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Cour fédérale

 

Federal Court


  Date : 20110126

Dossier : T-575-04

Référence : 2011CF88

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

 

APOTEX INC.

 

 

 

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

 

et

 

 

 

H. LUNDBECK A/S ET

LUNDBECK CANADA INC.

 

 

 

 

défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

 

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

TABIB P.

 

  • [1] La Cour est saisie d’une requête pour que soit livrée une lettre de demande ou une commission rogatoire sollicitant l’aide de tribunaux étrangers pour obtenir le témoignage de personnes résidant dans leur compétence territoriale.

 

  • [2] La demanderesse, Apotex inc. (« Apotex »), désire interroger M. Robert Michael Adlington à l’extérieur de la Cour, en Angleterre, en vue du procès.

 

  • [3] Les défenderesses, H. Lundbeck A/S et Lundbeck Canada inc. (« Lundbeck »), désirent interroger au préalable un ou des représentants de Matrix Laboratories Ltd. en Inde.

 

Les procédures

  • [4] Apotex a engagé la présente action contre Lundbeck pour le préjudice causé à Apotex par l’exclusion de son médicament citalopram du marché canadien pour la période s’échelonnant du 24 juillet 2002 au 7 janvier 2004 en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

 

  • [5] Dans sa défense, Lundbeck a fait une demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour contrefaçon de plusieurs brevets, dont le brevet canadien no 2 360 287 (le brevet « 287 »), au cours de la période s’étendant de 2001 à aujourd’hui. Il semble qu’Apotex, bien qu’elle n’était pas autorisée à vendre le citalopram au Canada avant le 7 janvier 2004, l’importait néanmoins durant cette période et le formulait en comprimés pour en constituer des stocks en prévision d’éventuelles ventes. Apotex a opposé comme défense de la demande reconventionnelle, entre autres, le fait que le brevet 287 n’a pas été contrefait.

 

  • [6] Le brevet 287 couvre une partie du processus de fabrication du citalopram en tant qu’ingrédient actif, en particulier le processus consistant à produire la forme cristalline de la base du citalopram.

 

  • [7] Pendant la période qui nous intéresse, l’ingrédient actif du citalopram d’Apotex était fabriqué et vendu par Matrix Laboratoires Ltd. (« Matrix ») en Inde.

  • [8] L’une des questions centrales et fort litigieuses dans la présente action vise à savoir si, au cours de la période s’étendant de 2001 à 2004 inclusivement, Matrix a fourni à Apotex ou était en mesure de lui fournir l’ingrédient actif du citalopram fabriqué selon un procédé non contrefait.

 

  • [9] À ce jour, Matrix a fourni des dossiers de lot pour certains lots fabriqués en 2005. Selon Apotex, Matrix l’aurait informée qu’elle avait détruit tous les dossiers de lot pour la fabrication de l’ingrédient actif du citalopram avant 2005, conformément à sa politique de destruction de dossiers.

 

 

  • [10] En 2002, M. Adlington, professeur de chimie à l’Université Oxford, a visité Matrix dans le cadre de procédures européennes engagées par Lundbeck contre Lagap Pharmaceuticals, une autre entreprise pharmaceutique de médicaments génériques qui s’approvisionnait auprès de Matrix, et il a produit de nombreux rapports basés sur ses observations et ses conclusions. Ces rapports ont traité de la nature du procédé de Matrix et visaient à confirmer si Matrix était apte à produire à une échelle industrielle et si elle le faisait. Apotex souhaite obtenir le témoignage de M. Adlington pour le procès en l’espèce.

 

  • [11] En ce qui concerne la demande de Lundbeck d’interroger au préalable un représentant de Matrix, Apotex a annoncé que, malgré la destruction des dossiers de lot créés avant 2005, elle citerait comme témoin au procès un représentant de Matrix pour qu’il témoigne oralement du procédé de fabrication de Matrix du citalopram fourni à Apotex. Lundbeck affirme depuis longtemps que, dans ces circonstances, elle devrait avoir le droit à une divulgation complète du procédé de Matrix avant le procès.

 

  • [12] Comme certains des faits et des considérations entrant en ligne de compte dans les deux requêtes étaient interreliés, les requêtes ont été entendues ensemble. À l’audience, l’avocat de Lundbeck a cherché à présenter en réponse une déclaration sans serment de son expert en droit indien, ce à quoi Apotex s’est opposée. Comme la déclaration écrite comportait principalement de simples affirmations de désaccord avec les opinions de l’expert d’Apotex – qui consistaient elles-mêmes de simples affirmations – et que la Cour était de l’avis que les questions abordées dans la réponse proposée avaient été suffisamment traitées dans les dossiers des parties, l’autorisation de déposer la réponse n’a pas été accordée et la réponse n’a pas été examinée.

 

M. Adlington

  • [13] La preuve au procès doit être présentée oralement, mais la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’autoriser que la preuve soit recueillie hors cour. Lorsque le témoin à interroger refuse de comparaître volontairement pour témoigner et qu’il se trouve en dehors de la compétence territoriale de la Cour, celle-ci peut exercer son pouvoir discrétionnaire de solliciter l’aide de l’autorité judiciaire où se trouve le témoin pour le contraindre à comparaître. La déposition d’un témoin dans un pays étranger conformément à une lettre de demande peut être recueillie hors cour, c’est-à-dire sans la présence du juge du procès, ou elle peut être recueillie dans le cadre du procès en la présence du juge du procès pour qu’elle devienne une preuve présentée oralement au procès. Dans le présent cas, Apotex demande non seulement que le témoignage de M. Adlington soit recueilli hors cour, mais aussi qu’il soit contraint à comparaître au moyen d’une commission rogatoire délivrée à la Cour d’Angleterre.

 

  • [14] Il est bien établi en droit que, dans les deux cas (examens extrajudiciaires pour le procès et délivrance de commissions rogatoires), la partie requérante doit convaincre la Cour qu’il existe des motifs valables pour lesquels le témoin ne peut pas être cité à comparaître devant la Cour ou ne se présentera pas pour témoigner au procès.

 

  • [15] La seule preuve produite par Apotex quant aux motifs invoqués par M. Adlington pour ne pas témoigner volontairement en l’espèce, soit au procès, soit au Canada, est sous forme de double ouï-dire : l’affidavit de M. Topolski affirme que M. Scott, un scientifique à l’emploi de Goodmans, l’a informé qu’il avait communiqué avec M. Adlington le 27 octobre 2010 afin de déterminer sa disponibilité pour témoigner et que M. Adlington avait informé M. Scott le 28 octobre 2010 que [traduction] « selon lui, il ne pouvait pas témoigner volontairement en raison d’une entente entre Lagap et Lundbeck stipulant qu’il ne serait pas engagé par une autre entreprise pharmaceutique de médicaments génériques pour des questions liées au procédé de Matrix ». La lettre de confirmation envoyée à M. Adlington par M. Crofoot de Goodmans le 3 décembre 2010 diffère légèrement, précisant le motif comme [traduction] « le résultat d’une entente conclue avec Lundbeck ». L’affidavit de William Dixon, l’expert en droit anglais d’Apotex, affirme par ailleurs qu’il a été informé par M. Crofoot que M. Adlington avait invoqué comme motifs [traduction] « les conditions des ententes de règlement entre Lagap Pharmaceuticals et Lundbeck conclues en 2004 ou environ ».

 

  • [16] Anticipant que les conditions et la portée précises d’une quelconque entente ou ordonnance empêchant M. Adlington de témoigner deviendraient pertinentes à l’égard de la présente requête, j’ai ordonné à l’avocat de Lundbeck le 13 décembre 2010 [traduction] « de poursuivre leurs efforts pour obtenir des copies d’ordonnances ou d’ententes de confidentialité pertinentes incluant des renseignements, des preuves ou des documents établis, obtenus ou produits dans le contexte de procédures à l’étranger relatives au procédé de fabrication de Matrix » et de les communiquer à la Cour et à Apotex dès leur réception.

 

  • [17] La réponse de Lundbeck à cette ordonnance est contenue apparemment dans la preuve présentée en réponse à la requête d’Apotex. Selon cette preuve, le seul obstacle connu au témoignage de M. Adlington réside dans les ordonnances de confidentialité rendues par la Haute Cour de justice du Royaume-Uni, dont l’une a été émise à la suite de l’entente de règlement entre Lundbeck et Lagap/Sandoz. Il y a peut-être aussi eu des engagements de confidentialité indépendants signés par M. Adlington en faveur de Lagap ou de Matrix, mais cela relève de la spéculation. De toute manière, je remarque que ce type d’engagement de confidentialité serait très différent d’une entente « avec Lundbeck » ou « entre Lundbeck et Lagap », comme l’aurait mentionné M. Adlington.

 

  • [18] Le libellé des affidavits de Neil Jenkins, l’avocat anglais qui a représenté Lundbeck lors des procédures en Angleterre, et de John Meidahl Petersen, un représentant de Lundbeck, pourrait donner lieu à une certaine interprétation, suggérant qu’il pourrait y avoir d’autres ententes conclues entre Lundbeck et Lagap, Sandoz ou M. Adlington qui empêcheraient ce dernier de témoigner dans le cadre de cette affaire et que M. Jenkins ignorerait. Toutefois, une telle interprétation serait tirée par les cheveux. De plus, étant donné la directive claire donnée le 13 décembre 2010 et le fait qu’un représentant de Lundbeck ait signé un affidavit de réponse à la requête d’Apotex, qui reste muet sur l’existence d’une telle entente, l’on présume que si Lundbeck avait été au courant d’une telle entente, elle aurait choisi de ne pas la divulguer ou de s’en servir. L’avocat de Lundbeck à l’audience a confirmé, de toute façon, que dans la mesure où de telles ententes existent en faveur de Lundbeck, Lundbeck renonçait de fait au bénéfice de la confidentialité quant à la preuve de M. Adlington (sous réserve évidemment de l’objection de Lundbeck quant à la recevabilité de la preuve de M. Adlington si des restrictions relatives à la confidentialité devaient empêcher Lundbeck de contre-interroger pleinement et équitablement (voir ci-dessous)).

 

  • [19] Ainsi, compte tenu de la preuve dont je suis saisie, seules les ordonnances de confidentialité de la Haute Cour de justice du Royaume-Uni datées du 8 novembre 2002, du 18 novembre 2002 et du 13 octobre 2003 empêchent M. Adlington de comparaître volontairement au Canada. Ces ordonnances stipulent clairement que Lundbeck et toutes les personnes énumérées dans l’annexe A des ordonnances, dont M. Adlington, doivent préserver la confidentialité des renseignements en litige et ne pas les utiliser à des fins autres que celles des procédures en Angleterre [traduction] « sauf avec le consentement écrit de Matrix ».

 

  • [20] Matrix a consenti expressément et par écrit [traduction] « à libérer M. Adlington et les parties à ce litige [procédures au Royaume-Uni] de sa promesse de non-divulgation concernant spécifiquement les rapports, les notes, les dossiers, les observations et les conclusions de M. Adlington » pour les fins de ces procédures et sous réserve du maintien de la confidentialité de l’information.

 

  • [21] De plus, les ordonnances émises par la Cour de l’Angleterre excluent expressément de l’obligation de confidentialité les rapports de M. Adlington datés du 6 octobre et du 31 octobre 2002 qui semblent concerner la première présence de M. Adlington dans les locaux de Matrix en octobre 2002, ou toute preuve ou tout rapport déposé par Lagap ou Matrix dans des instances parallèles concernant les brevets. De cela on peut déduire que Lagap et Matrix ont peut-être déposé plus tôt des preuves publiquement, dont des preuves de M. Adlington concernant le procédé de Matrix, et que M. Adlington n’a jamais été empêché de témoigner quant à cette preuve. Les ordonnances semblent avoir été conçues pour s’appliquer à de telles preuves concernant la présence en même temps d’experts et de représentants de Lundbeck et Lagap dans les locaux de Matrix en novembre 2002.

 

  • [22] À savoir si M. Adlington avait besoin de la permission de Matrix pour témoigner dans le cadre de cette affaire ou s’il aurait pu témoigner de toute manière, le fait est que, compte tenu de la preuve dont je suis saisie, la raison donnée par M. Adlington pour refuser de témoigner au procès au Canada n’existe pas ou plus. Apotex n’a pas réussi à démontrer l’existence d’un motif valable pour expliquer le fait que M. Adlington ne peut pas assister ou n’assistera pas au procès au Canada pour témoigner, et cela suffit pour rejeter la requête.

 

  • [23] Je constate que Lundbeck, en formulant son objection à la requête d’Apotex, a soulevé le caractère injuste de permettre à M. Adlington de témoigner au sujet de ses observations, de ses rapports ou de ses avis alors que la renonciation limitée et spécifique de Matrix à la confidentialité pourrait empêcher Lundbeck d’utiliser les observations, les rapports et les avis de ses propres experts et observateurs présents dans les locaux de Matrix en novembre 2002 pour procéder à un contre-interrogatoire ou réfuter les preuves présentées par M. Adlington.

 

  • [24] L’avocat d’Apotex a proposé qu’il conviendrait que des lettres de demande soient adressées aux autorités judiciaires d’Angleterre puisque cela permettrait à la Haute Cour d’Angleterre de trancher toute question se rapportant à l’application de ses propres ordonnances de confidentialité.

 

  • [25] À mon avis, il n’est pas approprié d’émettre des lettres de demande à cette fin, et cela ne serait probablement pas efficace dans le cas présent. Les ordonnances de la Cour d’Angleterre sont claires : seul le consentement de Matrix est requis pour dispenser toute partie ou personne inscrite à l’annexe de l’ordonnance de leur obligation. La question de savoir si le consentement écrit de Matrix, tel qu’il a été donné, comprend ou suppose une dispense additionnelle pour permettre l’utilisation effective et équitable des éléments de preuve de M. Adlington dans cette affaire, la question de savoir si la preuve de M. Adlington doit être admise si son utilisation appropriée ne peut pas être assurée, et la question de savoir dans quelle mesure toute question qui pourrait être posée par Lundbeck en contre-interrogatoire est recevable, compte tenu de toute restriction de confidentialité restante, relèvent toutes du juge du procès. Je doute fort que la Haute Cour de justice pourrait ou voudrait s’engager dans ces débats, en accueillant une commission rogatoire, d’une manière autre que superficielle.

 

  • [26] Quoi qu’il en soit, Apotex a laissé entendre lors de l’audience que Matrix n’avait pas eu l’occasion d’examiner la demande de confirmation de Lundbeck voulant que sa dispense doive inclure toutes les personnes inscrites à l’annexe des ordonnances de l’Angleterre et tous les documents utilisés dans les procédures au Royaume-Uni, et que Matrix pourrait quand même le faire, obviant ainsi la difficulté. Je note également que dans la mesure où il y a en effet des questions découlant des ordonnances de confidentialité ou de la dispense partielle de Matrix qui ne peuvent être réglées qu’en présentant une demande à la Haute Cour de justice, les parties elles-mêmes sont capables de présenter une telle demande à la Haute Cour indépendamment de quelconques lettres de demande. Il n’est pas approprié d’utiliser des lettres de demande d’assistance judiciaire de cette Cour comme moyen de requérir la décision d’un tribunal étranger quant à la portée ou à l’application de ses ordonnances.

 

  • [27] En dernier lieu, étant donné la portée et la nature des éléments de preuve qu’Apotex propose d’examiner avec M. Adlington, tel qu’exposé dans les lettres de demande, il semble qu’une bonne partie des éléments de preuve proposés pourrait entraîner l’expression d’une opinion par M. Adlington. Apotex n’a pas encore signifié ou déposé un affidavit ou un exposé de preuve d’expert de M. Adlington et toute tentative d’obtenir de lui un témoignage d’opinion sans produire un rapport d’expert au préalable soulèvera sans doute des objections exigeant qu’une décision soit rendue immédiatement. Il serait donc essentiel que tout témoignage de M. Adlington soit entendu par le juge au procès et pas hors cour.

 

Les représentants de Matrix

a)  Le droit à l’interrogatoire préalable

  • [28] La première question à trancher dans la requête de Lundbeck pour la délivrance d’une commission rogatoire pour l’interrogatoire préalable d’un représentant de Matrix en Inde est de savoir si Lundbeck devrait être autorisée à contraindre une tierce partie à comparaître lors de l’enquête préalable. Les critères à remplir par Lundbeck pour ce faire sont les suivants :

 

  • (a) la tierce partie pourrait posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l’action;

  • (b) la partie n’a pas pu obtenir ces renseignements de la personne de façon informelle ou d’une autre source par des moyens raisonnables;

  • (c) il serait injuste de ne pas permettre à la partie d’interroger la personne avant l’instruction;

  • (d) l’interrogatoire n’occasionnera pas de retards, d’inconvénients ou de frais déraisonnables à la personne ou aux autres parties.

 

  • [29] D’une importance primordiale dans la présente instance est la question de savoir si le citalopram que Matrix a vendu à Apotex entre le début de 2001 et la fin de 2004 a été fabriqué selon un procédé qui viole le brevet 287 que détient Lundbeck. En tant que fabricant, Matrix possède manifestement des renseignements sur cette question.

 

  • [30] Apotex soutient que Lundbeck n’a pas rempli le deuxième volet du critère parce que Matrix a collaboré [traduction] « pleinement » en fournissant des renseignements à la demande d’Apotex et que la demande de communication préalable de Lundbeck auprès de Matrix aurait dû être ou devrait être présentée lors de l’interrogatoire préalable d’Apotex.

 

  • [31] La position d’Apotex voulant que Matrix a collaboré ou collabore pleinement est contredite par la preuve dont la Cour est saisie. Le 27 mai 2005, Lundbeck a interrogé au préalable un représentant d’Apotex et a expressément demandé à Apotex de fournir [traduction] « le procédé de fabrication détaillé de l’ingrédient actif, les dossiers de lot pour la fabrication chimique et la fiche maîtresse du médicament (FMM) », « une copie des dossiers de lot, l’analyse Q & R et la FMM datant de 2002 à 2004 », et tous les documents concernant les changements apportés au procédé de Matrix au fil du temps. À toutes ces questions, Apotex a répondu le 24 septembre 2007 que : [traduction] « bien qu’Apotex ait demandé l’information de son fournisseur, elle n’a pas reçu de copies de ces documents. Si les documents susdits sont mis à la disposition d’Apotex, Apotex les mettra à la disposition des défendeurs ».

 

  • [32] Matrix n’a pas collaboré avec Apotex à cette occasion et n’a pas fourni les documents recherchés relatifs à la fabrication – et ne l’a pas encore fait.

 

  • [33] Le 17 octobre 2008, la Cour a ordonné à Apotex d’envoyer une lettre à Matrix lui demandant de répondre à certaines questions posées lors de l’interrogatoire préalable; l’ordonnance disposait que [traduction] « si Matrix ne fournit pas les renseignements exigés, Lundbeck aurait toute liberté de demander un interrogatoire préalable d’un représentant de Matrix ». Apotex a écrit, en incluant l’ordonnance de la Cour, demandant une réponse dans les 30 jours suivant la réception de sa lettre. Matrix ne s’est pas conformée.

 

  • [34] Plus troublants encore sont les renseignements fournis par Apotex à la Cour voulant que Matrix ait détruit tous les dossiers de lot pour le citalopram qu’elle a fabriqué pour Apotex avant 2005, conformément à sa politique de contrôle des documents. Étant donné la demande de Lundbeck pour ces documents par l’intermédiaire d’Apotex et l’importance de ces documents, c’est effectivement troublant qu’ils aient été détruits par Matrix. Pour ajouter à cela, je constate que la politique de contrôle des documents en question, présentée par Apotex dans le cadre de sa requête, prévoit une période de conservation des documents de six ans; pourtant, à l’automne de 2010, lorsque les renseignements ont été fournis à savoir que les documents antérieurs à 2005 avaient été détruits, ceux concernant la production de 2004 n’auraient pas dû être détruits. La politique en question prévoit également que [traduction] « les documents concernant des procédures judiciaires ne doivent pas être détruits avant qu’elles ne soient déclarées closes »; d’après la preuve devant moi, il semble que Matrix était très bien renseignée des présentes procédures et s’était engagée auprès d’Apotex en 2004 d’apporter toute l’aide qui serait requise dans le cadre de cette procédure.

 

  • [35] Sur la base de ce qui précède, il est très clair que Matrix ne collabore pas pleinement, qu’Apotex est incapable ou ne veut pas assurer la pleine collaboration de Matrix, ou que l’idée d’une pleine collaboration de Matrix peut comporter le recours à des tactiques desquelles Apotex aurait intérêt à se dissocier.

 

  • [36] De plus, Apotex et Matrix ont maintenant confirmé leur intention de faire comparaître un représentant de Matrix au procès pour témoigner oralement du procédé de fabrication utilisé par Matrix de 2001 à 2004, alors que les documents de cette époque qui auraient pu corroborer ou contredire cette preuve auraient été détruits, que la question est cruciale pour l’issue de la procédure et qu’elle est vigoureusement contestée, et que l’interprétation et la crédibilité de la preuve nécessiteront vraisemblablement l’opinion d’experts. Étant donné les circonstances, il est clair qu’il serait injuste de ne pas fournir à Lundbeck l’occasion d’interroger le représentant de Matrix avant le procès, et que l’interrogatoire de Matrix au moyen de questions adressées à Apotex – même si l’on pouvait compter sur la pleine collaboration de Matrix dès lors – ne serait pas raisonnablement efficace, étant donné la complexité des questions, pour garantir que Lundbeck obtienne tous les renseignements pertinents de Matrix avant le procès.

 

  • [37] Étant donné que la destruction alléguée des dossiers de lot pour le citalopram fourni à Apotex par Matrix de 2001 à 2004 et la présence annoncée de Matrix au procès sont les facteurs les plus importants dans ma décision à savoir que Lundbeck soit autorisée à interroger Matrix au préalable, et étant donné que Matrix et Apotex auraient pu empêcher que cette situation se présente, tout inconvénient ou dépense qui en découleraient pour Apotex ou Matrix ne seraient pas indus dans les circonstances.

 

b)  Identification du représentant de Matrix

  • [38] Dans sa requête, Lundbeck a aussi demandé qu’Apotex soit contrainte de lui divulguer et de divulguer à la Cour l’identité du représentant ou des représentants de Matrix aptes à répondre à des questions relatives aux procédés de fabrication de Matrix et qu’Apotex a l’intention de faire comparaître à titre de témoins au procès. Apotex a refusé jusqu’ici d’acquiescer à la demande pour le motif qu’elle n’est pas tenue de le faire. Aucune partie n’a été en mesure d’invoquer un précédent par lequel la question a été examinée par la Cour.

 

  • [39] Il me semble qu’un juge responsable de la gestion de l’instance a pleinement les pouvoirs d’ordonner à Apotex de divulguer l’identité du ou des représentants de Matrix qu’elle a l’intention ou se propose de faire comparaître pour que Lundbeck puisse interroger au préalable la ou les mêmes personnes. Comme les représentants de Matrix qui seront appelés à comparaître au procès témoigneront vraisemblablement en se basant sur leurs connaissances personnelles, l’on s’attend à ce qu’ils possèdent des connaissances sur les questions qu’ils aborderont lors de leurs témoignages et à ce qu’ils soient, par conséquent, les représentants tout désignés à interroger au préalable. Comme la transcription de l’interrogatoire préalable d’une tierce partie ne peut servir, lors d’un procès, qu’à contre-interroger cette tierce partie si elle est appelée à témoigner au procès, la justice, l’équité et l’atteinte de l’objectif de l’interrogatoire préalable exigent que la ou les personnes qui sont soumises à un interrogatoire préalable soient celles qui témoigneront au procès.

 

c)  La forme de la lettre de demande

  • [40] Les experts de Lundbeck et Apotex conviennent tous les deux que les autorités judiciaires indiennes accepteraient, en principe, de donner suite à des lettres de demande de cette Cour en vue de contraindre un témoin en Inde de se soumettre à un interrogatoire préalable et de produire des documents. Toutefois, l’expert d’Apotex a émis l’avis que les lettres de demande proposées, telles qu’elles ont été présentées par Lundbeck au départ, n’étaient pas suffisamment précises quant à la nature et la période visée pour les documents à produire et quant aux sujets sur lesquels les témoins seront interrogés. Après que Lundbeck a présenté, à la demande de la Cour, une version révisée des lettres de demande fournissant plus de détails, Apotex s’est opposée à la plupart des sujets et des documents proposés en invoquant la pertinence, la portée excessive, le manque de précision et l’absence de nécessité, étant donné que l’infomation pourrait être obtenue directement auprès d’Apotex.

 

  • [41] La Cour est satisfaite que les sujets proposés pour l’interrogatoire et la production de documents demandée par Lundbeck sont généralement appropriés.

 

  • [42] Comme il est mentionné dans les directives du 13 décembre 2010, en l’absence alléguée des dossiers de lot pour le citalopram effectivement fourni à Apotex, des éléments de preuve démontrant que Matrix fabriquait ou était capable de fabriquer le citalopram pour d’autres fabricants de médicaments génériques au moyen d’un procédé non contrefait pourraient être utilisés pour démontrer l’existence d’une probabilité que Matrix a aussi fabriqué du citalopram pour Apotex en utilisant le même procédé – d’où le souhait d’Apotex d’obtenir le témoignage de M. Adlington. En tant que juge responsable de la gestion de l’instance, je suis également consciente que les documents qui ont été produits indiquent que Matrix a peut-être fait breveter ce procédé et que les prix de Matrix pour le citalopram fabriqué par ce procédé étaient plus élevés que ceux soumis pour le citalopram produit par un procédé contrefait. L’obtention de renseignements sur les coûts et les prix comparatifs de Matrix pour le citalopram pourraient donc fournir d’autres indications du procédé utilisé dans le cas d’Apotex. Comme Apotex et Matrix prétendent que Matrix est passée d’un procédé contrefait à un procédé non contrefait vers septembre 2001, les politiques de Matrix relatives au dépôt de demandes de brevet pourraient aussi apporter des éclaircissements sur le moment précis du prétendu changement.

 

  • [43] Les ordonnances et les jugements des tribunaux danois et norvégiens relatifs aux requêtes pour obtenir une injonction interlocutoire, qu’Apotex a présentés à l’appui de sa motion, montrent aussi que ces procédures ont été marquées par de vives controverses suscitées par la question à savoir si les échantillons de dossiers de lot produits par Matrix lors de ces procédures étaient authentiques et si le procédé attesté pouvait servir de base à une production à l’échelle commerciale ou en quantité suffisante pour justifier le volume des livraisons de Matrix. Les deux tribunaux ont souligné que le but de la présence dans les locaux de Matrix avait été d’observer le procédé, pas d’enquêter sur l’authenticité des documents. Dans cette affaire, il s’agira d’un procès au fond; il est probable que les mêmes questions seront soulevées; par conséquent, l’examen proposé par Lundbeck des étapes en amont et en aval du procédé breveté et de tout changement apporté à celles-ci, des documents relatifs aux analyses chimiques et au contrôle de la qualité, ainsi que des quantités de citalopram produites au cours de la période visée, est susceptible d’être pertinent pour confirmer, corroborer ou réfuter les allégations de Matrix et d’Apotex.

 

  • [44] En ce qui concerne les sujets pour lesquels Lundbeck a déjà terminé l’interrogatoire préalable d’Apotex, ou qu’elle aurait pu examiner lors de cet interrogatoire préalable, je conclus que Lundbeck ne doit pas être empêchée d’examiner aussi ces questions avec Matrix, surtout qu’il s’agit de questions dont Matrix a une connaissance directe.

 

  • [45] Apotex fait valoir qu’une demande de production de [traduction] « tout document » démontrant la capacité de Matrix d’utiliser un procédé non contrefait est inappropriée, d’une portée excessive et illimitée, et qu’elle exigerait du témoin de porter un jugement sur le contenu que révèlent certains documents. Je n’accepte pas l’argument d’Apotex dans les circonstances.

 

  • [46] L’agent canadien de Matrix rapporte que l’entreprise a fait les déclarations écrites suivantes :

[traduction]

(d)  Matrix a investi d’importantes sommes d’argent et de ressources organisationnelles comme la R.-D. et le temps de la haute direction pour aider leurs clients européens de produits génériques à résoudre ces litiges avec succès.

 

  (e)  Matrix est disposée à mettre à profit cette expérience et à renforcer ainsi la poursuite d’Apotex découlant du fait que l’innovateur a poursuivi Apotex pour violation du brevet CA2360287.

 

  (f)  Matrix est disposée à partager tous les détails relatifs à son procédé et à apporter toute l’aide nécessaire, y compris la présence du personnel de Matrix au Canada pendant le procès s’il y a lieu, pour soutenir Apotex.

 

(Voir la pièce A jointe à l’affidavit de Jerry Topolski)

 

  • [47] Ainsi, on s’attend à ce que Matrix connaisse très spécifiquement les documents qui sont en sa possession pour illustrer ce même fait. Comme je l’ai mentionné, si Matrix comparaît volontairement au procès au Canada pour aider Apotex à prouver que Matrix a fabriqué du citalopram pour Apotex avec un procédé non contrefait et qu’elle avait la capacité pour le faire, alors tout document qu’elle pourrait chercher à soumettre à cette fin devra être divulgué à Lundbeck bien avant le procès et Lundbeck devra avoir l’occasion d’adresser une interrogation préalable à leur sujet. Il est également juste que Lundbeck puisse adresser directement à Matrix, bien avant le procès, des demandes de production de tels documents, ne serait-ce qu’aux fins de soutenir, si aucun document n’est produit et aucune explication donnée, qu’une inférence défavorable devrait être tirée.

 

  • [48] Faut-il rappeler que lors de tous les interrogatoires préalables, à savoir si une question spécifique, relevant d’une matière globalement pertinente, est néanmoins pertinente, appropriée ou nécessaire, est une question d’appréciation qui ne peut pas être tranchée à l’avance. Il ne fait aucun doute qu’Apotex ou Matrix formuleront des objections à des questions spécifiques s’il y a lieu. Espérons que toutes les parties collaboreront pour reformuler ou circonscrire des questions, au besoin, ou conviendront de permettre au témoin de répondre sous réserve de l’objection.

 

  • [49] En ce qui concerne le commentaire de l’expert d’Apotex voulant que la lettre de demande proposée [traduction] « ne comprenne pas de déclaration prévoyant le remboursement des coûts pour le témoin », il n’a pas ajouté que cela serait une exigence officielle pour une lettre de demande que recevrait le tribunal indien. Dans la mesure où ce tribunal exige un engagement que les coûts du témoin seront remboursés, cette obligation devrait revenir à Lundbeck, et on s’attend à ce que Lundbeck ou son avocat indien en son nom, inscrive l’engagement approprié dans la lettre de demande qu’ils présenteront au tribunal indien.

 

  • [50] Enfin, le spécialiste du droit indien d’Apotex a émis l’avis que la production de documents à l’avance, comme l’a demandé Lundbeck, [traduction] « n’est pas prévue dans les règles indiennes qui s’appliquent (ordonnance XXVII règles 19-22) ». Toutefois, l’expert de Lundbeck a rendu un avis voulant que les commissaires qui doivent être nommés par la cour indienne, auraient, en vertu de la règle 16 de l’ordonnance XXVII (visée dans la règle 22 de ladite ordonnance), le pouvoir de demander au témoin de présenter des documents à l’avance de l’examen. Le fait que l’expert de Lundbeck invoque une disposition spécifique qui n’est pas abordée directement par l’expert d’Apotex me convainc qu’il y a une probabilité raisonnable que les tribunaux indiens donnent suite à la lettre de demande proposée telle qu’elle est dirigée. Dans la mesure où le tribunal saisi est d’avis que les pouvoirs du commissaire ne peuvent pas comprendre le pouvoir de demander la production de documents à l’avance, la Cour espère que le tribunal indien adaptera la demande de manière à pouvoir y donner suite dans la mesure permise par le droit indien.

 

  • [51] J’ajouterais qu’étant donné que la Cour a statué que Lundbeck a le droit d’interroger au préalable un représentant de Matrix relativement à tous les sujets proposés et que la production de documents demandée est appropriée, et étant donné qu’Apotex et Matrix ont offert leur pleine collaboration, il sera décevant qu’Apotex ou Matrix demande qu’un tribunal indien émette une ordonnance formelle avant la production des documents demandés ou avant de les rendre disponibles pour inspection et copie, ou même en fait, avant que le représentant de Matrix qui témoignera au procès ne se rende volontairement disponible pour un interrogatoire préalable. En fait, dans les circonstances, si Lundbeck, pour quelque raison que ce soit, est incapable ou est empêché d’interroger au préalable un représentant de Matrix qui serait appelé par la suite à témoigner au procès, l’admissibilité, la crédibilité et le poids à accorder au témoignage de ce témoin seraient une question qui relèverait du pouvoir discrétionnaire du juge du procès.

 

 

« Mireille Tabib »

protonotaire

Ottawa (Ontario)

Le 26 janvier 2011


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-575-04

 

INTITULÉ :  APOTEX INC. c H. LUNDBECK A/S ET AUTRES

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 17 JANVIER 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  TABIB P.

 

DATE DES MOTIFS :  LE 26 JANVIER 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

KEN CROFOOT

JERRY TOPOLSKI

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

HILAL EL AYOUBI

MARIE LAFLEUR

PIERRE LEFEBVRE

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOODMANS S.E.N.C.R.L.

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LA DEMANDERESSE

FASKEN MARTINEAU DuMOULIN S.E.N.C.R.L.

MONTRÉAL (QUÉBEC)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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