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Cour fédérale

 

Federal Court


 


Date : 20110119

Dossier : IMM-2400-10

Référence : 2011 CF 65

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

LI XIAN LIANG

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

       

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Aperçu

[1]               La demanderesse est reconnue comme étant une chrétienne pratiquante de la province de Fujian, en Chine.

 

[2]               La destruction de maisons-églises au Fujian est en soi la preuve que les autorités chinoises de la province ne permettent pas aux chrétiens de pratiquer leur religion librement. La liberté de religion comprend le droit des personnes d’exercer publiquement leur culte, individuellement ou collectivement, pourvu que la façon choisie pour le faire n’interfère pas avec les droits fondamentaux d’autrui. En détruisant des maisons-églises, le gouvernement chinois porte atteinte à ce droit et inflige une persécution religieuse.

 

[3]               Bien qu’il n’y ait possiblement pas eu de rapport concernant l’arrestation de chrétiens au Fujian, des rapports de persécution de maisons-églises existent bel et bien, car la destruction de maisons-églises situées dans cette province a été rapportée. L’Association d’aide à la Chine, considérée par la Commission comme étant une source fiable et réputée, en a elle-même fait état (page 106, au paragraphe 3 du dossier du tribunal [la Commission]).

 

[4]               En ce qui concerne la taille du groupe de la maison-église de la demanderesse, la preuve invoquée est clairement douteuse, étant donné que la Commission elle-même reconnaît dans ses motifs que les sections locales du Bureau des affaires religieuses (le BAR) interrompent effectivement des assemblées religieuses qui ont lieu dans des maisons, au motif que les membres dérangent les voisins ou l’ordre social, ou qu’ils se vouent à une secte.

 

[5]               De plus, l’information selon laquelle les groupes composés de moins de 40 membres ne sont pas tenus de s’enregistrer, est issue de l’Administration d’État des affaires religieuses ou du Conseil chrétien de Chine même, qui sont tous deux des organismes gouvernementaux chinois. Le rapport sur la liberté religieuse internationale du Département d’État des États-Unis précise que cette règle n’est pas suivie et qu’il existe plusieurs rapports selon lesquels les agents du BAR interrompent des assemblées religieuses qui ont lieu dans des maisons.

 

[6]               Par conséquent, il semblerait difficile de discerner la politique chinoise quant à l’endroit, au moment et au rassemblement de groupe confessionnel à être prochainement ciblé. Rien ne permet de savoir si ce sont les rassemblements de plus de 40 membres ou ceux comptant moins de 40 membres qui sont le plus à risque. Ceci enferme donc les membres de rassemblements de groupes confessionnels dans un dilemme permanent et implacable quant aux risques auxquels ils font face.

 

II. Introduction

[7]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 8 avril 2010, par laquelle il a été décidé que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

III. Les faits

[8]               La demande d’asile de la demanderesse s’appuie sur son appartenance à une église clandestine en Chine et sur sa pratique continue du christianisme au Canada.

 

[9]               La demanderesse, Mme Li Xian Liang, a commencé à fréquenter une église clandestine en mars 2007. L’église a fait l’objet d’une descente effectuée par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) en octobre 2007. Le BSP recherchait la demanderesse. Plusieurs membres de l’église ont été condamnés à une peine d’emprisonnement et 15 autres ont été condamnés à de la rééducation par le travail.

 

IV. Les questions en litige

[10]           (1) Selon la prépondérance de la preuve, la conclusion du tribunal selon laquelle le BSP ne recherchait pas la demanderesse étant donné qu’aucune sommation ou aucun mandat n’avait été laissé chez elle était-elle raisonnable?

(2) Est-ce que la conclusion du tribunal selon laquelle la demanderesse pourrait retourner au Fujian et continuer de pratiquer dans une église non enregistrée et ne pas être exposée à plus qu’une simple possibilité de persécution, est raisonnable?

 

V. Analyse

Question 1 : Selon la prépondérance de la preuve, la conclusion du tribunal selon laquelle le BSP ne recherchait pas la demanderesse étant donné qu’aucune sommation ou aucun mandat n’avait été laissé chez elle était-elle raisonnable?

 

 

[11]           Selon la prépondérance de la preuve, la Commission a conclu que le BSP ne recherchait pas la demanderesse parce qu’aucun mandat ou aucune sommation n’avait été laissé chez elle.

 

[12]           Compte tenu de la preuve documentaire, le témoignage de la demanderesse selon lequel aucun mandat ou aucune sommation n’a été laissé chez elle est très plausible. Des conclusions défavorables concernant la crédibilité peuvent manquer de raisonnabilité lorsque la preuve documentaire montre clairement que les faits relatés par le demandeur ont pu véritablement arriver.

 

[13]           La preuve documentaire a établi que de laisser une sommation ou un mandat à une personne autre que celle à qui le document est adressé ne fait pas partie de la procédure habituelle. Dans le présent cas, le BSP semble avoir suivi la procédure habituelle.

 

[14]           La preuve documentaire a également montré que les procédures suivies par le BSP varient d’une région à une autre et que dans la plupart des cas, les procédures habituelles ou les règles sont mises de côté au profit des normes régionales. Par conséquent, si la norme de la région où la demanderesse habite veut que le BSP ne laisse aucun mandat ou aucune sommation à une personne autre que celle à qui le document est adressé, cette norme est vraisemblablement suivie, peu importe le nombre de visites des agents du BSP chez la demanderesse ou le nombre de personnes qui auraient pu être arrêtées et condamnées si elles avaient été trouvées dans la maison-église.

 

Question 2 : Est-ce que la conclusion du tribunal selon laquelle la demanderesse pourrait retourner au Fujian et continuer de pratiquer dans une église non enregistrée et ne pas être exposée à plus qu’une simple possibilité de persécution, est raisonnable?

 

 

[15]           La Commission a conclu que la preuve ne montrait pas que la demanderesse a de bonnes raisons de craindre la persécution en pratiquant dans une maison-église non enregistrée. Pour tirer cette conclusion, la Commission a examiné la preuve documentaire sur le Fujian et s’est particulièrement concentrée sur les rapports d’arrestations de chrétiens non enregistrés au Fujian et a conclu qu’il n’en existe aucun. La Commission s’est également concentrée sur la taille de l’église de la demanderesse, qui compte de vingt à trente membres, et a conclu qu’une église de cette taille n’est pas tenue de s’enregistrer.

 

[16]           Bien qu’il n’y ait possiblement pas eu de rapport concernant l’arrestation de chrétiens au Fujian, des rapports de persécution de maisons-églises existent bel et bien, car la destruction de maisons-églises situées dans cette province a été rapportée. L’Association d’aide à la Chine, considérée par la Commission comme étant une source fiable et réputée, en a elle-même fait état (page 106, au paragraphe 3 du dossier du tribunal [la Commission]).

 

[17]           La destruction de maisons-églises au Fujian est en soi la preuve que les autorités chinoises de la province ne permettent pas aux chrétiens de pratiquer leur religion librement. La liberté de religion comprend le droit des personnes d’exercer publiquement leur culte, individuellement ou collectivement, pourvu que la façon choisie pour le faire n’interfère pas avec les droits fondamentaux d’autrui. En détruisant des maisons-églises, le gouvernement chinois porte atteinte à ce droit et inflige une persécution religieuse.

 

 

[18]           Vu la preuve concernant la destruction de maisons-églises dans la province du Fujian, la demanderesse a des raisons concrètes de craindre la persécution si elle choisit d’exercer son droit de pratiquer sa religion librement.

 

[19]           En ce qui concerne la taille du groupe de la maison-église de la demanderesse, la preuve invoquée est clairement douteuse, étant donné que la Commission elle-même reconnaît dans ses motifs que les sections locales du BAR interrompent effectivement des assemblées religieuses qui ont lieu dans des maisons, au motif que les membres dérangent les voisins ou l’ordre social, ou qu’ils se vouent à une secte.

 

[20]           De plus, l’information selon laquelle des groupes composés de moins de 40 membres ne sont pas tenus de s’enregistrer, est issue de l’Administration d’État des affaires religieuses ou du Conseil chrétien de Chine même, qui sont tous deux des organismes gouvernementaux chinois. Le rapport sur la liberté religieuse internationale du Département d’État des États-Unis précise que cette règle n’est pas suivie et qu’il existe plusieurs rapports selon lesquels les agents du BAR interrompent des assemblées religieuses qui ont lieu dans des maisons.

 

[21]           Dans sa propre décision relative à la demanderesse, le tribunal a lui-même écrit : 

[10] D’après la documentation, le traitement réservé aux maisons-églises varie considérablement (Pièce R/A-1, point 12.5, Réponse à la demande d’information CHN102492.EF). Dans certaines régions du pays, des maisons-églises non enregistrées comptant des centaines de membres se réunissent ouvertement à la connaissance des autorités locales, qui caractérisent les réunions comme étant des rassemblements officieux pour prier, chanter et étudier la Bible. Ailleurs, les maisons-églises réunissant plus que quelques membres d’une famille et des amis sont interdites. Les maisons-églises éprouvent souvent des difficultés lorsque le nombre de membres augmente, lorsqu’elles prennent des mesures pour utiliser régulièrement des installations en vue d’y exercer expressément des activités religieuses ou lorsqu’elles tissent des liens avec d’autres groupes non enregistrés ou des coreligionnaires outre-mer. Il peut y avoir des centaines de réunions de protestants non enregistrés dans des petites villes et des régions rurales. (Pièce R/A-1, point 2.3, p. 65). De même, selon la documentation (Ibid) [traduction] « [l]es chrétiens protestants qui pratiquent leur religion dans des lieux non approuvés par le gouvernement ou dans leur résidence continuent d’être exposés à la détention et à de mauvais traitements, particulièrement s’ils tentent de se réunir en grand nombre, s’ils voyagent au pays et à l’étranger pour assister à des réunions religieuses et s’ils organisent des rassemblements religieux paisibles dans des lieux non enregistrés ». Il ressort aussi de la documentation (Pièce R/A-1, point 2.3, p. 66) que c’est dans les provinces d’Anhui, de Hebei, de Henan, de Shanxi et de Xinjiang que les groupes religieux non enregistrés ont subi le plus de mauvais traitements et de harcèlement.

 

[11] S’agissant de la persécution religieuse dans la province de Fujian, d’où vient la demandeure d’asile, aucun renseignement à caractère persuasif ne donne à penser que des groupes aussi petits que celui de la demandeure d’asile font l’objet de persécution religieuse. Bien que divers commentateurs aient fait rapport sur la question de la persécution religieuse en Chine, un en particulier, soit l’Association d’aide à la Chine (China Aid Association - CAA), se distingue comme étant une importante source de transmission de données à jour et de comptes rendus détaillés de harcèlement et de répression de maisons-églises protestantes en Chine (Pièce R/A-1, point 12.4, Réponse à la demande d’information CHN102491.EF, point 12.5, Réponse à la demande d’information CHN102492.EF et point 12.7, Réponse à la demande d’information CHN102494.EF). Selon le rapport, il y a quatre cibles principales de persécution : les dirigeants de maisons-églises, les maisons-églises dans les régions urbaines, les publications chrétiennes ainsi que les chrétiens étrangers et les missionnaires qui demeurent et travaillent en Chine. Pour ce qui est de la situation particulière de la demandeure d’asile, celle-ci a déclaré que 22 membres ont été appréhendés et que des peines d’emprisonnement à long terme ont été imposées au pasteur et à quatre autres personnes. Quinze personnes ont été condamnées à de la rééducation par le travail pendant deux ans et demi et deux personnes ont dû payer une sanction pécuniaire. Il s’agit-là d’une situation extrême où des gens ont été arrêtés et dont il serait vraisemblablement question dans des rapports sur la persécution religieuse provenant non seulement de la CAA, mais d’une multitude de ressources différentes ayant pour objet de renseigner le reste du monde au sujet de la répression religieuse en Chine. Les commentateurs ont déclaré que le gouvernement de Chine est « moins hostile » envers les protestants non enregistrés qu'envers les catholiques non enregistrés; toutefois, le gouvernement craint que les églises « domiciliaires » ne servent de couverture aux dissidents (Pièce R/A-1, point 12.9, Réponse à la demande d’information CHN100387.EF). Ce qui apparaît clairement au tribunal est qu’il y a une persécution religieuse de « maisons-églises » protestantes en Chine; cependant, cette persécution n’est pas généralisée. Il faut prendre en considération des facteurs comme la question de savoir s’il existe des liens étroits avec l’Occident, l’évangélisation, la croissance du nombre de membres de sorte que la maison-église se transforme en une congrégation de taille, les ententes en vue de l’utilisation régulière d’installations, la question de savoir si un particulier est un dirigeant, les régions rurales ou urbaines et l’emplacement en Chine.

 

[12] Le tribunal garde à l’esprit le fait que le nombre d’incidents de persécution est vraisemblablement bien plus élevé en raison de la censure des communications (Pièce R/A-1, point 12.10) et il s’est même demandé si les commentateurs avaient accès à tous les renseignements. Comme il y a une quantité appréciable de renseignements détaillant des exemples très précis survenus dans des régions bien plus éloignées et plus difficiles d’accès que le Fujian, le tribunal conclut qu’il peut raisonnablement s’attendre à voir des éléments de preuve à caractère persuasif démontrant que des groupes comme celui de la demandeure d’asile, qui sont petits et qui n’ont pas à s’enregistrer, font l’objet de descentes et que des particuliers sont emprisonnés dans la province de Fujian.

 

[13] Le conseil a produit des documents (Pièce C-4, point 133, p. 445) concernant une décision prise par un tribunal australien qui a reconnu l’asile à un citoyen de Fujian. Le tribunal n’est pas lié par la décision du tribunal australien.

 

[22]           Par conséquent, il était déraisonnable, pour la Commission, de s’appuyer sur la taille du groupe de l’église de la demanderesse pour conclure qu’elle n’a pas de bonnes raisons de craindre la persécution dans l’éventualité où elle devrait retourner en Chine pour pratiquer dans une église clandestine. Il est clair que les autorités chinoises continuent d’effectuer des descentes dans les églises sans tenir compte de leur taille.

 

VI. Conclusion

Pour les présents motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu’une nouvelle décision soit rendue.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit : la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu’une nouvelle décision soit rendue. Il n’y a aucune question à certifier.

 

                                                                                                            « Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2400-10

 

INTITULÉ :                                       LI XIAN LIANG

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE  L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alex C. Kam

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

HART A. KAMINKER

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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