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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

 

 

 


Date : 20110126

Dossier : IMM-1006-10

Référence : 2011 CF 93

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

LEONID REZNITSKI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Aperçu

[1]               Dans quelles circonstances peut-on dire qu’une réponse est complète, voire définitive? Lorsqu’une réponse est donnée et qu’elle ne comporte aucune indication précisant que des informations complémentaires suivront, assurément ou éventuellement, dans un délai imparti, il serait déraisonnable de supposer qu’elle n’est pas définitive. S’il n’en était pas ainsi, toute opération resterait en suspens indéfiniment ou jusqu’à l’expiration du délai prescrit.

 

[2]               Ainsi, comme l’a formulé succinctement dans sa plaidoirie M. Lorne McClenaghan, le conseil du défendeur : [TRADUCTION] « Une réplique d’un demandeur à un agent de visa est-elle une réponse? Oui, elle l’est! » La Cour estime que la réponse est à la fois implicite et explicite.

 

II. Introduction

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), visant la décision par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande de visa de résident permanent présentée par le demandeur.

 

III. Les faits

[4]               Le demandeur, M. Leonid Reznitski, a fait une demande de résidence permanente en tant que travailleur qualifié. Dans sa demande, il a inscrit qu’il était au chômage entre 1996 et 2001.

 

[5]               Le 14 janvier 2010, dans le cadre du processus d’évaluation, le demandeur a été prié de fournir des renseignements supplémentaires dans un délai de 30 jours. En l’occurrence, il devait fournir des copies de passeports, des particularités concernant son service militaire et un compte rendu plus détaillé de ses activités entre 1996 et 2001.

 

[6]               Le 26 janvier 2010, le demandeur a répondu à la lettre du 14 janvier 2010. Il a fourni des copies des passeports de sa famille et lui ainsi que des renseignements sur son service militaire. Toutefois, pour ce qui est de la demande de renseignements supplémentaires concernant ses activités entre 1997 et 2001, le demandeur a choisi de répondre à la demande laconiquement en reformulant sa précédente déclaration, soit « je n’ai pas travaillé ».

 

[7]               L’agent a contrôlé la réponse du demandeur et a conclu qu’il n’était pas convaincu que le demandeur réponde aux critères d’admission en raison de graves lacunes dans les renseignements à propos de ses activités. L’agent a signalé que l’article 16 de la LIPR prévoit que l’auteur d’une demande doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle. Il a fait remarquer que ce qui était exigé du demandeur était un compte rendu de ses activités durant ladite période et non des renseignements sur sa situation d’emploi. Vu le manque de franchise du demandeur, il était impossible pour l’agent de conclure qu’il n’était pas interdit de territoire et par conséquent il a rejeté la demande.

 

[8]               Après avoir reçu la lettre de refus, le demandeur a décidé de fournir davantage de renseignements en embellissant sa réponse initiale.

 

IV. Question en litige

[9]               L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur de principe ou a-t-il rendu une décision de mauvaise foi?

 

 

V. La norme de contrôle

[10]           Le juge Yves de Montigny a récemment rappelé quelle devait être la norme de contrôle applicable dans le cas de décisions d’agents des visas en s’exprimant ainsi :

[15]      […] La Cour a constamment jugé que l’expertise particulière des agents des visas exige la retenue dans le contrôle de leurs décisions. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l’appréciation d’une personne qui demande la résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour doit faire preuve d’une très grande retenue. Dans la mesure où cette appréciation a été faite de bonne foi, en respectant les principes de justice naturelle applicables et sans l’intervention de facteurs extrinsèques ou étrangers à la question, la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent des visas devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable : Postolati c. Canada (M.C.I.), 2003 CFPI 251; Singh c. Canada (M.C.I.), 2003 CFPI 312; Nehme c. Canada (M.C.I.), 2004 CF 64; Bellido c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 452, [2005] A.C.F. no 572 (QL).

 

(Kniazeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268, 288 FTR 282).

 

[11]           En fait, cette norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires des agents de visas s’apparente étroitement à ce que l’on appelait auparavant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et en toute équité, et que l’on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, la cour ne devrait pas modifier la décision (Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 751, 208 FTR 99, au paragraphe 26; Benammar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1176, 112 ACWS (3d) 137, au paragraphe 27). Aujourd’hui, la norme applicable selon l’arrêt Dunsmuir est celle de la raisonnabilité, qui, manifestement, englobe les deux sens, connotatif et dénotatif (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

 

VI. Analyse

[12]           La Cour partage le point de vue du défendeur.

 

[13]           Le demandeur a choisi de ne pas répondre à la question de l’agent en refusant de s’expliquer sur ses activités durant une période de cinq ans. Le fait que le demandeur ait complété sa réponse après avoir reçu la lettre de refus constitue un aveu tacite des lacunes de sa réponse initiale. L’agent était indubitablement en droit de l’estimer également insuffisante et de rejeter la demande conséquemment.

 

[14]           Le demandeur soutient qu’une décision a été rendue dans le dossier avant que ne soit échu le délai de 30 jours prescrit dans la lettre du 14 janvier 2010. L’agent a donné au demandeur 30 jours pour fournir les renseignements; la décision a été rendue avant la date d’échéance parce que le demandeur a produit une réponse avant la fin du délai. La réponse du demandeur est manifestement complète puisque rien n’indique qu’elle est partielle ou que de nouveaux éléments sont à venir. Dans de telles circonstances, l’agent n’est pas tenu de garder le dossier ouvert pendant 30 jours. Il ressort de manière parfaitement claire de la réponse du demandeur que sa (non) réponse est complète et qu’aucune autre réponse n’est à venir.

 

[15]           Les faits n’étayent pas l’allégation du demandeur dans son affidavit selon laquelle il n’avait pas terminé sa collecte de renseignements (page 14 du dossier de la demande). Il n’avait pas besoin de recueillir des renseignements pour répondre à la question; il s’est seulement abstenu de répondre. Le demandeur n’avait nullement besoin de temps pour « recueillir » les renseignements; il n’avait qu’à les divulguer, mais il a tout bonnement refusé de communiquer cette information. L’allégation selon laquelle le demandeur était en train de préparer un complément de réponse n’est simplement pas digne de foi. C’est la lettre de refus, et uniquement cette lettre, qui a incité le demandeur à rédiger la sienne, en date du 1er février 2010. La réponse du demandeur datée du 26 janvier 2010 était sa réponse complète.

 

[16]           Les faits vont également à l’encontre de la déclaration intéressée du demandeur au paragraphe 26 de son affidavit selon laquelle il [TRADUCTION] « n’essayait visiblement pas d’éviter de fournir des renseignements ». Or, éluder la question est exactement ce que le demandeur faisait. Une demande d’autorisation qui s’appuie sur une allégation loin de la réalité des faits ne soulève pas des questions graves.

 

[17]           Quant à l’argument d’équité, l’argument est, là encore, dépourvu de fondement. L’agent n’était pas dans l’obligation d’avertir le demandeur que sa réponse était déficiente. Elle est manifestement déficiente et en présentant intentionnellement des renseignements déjà fournis, le demandeur a refusé de répondre à la question de l’agent. Le demandeur ne se conformait pas à l’exigence de répondre aux questions. Le demandeur avait la possibilité d’ajouter des précisions, mais il a refusé de le faire. L’agent n’était pas tenu d’informer le demandeur d’une évidence qui saute aux yeux, à savoir que l’énoncé « je n’ai pas travaillé » n’est pas une réponse suffisante. La décision que l’agent a prise devant le refus de répondre du demandeur était la seule façon d’agir possible et il était inutile de prévenir le demandeur de l’issue évidente de son omission de répondre à la question (Moreau-Berube c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 R.C.S. 249).

 

[18]           Puisque l’argument du demandeur repose sur sa déclaration selon laquelle sa réponse vague n’était [TRADUCTION] « ni déraisonnable, ni au-delà des limites de l’acceptable », il est sans fondement : le demandeur, dans sa réponse, n’a fait que répéter des renseignements que l’agent détenait déjà.

 

[19]           Le fait que le demandeur ait fourni des renseignements supplémentaires le 1er février 2010 (renseignements dont il était censé faire la collecte pendant tout ce temps) doit être interprété comme une reconnaissance des lacunes de sa réponse du 26 janvier 2010, qui était véritablement déficiente. L’argument du demandeur selon lequel il n’était pas conscient que des précisions étaient requises n’est pas facilement conciliable avec son témoignage voulant que, pendant tout ce temps, il recueillait des renseignements pour produire une réponse plus complète à la demande de l’agent.

 

VII. Conclusion

[20]           Il est de jurisprudence constante que, sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour ne peut substituer sa propre décision à celle du tribunal administratif de première instance. Dans tout contrôle judiciaire d'une conclusion de fait, la question principale qu'il faut se poser est de savoir si cette conclusion pouvait raisonnablement être tirée à la lumière de la preuve soumise au tribunal. Dans l'affirmative, elle doit être confirmée et la décision sera susceptible de révision uniquement lorsque les conclusions de fait peuvent être considérées comme erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont le tribunal dispose (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa18.1(4)d)).

 

[21]           Le demandeur n’a pas rempli ce critère. Il était raisonnablement loisible à l’agent, au vu du dossier, de conclure que le demandeur ne l’avait pas convaincu qu’il avait de l’expérience dans la profession envisagée.

 

[22]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1006-10

 

INTITULÉ :                                       LEONID REZNITSKI c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                            L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 JANVIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 JANVIER 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me C. Julian Jubenville

 

POUR LE DEMANDEUR

 

M. Lorne McClenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MAMANN SANDALUK Immigration Lawyers

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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