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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110124

Dossier : IMM-2138-10

Référence : 2011 CF 80

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2011

En présence de Monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

 

NDUE MALOCAJ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]             Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 15 mars 2010, que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), parce qu’il ne craint pas avec raison d’être persécuté en Albanie pour un motif de la Convention et qu’il ne serait pas exposé personnellement à une menace à sa vie ou au risque de subir des traitements ou peines cruels ou inusités ni au risque d’être soumis à la torture en Albanie.

 

LES FAITS

Le contexte

[2]             Le demandeur, un citoyen de l’Albanie âgé de 45 ans, est entré au Canada le 23 janvier 2008 et y a demandé l’asile au motif qu’il est en danger de mort en Albanie à cause d’une vendetta, qui a débuté en 1996, opposant sa famille et une famille voisine.

 

[3]             Le demandeur est d’abord entré aux États-Unis en 1995 (quand il avait 30 ans) muni d’une carte verte temporaire et d’un visa lui permettant d’y séjourner et d’y travailler pendant deux ans, documents qu’il avait reçus après avoir épousé une citoyenne américaine. À ce moment, la vendetta sous-tendant sa demande d’asile au Canada n’avait pas encore commencé.

 

[4]             Après deux mois, le mariage a pris fin, et le demandeur a divorcé de son épouse. Il a demandé le renouvellement de sa carte verte temporaire, ce qui lui a été refusé.

 

[5]             En 1999, le demandeur a revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis en se fondant sur sa crainte d’être persécuté pour des raisons politiques. Cette demande a été refusée en septembre 1999, et l’appel faisant suite à cette décision a aussi été rejeté le 5 juin 2002. Le demandeur est désormais interdit de territoire aux États-Unis pour dix ans conformément aux dispositions des lois américaines régissant les étrangers qui ont séjourné illégalement aux États-Unis pendant plus d’un an. Le demandeur a expliqué dans son témoignage qu’il avait été informé qu’il ne pouvait se réclamer de la protection des États-Unis en invoquant une vendetta. Il n’a pas mentionné la persécution pour des raisons politiques dans la demande d’asile au Canada qui est l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[6]             En 2007, le demandeur s’est marié de nouveau. Sa nouvelle épouse est résidente permanente des États-Unis et a deux enfants qui sont citoyens américains. Elle ne peut parrainer le demandeur pour qu’il obtienne la nationalité américaine avant cinq ans.

 

[7]             Le demandeur fonde sa demande d’asile sur la crainte d’une menace à sa vie découlant de la vendetta entre sa famille et une famille voisine, les Nekolli, en Albanie. Il a raconté que son cousin, en 1996, a abattu par balles un membre de la famille Nekolli. Celle-ci, 24 heures plus tard, lançait une vendetta contre tous les hommes appartenant à la famille du demandeur.

 

[8]             Le demandeur a expliqué que 20 hommes de sa famille se cachent depuis 1996 et que deux de ses frères ont quitté l’Albanie – un en 1996 et un autre, en 1997. Cinq membres de sa famille – le père du demandeur, un oncle et trois cousins – restent terrés dans leurs maisons encore aujourd’hui. Ils survivent depuis 13 ans grâce aux femmes de la famille et à l’argent que le demandeur d’asile leur envoie.

 

[9]             Dans son témoignage, le demandeur a déclaré que la seule fois où des hommes qui sont encore cachés ont quitté leur domicile, c’était en février 2003, quand un cousin a amené son fils malade à l’hôpital. L’homme a reçu une balle à la jambe quand il s’est aventuré à l’extérieur.

 

[10]         Le cousin qui a assassiné le membre de la famille Nekolli et a provoqué la vendetta a été arrêté en 2002 et purge une peine de 14 ans de prison. Malgré cette arrestation et malgré les tentatives de réconciliation faites par la famille Malocaj au moyen de la médiation, le demandeur a précisé que la vendetta se poursuit encore aujourd’hui.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[11]         Le 15 mars 2010, la Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur. Elle a déclaré qu’elle devait trancher trois questions déterminantes :

1.       La crédibilité du témoignage du demandeur d’asile;

2.       L’élément subjectif de la crainte fondée de persécution et l’élément objectif de cette même crainte, particulièrement les personnes par lesquelles le demandeur d’asile craint d’être persécuté;

3.       La disponibilité d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) en Albanie.

 

[12]         Au sujet de la crédibilité (la première question déterminante), la Commission a tiré la conclusion suivante, au paragraphe 14 :

¶14.      La crédibilité constituait une question principale en l’espèce. Dans Maldonado, la Cour a statué que le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile est présumé véridique, à moins qu’il n’existe des raisons valables d’en douter. Les éléments de preuve substantiels du demandeur d’asile ont soulevé des préoccupations en matière de crédibilité dans l’esprit du tribunal, qui n’ont pas été dissipées de manière satisfaisante. De l’avis du tribunal, le témoignage du demandeur d’asile était en grande partie invraisemblable, ce qui suffisait à réfuter la présomption de véracité.

 

 

[13]         La Commission a donné les motifs suivants pour conclure que le demandeur n’était pas crédible :

1.   La Commission n’a pas accordé foi aux propos du demandeur d’asile quand il a expliqué pourquoi c’était son cousin qui avait emmené son enfant à l’hôpital en 2003 quand, entre 1996 et 2003, seules les femmes s’étaient aventurées en dehors de la maison. La Commission a jugé peu plausible que la famille mette la vie de l’enfant en danger en laissant un homme de la famille le conduire à l’hôpital. Elle a déclaré ce qui suit au paragraphe 15 :

¶15. […] Puisque les femmes ont été les seules à s’aventurer à l’extérieur de 1996 à 2003, il serait raisonnable pour le tribunal de s’attendre à ce que, selon la prépondérance des probabilités, ce soit la femme de la famille qui amène l’enfant à l’hôpital et évite d’exposer celui-ci à un risque, compte tenu du témoignage du demandeur d’asile selon lequel l’homme risquait de se faire tirer dessus.

 

2.    On retrouve la conclusion suivante de la Commission à ce même paragraphe 15 :

¶15. […] Il serait aussi raisonnable de s’attendre à ce que, selon la prépondérance des probabilités, si la famille Nekolli souhaitait sérieusement tuer un homme de la famille du demandeur d’asile, après 13 ans d’attente, elle n’aurait pas laissé le cousin s’en tirer simplement avec une blessure à la jambe.

 

3.   La Commission a également tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur d’asile quant à l’affirmation de ce dernier selon laquelle les membres de sa famille se satisfont encore de vivre en reclus. Elle a rejeté l’explication donnée par le demandeur, soit que son père a 75 ans et est disposé à mourir chez lui, tandis que les autres membres de la famille n’ont pas pu quitter le pays parce qu’ils n’avaient pas les 5 000 $ ou 6 000 $ nécessaires à l’époque. Elle a déclaré ce qui suit au paragraphe 16 :

¶16 […] Le tribunal fait remarquer que deux des frères du demandeur d’asile ont réussi à quitter l’Albanie pour se rendre en Italie et en France, respectivement. Il serait raisonnable pour le tribunal de s’attendre à ce que, selon la prépondérance des probabilités, d’autres membres de la famille aient tenté de quitter l’Albanie, plutôt que d’accepter de vivre en réclusion chez eux pendant 13 ans et d’être incapables de travailler et de subvenir aux besoins de leur famille. Le tribunal tire une conclusion défavorable de ce comportement. Il estime que ce témoignage n’est absolument pas digne de foi ni crédible, et que, selon la prépondérance des probabilités, les incidents tels qu’ils ont été décrits ne sont jamais survenus. Par conséquent, il ne croit pas les faits allégués par le demandeur d’asile dans sa demande d’asile.

 

4.    La Commission a rejeté le témoignage du demandeur au sujet des tentatives de réconciliation de sa famille. Le demandeur d’asile a soumis en preuve deux lettres confirmant les tentatives de réconciliation qui ont été faites par l’entremise d’aînés du village; l’une est datée du 12 novembre 2008 et l’autre, du 7 octobre 2009. La Commission s’est exprimée comme suit :

Compte tenu de la conclusion défavorable qu’il a tirée concernant la crédibilité en l’espèce, le tribunal n’accorde aucun poids à ces documents et conclut, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils ont été fabriqués afin d’avantager la demande d’asile du demandeur d’asile.

 

5.   La Commission a aussi jugé non crédible une lettre des Missionnaires de la réconciliation et de la paix de l’Albanie, organisme mis sur pied pour régler les vendettas, datée du 10 février 2008.

 

 

[14]           Pour ce qui est de la crainte fondée de persécution en Albanie (la deuxième question déterminante), la Commission a conclu que le demandeur n’était pas parvenu à réfuter la présomption de l’existence de la protection de l’État. Cela signifie qu’il n’a prouvé ni l’élément objectif ni l’élément subjectif de sa crainte de persécution. La Commission a déclaré au paragraphe 15 de la décision :

¶15 La question déterminante en l’espèce est l’élément objectif de la crainte fondée de persécution, particulièrement les personnes par lesquelles le demandeur d’asile craint d’être persécuté s’il doit retourner en Albanie.

 

 

[15]           La Commission a expliqué comme suit pourquoi elle a constaté que l’État pouvait protéger la famille du demandeur et pourquoi elle a rejeté la partie de son témoignage où il affirme que sa famille a tenté de se réclamer de la protection de l’État :

1.    La Commission a jugé que la preuve documentaire établissait que l’État peut offrir sa protection pour combattre les vendettas. Les éléments de preuve révèlent que la loi prévoit une peine d’emprisonnement de 20 ans pour un meurtre lié à une vendetta.

2.    La Commission a reconnu que, selon les éléments de preuve documentaires, il est possible que la protection offerte soit insuffisante dans des cas particuliers, mais elle a souligné qu’en l’espèce, la police est intervenue relativement au présumé meurtre et a condamné le cousin du demandeur à 14 ans de prison.

3.    La Commission a déclaré que la preuve concernant les tentatives faites par la famille du demandeur en vue d’obtenir la protection de l’État n’était pas suffisante pour les raisons suivantes :

                                   i.Le demandeur d’asile n’était pas en Albanie à l’époque et se fonde sur les comptes rendus des membres de sa famille pour ce qui est de la diligence avec laquelle ils ont demandé la protection des autorités albanaises,

                                 ii.La preuve documentaire décrit les étapes à suivre pour régler une vendetta. Il y a des rencontres informelles préliminaires entre les médiateurs et les parties, suivies d’une demande officielle de médiation adressée par une des familles en cause à l’organisme de réconciliation, puis une surveillance effectuée par l’organisme en collaboration avec la police et les autorités locales. La Commission a souligné que le président de la réconciliation nationale avait affirmé que son groupe respectait strictement la confidentialité et ne gardait qu’un compte rendu des faits les plus importants de chaque dossier. Néanmoins, les familles qui demandent de l’aide doivent fournir des documents supplémentaires, dont des pièces d’identité et une description du conflit. La Commission a conclu :

¶22.     Bien que le demandeur d’asile ait affirmé dans son témoignage que sa famille a rencontré les médiateurs, rien dans la preuve n’indique que les membres de cette famille ont fait des efforts sérieux pour trouver une solution au moyen de tous les recours disponibles, y compris la police. Le tribunal estime que, bien que le système de réconciliation et de médiation puisse être imparfait, le gouvernement déploie des efforts sérieux pour résoudre le problème des vendettas.

 

 

[16]           La Commission a affirmé :

¶23.     Le demandeur d’asile a le fardeau de réfuter la présomption de la protection de l’État. Il n’a pas présenté en l’espèce une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’Albanie de protéger ses citoyens.

 

 

[17]           Pour ce qui est de la disponibilité d’une PRI (la troisième question déterminante), la Commission a conclu au paragraphe 24 :

¶24.     Le demandeur d’asile a le fardeau de réfuter la présomption de la protection de l’État. Il n’a pas présenté en l’espèce une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’Albanie de protéger ses citoyens.

 

 

[18]           La Commission a reconnu que l’analyse applicable en matière de PRI comporte deux volets. Premièrement, le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance de la preuve qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit exposé à une menace à sa vie dans la région constituant la PRI proposée. Deuxièmement, il doit être convaincu aussi selon la prépondérance de la preuve que, compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris celles qui sont propres au demandeur d’asile, la situation dans la région constituant la PRI proposée est telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge.

 

[19]           La Commission a souligné que le demandeur d’asile a déclaré dans son témoignage qu’il ne serait en sécurité nulle part en Albanie parce que la famille Nekolli est vaste. Elle a jugé toutefois qu’en raison de la longue absence du demandeur, il serait raisonnable de conclure que ce dernier pourrait retourner en Albanie sans risque :

¶27. […] Le tribunal souligne qu’il ne vit plus en Albanie depuis presque 15 ans et, par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, estime déraisonnable de conclure que la famille Nekolli serait au courant de son retour. Il serait aussi déraisonnable de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que, après 15 ans, la famille Nekolli le chercherait dans d’autres villes de l’Albanie. Il serait raisonnable pour le tribunal de s’attendre à ce que, si le demandeur d’asile éprouvait des problèmes, il en informerait les autorités locales.

 

 

[20]           La Commission a constaté par ailleurs que la situation dans la région constituant la PRI proposée, Tirana, serait acceptable compte tenu des circonstances qui sont propres au demandeur :

¶28.     Rien n’indique que le demandeur d’asile en l’espèce ne pourrait pas trouver un emploi convenable à Tirana. Il compte 12 ans de scolarité et il a travaillé dans le domaine de l’entretien et comme camionneur. Il a vécu aux États-Unis durant 13 ans et au Canada durant 2 ans, pays où il a appris l’anglais, ce qui constituera sans doute un atout pour lui dans sa recherche d’un emploi à Tirana. Le tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve selon lequel le demandeur d’asile n’aurait pas accès à des soins médicaux ou subirait d’autres préjudices physiques à Tirana. Le tribunal estime que les difficultés auxquelles le demandeur d’asile pourrait faire face s’il déménageait à Tirana sont des difficultés liées à la réinstallation et aux bouleversements qui y sont associés et ne font pas partie des difficultés qui rendent une PRI déraisonnable.

 

[21]           En dernier lieu, la Commission a tiré la conclusion suivante au paragraphe 29 :

¶29.     Je suis d’avis que le désir du demandeur d’asile de vivre au Canada n’est pas motivé par la crainte, mais constitue une tentative de demeurer en Amérique du Nord à la suite de ses tentatives infructueuses de rester aux États-Unis, y compris au moyen d’une demande d’asile fondée sur des motifs politiques. Bien que le tribunal puisse comprendre les motifs pour lesquels le demandeur d’asile souhaite demeurer en Amérique du Nord, ils ne peuvent servir de fondement à une demande d’asile. Ses motifs, s’il désire vivre au Canada, relèvent du droit sur l’immigration et non du droit relatif aux réfugiés.

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

[22]           L’article 96 de la Loi accorde protection aux réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country

 

[23]           L’article 97 de la Loi accorde protection aux personnes qui seraient personnellement, par leur renvoi, exposées au risque d’être soumises à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de peines ou traitements cruels ou inusités :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[24]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.        La Commission a-t-elle commis une erreur de droit quand elle a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible et digne de foi en fondant ses conclusions défavorables au sujet de la crédibilité sur des incohérences ou des invraisemblances apparentes et non pas réelles?

2.        La Commission a-t-elle commis une erreur de droit quand elle a conclu qu’il ne fallait accorder aucune force probante aux documents présentés, sans qu’elle ait d’abord pris connaissance des documents en question?

3.        La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a traité de la question de l’article 97 et a conclu que l’État albanais offrait une protection et qu’il existait une PRI viable?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[25]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a statué, au paragraphe 62, qu’à la première étape du processus de contrôle judiciaire la cour de révision « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, juge Binnie, paragraphe 53.

 

[26]           Comme je l’ai reconnu dans Wu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 929, paragraphe 17, les conclusions en matière de vraisemblance et de crédibilité sont de nature factuelle. La jurisprudence postérieure à Dunsmuir a établi que la norme de contrôle appropriée relativement aux conclusions de nature factuelle était celle de la décision raisonnable : voir par exemple la décision Saleem c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 389, paragraphe 13; Malveda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 447, paragraphes 17 à 20; Khokhar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 449, paragraphes 17 à 20, et mon jugement récent Dong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 55, paragraphe 17.

 

[27]           La protection de l’État et l’existence d’une PRI constituent des questions mixtes de fait et de droit. Les jugements récents ont confirmé que la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la protection de l’État et à la PRI était celle de la décision raisonnable. Pour ce qui est de la protection de l’État, voir par exemple mes décisions dans Corzas Monjaras c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 771, paragraphe 15; Rodriguez Perez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1029, paragraphe 25. Pour ce qui est de la PRI, voir par exemple Mejia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 354, paragraphe 29; Syvyryn c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1027, 84 Imm. L.R. (3d) 316, paragraphe 3, et mon jugement récent dans Alvarez Cortes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 770, paragraphe 15.

 

[28]           La norme de contrôle en l’espèce est donc celle de la décision raisonnable. Quand elle évalue la décision de la Commission à la lumière de cette norme, la Cour doit en examiner le caractère raisonnable, qui « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, paragraphe 47; Khosa, précité, paragraphe 59.

 

ANALYSE

Question 1 :    La Commission a-t-elle commis une erreur quand elle a fondé ses conclusions défavorables au sujet de la crédibilité sur des incohérences ou des invraisemblances apparentes et non pas réelles?

[29]           Le demandeur soutient que la Commission a tiré deux conclusions défavorables erronées au sujet de sa crédibilité. Tout d’abord, elle a eu tort de conclure qu’il était peu plausible que le cousin du demandeur ait amené son enfant à l’hôpital au lieu d’envoyer une des femmes. Le demandeur souligne que la Commission ne lui a pas fait part de ce doute. Si elle l’avait interrogé, il aurait expliqué que son cousin avait été obligé de le faire parce qu’aucune des femmes ne savait conduire et que l’enfant devait être amené à l’hôpital en voiture.

 

[30]           Ensuite, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable relativement à sa crédibilité du fait qu’aucun membre de sa famille qui vit encore en réclusion n’a tenté de quitter l’Albanie. Selon le demandeur, l’explication qu’il a donnée à la Commission – soit qu’il n’y avait aucune possibilité pour les hommes de s’enfuir puisqu’ils ne pouvaient pas sortir de la maison, qu’il était improbable qu’ils reçoivent des visas et qu’ils n’avaient pas les moyens financiers de voyager – était raisonnable et n’aurait donc pas dû être rejetée par la Commission.

 

[31]           Dans Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315, paragraphe 4, la Cour d’appel fédérale a reconnu que les conclusions relatives à la crédibilité et à la plausibilité résident au cœur de la compétence spécialisée de la Commission :

¶4.       Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

 

 

 

[32]           Quant à la première inférence concernant l’implausibilité, la Cour conclut qu’elle était raisonnable. Si seules les femmes de la famille pouvaient sortir de la maison entre 1996 (quand la vendetta a commencé) et 2003 (année où l’enfant a dû être amené à l’hôpital), il était raisonnable pour le commissaire de conclure que ce serait une femme qui conduirait l’enfant à l’hôpital puisqu’ on éviterait ainsi d’exposer l’enfant à un danger, étant donné que tous les hommes de la famille risquaient de se faire tirer dessus. À l’audience, l’avocat du demandeur s’est appuyé sur un affidavit du demandeur expliquant que les femmes de la famille ne savaient pas conduire. Cet élément de preuve n’a pas été présenté à la Commission. En outre, il engendre bien des questions. Si les femmes étaient les seules à pouvoir s’aventurer en dehors de la maison entre 1996 et 2003, comment pouvaient-elles se procurer de quoi subsister ou aller travailler à l’extérieur sans avoir accès à une automobile? En outre, la Cour estime qu’il n’était pas vraisemblable qu’aucune femme n’accompagne l’enfant à l’hôpital. Suivant son instinct maternel, une mère accompagnerait son enfant malade emmené à l’hôpital, peu importe qui est au volant de la voiture. Ensuite, la preuve indique que l’homme a été atteint à la jambe. À l’audience, l’avocat du demandeur a précisé qu’il s’agissait d’une fusillade au volant d’une voiture. Si les balles ont été tirées d’une voiture à une autre, comment l’homme a-t-il pu être atteint à la jambe? Celle-ci aurait été protégée, et seulement la tête et le haut du corps auraient été exposés aux balles. Pour ces motifs, la Cour est d’avis qu’il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure à l'invraisemblance de cette partie du témoignage.

 

[33]           Quant à la deuxième inférence concernant l’implausibilité invoquée par le demandeur, la Commission souligne que, sur les 20 hommes de la famille qui vivaient en réclusion en 1996, seulement cinq étaient toujours reclus à la date de l’audience, en 2009. Cela signifie que 15 hommes ont pu quitter le pays, y compris les deux qui se sont rendus en France et en Italie. Voilà qui confirme le bien-fondé de la conclusion de la Commission au sujet de l’implausibilité, soit qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce que « d’autres membres de la famille aient tenté de quitter l’Albanie, plutôt que d’accepter de vivre en réclusion chez eux pendant 13 ans et d’être incapables de travailler et de subvenir aux besoins de leur famille ». Ce fait jette un doute sur l’argument du demandeur, selon lequel il serait obligé de vivre en reclus dans la maison familiale s’il était renvoyé en Albanie.

 

[34]           Par conséquent, la Cour conclut qu’il était loisible à la Commission de juger le témoignage du demandeur peu crédible et que les motifs qu’elle a invoqués étaient justifiables, transparents et intelligibles. En conséquence, il n’y a aucune raison pour la Cour d’intervenir dans la conclusion de la Commission sur la crédibilité.

 

 

 

Question 2 :    La Commission a-t-elle commis une erreur de droit quand elle a conclu qu’il ne fallait accorder aucune force probante aux documents présentés, sans qu’elle ait d’abord pris connaissance des documents en question?

[35]           Le demandeur soutient que, même si la Commission estime qu’il n’est pas crédible, elle doit analyser la preuve documentaire afin de déterminer si elle appuie la demande d’asile du demandeur. En l’espèce, le demandeur est d’avis que la Commission a commis une erreur en refusant d’accorder foi aux documents présentés en raison de son inférence défavorable au sujet de la crédibilité. Selon le demandeur, la Commission a également fait erreur en négligeant de motiver son rejet des autres documents qu’il a produits pour corroborer l’existence d’une vendetta.

 

[36]           Contrairement à ce qu’avance le demandeur, la Cour estime que la Commission a bien examiné la preuve documentaire qu’il a présentée. À l’appui de son observation suivant laquelle la Commission doit analyser la preuve documentaire indépendamment de ses conclusions au sujet de la crédibilité, le demandeur invoque la décision du juge Nadon dans Hamid c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’ Immigration), [1995] 58 A.C.W.S. (3d) 469. Dans cette affaire, toutefois, le juge Nadon a statué que la Commission pouvait s’appuyer sur ses conclusions relatives à la crédibilité quand elle examine la preuve documentaire :

Par conséquent, à mon avis, la prétention du requérant voulant que la Commission soit tenue d'analyser la preuve documentaire « indépendamment du témoignage du requérant » doit être examinée dans le contexte des procédures informelles qui s'appliquent devant la Commission. Lorsqu'une commission, comme vient de le faire la présente, conclut que le requérant n'est pas crédible, dans la plupart des cas, il s'ensuit nécessairement que la Commission ne donnera pas plus de valeur probante aux documents du requérant, à moins que le requérant ne puisse prouver de façon satisfaisante qu'ils sont véritablement authentiques. En l'espèce, la preuve du requérant n'a pas convaincu la Commission qui a refusé de donner aux documents en cause une valeur probante. Autrement dit, lorsque la Commission estime, comme ici, que le requérant n'est pas crédible, il ne suffit pas au requérant de déposer un document et d'affirmer qu'il est authentique et que son contenu est vrai. Une certaine forme de preuve corroborante et indépendante est nécessaire pour compenser les conclusions négatives de la Commission sur la crédibilité.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[37]           En l’espèce, la Commission a conclu que les deux lettres « ont été fabriqué[e]s afin d’avantager la demande d’asile du demandeur d’asile ». Les détails des inférences tirées par la Commission relativement à la crédibilité – y compris le doute que soulève la date récente des deux lettres, le fait que le demandeur ne recevait que des informations indirectement et l’absence de preuves supplémentaires concernant les tentatives faites par la famille pour régler le problème – portent à conclure qu’il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion à la lumière de la preuve.

Question 3 :        La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a traité de la question de l’article 97 et a conclu que l’État albanais offrait une protection et qu’il existait une PRI viable?

[38]           Selon le demandeur, la Commission a négligé de tenir compte adéquatement des preuves documentaires mentionnant les difficultés qu’éprouve l’État albanais à protéger véritablement les victimes de vendettas. En particulier, le demandeur fait valoir que la Commission a commis l’erreur suivante dans son analyse des documents concernant la protection offerte par l’État :

[traduction] 1. La Commission n’a pas suffisamment tenu compte des énoncés figurant dans son document de fond sur la situation au pays daté de mai 2008, suivant lequel le gouvernement est incapable de lutter efficacement contre les vendettas et qu’il n’y a aucune loi spéciale en vigueur pour intervenir.

 

[39]           La Commission a précisé le critère applicable en matière de PRI et examiné la viabilité d’une PRI compte tenu du témoignage du demandeur. Elle a conclu que ce dernier se trouvait en dehors du pays depuis 15 ans, qu’il avait quitté l’Albanie avant le début de la vendetta et qu’il n’y avait aucune raison de croire que la famille Nekolli le recherchait. Par conséquent, elle était d’avis que le demandeur pouvait retourner en toute sécurité dans la région visée par la PRI, Tirana.

 

[40]           La Cour juge qu’il était loisible pour la Commission de conclure comme elle l’a fait au sujet de la PRI compte tenu des éléments de preuve qui lui avaient été présentés.

 

QUESTION CERTIFIÉE

[41]           Les deux parties ont informé la Cour que l’affaire ne soulevait aucune question grave de portée générale qui devrait être certifiée en appel. La Cour est du même avis.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                 IMM-2138-10

 

INTITULÉ :                                                                Ndue Malocaj

                                                                                     c.

                                                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                        LE 11 JANVIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                       LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                               LE 24 JANVIER 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Gertler

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gertler Etienne, LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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