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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110118

Dossier : T-551-10

Référence : 2011 CF 57

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2011

En présence de Monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

CHARLES HENRY TUTTY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

MTS ALLSTREAM INC.,

PETER VAN HORNE, RON HOSEMAN, ELAINE ADAMSON ET GRAHAM FISHER

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La question sous-jacente soulevée dans la présente demande concerne le degré des mesures d’accommodement qu’un employeur est obligé d’offrir à un employé atteint d’une invalidité médicale. Charles Tutty allègue que son employeur, MTS Allstream Inc. (MTS) a fait preuve de discrimination envers lui en ne prenant pas de mesures d’accommodement relativement à sa déficience et en mettant fin à son emploi à cause de cette déficience.

 

[2]               L’objet de la demande de M. Tutty est la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (Commission), rendue le 8 mars 2010, de rejeter sommairement sa plainte de discrimination fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R., 1985, ch. H‑6 (Loi). M. Tutty soutient que la décision enfreignait l’obligation d’équité procédurale et qu’elle était autrement déraisonnable et illégale. Il demande un redressement sous la forme d’une ordonnance annulant la décision de la Commission.

 

Les antécédents d’emploi

[3]               M. Tutty a été embauché par MTS le 25 novembre 2002 au poste de gérant des ventes pour le Nord de l’Alberta – Canal Alliance. Le 27 novembre 2004, il a été promu au poste de cadre supérieur du secteur de l’apprentissage et du développement. En octobre 2007, M. Tutty a pris un congé d’invalidité en raison d’une maladie liée au stress. En avril 2008, M. Tutty a obtenu l’autorisation de retourner progressivement au travail sous la supervision de son médecin traitant et d’un coordonnateur de retour au travail indépendant, Des Hathaway. Il est incontesté que M. Hathaway était payé par MTS pour ses services. Le plan de retour au travail prévoyait une augmentation progressive des heures de travail sur une période de trois à six mois ainsi que des restrictions quant aux heures supplémentaires et aux voyages. Il était en outre entendu que l’état de M. Tutty continuerait à être évalué par son médecin et par M. Hathaway, probablement jusqu’à ce qu’il ait récupéré de manière stable.

 

[4]               Le 21 juillet 2008, M. Tutty a obtenu l’autorisation de reprendre le travail à temps plein pour son salaire entier, mais il restait à déterminer sa capacité d’assumer de nouveau ses fonctions sans restrictions. Le 13 août 2008, dans une lettre au médecin de M. Tutty, MTS posait un certain nombre de questions visant à déterminer sa [traduction] « récupération générale et [ses] capacités de reprendre le travail sans restriction ou limitation ». En dépit de cette requête pendante, MTS a mis fin à l’emploi de M. Tutty le 21 août 2008, apparemment en raison d’une restructuration interne qui avait pour conséquence l’abolition du poste de M. Tutty. Il est incontesté qu’un autre poste, au même salaire de 95 272,34 $ par année, a été offert à M. Tutty avant la cessation de son emploi. M. Tutty a refusé ce poste parce qu’il exigeait [traduction] « beaucoup de voyages et d’heures supplémentaires » et parce qu’il comportait « une rétrogradation qui [me] mettait au niveau de la ou de [ma] déficience ». Vers le même temps, on a offert à M. Tutty, à titre d’indemnité de cessation d’emploi, une somme forfaitaire équivalant à six mois de revenus et à la continuation des prestations. M. Tutty a refusé cette offre et a ensuite introduit une action à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta visant à obtenir des dommages-intérêts pour congédiement injustifié.

 

[5]               Le 6 février 2009l, M. Tutty a déposé une plainte à la Commission alléguant que MTS avait refusé de prendre des mesures d’accommodement raisonnables à l’égard de sa déficience et avait mis fin à son emploi en raison de cette déficience. Il demandait 15 000$ pour atteinte à sa dignité et à son estime de soi, des excuses et les dépens.

 

            La décision faisant l’objet du présent contrôle

[6]               La décision de la Commission de rejeter la plainte de M. Tutty est énoncée dans une lettre datée du 8 mars 2010. Cette lettre motivait la décision de la façon suivante :

[traduction]

·                    La preuve montre que, même si l’exigence de voyager ou de faire des heures supplémentaires a eu un effet défavorable sur le plaignant en raison de sa déficience, il semble que l’intimée a pris des mesures d’accommodement pour la déficience du plaignant.

 

·                    La cessation de l’emploi du plaignant ne semble pas être liée à sa déficience.

 

·                    Étant donné les circonstances particulières de la plainte, il n’est pas justifié de renvoyer la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne.

 

[7]               La décision mentionnée ci‑dessus reposait sur le rapport d’une enquêtrice, lequel recommandait le rejet de la plainte de M. Tutty parce qu’elle n’était pas justifiée. En particulier, l’enquêtrice a conclu que MTS s’était acquittée de son obligation d’accommoder M. Tutty pour son invalidité médicale et que la cessation de son emploi était sans rapport avec son état de santé.

 

[8]               Le rapport démontre que l’enquêtrice a procédé à l’examen rigoureux de la preuve disponible, dont les entrevues qu’elle a tenues avec M. Tutty et M. Hathway et plus de 250 pages de preuve documentaire et d’observations. Entre autres choses, l’enquêtrice est parvenue aux conclusions et aux observations suivantes :

·                    L’exigence de voyager, de faire des heures supplémentaires et d’assumer les responsabilités d’un poste stressant avait un effet préjudiciable sur M. Tutty en raison de son invalidité médicale.

·                    MTS a reconnu la nécessité des accommodements, dont des congés autorisés et le retour progressif au travail.

·                    L’enquêtrice a demandé à l’avocat de M. Tutty de produire des renseignements médicaux pour étayer les restrictions d’emploi de M. Tutty après le mois de juillet 2008, mais elle n’a rien reçu à ce sujet.

·                    MTS a offert à M. Tutty un nouveau poste, mais celui l’a refusé en raison de l’exigence de voyager et de faire des heures supplémentaires et parce que le poste constituait une rétrogradation.

·                    M. Hathaway a confirmé les mesures prises par MTS afin d’accommoder M. Tutty en raison de son invalidité médicale.

·                    Le rapport médical du 21 mai 2008 ne mentionnait pas les restrictions quant aux voyages ou aux heures supplémentaires et M. Tutty n’a pas fourni de renseignements médicaux additionnels pour corroborer ses allégations de restrictions après le mois de juillet 2008.

·                    MTS avait pleinement accommodé M. Tutty en continuant de payer son salaire malgré le rejet de sa demande de prestations d’invalidité par la compagnie d’assurance, en employant M. Hathway et en appliquant le plan recommandé de retour progressif au travail.

·                    MTS ne semblait pas avoir défavorisé M. Tutty.

·                    La preuve documentaire présentée par MTS indiquait que la décision d’abolir le poste de M. Tutty avait été prise vers le mois de mai 2008 et était apparemment sans rapport avec la déficience de M. Tutty. M. Tutty n’a pas réfuté cette preuve.

·                    La preuve indiquait qu’avant de mettre fin à son emploi, MTS avait offert un poste à M. Tutty, pour lequel il était qualifié et qui était doté d’une protection salariale complète. La preuve montre en outre que, bien que MTS n’eût pas envisagé d’offrir un poste de haute direction au plaignant dans les Ressources humaines, il ne semblait pas qualifié pour ce poste.

·                    La preuve révèle que MTS a mis fin à l’emploi de M. Tutty parce que son poste avait été aboli en raison d’une restructuration et parce qu’il ne voulait pas accepter le poste qu’on lui offrait pour éviter son renvoi.

 

[9]               La Commission a invité les parties à présenter leurs commentaires sur le rapport de l’enquêtrice et elles l’ont fait. La Commission a examiné les observations écrites et a rejeté la plainte de M. Tutty.

 

Les questions en litige

[10]           La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la preuve?

 

[11]           L’enquête de la Commission était-elle équitable, rigoureuse et complète?

 

Analyse

[12]           L’examen préalable auquel procède la Commission en vertu de l’article 44 de la Loi a été comparé au rôle du juge qui effectue une enquête préliminaire. La Cour suprême du Canada décrit ce rôle comme suit au paragraphe 53 de l’arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, 140 DLR (4th) 193 :

53     La Commission n’est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu’elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante. Le juge Sopinka a souligné ce point dans Syndicat des employés de production du Québec et de L’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la p. 899 :

 

L’autre possibilité est le rejet de la plainte.  À mon avis, telle est l’intention sous‑jacente à l’al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d’un tribunal en application de l’art. 39. Le but n’est pas d’en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[13]           Pour procéder à l’examen préalable des plaintes, la Commission s’appuie sur le travail de l’enquêteur qui généralement interroge des témoins et examine la preuve documentaire au dossier. Lorsque la Commission rend une décision qui va dans le sens de la recommandation de son enquêteur, le rapport de l’enquêteur est considéré comme faisant partie des motifs de la Commission : voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392, au paragraphe 37.

 

[14]           Comme il l’a été noté dans la jurisprudence précitée, la décision de la Commission de rejeter ou de renvoyer une plainte requiert qu’elle apprécie la preuve afin de déterminer si elle est suffisante pour justifier une audience sur le fond. C’est cet élément du processus qui exige la retenue judiciaire. La retenue judiciaire n’est pas requise, toutefois, dans le contexte du contrôle de l’équité du processus, notamment en ce qui a trait à la rigueur de l’enquête. Pour de telles questions, la norme de contrôle judiciaire est celle de la décision correcte.

 

[15]           M. Tutty soutient que l’enquêtrice a erronément conclu que MTS n’était pas au courant de la nécessité de poursuivre les mesures d’accommodement après le mois de juillet 2008. M. Tutty se fonde sur les deux passages suivants du rapport de l’enquêtrice :

[traduction]

19.       L’intimée déclare qu’elle n’est pas au courant du besoin d’accommodement du plaignant après le 21 juillet 2008 et que son coordonnateur de retour au travail n’avait pas identifié d’autres mesures d’accommodement après cette date.

 

[…]

 

24.       L’intimée réitère qu’elle n’était pas au courant du besoin de mesures d’accommodement du plaignant après le 21 juillet 2008.

 

 

À l’appui de l’argument selon lequel l’enquêtrice a commis une erreur, M. Tutty fait valoir plusieurs éléments de preuve dont l’enquêtrice disposait. Selon M. Tutty, ces éléments de preuve montraient irréfutablement qu’au mois de juillet 2008, son médecin examinait toujours la question de la capacité de M. Tutty de reprendre son travail sans restrictions et, au moment de la cessation de son emploi, la question n’avait pas encore été tranchée.

 

[16]           Le problème essentiel de cet argument est que les passages invoqués par M. Tutty n’indiquent pas que l’enquêtrice a conclu que MTS n’était pas au courant de la nécessité de la continuation des mesures d’accommodement. Les passages en question ne sont rien de plus que la répétition de l’argument de MTS et l’enquêtrice ne les adopte nulle part dans le rapport. La seule remarque que l’enquêtrice fait sur cette question est que M. Tutty n’a pas présenté d’éléments de preuve médicale supplémentaires pour étayer son incapacité de faire des heures supplémentaires ou de voyager après le mois de juillet 2008. Le dossier indique que cette remarque n’a pas été contestée par M. Tutty et que son avocat a tenté de présenter de tels éléments de preuve, sans succès.

 

[17]           Il ne fait aucun doute que l’enquêtrice savait très bien que le degré de la capacité de M. Tutty était encore une question en suspens au moment de la cessation de son emploi ainsi que par la suite, lors de l’enquête menée par la Commission. Ceci est attesté par le fait que l’enquêtrice a accepté le témoignage de M. Hathaway selon lequel la restriction de M. Tutty relativement au voyage [traduction] « n’avait jamais fait l’objet d’une réévaluation durant la période de retour progressif au travail ». À dire vrai, il n’y a eu aucun différend sur les faits entre les parties qu’il aurait été nécessaire de résoudre pour évaluer le caractère adéquat des mesures d’accommodement prises par MTS ou pour déterminer la justification de la cessation d’emploi de M. Tutty. Les parties ont reconnu que MTS a accepté sans examen l’invalidité médicale de M. Tutty et qu’elle a mis en œuvre un plan de retour progressif au travail qui était supervisé par M. Hathaway. Quoique M. Tutty eût affirmé à l’enquêtrice que MTS avait cessé de payer son salaire durant son congé de maladie, il concède maintenant que cela n’était pas exact et que MTS avait continué de le payer. Il est également incontesté qu’avant la cessation de son emploi, MTS avait offert un nouveau poste à M. Tutty, qui était rémunéré au même salaire, mais qui comportait des responsabilités réduites. M. Tutty a refusé l’offre parce qu’elle constituait une rétrogradation et parce qu’il supposait que MTS ne continuerait pas à respecter ses restrictions quant aux voyages et aux heures supplémentaires. Tel est essentiellement le fondement factuel des conclusions de la Commission.

 

[18]           La plainte de M. Tutty à propos du paragraphe 33 du rapport de l’enquêtrice est également sans fondement. Ce passage du rapport, qui était également la réitération par l’enquêtrice de l’argument de MTS, ne représentait pas une conclusion selon laquelle M. Tutty n’avait pas d’invalidité médicale. À dire vrai, la prémisse sous-jacente à l’intégralité de l’analyse de l’enquêtrice est que M. Tutty était atteint d’une déficience et qu’il requérait des mesures d’accommodement. Ce que MTS faisait apparemment valoir était seulement que l’assureur invalidité avait rejeté la demande d’indemnité parce qu’il avait conclu que l’état de M. Tutty ne satisfaisait pas à la définition d’invalidité établie dans le contrat d’assurance. Il est clair que MTS a accepté que M. Tutty était atteint d’une déficience aux fins de l’entreprise parce qu’elle a payé son salaire et a adopté un plan de retour au travail progressif et supervisé. L’enquêtrice a manifestement compris cela et M. Tutty ne pouvait soulever aucun argument sérieux selon lequel les actions de MTS ne constituaient pas des formes d’accommodement significatives.

 

[19]           L’enquêtrice a conclu que les mesures d’accommodement prises par MTS relativement à l’invalidité médicale de M. Tutty avaient été suffisantes et que ce dernier n’avait pas subi de différence de traitement préjudiciable. Cette conclusion était raisonnable, étant donné les éléments de preuve dont disposaient l’enquêtrice et la Commission, et elle ne peut être contestée avec succès dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire.

 

[20]           M. Tutty soutient également que l’enquêtrice a outrepassé sa compétence en statuant de manière concluante sur le bien‑fondé juridique de sa demande et en s’appuyant sur le fait que sa réclamation d’assurance-invalidité lui avait été refusée. Selon M. Tutty, une enquête en matière de droits de la personne se limite aux questions de fait et ne peut pas porter sur des questions de droit ou s’appuyer sur des questions non pertinentes.

 

[21]           Je n’accepte pas les affirmations de M. Tutty selon lesquelles les questions d’interprétation juridique ne relèvent pas de la compétence de la Commission. Une enquête menée en vertu de l’article 43 de la Loi vise à fournir un fondement pour la décision de la Commission sur la question de savoir si une plainte doit être renvoyée pour instruction. Il s’agit habituellement d’un exercice axé sur les faits, mais qui implique inévitablement l’application de la preuve aux principes juridiques applicables : voir Sketchley, précité, au paragraphe 77. Il est bien établi qu’il s’agit d’un exercice d’examen préalable portant sur des questions mixtes de fait et de droit. Même s’il est exact qu’une enquête en matière de droits de la personne est purement un exercice d’établissement des faits, la possibilité que l’enquêteur aille plus loin est sans portée juridique, pourvu que la Commission soit l’arbitre final de la question de savoir si l’affaire devrait être renvoyée au Tribunal. Je ne discerne aucune erreur d’interprétation de la part de la Commission sur le rôle qu’elle assumait dans la présente affaire.

 

[22]           Je ne conviens pas non plus que l’enquêtrice a commis une erreur dans son approche de la preuve concernant la réclamation d’assurance-invalidité de M. Tutty. Le poids de la preuve était nettement favorable à la conclusion de l’enquêtrice selon laquelle MTS était intervenue pour payer le salaire de M. Tutty lorsque l’assureur invalidité a refusé de le faire. Cela était sans rapport avec la question de savoir si M. Tutty était véritablement atteint d’une déficience et l’enquêtrice n’a pas utilisé la preuve à cette fin. L’enquêtrice ne s’est fondée sur la preuve qu’à titre d’élément de preuve de mesure d’accommodement. De plus, M. Tutty ne peut pas raisonnablement contester l’approche de l’enquêtrice au sujet de la preuve en question, alors qu’il n’a pas produit de preuve pour corroborer sa position.

 

[23]           M. Tutty soutient que cette enquête était inadéquate et, que la Commission a manqué à son obligation d’équité en se fondant sur l’enquête. La Cour a traité de la norme juridique par laquelle l’équité d’une enquête en matière de droits de la personne doit être mesurée, dans Sketchley, précité, et particulièrement dans les passages suivants :

112     Il est clair que, dans ses enquêtes sur des plaintes individuelles, la Commission a une obligation d’équité procédurale puisque la question de savoir « si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante » (SEPQA, précité, au paragraphe 27) ne peut être examinée si l’enquête est viciée à la base. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans SEPQA, précité, « [d]'une manière générale, les plaignants comptent sur la Commission pour produire des preuves devant un tribunal constitué en vertu de l'article 39 [aujourd’hui, l’article 49]. Une enquête sur la plainte est donc indispensable pour permettre à la Commission de remplir ce rôle » (paragraphe 24). Le même facteur, à savoir la nature indispensable de l’enquête concernant le traitement de chaque plainte par la Commission, s’applique également à une enquête entreprise avant le rejet d’une plainte en vertu de l’alinéa 44(3)b). Lorsqu’une enquête appropriée n'a pas été faite pour examiner la plainte, une décision de la Commission fondée sur cette enquête ne peut être raisonnable puisque le défaut découle de la preuve même utilisée par la Commission pour prendre sa décision (Singh, précité, au paragraphe 7).

 

[…]

 

120     Dans Slattery, précité, le juge des requêtes a examiné le degré de rigueur requis pour que l’enquête satisfasse aux règles d’équité procédurale dans ce contexte. Il a souligné le « rôle essentiel que les enquêteurs sont appelés à jouer lorsqu'il s'agit de déterminer le bien-fondé de chaque plainte » (paragraphe 53) et les intérêts respectifs du plaignant, de l'intimé et de l’appareil administratif dans son ensemble (paragraphe 55). Il a conclu en ces termes :

 

56        Il faut faire montre de retenue judiciaire à l'égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose [...]

 

57        Dans des situations où les parties ont le droit de présenter des observations en réponse au rapport de l'enquêteur, comme c'est le cas en l'espèce, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l'attention du décideur. Par conséquent, ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier. Même s'il ne s'agit pas d'une liste exhaustive, il me semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l'enquêteur devraient comprendre : (1) les cas où l'omission est de nature si fondamentale que le seul fait d'attirer l'attention du décideur sur l'omission ne suffit pas à y remédier; ou (2) le cas où le décideur n'a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l'information ou encore du rejet explicite qu'il en a fait. (Non souligné dans l’original.)

 

121     Eu égard aux facteurs de l’arrêt Baker, je conviens qu’il s’agit d’une description appropriée du contenu de l’équité procédurale en l’espèce.

 

 

[24]           M. Tutty soutient que l’enquêtrice aurait du interroger un représentant de MTS et réinterroger M. Hathaway. Selon M. Tutty, si l’enquêtrice l’avait fait, elle n’aurait pas mal interprété la preuve sur ses limitations continues en ce qui a trait à son emploi. Le problème de fond de cet argument est que rien dans le rapport de l’enquêtrice ne démontre qu’elle a mal compris la situation de M. Tutty. Elle n’a pas conclu qu’il s’était complètement rétabli, mais plutôt que MTS avait pris des mesures d’accommodement adéquates dans les circonstances, jusqu’au moment où elle a mis fin à son emploi pour des raisons opérationnelles légitimes.

 

[25]           Il est à tout le moins implicite dans la décision de la Commission que MTS n’avait plus l’obligation d’accommoder M. Tutty dès le moment où celui-ci a refusé l’offre de nouvel emploi et que son poste a été aboli. Dans la mesure où l’enquêtrice était convaincue que la cessation de l’emploi de M. Tutty était sans rapport avec sa déficience, il était sans importance que son état de santé n’ait pas fait l’objet d’une réévaluation ou que son programme de retour au travail n’ait pas été terminé. L’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement ne requiert pas, après tout, qu’il suspende une restructuration d’entreprise légitime en attendant qu’il soit remédié à la déficience d’un employé affecté. J’ajouterais que la responsabilité de prendre des mesures d’accommodement ne repose pas seulement sur l’employeur : voir Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970, 95 DLR (4th) 577. L’employé affecté doit demeurer ouvert à des ajustements raisonnables du travail y compris la possibilité de prendre un poste comportant des responsabilités différentes ou réduites.

 

[26]           En l’espèce, M. Tutty a refusé une offre de nouvel emploi, car il considérait ce nouvel emploi comme une rétrogradation (quoique au même salaire) et que le nouvel emploi exigeait de faire des heures supplémentaires et de voyager. Il était loisible à l’enquêtrice de tenir compte du refus de M. Tutty. Étant donné l’abolition de son poste, M. Tutty n’aurait pu demander d’autres mesures d’accommodement pour ses limitations apparemment non résolues que s’il avait accepté un nouveau poste tout en maintenant qu’il continuait son plan de retour au travail, auquel il restait des étapes. Étant donné la restructuration légitime de l’entreprise, M. Tutty n’avait pas de [traduction] « droit » spécial d’être maintenu à son poste existant du simple fait que la mesure d’accommodement qu’il recevait n’était pas encore parvenue à son terme. De plus, dans la mesure où il prétendait être incapable de satisfaire aux exigences de son poste antérieur, M. Tutty n’était pas dans une position pour se plaindre du fait que l’offre de nouvel emploi était assortie de responsabilités réduites. Le refus de M. Tutty d’accepter un nouvel emploi était, au moins dans le contexte des droits de la personne, un facteur éminemment pertinent en ce qui avait trait à l’évaluation de la question de l’accommodement[1].

 

[27]           M. Tutty avait également d’abord contesté l’affirmation de MTS selon laquelle celle‑ci avait volontairement continué de payer son salaire malgré le rejet de sa réclamation par l’assureur invalidité. Comme l’enquêtrice l’a noté et comme le dossier l’indique, M. Tutty a reçu une lettre de rejet de l’assureur invalidité, mais malgré une requête de l’enquêtrice du 8 décembre 2009 et l’assurance donnée par l’avocat de M. Tutty qu’il serait répondu à cette requête, rien n’a été présenté pour corroborer le témoignage de M. Tutty. Cela constituait également un point pertinent parce que MTS soutenait qu’elle avait pris des mesures d’accommodement significatives à l’égard de M. Tutty en continuant de payer son salaire alors qu’elle n’avait pas d’obligation de le faire dans le cadre de l’emploi de M. Tutty. Selon une lettre de l’avocat de MTS à l’enquêtrice, datée du 25 novembre 2009, il s’agissait également d’une question qui avait été expressément traitée durant le processus d’enquête préalable dans l’action incidente pour congédiement injustifié de M. Tutty. On a demandé à M. Tutty de renoncer à l’engagement implicite de confidentialité afin que cette preuve et d’autres éléments éventuellement pertinents puissent être présentés à l’enquêtrice, mais, de manière inexplicable, il a refusé. Le fait que M. Tutty a maintenant reconnu le bien‑fondé de la position de MTS sur ce point n’empêche pas cette question de demeurer pour l’enquêtrice une question sérieuse et au sujet de laquelle elle pouvait tirer une inférence défavorable.

 

[28]           Quoique M. Tutty se plaigne que l’enquête de la Commission était inadéquate, le dossier révèle qu’il ne s’est pas montré particulièrement disposé à produire des éléments de preuve qui auraient pu contredire ses allégations. Par exemple, l’enquêtrice a fait état d’une requête à l’avocat de M. Tutty, à laquelle l’avocat n’a pas donné suite, qui visait à obtenir une confirmation médicale du besoin persistant de limiter les heures supplémentaires et les voyages de M. Tutty après le retour de celui‑ci au travail à temps plein en juillet 2008. Cela était une question importante pour l’enquêtrice parce que, comme elle l’a noté dans son rapport, le deuxième rapport médical du médecin de M. Tutty en mai 2008 ne mentionnait pas de préoccupations persistantes sur la question du voyage et des heures supplémentaires. Néanmoins, rien dans le dossier ne montre qu’il a été satisfait à cette requête. En même temps, l’enquêtrice disposait du témoignage de M. Hathaway qui confirmait qu’il avait parlé à M. Tutty tout au long de son retour progressif au travail et que M. Tutty [traduction] « allait bien ». Les notes d’entrevues avec M. Hathaway de l’enquêtrice font également état du fait que, bien que la restriction relative au voyage de M. Tutty n’eût pas fait l’objet d’une réévaluation, MTS avait pris des mesures d’accommodement pour M. Tutty au moins jusqu’à la cessation de son emploi.

 

[29]           Comme je l’ai noté dans Maciel c. Agence du revenu du Canada, 2007 CF 244, 310 FTR 82, aucune enquête en matière de droits de la personne n’est parfaite. Il y a presque toujours un autre témoin qui aurait pu être interrogé ou une autre question qui aurait pu être posée. Cependant, la Commission ne dispose pas de ressources illimitées et doit pouvoir mettre des limites raisonnables à ses fonctions d’enquête : voir Herbert c. Canada, 2008 CF 969, 169 ACWS (3d) 393, au paragraphe 18. Le critère n’exige pas la perfection ni que toutes les avenues d’enquête aient été épuisées. La présente enquête était rigoureuse et plus que suffisante pour déterminer ce qui s’est passé. Le fait que M. Tutty ne soit pas d’accord avec l’issue et qu’il puisse faire valoir une interprétation plus favorable de la preuve ne constitue pas un fondement pour un contrôle judiciaire.

 

[30]           Bien que M. Tutty eût contesté l’affirmation de MTS selon laquelle la cessation de son emploi découlait de la restructuration légitime de l’entreprise, il n’a présenté aucun élément de preuve, sinon des conjectures, pour contredire la preuve documentaire produite par MTS pour corroborer sa position. La seule réponse de M. Tutty à la Commission et à la Cour est qu’il n’avait pas été mis au courant de tout élément de preuve qui aurait pu appuyer ses soupçons. Mais le fait qu’il n’avait pas de preuve ne démontre pas une erreur de la part de l’enquêtrice qui s’est raisonnablement appuyée sur la preuve qui avait été produite. Je ne souscrit pas à l’argument de M. Tutty selon lequel une audience devrait être tenue par un tribunal à titre d’interrogatoire préalable et de supplément au rôle d’établissement des faits de l’enquêtrice.

 

[31]           M. Tutty affirme aussi que la Commission ne doit pas avoir tenu compte de sa réponse au rapport de l’enquêtrice, car la décision de la Commission ne mentionne nullement les points qu’il a soulevés. Cependant, il n’y avait aucun nouvel élément dans ces observations finales que l’enquêtrice n’avait pas déjà examiné et la Commission n’a pas commis d’erreur en ne faisant pas de commentaires explicites sur le contenu de ces observations. Bref, il s’agissait simplement d’une nouvelle présentation des arguments de l’affaire, ce qui était évidemment insuffisant pour convaincre la Commission que les conclusions de l’enquêtrice étaient injustifiées.

 

Conclusion

[32]           En conclusion, la demande sera rejetée avec dépens payables à MTS au montant de 2 500 $, y compris les débours.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée avec dépens payables à MTS au montant de 2 500 $, y compris les débours.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-551-10

 

INTITULÉ :                                       TUTTY c. AGC ET AL.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Edmonton (AB)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert P. James

Lynn Michele Angotti

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gulu Punia

 

POUR LA DÉFENDERESSE -

MTS Allstreem Inc.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Parlee McLaws LLP

Avocats

Edmonton (AB)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Commission canadienne des droits de la personne

Ottawa (ON)

 

POUR LA DÉFENDERESSE -

Commission canadienne des droits de la personne

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Avocats

Calgary (AB)

 

POUR LA DÉFENDERESSE -

MTS Allstreem Inc.

 



[1]     Je reconnais que, dans une action pour congédiement injustifié, une norme juridique différente peut s’appliquer à une décision de refuser une offre de nouvel emploi.

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