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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101217

Dossier : IMM-2831-10

Référence : 2010 CF 1299

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2010

En présence de Madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

 

DURI CHO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), de la décision par laquelle un agent chargé de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) a rejeté la demande d’ERAR présentée par le demandeur après avoir conclu que celui-ci ne risquerait pas d’être exposé à la persécution ou à la torture, à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait en Corée du Sud.

 

LES FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE

[2]               Le demandeur, M. Duri Cho, est né au Bangladesh. Il a déménagé en Corée du Sud en 1991 et a épousé une citoyenne de ce pays en 2002. Il est lui-même devenu citoyen de la Corée du Sud en mai 2005.

 

[3]               Le demandeur est venu pour la première fois au Canada en décembre 2006 en compagnie de son épouse. Chacun d’eux a été interrogé séparément par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada. Le demandeur a sollicité l’asile, mais non son épouse. Après avoir été détenu toute une nuit, le demandeur a retiré sa demande d’asile. Peu après, il a quitté le Canada avec son épouse.

 

[4]               Le demandeur est revenu au Canada le 31 mars 2009 et a été admis à titre de résident temporaire. Il a demandé l’asile en avril 2009. Étant donné qu’il avait retiré une demande d’asile antérieure, sa nouvelle demande a été réputée irrecevable et n’a pu être déférée à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), compte tenu de l’alinéa 101(1)c) de la LIPR. Le demandeur a sollicité le rétablissement de sa demande de 2006, mais la Commission a refusé cette demande de rétablissement.

 

[5]               Le 8 juin 2009, le demandeur a déposé une demande d’ERAR. Il a sollicité une audience en application de l’alinéa 113b) de la LIPR, mais aucune audience n’a été tenue. Le demandeur a soutenu qu’il était exposé à un risque sérieux d’être soumis à la discrimination et à la persécution en Corée du Sud en raison de sa race et de sa nationalité et du fait qu’il était un défenseur des droits de la personne. Plus précisément, il a invoqué les faits suivants au soutien de sa demande :

  • Le 15 octobre 2005, le demandeur a été battu par un gérant de l’endroit où il travaillait, soit une usine de fabrication de matières plastiques de la Corée du Sud. Il a été blessé à la poitrine et à la tête et est allé à l’hôpital pour se faire soigner. Il a déposé une plainte auprès de la police; les policiers sont venus à l’usine et lui ont dit que, s’il voulait conserver son travail, il devrait retirer sa plainte.

 

  • Le 27 mai 2007, un contremaître d’une usine de fabrication de chandelles a lancé de la cire chaude en direction du demandeur. Celui-ci a téléphoné à la police et des policiers sont venus à l’usine. Le contremaître a présenté des excuses, mais le demandeur a été congédié le lendemain.

 

  • Le demandeur était un ardent défenseur des droits des travailleurs migrants. Entre 2002 et 2006, il a fait du bénévolat pour la Migrant Workers House. De 2007 à 2009, il a fait de même pour la Migrant Workers Welfare Society de la Corée. Il a participé à de nombreuses manifestations et a été décrit à maintes reprises dans des articles de presse comme un défenseur des droits des travailleurs migrants. Le demandeur croit que c’est ce qui a mené à un accroissement de l’hostilité des employeurs à son endroit.

 

  • En décembre 2008, le demandeur a déposé une plainte pour salaire impayé contre un ex‑employeur, M. Kim Chang Hwan, qui a menacé de tuer le demandeur si celui-ci ne retirait pas sa plainte. Le demandeur a reçu de nombreuses menaces de mort par téléphone relativement à cette plainte; les menaces provenaient, tantôt de M. Hwan lui‑même, tantôt d’employés de celui-ci. Les auteurs des appels ont prévenu le demandeur qu’ils le trouveraient quel que soit l’endroit où il irait en Corée.

 

·        Le 12 mars 2009, le véhicule de M. Hwan (conduit par le chauffeur de celui-ci) a dévié de sorte que le demandeur a été heurté : il a été blessé à la poitrine, à la tête et au genou. Le chauffeur a donné l’avertissement suivant au demandeur : [traduction] « Si vous ne laissez pas tomber votre plainte, vous êtes mort. » Le demandeur a signalé l’incident aux policiers, qui ont ri et ont inscrit dans leur rapport qu’il s’agissait d’un accident. Le demandeur a continué à recevoir des appels de menaces pendant son séjour à l’hôpital et après son retour chez lui. Il a discuté de la situation avec son épouse et tous les deux ont décidé que le demandeur devrait s’enfuir au Canada.

 

[6]               Dans une décision datée du 16 avril 2010, la demande d’ERAR du demandeur a été refusée. Le 20 mai 2010, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant à contester la décision d’ERAR. Le 31 mai 2010, la Cour fédérale a suspendu l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur jusqu’à ce que la demande d’autorisation soit tranchée.

 

LA DÉCISION SOUS EXAMEN

[7]               L’agent chargé de l’ERAR a débuté son évaluation en examinant la nature du risque auquel le demandeur était exposé en Corée du Sud. Il a souligné que la preuve documentaire déposée par le demandeur portait principalement sur les problèmes que vivaient les travailleurs migrants et irréguliers et que le demandeur n’était plus un travailleur migrant ou irrégulier; il était un citoyen de la Corée du Sud.

 

[8]               Quoi qu’il en soit, l’agent a conclu que les travailleurs migrants bénéficient de la protection de l’État en Corée du Sud. Bien que ces travailleurs demeurent un groupe vulnérable et que la protection de l’État ne soit pas parfaite, l’agent s’est appuyé sur des éléments de preuve montrant que le gouvernement de la Corée du Sud avait reconnu sa vulnérabilité et prenait des mesures pour corriger ce problème. Ainsi, certains documents déposés en preuve montraient que le gouvernement de la Corée du Sud appuyait la mission d’organismes comme le Migrant Workers Center. Il serait donc raisonnable de supposer que le demandeur serait soutenu par le gouvernement en ce qui concerne son travail de bénévolat et qu’il ne serait pas persécuté en raison de celui-ci. L’agent a ajouté que rien dans la preuve n’établissait que les fonctionnaires du gouvernement persécutaient le personnel ou les bénévoles travaillant dans des refuges pour travailleurs migrants sur la base d’un motif prévu dans la convention.

 

[9]               L’agent a mentionné les assignations (de 2005, 2007 et 2009) que le ministère régional du travail de Séoul avait envoyées et que le demandeur a déposées. Selon l’agent, aucun renseignement n’a été fourni au sujet du résultat des plaintes du demandeur dans ces affaires. L’agent a conclu que les assignations permettaient effectivement de dire que des recours en justice existaient en Corée du Sud et que le demandeur pouvait s’en prévaloir, [traduction] « ce qui dans les faits corrobore la possibilité pour le demandeur de se réclamer de la protection de l’État ».

 

[10]           L’agent a ajouté que le demandeur n’avait présenté aucun document montrant qu’il avait tenté de déposer des plaintes de discrimination et de harcèlement auprès des autorités coréennes et que celles-ci avaient refusé de le protéger.

 

[11]           L’agent a commenté les allégations du demandeur au sujet de l’agression qui aurait été commise en octobre 2005. Il a examiné le certificat médical que le demandeur avait fourni et a conclu que ce document avait une faible valeur probante, parce que son origine n’avait pas été établie, que le médecin qui l’avait rédigé n’avait pas été formellement identifié et que l’auteur du document n’avait pas mentionné qu’il était personnellement au courant des incidents entourant l’agression. L’agent a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible corroborant la version du demandeur au sujet de l’agression de 2005. De plus, l’agent a tiré une « inférence défavorable » du fait que jusqu’à ce qu’il retire sa première demande d’asile en 2006, le demandeur n’avait apparemment pas soulevé la question de l’agression.

 

[12]           En définitive, l’agent a conclu a) qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve corroborant les allégations de persécution ou de mauvais traitement du demandeur, b) que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer l’existence d’un risque objectivement identifiable à son retour en Corée du Sud, et c) que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle il pouvait se prévaloir de la protection de l’État en Corée du Sud.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]           La présente demande soulève les questions suivantes :

a)      Quelle est la norme de contrôle applicable?

b)      L’agent chargé de l’ERAR a-t-il commis une erreur dans son appréciation de la preuve concernant le risque auquel le demandeur serait personnellement exposé?

c)      L’agent chargé de l’ERAR a-t-il commis un manquement à l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur en ne tenant pas d’audience?

d)      La conclusion de l’agent chargé de l’ERAR au sujet de la protection de l’État était-elle déraisonnable?

 

L’ANALYSE

a)      Quelle est la norme de contrôle applicable?

[14]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, au paragraphe 53). Au moment d’appliquer la norme de la décision correcte, la cour de révision décidera « si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 50 [Dunsmuir]).

 

[15]           La norme applicable à la question de savoir si l’agent a commis une erreur dans son appréciation de la preuve est la norme de la raisonnabilité (Guan c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 992, au paragraphe 15). Il s’agit également de la norme à appliquer lors de l’examen de l’analyse menée par l’agent au sujet de la protection de l’État (Persaud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 850, au paragraphe 14). Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a décidé que « le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

b)      L’agent chargé de l’ERAR a-t-il commis une erreur dans son appréciation de la preuve concernant le risque auquel le demandeur serait personnellement exposé?

 

[16]           Le demandeur soutient que l’agent chargé de l’ERAR a commis une erreur dans son appréciation du risque auquel il était personnellement exposé, parce qu’il n’a pas tenu compte des incidents clés de mars 2009 – l’attaque et les menaces de mort – qui au bout du compte ont mené au départ du demandeur de la Corée du Sud et à sa demande de protection au Canada.

 

[17]           Cependant, le défendeur fait valoir que l’agent a reconnu ces incidents au début de ses motifs, sous la rubrique [traduction] « Risques mentionnés par le demandeur », mais a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve corroborant les allégations de persécution et de mauvais traitement du demandeur et que, par conséquent, celui-ci ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir qu’il serait personnellement exposé à un risque en Corée du Sud. À cet égard, le défendeur souligne que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve visant à corroborer les événements qui seraient survenus en 2009, si ce n’est un certificat médical non traduit. En conséquence, le défendeur soutient que la seule mention des événements de 2009 par l’agent était entièrement suffisante. Je ne suis pas d’accord.

 

[18]           Il y a un contraste frappant entre la brève mention des événements de 2009 par l’agent et la description détaillée que le demandeur donne de ceux-ci dans ses observations écrites concernant la demande d’ERAR. Dans ses observations, le demandeur explique le contexte dans lequel il a déposé ses plaintes initiales contre M. Kim Chang Hwan et décrit également les menaces de mort qu’il a commencé à recevoir peu après le dépôt de ces plaintes, sa rencontre avec le chauffeur de M. Hwan le 12 mars 2009, les échanges qu’il a eues avec la police peu après cet incident et les menaces de mort répétées qui au bout du compte ont mené à sa décision de quitter la Corée du Sud. Hormis le fait qu’il a reconnu, au début de ses motifs, que le demandeur avait allégué [traduction] « qu’il avait été attaqué, que sa vie était menacée et que sa demande de protection avait été ignorée », l’agent n’a nullement commenté les allégations du demandeur au sujet des événements de 2009.

 

[19]           À mon avis, l’absence de commentaires de la part de l’agent à l’égard des observations du demandeur au sujet des événements de 2009 a une grande importance, parce que ces observations étaient au coeur du risque auquel le demandeur se disait personnellement exposé. Comme l’a souligné le juge John Maxwell Evans dans la décision souvent citée qu’il a rendue dans Cepeda-Gutuerrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264, l’obligation du décideur de mentionner, d’analyser et d’examiner la preuve augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Au lieu de commenter les observations du demandeur au sujet des événements de 2009, l’agent a choisi d’examiner les événements qui seraient survenus en 2005 et a ensuite conclu qu’il [traduction] « n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve corroborant les allégations de persécution ou de mauvais traitement du demandeur ». Les motifs de la décision de l’agent ne montrent pas clairement que celui-ci a effectivement examiné, à un moment quelconque, les allégations entourant les événements de mars 2009. L’absence de commentaires de la part de l’agent à l’égard des principales allégations du demandeur montre que la décision de l’agent n’est pas justifiée et que son processus décisionnel manque de transparence et d’intelligibilité (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

c)      L’agent chargé de l’ERAR a-t-il commis un manquement à l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur en ne tenant pas d’audience?

 

[20]           Le demandeur reproche également à l’agent chargé de l’ERAR d’avoir tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité. L’agent a rejeté les allégations du demandeur au sujet de l’agression de 2005, parce qu’elles n’étaient [traduction] « pas corroborées par d’autres éléments de preuve crédibles ou dignes de foi ». De façon plus générale, l’agent a affirmé dans sa conclusion qu’il [traduction] « n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve corroborant les allégations de persécution ou de mauvais traitement du demandeur ». De l’avis du demandeur, cette affirmation donne à penser que l’agent doutait de sa crédibilité. Le demandeur invoque l’arrêt Singh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177, 17 D.L.R. (4th) 422 [Singh], pour soutenir que, lorsque la crédibilité d’un demandeur d’asile est en cause, celui-ci a droit à une audience. Étant donné que la crédibilité était en cause en l’espèce et que l’agent chargé de l’ERAR n’a pas tenu d’audience, le demandeur allègue qu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale.

 

[21]           Le défendeur répond qu’aucune conclusion concernant la crédibilité n’a été tirée. Il cite la décision rendue dans Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, 170 A.C.W.S. (3d) 397 [Ferguson], pour faire valoir que le juge des faits peut examiner la valeur probante de la preuve sans apprécier nécessairement la crédibilité de cette preuve ou de la source de celle-ci. Le défendeur affirme qu’en l’espèce, l’agent a simplement conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir qu’il serait personnellement exposé à un risque, et que cette conclusion est bien différente d’une conclusion concernant la crédibilité du demandeur. En conséquence, le défendeur soutient que l’agent n’avait pas l’obligation de tenir une audience. Je ne suis pas d’accord.

 

[22]           En général, il est vrai que la personne qui demande un ERAR n’a pas droit à une audience, mais l’alinéa 113b) de la LIPR prévoit qu’« une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires ». Les facteurs réglementaires sont énoncés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR), dont voici le libellé :

Facteurs pour la tenue d’une audience

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

Hearing — prescribed factors

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

 

Les facteurs sont cumulatifs et j’examine chacun d’eux à tour de rôle.

 

[23]           L’agent chargé de l’ERAR a conclu que la preuve présentée au sujet des allégations du demandeur concernant les incidents de 2005, 2007 et 2009 n’était pas suffisante. Dans le cadre de l’application de l’alinéa 167a) du RIPR, nous devons chercher à savoir si la décision de l’agent de rejeter les déclarations du demandeur à cet égard était fondée sur une conclusion concernant la crédibilité ou si elle reposait simplement sur le caractère insuffisant de la preuve, comme l’agent l’a laissé entendre dans ses motifs.

 

[24]           En l’absence de conclusion concernant la crédibilité,  la preuve du demandeur est présumée être vraie. Est-il possible qu’en l’espèce l’agent ait admis la véracité des allégations du demandeur au sujet des agressions de 2005, 2007 et 2009, mais qu’il ait néanmoins conclu que celui-ci ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait à cet égard? L’agent a-t-il simplement apprécié la valeur probante de la preuve du demandeur, sans tirer de conclusion sur la crédibilité, et conclu que la preuve en question était insuffisante, en soi, pour établir que les événements en question avaient eu lieu? Je ne le crois pas.

 

[25]           Bien entendu, il est possible de déterminer la valeur probante de la preuve et le poids à accorder à celle-ci sans tirer de conclusion sur la crédibilité. Il en est ainsi, par exemple, lorsqu’il est jugé que la preuve n’est pas directement pertinente quant aux faits allégués ou qu’elle n’est pas fiable pour des raisons autres que la crédibilité.

 

[26]           Or en l’espèce, les déclarations du demandeur au sujet des agressions de 2005, 2007 et 2009 étaient directement pertinentes quant à la question de savoir si les événements allégués avaient eu lieu. Qui plus est, abstraction faite de la crédibilité, ni l’agent non plus que les circonstances ne laissent entrevoir le moindre doute au sujet de la fiabilité des observations du demandeur. Cependant, l’agent a précisé qu’il tirait [traduction] « une inférence défavorable du fait que jusqu’à ce que le demandeur retire sa première demande d’asile [en 2006], celui-ci n’avait apparemment pas soulevé [les agressions de 2005]... ». Je suis d’avis qu’en rejetant les allégations du demandeur dans la présente affaire, l’agent a effectivement tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité semblable à celles que la Cour fédérale a commentées dans Zokai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1581, 135 A.C.W.S. (3d) 286, Liban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1252, 172 A.C.W.S. (3d) 730, L.Y.B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1167, 85 Imm. L.R. (3d) 220, et S.A. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 549 [S.A.]. Je fais miens les commentaires que le juge Sean Harrington a formulés dans la décision S.A., précitée, au paragraphe 20 : « À mon avis, l’agent d’ERAR n’a pu rendre la décision qui a été la sienne s’il ne croyait pas la demanderesse. L’incrédulité de l’agent ressortait de son analyse. » Je suis d’avis qu’une conclusion concernant la crédibilité a été tirée.

 

[27]           S’agissant de l’alinéa 167b) du RIPR, il est indéniable que la conclusion négative que l’agent chargé de l’ERAR a tirée au sujet de la crédibilité et la décision subséquente selon laquelle le demandeur n’avait pas établi les incidents de 2005, 2007 et 2009 ont sérieusement affaibli son allégation portant sur le risque personnel auquel il était exposé en Corée du Sud. En conséquence, il n’y a pas lieu de dire que cette conclusion n’était pas importante « pour la prise de la décision relative à la demande de protection ». Le critère énoncé à l’alinéa 167b) est rempli.

 

[28]           Si l’agent avait admis la preuve du demandeur au sujet des événements de 2005, 2007 et 2009, il aurait cru que celui-ci avait été agressé de façon répétée par ses employeurs, que des menaces de mort avaient récemment été proférées contre lui, qu’on avait récemment attenté à sa vie et, surtout, que la police avait constamment refusé de lui venir en aide. À mon avis, si l’agent avait reconnu que ces allégations avaient été prouvées, il y aurait de bonnes chances que le critère énoncé à l’alinéa 167c) du RIPR ait été rempli : ces éléments de preuve auraient pu justifier que soit accordée la protection.

 

[29]           Je tiens en outre à souligner que, étant donné que la Commission a refusé d’entendre la demande d’asile du demandeur, la crédibilité de celui-ci n’a jamais été appréciée dans le contexte d’une audience. Dans l’arrêt Singh, précité, la Cour suprême du Canada a souligné que « lorsqu’une question importante de crédibilité est en cause, la justice fondamentale exige que cette question soit tranchée par voie d’audition ». C’est pourquoi je conclu qu’en ne faisant pas droit à la demande d’audience du demandeur, l’agent chargé de l’ERAR a commis un manquement à l’obligation d’équité procédurale envers lui.

 

d)      La conclusion de l’agent chargé de l’ERAR au sujet de la protection de l’État était‑elle déraisonnable?

 

[30]           À mon avis, l’analyse que l’agent a faite sur la protection de l’État est minée par les erreurs susceptibles de révision qui ont été relevées dans les deux rubriques précédentes. Le fait pour l’agent de ne pas avoir commenté en détail les événements qui seraient survenus en 2009 ont fait en sorte qu’il s’est livré à une analyse largement abstraite sur la protection de l’État. La disponibilité de la protection de l’État ne devrait pas être décidée dans un vide factuel quant aux circonstances personnelles d’un demandeur d’asile (Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 503, au paragraphe 4). Il se peut fort bien que l’agent n’ait pas commenté les événements de 2009 dans le cadre de son analyse sur la protection de l’État parce qu’il avait écarté les événements en question au motif qu’ils n’avaient pas été établis par la preuve. Cependant, tel qu’il est mentionné plus haut, une décision en ce sens sous-entendrait une conclusion douteuse au sujet de la crédibilité, eu égard à l’absence d’audience. En bout de ligne, les erreurs commentées plus haut ont donné lieu à une analyse incomplète sur la protection de l’État. En conséquence, la conclusion tirée en l’espèce au sujet de la protection de l’État était déraisonnable.

 

[31]           Pour les motifs exposés ci-dessus la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée pour nouvelle décision.         


 

JUGEMENT

 

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée pour nouvelle décision.

 

 

                                                                                                            « Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2831-10

 

INTITULÉ :                                       DURI CHO

                                                                                                demandeur

                                                            ET

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 décembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

William Sloan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bassam Khouri

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William Sloan

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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