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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 


Date : 20110124

Dossier : IMM-1768-10

Référence : 2011 CF 82

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

 

LANA SHERRY HIPPOLYTE

KEYNON CLIFF HIPPOLYTE

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 3 mars 2010 rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle cette dernière concluait que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), parce que les demandeurs bénéficiaient d’une protection de l’État adéquate à Sainte-Lucie.

 

LES FAITS

Le contexte

[2]               Les demandeurs sont Lana Sherry Hippolyte, la demanderesse principale, et son fils, Keynon Cliff Hippolyte, pour lequel la demanderesse principale agissait à titre de représentante désignée devant la Commission. Les demandeurs sont citoyens de Sainte-Lucie. Ils sont arrivés au Canada le 19 décembre 2006 et ont présenté leur demande d’asile environ un an plus tard, soit le 13 décembre 2007. Les demandeurs demandent l’asile au motif que le père de Keynon a été violent à l’endroit de la demanderesse principale.

 

[3]               Bien que la demanderesse principale soit restée vague en ce qui concerne les dates précises, la Commission a reconnu que le père de son fils l’avait maltraitée à maintes reprises. Elle a été blessée, et il l’a menacée de mort. Elle a décrit un incident s’étant produit en 2000, au cours duquel son agresseur l’a frappée avec une arme, ce qui lui a causé une coupure nécessitant qu’elle se rende à l’hôpital pour obtenir des points de suture. Elle a décrit un deuxième incident, s’étant produit en 2001, au cours duquel son agresseur l’a poignardé, ce qui a nécessité des soins hospitaliers.

 

[4]               Après avoir accouché, la demanderesse principale a vécu avec le père de son fils pendant un mois, pour ensuite aller vivre chez sa mère. Son agresseur a continué de la menacer et d’user de violence à son égard alors qu’elle vivait chez ses parents.

 

[5]               En 2002, après un incident violent au cours duquel son agresseur l’avait giflée, la demanderesse principale a contacté les policiers. Ceux-ci ont donné un avertissement à son agresseur et l’ont contraint à quitter les lieux.

 

[6]               La demanderesse principale a relaté qu’elle a commencé, en 2002 également, à travailler dans un restaurant, où son agresseur s’est présenté à maintes reprises pour la harceler. Le « patron » de la demanderesse au restaurant a toujours fait en sorte que son agresseur quitte l’établissement.

 

[7]               Entre 2002 et 2006, la demanderesse principale a continué à faire l’objet de harcèlement de la part de son agresseur, qui a menacé de la tuer et de partir avec son fils.

 

La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[8]               Le 3 mars 2010, la Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs. Puisque la Commission a reconnu que la demanderesse principale avait été victime de violence aux mains de son agent de persécution prétendu pendant sa relation avec ce dernier, la Commission a déclaré, au paragraphe 7, qu’elle avait examiné les directives Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe adoptées par le président le 28 juin 2002 en vertu de la Loi.

 

[9]               Au paragraphe 8, la Commission a déclaré que la question déterminante était la protection de l’État. La Commission a exposé le droit applicable à l’égard de la protection de l’État aux paragraphes 9 et 10 de la décision :

¶9.       Dans son évaluation de la question relative à la protection de l’État, la Commission s’appuie sur un certain nombre de décisions de la Cour fédérale et de la Cour suprême du Canada. Il existe une présomption selon laquelle l’État est capable de protéger ses citoyens, sauf lorsqu’il y a un effondrement complet de l’appareil étatique. Un demandeur d’asile peut réfuter cette présomption au moyen d’une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État d’assurer sa protection. Il incombe au demandeur d’asile de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection dans les cas où cette protection peut raisonnablement être assurée.[1]

 

¶10.     Aucun gouvernement ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps, et le fait qu’il ne réussisse pas toujours protéger ses citoyens ne suffit pas pour justifier une demande d’asile, tout particulièrement lorsqu’un État a le contrôle efficient de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens.[2] Le fait qu’un État n’assure pas une protection parfaite ne suffit pas en soi à établir que cet État ne veut ni ne peut offrir une protection suffisante.[3]

 

 

 

[10]           La Commission a tenu compte des mesures prises par la demanderesse principale pour solliciter la protection de l’État. La Commission a mentionné que, bien que la demanderesse principale ait prétendu être allée à l’hôpital à deux reprises pour y recevoir des traitements en raison des agressions dont elle avait été victime, elle n’avait présenté aucune preuve documentaire pour corroborer cette prétention. La Commission a aussi mentionné que la demanderesse principale n’avait, dans aucun des deux cas, contacté les autorités de l’État. La Commission a tenu compte de l’explication de la demanderesse principale, voulant qu’elle n’ait pas contacté les forces policières parce que son agresseur l’avait suivie à l’hôpital et qu’elle était, par conséquent, trop effrayée, mais la Commission a semblé remettre en question cette prétention, en mentionnant que la demanderesse principale n’avait pas non plus contacté les policiers après avoir quitté l’hôpital.

 

[11]           La Commission a déclaré que la demanderesse principale n’avait fait des démarches auprès de la police qu’à une seule occasion : en 2002, lorsqu’elle vivait chez sa mère et qu’elle avait été giflée par son agresseur. La demanderesse principale a reconnu qu’un rapport de police avait été rempli quant à cet incident, mais qu’elle avait été incapable d’en obtenir une copie pour la Commission. La Commission a déclaré que la demanderesse principale croyait que la réaction des policiers n’avait pas été adéquate, du fait qu’ils n’avaient pas procédé à l’arrestation de son agresseur.

 

[12]           La Commission a conclu que la preuve présentée par la demanderesse principale ne contenait aucun détail relativement à de quelconques incidents pouvant s’être produits entre la violence de 2002 et le moment où les demandeurs ont quitté Sainte-Lucie en 2006, bien que la preuve ait indiqué que la demanderesse principale était continuellement harcelée par son agresseur. La demanderesse principale a cependant reconnu ne pas avoir signalé à la police qu’elle était constamment victime de harcèlement ou de menaces au cours de cette période. Elle a expliqué qu’elle ne croyait pas que la police l’aiderait.

 

[13]           Au paragraphe 15, la Commission a conclu que la demanderesse principale n’avait pas fait preuve de diligence en vue d’obtenir la protection de l’État :

¶15.     La Commission conclut que la demandeure d’asile principale n’a pas fait preuve de diligence pour ce qui est d’obtenir la protection de l’État. La Commission prend particulièrement acte du fait que la demandeure d’asile principale a subi des blessures à deux reprises et qu’elle n’a pas communiqué avec la police. Pourtant, elle l’a appelée lorsqu’elle a plus tard été brutalisée chez sa mère. La demandeure d’asile principale n’a pas, depuis 2002, fait appel à la police ou à quelque autre autorité étatique.

 

 

 

[14]           La Commission a examiné la preuve documentaire traitant de la disponibilité de la protection de l’État à Sainte-Lucie. Elle a conclu que Sainte-Lucie est une démocratie dotée d’un appareil judiciaire indépendant et fonctionnel et que les forces policières de l’État sont compétentes et bien organisées. Ces dernières sont hiérarchisées et offrent à la population une procédure leur permettant de se plaindre à des niveaux plus élevés s’ils sont mécontents des services offerts par les policiers.

 

[15]           La Commission a conclu que la violence à l’endroit des femmes constitue un problème à Sainte-Lucie. Elle a examiné la preuve de la demanderesse portant que les efforts de l’État pour enrayer la violence envers les femmes ne sont pas efficaces. Elle a particulièrement tenu compte d’un rapport de l’organisation non gouvernementale CAFRA et des observations du conseil selon lesquelles les policiers ne prennent pas les plaintes au sérieux.

 

[16]           La Commission conclut qu’il existe une force de sécurité efficace pour protéger les femmes contre la violence en milieu familial. Aux paragraphes 18 et 20, la Commission a repris une grande partie des éléments saillants de la preuve documentaire [renvois omis] :

¶18.     Le ministère de la Santé, des Services sociaux et des Relations entre les sexes est chargé de régler le problème que représente la violence conjugale. Une plus grande reconnaissance de la violence fondée sur le sexe a incité le gouvernement et les groupes de défense des droits à prendre des mesures pour mieux protéger les victimes. La loi de 1995 sur la violence conjugale (Domestic Violence Act) interdit la violence envers les femmes et les enfants et contient des dispositions relatives aux ordonnances de protection et aux ordonnances d’occupation, qui permettent l’expulsion d’un agresseur hors du domicile familial. Un tribunal spécial de la famille s’occupe des questions liées à la violence conjugale, et, en règle générale, les lois sont appliquées. Le tribunal est conçu pour venir en aide aux victimes. Ainsi, un demandeur n’a pas à retenir les services d’un avocat pour entreprendre une procédure. Les travailleurs sociaux du tribunal aident les victimes à obtenir des ordonnances de protection et examinent les allégations afin de déterminer l’urgence du besoin. Les policiers ont suivi une formation spéciale sur la sensibilisation à l’égard des sexes. Il est reconnu que certains d’entre eux sont toujours réticents à intervenir. Toutefois, le délai d’intervention est souvent attribuable au fait que les policiers manquent de moyens de transport.

 

[…]

 

¶20.     La preuve documentaire confirme, statistiques à l’appui, qu’en cas de violence conjugale, des enquêtes sont menées, des poursuites sont intentées, des déclarations de culpabilité sont prononcées et des ordonnances de protection sont émises. Des problèmes de dénonciation existent toujours étant donné que les victimes sont souvent réticentes à se manifester et à déposer des accusations, ou alors elles retirent leur plainte parce qu’elles dépendent financièrement de leur agresseur.

 

 

[17]           La Commission a aussi conclu que les victimes de violence en milieu familial peuvent bénéficier de bon nombre de services d’appui [renvois omis] :

¶19.     La preuve documentaire indique également que le centre de crise pour les femmes de Sainte-Lucie (Saint Lucia Crisis Centre for Women) offre des services de soutien aux victimes de violence physique, sexuelle et psychologique. De plus, le centre de soutien pour femmes (Women’s Support Centre), qui est un refuge pour femmes subventionné par le gouvernement, fournit des services en résidence, des services d’intervention en cas de crise, des services de consultation et des services d’éducation du public, et aide les victimes qui souhaitent présenter au tribunal une demande d’ordonnance de protection. Le centre dispose d’une ligne d’aide téléphonique qui est en service en tout temps, et des intervenants peuvent aller chercher les victimes à toute heure.

 

[18]           Au paragraphe 21, la Commission a conclu que le manque de confiance de la demanderesse principale envers la disponibilité de la protection de l’État n’était pas étayé par la preuve :

¶21.     La demandeure d’asile principale croit qu’elle ne pourrait bénéficier de la protection de l’État puisque, selon elle, la police ne prend pas les mesures nécessaires. La Commission estime que cette déclaration est vague et hypothétique, et qu’elle ne correspond pas à ce qu’indiquent les organismes impartiaux qui surveillent les conditions à Sainte-Lucie. La Commission juge, à la lumière de la preuve documentaire à sa disposition, qu’il y a une force de sécurité efficace dans le pays, et que le manque d’empressement des policiers, bien que réel, n’est pas généralisé.

 

 

LA LOI

[19]           L’article 96 de la Loi accorde la protection aux réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :   

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;   

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,   

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or   

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country

 

[20]           L’article 97 de la Loi protège les personnes dont le renvoi les exposerait au risque d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :   

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;   

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally   

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or   

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

LA QUESTION EN LITIGE

[21]           La seule question en litige soulevée dans la présente demande est de déterminer si la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État était raisonnable.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[22]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a statué, au paragraphe 62, que la première étape de l’analyse relative à la norme de contrôle est de « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, le juge Binnie, au paragraphe 53.

 

[23]           Les questions concernant la protection de l’État sont des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit. Elles portent sur le poids relatif accordé à la preuve, sur l’interprétation et l’appréciation de cette preuve et sur la question de savoir si la Commission a bien tenu compte de l’ensemble de la preuve pour arriver à une décision. Il est manifeste, à la suite des arrêts Dunsmuir et Khosa, que de telles questions doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable : voir, par exemple, mes décisions dans les affaires Corzas Monjaras c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 771, au paragraphe 15, et Rodriguez Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1029, au paragraphe 25.

 

[24]           Lors du contrôle judiciaire d’une décision de la Commission selon la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attardera à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et « à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

ANALYSE

Question en litige :     La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État?

[25]           Les demandeurs prétendent que, lorsqu’un demandeur a demandé la protection de l’État et que celle-ci ne lui a pas été accordée, une preuve objective est suffisante pour réfuter la protection de l’État. Dans la présente affaire, les demandeurs soutiennent que la demanderesse principale a bel et bien fait des démarches auprès de la police à une occasion, mais que la protection de l’État ne s’est pas concrétisée. Par conséquent, la demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire objective portant sur le caractère inadéquat de la protection de l’État. La demanderesse prétend de plus que la Commission a commis une erreur en mettant l’accent sur la disponibilité de mécanismes ou d’organismes de protection pour les victimes de violence familiale, plutôt que sur l’efficacité de la protection qu’ils offraient.

 

[26]           Aux paragraphes 9 et 10, cités ci-dessus, de sa décision, la Commission a décrit le droit applicable en ce qui concerne la protection de l’État. Comme l’a reconnu la Commission, la question est de savoir si la protection de l’État est adéquate; on n’exige pas la perfection.

 

[27]           La question de savoir si le critère en matière de protection de l’État est le caractère adéquat ou celui de « l’efficacité » a fait l’objet d’analyses par le passé. Dans la décision Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 723, le juge Mosley déclare, au paragraphe 8, que « [Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94] [...] a confirmé que le critère applicable n’est pas en soi celui de l’efficacité mais plutôt celui du caractère adéquat ». Cette prise de position a depuis été maintenue dans bon nombre de décisions rendues par la Cour. Dans Cosgun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 400, au paragraphe 52, le juge Crampton a conclu :

¶52.     En fonction de l’analyse qui précède des causes citées par les parties, je suis d’accord avec le défendeur que le droit établit maintenant clairement que le critère approprié pour évaluer la protection de l’État est de savoir si le pays est capable et désireux de fournir une protection adéquate. En bref, une personne qui demande à être protégée en vertu des articles 96 ou 97 de la LIPR doit établir, par une preuve claire et convaincante, selon la prépondérance des probabilités, l’incapacité ou l’absence de volonté de l’État de fournir une protection adéquate. Ce fardeau de la preuve demeure le même, peu importe le pays qui fait l’objet de l’évaluation, même si le fardeau de présentation requis pour réfuter la présomption de la protection de l’État adéquate augmentera avec le niveau de démocratie de l’État en question. (Carrillo, précité, aux par. 25 et 26.)

 

 

 

[28]           Dans la présente affaire, les demandeurs prétendent que la Commission disposait d’une preuve documentaire imposante relativement au caractère inadéquat de la protection de l’État offerte aux victimes de violence familiale à Sainte-Lucie. Les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas tenu compte des éléments probants suivants :

  1. une réponse à une demande d’information datant de 2006, mentionnant que l’intervention de la police est parfois inefficace, particulièrement dans les situations urgentes, en raison de facteurs comme le manque de moyens de transport des policiers.
  2. une réponse à une demande d’information datant de 2009, mentionnant que le directeur administratif du centre de crise de Sainte-Lucie ne croyait pas que les forces policières étaient efficaces dans la lutte à la violence familiale, ni que la création d’une section policière spécialisée dans la protection des victimes ait amélioré la situation;
  3. la même réponse à une demande d’information, mentionnant qu’un journal avait fait un reportage sur une victime de violence familiale qui avait demandé la protection des forces policières à maintes reprises, sans succès, et qui avait par la suite été tuée par son agresseur.

 

[29]           Les demandeurs soutiennent que cette preuve révèle que les victimes de violence familiale n’ont pas accès à la protection de l’État, et que les mécanismes et organismes dont la mission est d’offrir la protection de l’État n’assurent pas une protection adéquate.

 

[30]           Dans la présente affaire, les motifs de la Commission démontrent que celle-ci a examiné attentivement la preuve documentaire objective, y compris celle allant dans le sens contraire de sa conclusion finale. En fait, la Commission renvoyait directement à la réponse à la demande d’information datant de 2006 sur laquelle se fondaient les demandeurs et a reconnu les problèmes que certaines organisations non gouvernementales avaient signalés relativement à l’efficacité de la protection de l’État. Néanmoins, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à fournir une preuve claire et convaincante, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse principale avait sollicité la protection de l’État ou que la protection de l’État ne serait pas assurée aux demandeurs. La Cour relève en effet que la seule occasion où la demanderesse principale a appelé les policiers, ceux-ci sont venus et se sont occupés de l’agresseur prétendu d’une manière raisonnable.

 

[31]           Les motifs de la Commission sont justifiés, transparents et intelligibles.

 

DISPOSITIF

[32]           Il était raisonnable pour la Commission de conclure que la preuve présentée par les demandeurs ne la convainquait pas, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs ne bénéficiaient pas d’une protection de l’État adéquate à Sainte-Lucie. Par conséquent, rien ne justifie que la Cour intervienne à l’égard de la conclusion rendue par la Commission.

 

CERTIFICATION D’UNE QUESTION

[33]      Les deux parties ont informé la Cour qu’elles estimaient que la présente affaire ne soulevait pas de question grave de portée générale qu’il conviendrait de certifier en vue d’un appel. La Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1768-10

 

INTITULÉ :                                       LANA SHERRY HIPPOLYTE et autre c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jelena Urosevic

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker,

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

[2] Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).

[3] Milev, Dane c. M.C.I. (C.F. 1re inst.), no IMM-1125-95), MacKay, 28 juin 1996.

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