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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110114

Dossier : T-1879-09

Référence : 2011 CF 40

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2011

En présence de madame la juge Heneghan

 

ENTRE :

 

CHARTER MACCLOY KIDZUGANE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Monsieur Charter MacCloy Kidzugane (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d’une demande d’allègement pour les contribuables au deuxième palier, présentée en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.). Dans cette décision, qui porte la date du 23 octobre 2009, M. Joseph Turgeon, directeur adjoint, Division du recouvrement des recettes et des services aux contribuables, à l’Agence du revenu du Canada (ARC) a rejeté la demande de renonciation à des intérêts et à des pénalités du demandeur, relativement à la créance fiscale de ce dernier. Le demandeur sollicitait cette renonciation pour cause de difficultés financières.

 

[2]               Le demandeur est l’unique administrateur et dirigeant de Magaga Management Inc. (Magaga). À l’époque où il a présenté sa première demande fondée sur les dispositions d’équité, en décembre 2008, il était l’unique actionnaire de cette entreprise, ainsi que d’une entreprise appelée CH Health & Home Care Services Inc. (CH Health & Home).

 

[3]               Le demandeur a fait l’objet d’une vérification de la part de l’ARC en 2004 et, par la suite, des dépenses d’un montant de 204 766 $ qu’il avait déduites ont été refusées. Cette somme incluait des montants pour lesquels le demandeur ne pouvait pas fournir de reçus en rapport avec des affaires menées au Kenya, en Ouganda et en Afrique du Sud, de même qu’en rapport avec  l’utilisation personnelle d’un véhicule d’entreprise. Le demandeur a contesté la nouvelle cotisation en 2005 et l’affaire a été réglée en 2008.

 

[4]               Le demandeur a, en fin de compte, été l’objet d’une cotisation d’impôt sur le revenu personnel pour les années 2001 à 2003, d’un montant total de 27 138 $. Des pénalités et des intérêts lui ont été imposés en rapport avec cette somme.

 

[5]               Entre 2001 et 2008, le revenu familial net du demandeur a varié de 74 659 $ à 144 478 $. Dans cinq de ces années, son revenu familial net a été supérieur à 135 000 $. Entre 2004 et 2007, le demandeur a obtenu chaque année des remboursements d’impôt mais il n’a fait aucun paiement à l’égard de la créance fiscale en souffrance.

 

[6]               Le demandeur s’est vu imposer des pénalités pour avoir omis de déclarer des revenus de REER en 2002 et 2003. Magaga a été l’objet d’une cotisation d’impôt d’un montant d’environ 50 000 $ pour l’année fiscale 2002, mais cette créance fiscale a été réduite à 6,44 $, en raison du report rétrospectif de pertes d’entreprise ultérieures.

 

[7]               Le 11 décembre 2008, le demandeur a écrit à l’ARC pour demander une réduction des intérêts et une renonciation aux pénalités pour son impôt sur le revenu personnel relativement aux années 2001 à 2003 ainsi que pour Magaga, relativement à l’année 2002, en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, et ce, pour cause de difficultés financières et d’incapacité de payer. Mme Angela Pedley, gestionnaire, Division du recouvrement des recettes et des services aux contribuables, a examiné la requête et rejeté la demande de dispense dans une lettre datée du 11 juin 2009. Le demandeur n’a pas fait la preuve de ses difficultés financières. La décision était attribuable aussi, en partie, au fait que les sociétés liées du demandeur, Magaga et CH Health & Home, avaient des antécédents de production tardive, dont des déclarations de TPS qui étaient en souffrance à ce moment-là.

 

[8]               Le demandeur a ensuite commencé à verser des paiements mensuels en vue d’acquitter la créance fiscale.

 

[9]               Le demandeur a présenté une demande d’allègement pour les contribuables au deuxième palier le 21 septembre 2009. Il a produit, à l’égard de Magaga, des déclarations de TPS nulles pour les périodes en souffrance. Il a également affirmé qu’il lui était impossible de faire des paiements à cause de sa situation familiale ainsi que de prêts qu’il avait faits à Magaga et de pertes d’entreprise que cette société avait subies ultérieurement.

 

[10]           Le directeur adjoint a examiné les documents liés aux demandes d’examen au premier et au deuxième palier. Par une lettre datée du 23 octobre 2009, il a rejeté la demande au deuxième palier du demandeur au motif que l’examen qui avait été fait au premier palier traitait convenablement des facteurs appropriés.

 

[11]           Le directeur adjoint a également répondu aux doléances précises du demandeur à propos de l’examen fait au premier palier. Il a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de documents à l’appui de son affirmation concernant son incapacité à payer et ses difficultés financières dues à sa situation familiale. Il a jugé que la situation fiscale de Magaga n’était pas importante pour une demande d’allègement d’intérêts et de pénalités liés à son compte d’impôt personnel. Il a également fait remarquer qu’à ce moment-là les déclarations de TPS relatives à CH Health & Home étaient encore en souffrance.

 

Les arguments des parties

[12]           Le demandeur soutient que le directeur adjoint a omis de prendre en considération la situation financière attribuable aux prêts qu’il avait faits à Magaga pour des opérations commerciales infructueuses. Cela a mené au refus de certaines dépenses d’entreprise, ce qui lui a occasionné une dette d’impôt sur le revenu personnel. Il soutient que le directeur adjoint a commis une erreur dans la façon dont il a traité la perte de 50 000 $ de Magaga, ainsi que son incidence sur les difficultés financières personnelles qu’il a subies.

 

[13]           Le demandeur soutient de plus que le directeur adjoint a omis de tenir dûment compte du fait que Magaga a bel et bien produit des déclarations de TPS pour les périodes prenant fin le 30 septembre 2008, le 31 mars 2009 et le 30 juin 2009, car Magaga n’exploitait aucune activité commerciale et n’était donc pas tenue de percevoir ou de verser de la TPS.

 

[14]           Il soutient de plus que CH Health & Home a bel et bien produit une déclaration de TPS pour la période prenant fin le 31 mars 2009, contrairement aux conclusions du directeur adjoint.

 

[15]           La défenderesse estime que le demandeur a produit des preuves documentaires qui n’ont pas été soumises au décideur, et que la Cour ne devrait pas en tenir compte.

 

[16]           La défenderesse soutient de plus que le directeur adjoint a pris en considération un certain nombre de faits pertinents et qu’il a traité des doléances du demandeur au moment de l’examen fait au premier palier. Sa décision est raisonnable.

 

Analyse et décision

[17]           Le demandeur, dans le cadre de son dossier de demande, a déposé un affidavit qui inclut de nombreux documents non présentés à l’ARC, plus particulièrement les pièces « B » à « G », les pièces « N » à « X » et les pièces « DD » et « EE ». Ces documents se composent principalement d’états bancaires et, comme ils n’ont pas été présentés avec la demande fondée sur les dispositions d’équité et que le décideur ne les a pas pris en considération, ils n’ont pas été soumis comme il se doit à la Cour dans le cadre de la présente demande et ne seront pas pris en considération.

 

[18]           D’autres documents ont été présentés à l’ARC, mais pas dans le cadre de la demande fondée sur les dispositions d’équité, soit les pièces « H » à « L ». Ces dernières se composent de lettres et de formulaires que le demandeur a envoyés à l’ARC au sujet de déclarations de TPS relatives à Magaga, ainsi que d’autres déclarations de revenus de société. Ces documents ne seront également pas pris en considération. Quoi qu’il en soit, les faits dont il est question dans ces pièces se reflètent dans le dossier de l’ARC ainsi que dans les documents joints à l’affidavit qui a été déposé pour  le compte de la défenderesse.

 

[19]           La décision faisant l’objet du présent contrôle est une décision de nature discrétionnaire rendue en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[20]           La première question à examiner est la norme de contrôle applicable. D’après la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, les décisions que rendent les décideurs d’origine législative sont susceptibles de contrôle selon l’une des deux normes suivantes : la décision correcte ou la décision raisonnable. La norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit et aux questions d’équité procédurale. La norme de la décision raisonnable (ou de la raisonnabilité) s’applique aux questions de fait, aux questions mixtes de fait et de droit ainsi qu’aux décisions de nature discrétionnaire. Dans l’arrêt Telfer c. Canada (Agence du revenu) (2009), 386 N.R. 212, au paragraphe 24, la Cour d’appel fédérale déclare que ce type de décision discrétionnaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

La norme de la décision déraisonnable est la norme de contrôle qui s’applique normalement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 51 (Dunsmuir)). De fait, notre Cour avait déjà décidé dans Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 DTC 5245, 2005 CAF 153, que le caractère déraisonnable simpliciter (une des deux normes déférentes appliquées à l’époque par les tribunaux) était la norme de contrôle applicable à une décision prise en vertu du paragraphe 220(3.1).

 

[21]           Dans la mesure où le demandeur soutient que le directeur adjoint a omis de prendre dûment en compte un certain nombre de questions factuelles, il soulève une question mixte de fait et de droit. Que la question soit considérée comme une question mixte de fait et de droit ou comme une question relative à l’exercice approprié d’un pouvoir discrétionnaire, comme il est dit dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, la norme de contrôle qui s’applique est la décision raisonnable.

 

[22]           En l’espèce, le pouvoir discrétionnaire du directeur adjoint est guidé par la Circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu IC07‑1. Une copie de ce document a été jointe au dossier de demande de la défenderesse. La partie II, sections 19 à 44, est intitulée « Lignes directrices concernant l’annulation ou la renonciation aux pénalités ou aux intérêts ». Les sections 23, 24 et 25 sont pertinentes :

Situations dans lesquelles un allègement des pénalités et des intérêts peut être justifié

 

¶ 23. Le ministre peut accorder un allègement de l’application des pénalités et des intérêts lorsque les situations suivantes sont présentes et qu’elles justifient l’incapacité du contribuable à s’acquitter de l’obligation ou de l’exigence fiscale en cause :

 

a)         circonstances exceptionnelles;

b)         actions de l’ARC;

c)         incapacité de payer ou difficultés financières.

¶ 24. Le ministre peut également accorder un allègement même si la situation du contribuable ne se trouve pas parmi les situations mentionnées au paragraphe 23.

 

Circonstances exceptionnelles

 

¶ 25. Les pénalités et les intérêts peuvent faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation, en tout ou en partie, lorsqu’ils découlent de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable. Les circonstances exceptionnelles qui peuvent avoir empêché un contribuable d’effectuer un paiement lorsqu’il était dû, de produire une déclaration à temps ou de s’acquitter de toute autre obligation que lui impose la Loi sont les suivantes, sans être exhaustives :

 

a)   une catastrophe naturelle ou causée par l’homme, telle qu’une inondation ou un incendie;

b)   des troubles publics ou l’interruption de services, tels qu’une grève des postes;

c)   une maladie grave ou un accident grave;

d)   des troubles émotifs sévères ou une souffrance morale grave, tels qu’un décès dans la famille immédiate.

 

[23]           La circulaire d’information indique ensuite les facteurs qu’il faut prendre en considération au moment d’exercer le pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts et aux pénalités, et cela inclut la façon dont le contribuable s’est conformé par le passé aux exigences de la Loi :

Facteurs utilisés pour arriver à la décision

 

¶ 33. Lorsque des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, des actions de l’ARC, ou l’incapacité de payer ou les difficultés financières ont empêché le contribuable de respecter la Loi, les facteurs suivants seront considérés pour déterminer si l’ARC annulera ou renoncera aux pénalités et aux intérêts, ou non :

 

a)   le contribuable a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

b)   le contribuable a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

c)   le contribuable a fait des efforts raisonnables et n’a pas été négligent dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d’autocotisation;

d)   le contribuable a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

 

[24]           En évaluant les antécédents du demandeur en matière d’observation, le directeur adjoint a pris en considération les déclarations de TPS que les sociétés du demandeur avaient produites en retard. Il a traité expressément du fait que Magaga avait produit des déclarations de TPS après l’examen au premier palier mais que les déclarations que devait produire CH Health & Home étaient en souffrance. Le dossier de l’ARC, joint en tant que pièce à l’affidavit rectifié de Joseph Lionel Wayne Turgeon dans le cadre du dossier de la défenderesse, montre un imprimé informatique indiquant que la somme que CH Health & Home devait verser au titre de la TPS pour la période prenant fin le 31 mars 2009 a été souffrance jusqu’au 26 octobre 2009. L’imprimé informatique, même s’il est daté du 26 octobre, c’est-à-dire après la date de la décision négative en litige, est clairement lié à la décision du 23 octobre 2010. Le directeur adjoint n’a pas fait d’erreur en concluant qu’au moment où il a rendu sa décision les déclarations de TPS concernant CH Health & Home étaient en souffrance.

 

[25]           Le directeur adjoint a tenu compte d’un certain nombre de facteurs au moment d’évaluer l’affirmation du demandeur au sujet de ses difficultés financières, dont son revenu familial net et la valeur nette de sa maison. Dans ce contexte, il a conclu d’une manière raisonnable que la situation fiscale de Magaga était peu importante pour ce qui était de l’incapacité personnelle du demandeur à payer sa propre créance fiscale.

 

[26]           En définitive, je suis convaincue que les conclusions que le directeur adjoint a tirées satisfont à la norme de la décision raisonnable.

 

[27]           Le présent contrôle judiciaire est rejeté. Exerçant le pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.


 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Conformément à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1879-09

 

INTITULÉ :                                       CHARTER MACCLOY KIDZUGANE c. L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 NOVEMBRE 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 14 JANVIER 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Charter MacCloy Kidzugane

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Penny Piper

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S.O.

 

 

LE DEMANDEUR
(POUR SON PROPRE COMPTE)

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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