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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110128

Dossier : T-686-09

Référence : 2011 CF 104

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

INGRID V. LAMBIE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

et

 

 

 

BUREAU DU COMMISSAIRE

DES TRIBUNAUX DE RÉVISION

 

 

 

intervenant

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]            La demanderesse, qui se représente elle-même, demande le contrôle judiciaire de la décision du commissaire des tribunaux de révision (le commissaire) de classer son dossier d’appel sans convoquer une audience d’un tribunal de révision pour examiner son appel.

 

[2]            Le droit d’interjeter appel des décisions du ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences ou de son délégataire (le ministre) auprès d’un tribunal de révision est prévu au paragraphe 82(1) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le RPC).

 

[3]            La présente demande ainsi que l’affaire connexe, Succession de Violet Stevens et de June Taylor c. Procureur général et Bureau du commissaire des tribunaux de révisions, T‑1883‑08 (Stevens et Taylor), ont donné lieu à plusieurs requêtes, qui ont amené la Cour, d’une part, à reconnaître au Bureau du commissaire des tribunaux de révision (le BCTR) qualité pour agir à titre d’intervenant et, d’autre part, à ordonner que les deux demandes soient réunis pour être entendues consécutivement par le même juge. Les deux demandes dont je suis saisi soulèvent pour la première fois la question de savoir si le commissaire a compétence pour refuser de constituer un tribunal de révision pour entendre un appel interjeté en vertu du RPC ou de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (LSV).

 

[4]            Pour les motifs qui suivent, je ferai droit à la demande de contrôle judiciaire dans la présente instance.

 

Le contexte

[5]            Le 21 juillet 2006, la sœur de la demanderesse a demandé la prestation de décès du RPC à titre d’exécutrice testamentaire de la succession de Dolvis Lambie, la défunte mère des deux sœurs. Après avoir reçu des renseignements additionnels, le ministre a traité la demande et a versé la prestation de décès à l’exécutrice testamentaire pour le compte de la succession.

 

[6]            En octobre 2006, la demanderesse a aussi demandé la prestation de décès du RPC. Dans sa demande, la demanderesse a mentionné que sa défunte mère avait laissé plusieurs testaments et qu’elle fondait sa demande sur le fait qu’elle était la personne responsable des frais d’obsèques.

 

[7]            Le ministre a demandé une copie certifiée du testament de la défunte mère de la demanderesse. Celle-ci a envoyé au ministre deux versions du testament le 23 novembre 2006, en signalant que le premier testament comportait plusieurs erreurs et que le second comportait des dates contradictoires et invalides.

 

[8]            Le 10 janvier 2007, le ministre a avisé la demanderesse que sa demande de prestation de décès du RPC était refusée parce qu’une autre personne remplissait les conditions d’admissibilité à la prestation et que celle-ci avait été versée à cette personne. La demanderesse a demandé une révision par lettre datée du 4 avril 2007. Le ministre a avisé la demanderesse que la décision de refuser la demande avait été confirmée le 15 juin 2007.

 

[9]             La demanderesse a interjeté appel de la décision en révision par lettre adressée au BCTR datée du 8 septembre 2007. Dans sa lettre, la demanderesse affirmait qu’on lui avait dit que la demande de la personne qui avait défrayé les coûts liés aux funérailles serait [traduction] « examinée en priorité » aux fins de la prestation de décès.

 

[10]        Le 24 septembre 2007, le BCTR a envoyé une lettre au ministre, à laquelle il a joint une copie de la lettre d’appel de la demanderesse et aux termes de laquelle il demandait au ministre de communiquer les documents exigés en vertu de l’article 5 des Règles de procédure des tribunaux de révision, DORS/92-19 (les Règles). Le 10 octobre 2007, le ministre a transmis à un tribunal de révision les documents pertinents à l’égard de l’appel de la demanderesse.

 

[11]        La demande de document du BCTR a amené le ministre à s’interroger quant à savoir si un avis erroné au sens du paragraphe 66(4) du RPC avait été donné à la demanderesse en rapport avec le traitement de sa demande de prestation de décès. Le 20 septembre 2007, le délégataire du ministre a conclu qu’aucun avis erroné n’avait été donné à la demanderesse. Le ministre a fourni au BCTR une copie de la décision du délégataire afin qu’elle soit ajoutée aux documents fournis en application de l’article 5 des Règles.

 

[12]        Le 20 février 2008, le commissaire a avisé la demanderesse qu’il avait décidé de ne pas convoquer d’audience et que son appel serait classé.

 

[13]        La demanderesse a demandé le contrôle judiciaire de la décision du délégataire du ministre. La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire en décembre 2008, mais elle a accordé à la demanderesse une prorogation du délai imparti afin qu’elle puisse déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision du commissaire de classer son appel sans convoquer d’audience d’un tribunal de révision.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[14]         Dans la décision du 20 février 2008, le commissaire a motivé sa décision comme suit :

 

[traduction]

 

J’ai décidé de ne pas convoquer d’audience relativement à cet appel parce qu’il est évident que la loi n’autorise pas un tribunal de révision à accorder la réparation que vous demandez.

 

Pour avoir droit à cette prestation, le Régime de pensions du Canada établit que vous devez être exécutrice testamentaire ou bien administratrice ou représentante légale de la succession; ou, si personne n’a pareille qualité, vous devez être un individu, une représentante ou une institution responsable des frais d’obsèques. En application des dispositions du RPC, la prestation a été versée à la succession.

 

Selon ce que je comprends, vous avez demandé à la Cour fédérale du Canada de procéder au contrôle judiciaire de la conclusion de Service Canada selon laquelle Service Canada ne vous avait pas donné d’avis erroné. C’est là le recours idoine pour trancher cette question, puisque la loi n’autorise pas un tribunal de révision à tirer de conclusions à cet égard.

 

[15]        Le commissaire a conclu en affirmant : [traduction] « Puisque j’ai décidé de ne pas convoquer d’audience, votre dossier d’appel sera classé. »

 

Les dispositions légales et réglementaires

[16]         Le Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-9 (le RPC), énonce :

 

82. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application de l’article 81 ou du paragraphe 84(2) ou celle qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, peut interjeter appel par écrit auprès d’un tribunal de révision de la décision du ministre soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la première personne est, de la manière prescrite, avisée de cette décision, ou, selon le cas, suivant le jour où le ministre notifie à la deuxième personne sa décision et ses motifs, soit dans le délai plus long autorisé par le commissaire des tribunaux de révision avant ou après l’expiration des quatre‑vingt‑dix jours.

 

(2) Un tribunal de révision est constitué conformément au présent article.

[...]

(7) Un tribunal de révision se compose de trois personnes qui, provenant de la liste visée au paragraphe (3), sont choisies par le commissaire en fonction des exigences suivantes :

 

a) le commissaire doit désigner, comme président du tribunal, un membre du barreau d’une province;

b) dans les cas où l’appel concerne une question se rapportant à une prestation d’invalidité, au moins un membre du tribunal doit être une personne habile à pratiquer la médecine ou une profession connexe prescrite dans une province.

 

(8) Un appel auprès d’un tribunal de révision est entendu à l’endroit du Canada que fixe le commissaire, compte tenu de ce qui convient à l’appelant, au ministre et aux mis en cause en application du paragraphe (10).

[...]

 

 

(11) Un tribunal de révision peut confirmer ou modifier une décision du ministre prise en vertu de l’article 81 ou du paragraphe 84(2) ou en vertu du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et il peut, à cet égard, prendre toute mesure que le ministre aurait pu prendre en application de ces dispositions; le commissaire des tribunaux de révision doit aussitôt donner un avis écrit de la décision du tribunal et des motifs la justifiant au ministre ainsi qu’aux parties à l’appel.

 

 

83. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application de l’article 82 — autre qu’une décision portant sur l’appel prévu au paragraphe 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu’autorise le président ou le vice-président de la Commission d’appel des pensions avant ou après l’expiration de ces quatre‑vingt‑dix jours, une demande écrite au président ou au vice‑président de la Commission d’appel des pensions, afin d’obtenir la permission d’interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.

 

(2) Sans délai suivant la réception d’une demande d’interjeter un appel auprès de la Commission d’appel des pensions, le président ou le vice-président de la Commission doit soit accorder, soit refuser cette permission.

[...]

 (3) La personne qui refuse l’autorisation d’interjeter appel en donne par écrit les motifs.

 

[...]

84. (1) Un tribunal de révision et la Commission d’appel des pensions ont autorité pour décider des questions de droit ou de fait concernant :

a) la question de savoir si une prestation est payable à une personne;

b) le montant de cette prestation;

c) la question de savoir si une personne est admissible à un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension;

d) le montant de ce partage;

e) la question de savoir si une personne est admissible à bénéficier de la cession de la pension de retraite d’un cotisant;

f) le montant de cette cession.

La décision du tribunal de révision, sauf disposition contraire de la présente loi, ou celle de la Commission d’appel des pensions, sauf contrôle judiciaire dont elle peut faire l’objet aux termes de la Loi sur les Cours fédérales, est définitive et obligatoire pour l’application de la présente loi.

 

(2) Indépendamment du paragraphe (1), le ministre, un tribunal de révision ou la Commission d’appel des pensions peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu’il a lui-même rendue ou qu’elle a elle-même rendue conformément à la présente loi.

 

[Non souligné dans l’original.]

82. (1) A party who is dissatisfied with a decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2), or a person who is dissatisfied with a decision of the Minister made under subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act, or, subject to the regulations, any person on their behalf, may appeal the decision to a Review Tribunal in writing within 90 days, or any longer period that the Commissioner of Review Tribunals may, either before or after the expiration of those 90 days, allow, after the day on which the party was notified in the prescribed manner of the decision or the person was notified in writing of the Minister’s decision and of the reasons for it.

 

 

 

 

 

(2) A Review Tribunal shall be constituted in accordance with this section.

[...]

(7) Each Review Tribunal shall consist of three persons chosen by the Commissioner from among the members of the panel referred to in subsection (3), subject to the following requirements:

a); the Commissioner must designate a member of the bar of a province as the Chairman of the Review Tribunal; and

b) where the appeal to be heard involves a disability benefit, at least one member of the Review Tribunal must be a person qualified to practise medicine or a prescribed related profession in a province.

 

 

 

(8) An appeal to a Review Tribunal shall be heard at such place in Canada as is fixed by the Commissioner, having regard to the convenience of the appellant, the Minister, and any other person added as a party to the appeal pursuant to subsection (10).

[...]

(11) A Review Tribunal may confirm or vary a decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2) or under subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act and may take any action in relation to any of those decisions that might have been taken by the Minister under that section or either of those subsections, and the Commissioner of Review Tribunals shall thereupon notify the Minister and the other parties to the appeal of the Review Tribunal’s decision and of the reasons for its decision.

 

83. (1) A party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof, or the Minister, if dissatisfied with a decision of a Review Tribunal made under section 82, other than a decision made in respect of an appeal referred to in subsection 28(1) of the Old Age Security Act, or under subsection 84(2), may, within ninety days after the day on which that decision was communicated to the party or Minister, or within such longer period as the Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board may either before or after the expiration of those ninety days allow, apply in writing to the Chairman or Vice-Chairman for leave to appeal that decision to the Pension Appeals Board.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(2) The Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board shall, forthwith after receiving an application for leave to appeal to the Pension Appeals Board, either grant or refuse that leave.

[...]

 

(3) Where leave to appeal is refused, written reasons must be given by the person who refused the leave.

[...]

84(1) a Review Tribunal and the Pension Appeals Board have authority to determine any question of law and fact as to

 

(a) whether any benefit is payable to a person,

(b) the amount of any such benefit,

(c) whether any person is eligible for a division of unadjusted pensionable earnings,

(d) the amount of that division,

(e) whether any person is eligible for an assignment of a contributor’s retirement pension, or

 

 

(f) the amount of that assignment,

and the decision of a Review Tribunal, except for judicial review under the Federal Courts Act, as the case may be, is final and binding for all purposes of this Act.

 

 

 

 

(2) the Minister, a Review Tribunal or the Pension Appeals Board may notwithstanding subsection (1), on new facts, rescind or amend a decision under this Act given by him, the Tribunal or the Board, as the case may be.

 

(emphasis added)

 

 

                       

 

[17]        Les Règles de procédure des tribunaux de révision, DORS/92-19 (les Règles), énoncent :

 

3. (1) Un appel auprès d’un tribunal est interjeté par la transmission d’un avis d’appel au commissaire; cet avis écrit indique :

[...]

c) les motifs de l’appel, y compris, s’il y a lieu, les motifs qui mettent en cause la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, de la Loi ou de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou de leurs règlements, ainsi qu’un exposé des faits, points, dispositions législatives, raisons et preuves documentaires que l’appelant entend invoquer à l’appui de son appel;

[...]

 

(2) Malgré le paragraphe (1), lorsqu’il appert au commissaire que l’appelant a omis de fournir certains des renseignements visés aux alinéas (1)a) à d), le commissaire peut prendre les mesures nécessaires pour obtenir les renseignements manquants et ainsi corriger l’omission.

 

[...]

4. Sur réception de l’avis d’appel, le commissaire en transmet une copie au ministre.

 

 

5. Dans les 20 jours qui suivent la réception de l’avis d’appel envoyé par le commissaire, le ministre transmet à celui-ci une copie des documents suivants relatifs à l’appel :

 

a) la demande déposée par le requérant;

b) les renseignements concernant le mariage exigés en vertu du paragraphe 54(2) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada;

c) l’avis donné conformément aux articles 46 ou 46.1 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada;

d) l’avis donné conformément au paragraphe 60(7) de la Loi ou la notification donnée conformément aux articles 16 ou 24 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse;

e) la demande de révision présentée au ministre conformément au paragraphe 81(1) de la Loi ou au paragraphe 27.1(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse;

f) la décision prise par le ministre en application des paragraphes 81(2) ou 84(2) de la Loi ou du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, les motifs de cette décision et tout document s’y rapportant.

[...]

 

7. Le commissaire, sur réception des documents visés à l’article 5 :

a) choisit conformément au paragraphe 82(7) de la Loi les membres qui entendront l’appel;

b) fixe l’endroit, conformément au paragraphe 82(8) de la Loi, ainsi que la date et l’heure où l’appel sera entendu.

 

[Non souligné dans l’original.]

3. (1) An appeal to a Tribunal shall be commenced by conveying to the Commissioner a notice of appeal in writing setting out

[...]

 (c) the grounds for the appeal including, if applicable, the grounds that put at issue the constitutional validity, applicability or operability of the Act or the Old Age Security Act or regulations made thereunder, and a statement of the facts, issues, statutory provisions, reasons and documentary evidence that the appellant intends to rely on in support of the appeal;

[...]

 

(2) Notwithstanding subsection (1), where it appears to the Commissioner that the appellant has failed to provide information in accordance with any of the requirements of paragraphs (1)(a) to (d), the Commissioner may take such steps to obtain the information as are necessary to rectify the failure.

[...]

4. The Commissioner shall, on receipt of the notice of appeal, convey a copy of the notice of appeal to the Minister.

 

5. The Minister shall, within 20 days after receipt of the copy of the notice of appeal from the Commissioner, convey to the Commissioner copies of the following documents relating to the appeal, where applicable:

(a) the application filed by the applicant;

(b) such information relating to the marriage as is required pursuant to subsection 54(2) of the Canada Pension Plan Regulations;

(c) the notification sent in accordance with section 46 or 46.1 of the Canada Pension Plan Regulations;

(d) the notification sent in accordance with subsection 60(7) of the Act or section 16 or 24 of the Old Age Security Act;

 

 

(e) the request made to the Minister for a reconsideration under subsection 81(1) of the Act or under subsection 27.1(1) of the Old Age Security Act; and

(f) the decision made by the Minister as a result of the operation of subsection 81(2) or 84(2) of the Act or subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act, the reasons therefor and any documents that are relevant to that decision.

[...]

 

7. The Commissioner shall, on receipt of the documents referred to in section 5,

(a) select the members to hear the appeal in accordance with subsection 82(7) of the Act; and

(b) fix the place, in accordance with subsection 82(8) of the Act, and the time for the hearing of the appeal.

 

(emphasis added)

 

                       

 

Les questions en litige

[18]        Voici, selon moi, les questions en litige :

 

a)    Le commissaire des tribunaux de révision a-t-il compétence pour refuser de constituer un tribunal de révision pour entendre un appel en vertu du paragraphe 82(1) du RPC?

 

Subsidiairement, je trancherai la question suivante :

b)   Le commissaire a-t-il violé un principe d’équité procédurale lorsqu’il a refusé de constituer un tribunal de révision pour entendre l’appel de la demanderesse?

 

 La norme de contrôle

[19]        La demanderesse n’a présenté aucune observation au sujet de la norme de contrôle.

 

[20]        Le défendeur soutient que la norme applicable à la question de la compétence du commissaire pour décider de ne pas constituer un tribunal de révision est la norme de la décision correcte. Il soutient que cette norme s’applique également à la question relative à l’équité procédurale.

 

[21]        L’intervenant convient avec le défendeur que la norme de contrôle applicable aux deux questions en litige est la décision correcte.

 

[22]        Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), aux paragraphes 32 à 34, la Cour suprême du Canada a statué qu’il y avait seulement deux normes de contrôle en common law au Canada : la raisonnabilité et la décision correcte. Les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont tranchées en fonction de la norme de la raisonnabilité. Les questions de droit sont tranchées en fonction de la norme de la décision correcte.

 

[23]        La Cour suprême a statué que la détermination de la norme de contrôle applicable se faisait en deux étapes. La première étape consiste à examiner la jurisprudence et à vérifier si la question de la norme applicable a déjà été tranchée de manière satisfaisante. Dans la négative, le tribunal doit alors procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle : Dunsmuir, au paragraphe 62.

 

[24]        En règle générale, la compétence d’un décideur administratif est une question d’interprétation de la loi. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême écrit au paragraphe 29 :

Les décideurs administratifs exercent leurs pouvoirs dans le cadre de régimes législatifs qui sont eux‑mêmes délimités. Ils ne peuvent exercer de pouvoirs qui ne leur sont pas expressément conférés. S’ils agissent sans autorisation légale, ils portent atteinte au principe de la primauté du droit. C’est pourquoi lorsque la cour de révision se penche sur l’étendue d’un pouvoir décisionnel ou de la compétence accordée par la loi, l’analyse relative à la norme de contrôle vise à déterminer quel pouvoir le législateur a voulu donner à l’organisme en la matière. Elle le fait dans le contexte de son obligation constitutionnelle de veiller à la légalité de l’action administrative : Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220, p. 234; également, Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, par. 21.

 

 

[25]        Au paragraphe 59 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a établi qu’une véritable question de compétence était une question de droit qui commandait l’application de la norme de la décision correcte :

 

Un organisme administratif doit également statuer correctement sur une question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité. Nous mentionnons la question touchant véritablement à la constitutionnalité afin de nous distancier des définitions larges retenues avant l’arrêt SCFP. Il importe en l’espèce de considérer la compétence avec rigueur. […] La « compétence » s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence : D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 14‑3 et 14‑6. [Non souligné dans l’original.]

 

[26]        Ces commentaires de la Cour suprême donnent à penser que la norme applicable est la décision correcte.

 

[27]        Cependant, la Cour suprême a pris soin de souligner qu’elle retiendrait une conception étroite de ce qui constitue une « véritable » question de compétence. Plus haut dans l’arrêt, elle avait reconnu que la déférence était de mise « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie ».

 

[28]        En l’espèce, l’intervenant soutient que le commissaire agissait en conformité avec le système de gestion des cas mis au point pour administrer efficacement les appels interjetés en vertu de la LSV et du RPC. Il peut être soutenu que le commissaire interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie.

 

[29]        La présente demande ainsi que la demande connexe soulèvent pour la première fois la question de la compétence du commissaire pour classer un appel sans constituer un tribunal de révision. Il n’y a aucun précédent concernant la norme de contrôle. Il y a donc lieu de procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[30]        Pour procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle au sens des arrêts Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S 817, aux paragraphes 58 à 62 (Baker), et Dunsmuir, au paragraphe 64, il faut appliquer les facteurs suivants :

1.   l’existence ou l’inexistence d’une clause privative;

2.   l’expertise du tribunal administratif;

3.   l’objet de la disposition en cause et de la loi prise dans son ensemble;

4.   la nature de la question en cause.

 

[31]        La présente demande concerne le refus du commissaire de fixer une date d’audition de l’appel par un tribunal de révision. La décision d’appel d’un tribunal de révision en vertu du paragraphe 82(1) est susceptible d’un contrôle limité en ce qu’elle peut seulement être contrôlée par la Cour fédérale. Cependant, il n’y a aucune restriction ni aucune clause privative concernant les décisions rendues par le commissaire dans l’exercice de ses fonctions. En conséquence, ce facteur donne à penser qu’il ne faut pas faire preuve d’une grande retenue envers les décisions du commissaire.

 

[32]        Le RPC prévoit qu’un certain pourcentage des personnes inscrites sur la liste des personnes pouvant être choisies pour composer un tribunal de révision doivent être membres du barreau d’une province (alinéa 82(3)a)) et que le président d’un tribunal de révision doit être membre du barreau d’une province (alinéa 82(7)), mais ces exigences ne s’appliquent pas aux postes de commissaire et de commissaire adjoint. Il se peut que le commissaire possède une expérience et une expertise administratives découlant de l’exercice de ses fonctions à titre de commissaire, et il se peut fort bien qu’il ait une formation en droit, mais ce ne sont pas là des exigences du poste de commissaire. Ce facteur donne à penser qu’il ne faut pas faire preuve d’une grande retenue lors d’un contrôle.

 

[33]        Le RPC procure aux cotisants et à leurs familles un remplacement minimal du revenu à la retraite ou en cas d’invalidité ou lors du décès d’un salarié. Le RPC prévoit aussi une prestation de décès de 2500 $ lors du décès d’un cotisant, payable à la succession ou à la personne qui a payé les frais d’obsèques. Le ministre peut décider sur demande ou lors d’une révision si une personne a droit à la prestation de décès. La loi accorde à la personne dont la demande est refusée le droit d’interjeter appel lorsque cette personne s’estime lésée par une décision du ministre rendue au terme d’une révision. Étant donné l’importance du droit d’appel pour l’individu, ou pour sa succession, il y a lieu de ne pas faire preuve d’une grande retenue à l’égard d’une décision restreignant ce droit ou en privant le titulaire.

 

[34]        Enfin, étant donné la nature de la décision faisant l’objet du présent contrôle, je suis saisi d’une question concernant l’appréciation de la compétence plutôt que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. À cet égard, un tribunal ne doit faire preuve d’aucune retenue à l’égard de la décision d’un organisme administratif statuant sur sa compétence.

 

[35]        Je conclus que l’analyse qui précède révèle elle aussi que la norme de contrôle applicable à la décision du commissaire de ne pas constituer un tribunal de révision relativement à un appel interjeté en vertu du RPC, est la décision correcte.

 

[36]        Ainsi, peu importe la méthode d’analyse, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, et la Cour ne fera preuve d’aucune retenue à l’égard de la conclusion du commissaire selon laquelle il avait compétence pour refuser de constituer un tribunal de révision.

 

[37]        Les questions relatives à l’équité procédurale commandent également la norme de contrôle de la décision correcte, et le tribunal siégeant en révision n’est donc tenu de faire preuve d’aucune retenue relativement à ces questions : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 46.

 

Analyse

[38]        La demanderesse soutient que, selon le RPC et les règlements, elle peut se prévaloir de deux paliers d’appel, en interjetant appel d’abord auprès du tribunal de révision, puis auprès de la Commission d’appel des pensions. La demanderesse soutient que le commissaire a omis de lui communiquer des renseignements additionnels concernant les processus d’appel et qu’il ne lui a pas expliqué pourquoi son appel ne pourrait pas être entendu. Elle soutient aussi que le commissaire a omis de tenir compte des questions qu’elle avait soulevées quant à la validité des deux testaments. La demanderesse a réitéré que, selon ce qu’elle avait compris des observations que le défendeur avait présentées dans le cadre du contrôle judiciaire antérieur, elle avait droit à une audience et une audience aurait dû lui être accordée pour que les questions qu’elle avait soulevées soient examinées. Enfin, la demanderesse demande que lui soit accordée la somme de 2500 $, qui correspond au montant de la prestation de décès demandée.

 

[39]         Le défendeur soutient que le législateur a créé un appel de novo de plein droit à l’égard des décisions du ministre portant sur certaines questions précisées dans le RPC. Les appels des décisions du ministre ne sont sujets à aucune autorisation en vertu de la loi. Le défendeur soutient que, dès lors que les conditions prévues par la loi sont remplies, la loi oblige le commissaire à choisir les membres du tribunal de révision et à fixer l’endroit et la date et l’heure où l’appel sera entendu. Le défendeur soutient que le commissaire a outrepassé sa compétence lorsqu’il a omis de se conformer à l’exigence de la loi selon laquelle il devait constituer un tribunal de révision pour entendre l’appel de la demanderesse.

 

[40]        Le défendeur soutient aussi que le commissaire, en décidant de ne pas constituer de tribunal de révision et en privant ainsi la demanderesse de son droit d’être entendue, a commis un manquement à la justice naturelle.

 

[41]        L’intervenant soutient que le commissaire a compétence pour classer un dossier d’appel lorsqu’un tribunal de révision n’a pas compétence pour connaître l’appel. Cette compétence découle d’un examen du cadre législatif dans lequel le commissaire exerce ses fonctions. Subsidiairement, l’intervenant soutient que la compétence du commissaire se déduit en vertu de la doctrine de la compétence par déduction nécessaire. L’observation de l’intervenant repose principalement sur le système de gestion des cas que le BCTR a instauré pour gérer les appels auprès de tribunaux de révision en vertu de la LSV.

 

[42]        L’intervenant soutient également que le système de gestion des cas offre à la demanderesse des garanties en matière d’équité procédurale parce qu’il permet plusieurs points d’accès au processus, à la révision, au dépôt d’une nouvelle demande et au dépôt d’une demande au ministre fondée sur des renseignements nouveaux.

 

Le système de gestion des cas

[43]        Selon l’intervenant, le BCTR soutient un des plus grands et des plus affairés tribunaux administratifs au Canada, soit le tribunal de révision. Voici un bref résumé des éléments de preuve de l’intervenant :

 

[traduction]

 

Le BCTR a été constitué à la suite de modifications apportées au RPC. Le BCTR reçoit des appels d’individus qui interjettent appel de décisions du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences (le ministère) ainsi que des demandes d’individus qui demandent que leur décision du tribunal de révision soit rouverte sur le fondement de faits nouveaux. Le BCTR fournit les services administratifs nécessaires au fonctionnement des tribunaux de révision, et c’est le commissaire qui est chargé de constituer les tribunaux de révision. Ces tribunaux de révision entendent environ 4000 appels (en vertu du RPC et de la LSV) par année partout au Canada.

 

Lorsque le BCTR reçoit un avis d’appel, il détermine tout d’abord si l’appel a été adressé au bon palier décisionnel et, dans la négative, le BCTR veille à ce que l’appel soit renvoyé au bon palier. Lorsque l’appel a été adressé à juste titre au BCTR, celui-ci accuse réception de l’appel, puis il l’attribue soit au système de gestion des appels, soit au système de gestion des cas. Le système de gestion des cas est un système conçu pour gérer tous les appels à l’exception de certains appels en matière d’invalidité.

 

Le BCTR veille à ce que l’avis d’appel cerne une question qu’un tribunal de révision est autorisé à trancher. Si tel est le cas, le BCTR met en branle un processus approfondi préalable à l’audition et le commissaire constitue un tribunal de révision composé de trois membres pour entendre l’appel.

 

[44]        Le processus de gestion des cas du BCTR diffère pour les appelants qui soulèvent en appel des questions qu’un tribunal de révision n’a pas compétence pour trancher. Voici comment l’intervenant décrit ces questions :

[traduction]

 

Avis erroné ou erreur administrative : un tribunal de révision n’a pas compétence pour réviser les décisions rendues en vertu de l’article 32 de la LSV, qui est l’article relatif aux avis erronés et aux erreurs administratives; le recours que l’intéressé peut exercer à l’encontre d’une décision du ministre rendue en vertu de l’article 32 est la demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale;

 

Motifs de compassion ou circonstances spéciales : un tribunal de révision, puisqu’il est créé par une loi, n’a pas de compétence en équité et ne peut pas appliquer le principe de l’équité pour accorder des prestations rétroactives pour des motifs qui ne sont pas prévus par la loi;

 

Demandes multiples : lorsqu’une affaire a fait l’objet d’une décision définitive rendue soit par un tribunal de révision ou par la Commission d’appel des pensions, un tribunal de révision constitué subséquemment n’a pas compétence pour revenir sur l’affaire originale à la suite d’une demande subséquente déposée par le même demandeur;

 

Remise de trop-perçu : un tribunal de révision n’a pas compétence pour connaître d’un appel de la décision du ministre rendue en vertu de l’alinéa 37(4)d) de la LSV;

 

Détermination du revenu : le paragraphe 28(2) de la LSV dispose qu’une telle question doit être renvoyée devant la Cour canadienne de l’impôt;

 

[45]        L’intervenant soutient que d’autres considérations ont été prises en compte lors de l’élaboration du processus de gestion des cas, notamment les difficultés qu’éprouvaient de nombreux appelants à comprendre les lettres de refus du ministère, à préparer leur appel et à présenter leur cause, les événements déclencheurs d’un appel comme des renseignements trompeurs ou les encouragements mal fondés de tiers, la confusion, la colère ou la frustration qu’éprouvent certains appelants lorsqu’ils se font dire, après avoir présenté leur cause, que le tribunal de révision n’a pas compétence pour accorder la réparation demandée, la pression que les appels frivoles exercent sur les ressources humaines et financières ainsi que le souci d’éviter que la procédure d’appel ne soit discréditée du fait qu’une audience serait accordée malgré que l’appel n’ait aucune chance d’être accueilli.

 

[46]        L’intervenant soutient que le commissaire n’a pas outrepassé sa compétence lorsqu’il a décidé de ne pas constituer un tribunal de révision pour entendre l’appel de la demanderesse et que sa compétence trouve sa source dans les dispositions législatives qui régissent les appels auprès du BCTR. L’intervenant soutient que cette compétence découle de l’article 3 des Règles, en particulier du paragraphe 3(2). J’ai traité de cette question dans l’affaire connexe Stevens et Taylor.

 

[47]        Dans l’affaire Stevens et Taylor, j’ai statué que la demanderesse disposait d’un droit d’appel en vertu de l’article 28 de la LSV et du paragraphe 82(1) du RPC et que le commissaire n’avait pas compétence pour priver le demandeur de ce droit en vertu du paragraphe 3(2) des Règles parce que les dispositions législatives précitées l’emportent sur les dispositions réglementaires procédurales précitées. En outre, j’ai conclu que cette conclusion était renforcée par le caractère de novo des appels auprès d’un tribunal de révision. Vu que l’appelant peut soulever de nouvelles questions en appel, le commissaire n’est pas du tout en mesure d’évaluer à l’avance le bien-fondé d’un appel.

 

[48]        À mon avis, la même analyse s’applique dans la présente affaire puisque les dispositions législatives et la procédure prévue par la loi relativement aux appels auprès du tribunal de révision concernant les prestations prévues par le RPC sont les mêmes. J’adopte la même analyse en prenant en compte une considération additionnelle.

 

[49]        L’affaire Stevens et Taylor se distingue de la présente affaire notamment parce que l’espèce concerne une prestation prévue par le RPC plutôt que la LSV. La décision du tribunal de révision rendue en vertu de la LSV est définitive sous réserve de sa révision à la lumière de faits nouveaux en vertu du paragraphe 84(2) du RPC. Cependant, la décision d’un tribunal de révision concernant une prestation prévue par le RPC peut être portée à son tour en appel auprès de la Commission d’appel des pensions en vertu de l’article 83 du RPC, sur permission accordée par le président de la Commission d’appel des pensions, à qui le paragraphe 83(2) confère expressément compétence liée à la fonction d’accorder ou de refuser l’autorisation.

 

[50]        L’intervenant soutient que le commissaire n’exerce pas une fonction d’autorisation mais plutôt une fonction de moindre importance. Cette observation ne me convainc pas. À mon avis, lorsqu’il décide de ne pas constituer un tribunal de révision pour entendre un appel après avoir conclu qu’un appel n’est pas fondé, le commissaire exerce une fonction d’autorisation.

 

[51]        Lorsqu’il a édicté le RPC, le législateur a pensé à l’exercice d’une fonction d’autorisation, et il a conféré ce pouvoir au président de la Commission d’appel des pensions. Le silence du législateur quant à l’exercice d’une fonction d’autorisation par le commissaire des tribunaux de révision peut seulement s’interpréter comme signifiant qu’aucune compétence semblable en matière d’autorisation n’a été conférée au commissaire relativement aux appels auprès du tribunal de révision.

 

[52]        Je conclus que l’absence d’une disposition expresse relative aux autorisation ne fait que renforcer la conclusion selon laquelle le commissaire n’a pas compétence pour classer un dossier d’appel et ne pas constituer un tribunal de révision.

 

La doctrine de la compétence par déduction nécessaire

[53]        L’intervenant soutient, subsidiairement, que le commissaire a compétence pour classer un dossier d’appel en vertu de la doctrine de la compétence par déduction nécessaire. L’intervenant soutient que le commissaire des tribunaux de révision a la compétence nécessaire pour exercer le mandat qui lui est conféré par la loi. L’intervenant affirme que ce mandat consiste à traiter des demandes déposées et des appels interjetés en vertu du RPC de manière équitable, avec célérité et en conformité avec les objectifs législatifs. Il s’agit, en d’autres mots, d’un mandat très large.

 

[54]         L’intervenant invoque l’arrêt R c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81 aux paragraphes 70 et 71, où la Cour suprême du Canada a formulé les commentaires suivants :

 

Il est bien établi qu’un organisme créé par une loi jouit non seulement des pouvoirs que celle-ci lui confère expressément, mais aussi, par implication nécessaire, de tous ceux qui sont raisonnablement nécessaires à l’accomplissement de son mandat […]. En d’autres termes, les pouvoirs d’un tribunal judiciaire ou administratif créé par une loi ne se limitent pas aux termes exprès de sa loi habilitante, mais englobent également les pouvoirs nécessaires à l’exécution des fonctions qu’il est censé accomplir […]

 

Par conséquent, la fonction d’un organisme créé par une loi est un facteur de première importance pour déterminer s’il a été investi du pouvoir implicite d’accorder la réparation demandée [afin de] s’acquitter de sa mission : Loi sur l’Office national de l’énergie (Can.) (Re), [1986] 3 C.F. 275 (C.A.). Bien qu’il ne soit pas essentiel que ces pouvoirs soient absolument nécessaires pour que le tribunal judiciaire ou administratif puisse réaliser les objectifs visés par sa loi constitutive, ils doivent être nécessaires pour lui permettre de le faire de façon efficace et efficiente […]

 

[55]        L’intervenant invoque en vain la doctrine de la déduction nécessaire étant donné les limites que la Cour suprême du Canada a posées à cette doctrine dans l’arrêt ATCO Gas and Pipelines c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4. Au paragraphe 74, la Cour suprême cite avec approbation le professeur Sullivan :

[traduction]

 

En pratique, toutefois, l’analyse téléologique rend les pouvoirs conférés aux organismes administratifs presque infiniment élastiques. Un pouvoir bien circonscrit peut englober, par « déduction nécessaire », tout ce qui est requis pour que le responsable ou l’organisme puisse accomplir l’objet de son octroi. À l’inverse, on considère qu’un pouvoir largement défini vise uniquement ce qui est rationnellement lié à son objet. Il s’ensuit qu’un pouvoir a une portée qui augmente ou diminue au besoin, en fonction de son objet. [Souligné dans l’original.]

 

[56]        Le libellé du paragraphe 3(2) ne peut pas recevoir une interprétation large étant donné sa spécificité et le fait qu’il s’agit seulement d’une disposition réglementaire. Les pouvoirs du commissaire au paragraphe 3(2) des Règles se limitent à obtenir des renseignements pour corriger une omission dans un appel. Ce pouvoir vise à permettre de compléter un dossier d’appel dans la mesure du possible. Classer un dossier d’appel et refuser de constituer un tribunal de révision ne constituent pas des actes nécessaires à la réalisation de l’objet pour lequel le pouvoir bien circonscrit de recueillir des renseignements a été accordé.

 

[57]        L’intervenant soutient aussi que les pouvoirs ainsi déduits comprennent le pouvoir de prévenir les abus de procédure, et que ce pouvoir comprend celui de refuser une audience. L’intervenant invoque Sawatsky c. Norris, [1992] 10 O.R. (3d), 93 D.L.R. (4th) 238 (Div. gén.) (Sawatsky). Cependant, la décision Sawatsky concernait cinq demandes d’audience successives déposées par le même individu relativement à la même question. En l’espèce, malgré le parcours sinueux qu’a connu la présente affaire, la demanderesse était appelante pour la première fois. Elle ne cherche pas à rouvrir son appel; elle veut que son appel soit entendu. Personne n’a laissé entendre qu’il y aurait eu le moindre abus de procédure en l’espèce.

 

L’équité procédurale

[58]        Le défendeur soutient en outre que le refus du commissaire de constituer un tribunal de révision pour que celui-ci tienne une audience constitue un manquement à l’équité procédurale parce que la loi conférait à la demanderesse le droit à une audience devant un tribunal de révision.

 

[59]        Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême a souligné les valeurs clés relatives à l’équité procédurale :

Les valeurs qui sous‑tendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.

 

 

[60]        La Cour suprême a dressé une liste non exhaustive de facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer le degré d’équité procédurale qui est requis dans une situation donnée :

 

a)      la nature de la décision;

b)      la nature du régime législatif;

c)      l’importance de la décision pour les personnes visées;

d)      les attentes légitimes de la personne qui conteste la disposition;

e)      les choix de procédure que l’organisme fait lui-même.

 

[61]        Le régime législatif du RPC offre aux individus un moyen d’interjeter appel d’une décision en révision rendue par le ministre ou son délégataire. Ce droit d’appel est important. Il s’accompagne du droit à une audience – précédée de la communication préalable des documents pertinents – au cours de laquelle des éléments de preuve peuvent être produits et au terme de laquelle un tribunal composé de trois décideurs rend une décision qui doit être motivée. À l’évidence, la personne qui interjette appel s’attendra légitimement à avoir droit à une audience en bonne et due forme.

 

[62]        Il est également manifeste que les demandeurs qui se représentent eux-mêmes peuvent recourir au processus d’appel prévu par le RPC, et, d’ailleurs, un nombre important de ces appels sont interjetés par des parties qui se représentent elles-mêmes et qui ne sont pas au courant des exigences du paragraphe 3(1) des Règles.

 

[63]         Lorsque le commissaire a écrit à la demanderesse le 20 février 2008, il a tout simplement accepté la décision du ministre en révision selon laquelle la prestation avait été versée à la succession en application de la loi, sans faire enquête. Le commissaire n’a fait aucun effort pour enquêter ni pour traiter de la question que la demanderesse avait soulevée quant à la non‑validité des testaments de sa défunte mère.

 

[64]        Je conclus qu’en décidant de classer le dossier d’appel de la demanderesse sans constituer un tribunal de révision aux fins de la tenu d’une audience, le commissaire a privé la demanderesse de l’accès à une audience devant un tribunal de révision, et il a ainsi manqué à l’exigence d’équité procédurale.

 

Réparation

[65]        La demanderesse demande que lui soit accordé à titre de réparation la somme de 2500 $, soit le montant de la prestation de décès, au motif que le ministre lui a donné un avis erroné. La Cour fédérale a confirmé, au terme d’un contrôle judiciaire antérieur, la décision du délégataire du ministre selon laquelle la demanderesse n’avait pas obtenu d’avis erroné. La question de l’avis erroné ne peut pas être examinée de nouveau en raison de la règle de l’autorité de la chose jugée; autrement dit, un tribunal a déjà tranché la question.

 

[66]        En outre, il est bien établi que des dommages-intérêts ne peuvent pas être accordés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. La réparation qu’il convient d’accorder lorsqu’une demande de contrôle judiciaire est accueillie consiste à annuler la décision et à renvoyer l’affaire pour que l’on statue à nouveau sur l’affaire.

 

Conclusion

[67]        Je conclus que le commissaire n’a pas compétence pour classer le dossier d’appel de la demanderesse présenté en vertu du RPC sans constituer un tribunal de révision pour que celui-ci entende l’appel.

 

[68]        La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée au commissaire avec instruction de statuer à nouveau sur la présente affaire en conformité avec les motifs de la Cour.

 

[69]        Je n’adjugerai aucuns dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      L’affaire est renvoyée au commissaire pour que celui-ci statue à nouveau sur la présente affaire en conformité avec les motifs de la Cour.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-686-09

 

 

INTITULÉ :                                       INGRID V. LAMBIE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AUTRE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 mai 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 JANVIER 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ingrid Lambie

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Nicole Btucher

Jennifer Hockey

 

Shannon Russell

Krista Cajka

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

POUR L’INTERVENANT

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S/O

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

Bureau du commissaire

des tribunaux de révision

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

POUR L’INTERVENANT

 

 

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