépasse tout entendement qu’il y ait du cannibalisme au Congo (DT aux pp 1012-1013). Lorsque confronté au fait que même Bemba, le leader du MLC, a reconnu en janvier 2003 que son mouvement s’est livré au cannibalisme (DT à la p 596), le demandeur a répondu que cela a pu arrivé, mais « qu’il y a eu quand même un doute dans lequel la population s’est trouvé plongée après ces informations » (DT aux pp 1014, 1017).

 

[82]           Il n’était pas déraisonnable pour la SPR de ne pas accepter ces tentatives de justification. D’abord, le comportement du demandeur qui s’est efforcé à minimiser les exactions du MLC, alors qu’il soutient en même temps qu’il n’en était pas membre, est contradictoire. De plus, il est invraisemblable que le demandeur n’ait pas su la gravité et le caractère systématique et systémique des crimes commis par le MLC (Décision de la SPR au para 47).

 

[83]           Si, comme c’est le cas en l’espèce, un individu vit et travaille dans un pays où des milliers de personnes sont victimes de crimes contre l’humanité et où il en entend parler, il est en effet tout à fait invraisemblable qu’il ne soit pas au courant de ce qui se passe (Shakarabi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 145 FTR 297, 79 ACWS (3d) 133 au para 25).

 

[84]           Quant au recrutement massif d’enfants soldats, le demandeur témoigna qu’il en était au courant, mais que, selon lui, cet enrôlement fut effectué en 1998-1999 par des militaires de l’ancien régime de Mobutu, pour compléter les effectifs (DT aux pp 1036, 1039-1040). Lorsque confronté avec le fait que cette pratique a continué en 2002, le demandeur déclara qu’il n’était pas au courant (Décision de la SPR au para 48).

 

[85]           À un moment donné, pendant l’audience, le demandeur cessa de nier et reconnut que le MLC était un mouvement armé avant 2004, et qu’il le savait (DT aux pp 1046-1047), et qu’il était même au courant que la branche politique soutenait la lutte armée, conformément aux statuts du mouvement (Décision de la SPR au para 49).

 

Temps passé dans l’organisation

[86]           Tel que susdit, la SPR n’a pas cru le demandeur quand il affirma n’avoir joint le MLC qu’en 2004. Compte tenu de la preuve susmentionnée, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure qu’il fut un membre actif du MLC à partir de l’an 2000 jusqu’à la fin de 2003, soit pendant une période où ce mouvement commettait continûment et régulièrement les crimes contre l’humanité susmentionnés.

 

Possibilité de quitter l’organisation

[87]           Le demandeur est demeuré volontairement dans une organisation dont il savait qu’elle commettait ou avait commis de graves violations des droits humains.

 

[88]           Le témoignage du demandeur lorsque confronté aux horreurs commises par le MLC a été désinvolte, dénué d’une quelconque empathie pour les milliers de victimes. Il parle de cette période dans l’histoire de son pays comme d’une période d’incidents isolés, de « poches de résistance », de conséquences normales de la guerre. Au contraire, les massacres de civils, les viols systématiques de femmes, de jeunes filles et de garçons, le recrutement d’enfants soldats, ne sont pas des dommages collatéraux à une guerre. Le discours du demandeur est celui d’un militant du MLC qui savait ce qui se passait, mais qui par ambition politique a choisi ce mouvement, seul parti qui, selon lui, pouvait chasser l’un ou l’autre des Kabila du pouvoir. Il a témoigné que son but était de devenir un proche conseiller du gouvernement (DT à la p 1113; Décision de la SPR au para 52).

 

[89]           Compte tenu de ce qui précède, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur n’a pas réfuté la présomption qu’il est complice des crimes contre l’humanité commis par le MLC entre 2000 et 2004.

 

La SPR n’avait pas à conclure qu’un crime contre l’humanité prévu à l’alinéa  1Fa) commis par le MLC est nécessairement et directement attribuable à des omissions ou des actes précis du demandeur

 

[90]           Le demandeur fait en outre valoir qu’aucun crime prévu à l’alinéa 1Fa) ne lui est imputable personnellement.

 

[91]           Or, lorsqu’il s’agit d’une complicité par association, ce n’est pas la nature des crimes reprochés au demandeur qui conduit à son exclusion, mais celle des crimes reprochés à l’organisation à laquelle il s’est associé. À ce sujet, la Cour d’appel dans l’arrêt Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 3 CF 761, 2003 CAF 178 (CA), au paragraphe 57, a cité avec approbation le passage suivant des motifs de la Cour dans Harb, ci-dessus :

[11]      La première de ces prétentions n'est pas pertinente en l'espèce. Ce n'est pas la nature des crimes reprochés à l'appelant qui mène à son exclusion, mais celle des crimes reprochés aux organisations auxquelles on lui reproche de s'être associé. Dès lors que ces organisations commettent des crimes contre l'humanité et que l'appelant rencontre les exigences d'appartenance au groupe, de connaissance, de participation ou de complicité imposées par la jurisprudence (voir, notamment, Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Moreno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.); Sumaida c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000) 3 C.F. 66 (C.A.); et Bazargan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.)), l'exclusion s'applique quand bien même les gestes concrets posés par l'appelant lui-même ne seraient pas, en tant que tels, des crimes contre l'humanité. [...]

 

[92]           Rappelons en outre qu’en matière d’exclusion, la jurisprudence n’a jamais exigé, pour conclure à la complicité par association d’un revendicateur, qu’il soit lié à des crimes ou agissements précis en tant que leur auteur réel ou que les crimes ou agissements commis par une organisation soient nécessairement et directement attribuables à des omissions ou à des actes précis du revendicateur (Sumaida, ci-dessus, aux para 31-32; Sivakumar, ci-dessus; Bazargan, ci-dessus, aux para 3-13; In the matter of B, Re, [1997] EWJ No 700 (CA), au para 7 et ss (CA d’Angleterre et du pays de Galles); Harb, ci-dessus, au para 11; Zrig, ci-dessus, aux para 55-56).

 

VI.  Conclusion

[93]           À la lumière de la jurisprudence et de la preuve, il n’était pas déraisonnable pour la SPR d’avoir des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis des crimes contre l’humanité.

 

[94]           Il n’était donc pas déraisonnable pour la SPR d’exclure le demandeur de l’application de la Convention en vertu de l’alinéa 1Fa).

 

[95]           Le demandeur ne peut donc bénéficier de la protection canadienne, tel qu’indiqué à l’article 98 de la LIPR.

 

[96]           Le demandeur avait connaissance des crimes commis par le MLC à l’époque pertinente et il partageait les intentions criminelles de cette organisation.

[97]           L’association entièrement volontaire du demandeur au MLC pendant trois ans, tout en connaissant les crimes commis par cette organisation, démontre qu’il avait adhéré aux buts et pratiques de ce mouvement, ce qui le rend complice de ces crimes.

 

[98]           Tel que susdit, avec abondante jurisprudence à l’appui, lorsqu’un demandeur est conscient que le groupe auquel il appartient commet continûment et régulièrement des crimes ou des agissements visés par la section F de l’article premier de la Convention et qu’il ne tente de se dissocier de ce groupe à la première occasion, compte tenu de sa propre sécurité, la SPR peut, alors raisonnablement conclure que ce demandeur ne peut avoir la qualité de réfugié ou de personne à protéger aux termes de l’article 98 de la LIPR.

 

[99]           Il est par ailleurs évident que les crimes commis par le MLC à l’époque pertinente, retenus par la SPR, étaient des crimes contre l’humanité au sens de l’alinéa 1Fa).

 

[100]       Selon la preuve et le droit applicable, le demandeur s’est donc rendu complice de crimes contre l’humanité, du seul fait de son association étroite et volontaire avec le MLC, puisqu’il les a sciemment tolérés et qu’il n’a pas quitté ce mouvement alors qu’il en avait la possibilité.

 

[101]       Pour tous les motifs qui précèdent, l’exclusion du demandeur en vertu de l’alinéa 1Fa) n’est pas déraisonnable et celle-ci n’est viciée par aucune erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire.

 

[102]       Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.         la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit rejetée;

2.         aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3882-10

 

INTITULÉ :                                       AMBROISE MAPANGU ISHAKU

                                                            c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 10 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 14 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alain Vallières

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Normand Lemyre

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alain Vallières, AVOCAT

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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