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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110119

Dossier : IMM-3293-10

Référence : 2011 CF 62

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

GABINO OLEGARIO AGUILAR ZACARIAS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 21 mai 2010, par laquelle un membre de la Commission a rejeté la demande d’asile de Gabino Olegario Aguilar Zacarias (le demandeur) à titre de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               L’autorisation de contrôle judiciaire a été accordée le 19 octobre 2010 par la juge Mactavish.

 

Les faits

[3]               Le demandeur est un citoyen du Guatemala. Il est entré au Canada en tant que travailleur temporaire avant de plus tard faire une demande d’asile. Celle-ci a été faite en raison du fait qu’un gang de rue nommé les Maras Salvatruchas (les MS), plus particulièrement l’un de ses membres surnommé « Gordo », ou Joufflu en français, l’aurait persécuté. Le demandeur tenait alors un commerce de vente de volailles dans un marché et travaillait aussi à temps partiel pour une chaîne de restauration rapide.

 

[4]               Le demandeur s’est accroché avec Joufflu pour la première fois lorsque celui-ci est un jour venu au marché et a entrepris d’extorquer de l’argent au demandeur. Cet acte fut accompagné de menaces de mort contre le demandeur et sa famille. Au début, le demandeur acquiesça aux demandes de paiements. Au fil du temps, les demandes de Joufflu devinrent plus fréquentes et la pression sur le demandeur s’intensifia lorsque Joufflu lui révéla que les activités quotidiennes de son épouse et de ses enfants étaient familières aux MS. De ce fait, le demandeur et son épouse furent plus tard agressés et volés par des membres du gang.

 

[5]               Se lassant de l’extorsion et de la pression démesurée, le demandeur vint à découvrir que le gang prenait aussi pour cible d’autres commerçants du marché. Le demandeur, accompagné d’Evedardo Pastor Vicente, le propriétaire d’un autre étal, avertit le service de sécurité du marché qui, par la suite, informa la police de l’extorsion dont le demandeur et d’autres marchands étaient victimes. Joufflu fut arrêté et détenu, mais fut plus tard relâché. Durant la détention de ce dernier, d’autres membres du gang ont informé le demandeur et M. Vicente qu’ils savaient qui était la source de la plainte et que Joufflu n’était pas content de la situation. La pression sur le demandeur s’accentua et il reçut d’autres menaces de mort.

 

[6]               Alors qu’ils cherchaient un nouveau marché où travailler, M. Vicente et le demandeur furent encore une fois confrontés à Joufflu et à d’autres membres du gang. M. Vicente fut atteint d’un coup de feu lors de cet incident et est décédé des suites de ses blessures. Le demandeur a réussi à s’échapper et déménagea sa famille, mais décida de ne plus vivre avec elle. Il n’est jamais retourné à son étal au marché. Il garda son emploi à temps partiel au restaurant, mais demanda à être affecté à un poste où il n’aurait pas de contact avec le public. Il fut par la suite transféré à d’autres succursales de la chaîne, puisqu’il semblait que Joufflu avait tenté de le localiser jusqu’à son travail. Le demandeur donna éventuellement sa démission quand il réalisa que Joufflu persévérait dans sa tentative de le retrouver.

 

[7]               Le demandeur déménagea sa famille dans un autre village, où il fut une fois de plus victime d'extorsion de la part des MS. Les villageois l’ont informé que les MS avaient déjà réussi à localiser des personnes dans ce village. Craignant pour sa vie, le demandeur décida alors de partir au Canada en tant que travailleur temporaire, et il fit une demande d’asile plus tard.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[8]               Dans sa décision, la Commission avait conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR. Elle avait accepté son témoignage et avait jugé son histoire crédible. La Commission avait examiné la preuve documentaire quant au récit du demandeur et à la situation au Guatemala.

 

[9]               À la lumière de la décision rendue par la Cour dans Gyawali c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CF 1099, la Commission avait conclu que le statut valide du demandeur à titre de travailleur temporaire constituait un motif valable pour ne pas faire de demande d’asile dès la première occasion. Elle avait conclu que la crainte subjective du demandeur était demeurée constante et que le délai avant qu’il ne fasse sa demande d’asile n’était pas en cause.

 

[10]           La Commission avait conclu que, bien que cette crainte subjective fut bien présente, le demandeur était exposé à un risque de persécution auquel la population en général était tout autant exposée. Ce risque généralisé provient de l’étendue des activités des gangs au Guatemala. Le demandeur faisait donc partie d’un groupe particulier de personnes, principalement des marchands, qui sont de façon générale pris pour cible par les gangs de rue. On avait donc jugé que le risque auquel le demandeur était exposé ne faisait pas partie de l’éventail de possibilités prévues par l’article 97 de la LIPR. De plus, aucun lien n’avait été démontré avec les motifs de la Convention. Sa demande d’asile fut donc rejetée.

 

La position des parties

[11]           La Cour a dégagé une question déterminante dans le cadre du présent contrôle judiciaire : le risque particulier auquel le demandeur était exposé.

 

[12]           Le ministre avance que le risque auquel le demandeur est exposé est généralisé et partagé par l’ensemble de la population, en raison de l’intense présence des gangs au Guatemala. Il en est ainsi parce que d’autres marchands ont été pris pour cible par les MS et que ceux-ci sont actifs dans toutes les régions du pays. Il faut distinguer la persécution de la souffrance résultant d’un acte criminel (Prato c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1088). De plus, le demandeur n’a pas démontré qu’il était exposé à un risque personnel alors que d’autres personnes du Guatemala ne le sont généralement pas.

 

[13]           Le demandeur a souligné que le risque auquel il était exposé était bel et bien de nature personnelle : il avait été victime d'extorsion de la part de membres identifiables d’un gang, lesquels ont plus tard fait des efforts considérables pour le localiser, lui spécifiquement. Le demandeur a établi un parallèle entre son cas et Munos c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 238, puisqu’une demande soumise en application de l’article 97 appelle un examen personnalisé pour se pencher sur les risques auxquels le demandeur serait exposé. Il allègue que la Commission n’a pas conduit un tel examen et qu’elle a omis de tenir compte de facteurs importants, comme sa connaissance des circonstances de l’assassinat de M. Vicente, sa dénonciation des activités des MS auprès des autorités et les efforts des MS pour le localiser. Là où un tel examen critique est omis, la Commission commet une erreur susceptible de contrôle (Sanchez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 426). Le demandeur avance aussi que sa dissension contre les MS équivaut à une opinion politique et aurait dû être examinée au titre de l’article 96. Puisqu’il suffit, en l’espèce, de déterminer s’il y a bien un risque personnel, il n’est pas nécessaire pour la Cour d’apprécier le mérite de ce dernier argument.  

 

La norme de contrôle applicable

[14]           La première question à aborder est évidemment celle de la norme de contrôle applicable. Puisque déterminer si le risque est généralisé est une question mixte de fait et de droit, la norme de contrôle est la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 RCS 9; Acosta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 213).

 

Analyse

[15]           Dans sa décision, la Commission s’était concentrée sur le risque auquel était exposée la population du Guatemala en général quant aux activités des gangs dans le pays. La Commission avait apprécié les faits en l’espèce de manière objective : elle avait cru le demandeur et avait accordé du poids à son témoignage quant au fait qu’il avait personnellement été persécuté par les MS, plus particulièrement par Joufflu.

 

[16]           À la lumière des faits en l’espèce, la Cour s’appuie sur la décision rendue par le juge de Montigny dans Martinez Pineda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 365. Dans cette cause, M. Pineda avait été persécuté par le même gang, mais en El Salvador. Au paragraphe 15, le juge de Montigny a remarqué :

[...] On ne peut accepter, du moins tacitement, le fait que le demandeur ait été menacé par un gang bien organisé et qui sème la terreur sur tout le territoire, d’après la preuve documentaire, et opiner du même souffle que ce même demandeur ne serait pas exposé à un risque personnel s’il retournait au El Salvador. Il se peut bien que les Maras Salvatruchas recrutent parmi la population en général; il n’en demeure pas moins que M. Pineda, s’il faut en croire son témoignage, a été spécifiquement visé et a fait l’objet de menaces insistantes et d’agressions. De ce fait, il est exposé à un risque supérieur à celui auquel est exposée la population en général. [Non souligné dans l’original.]

 

[17]           Comme c’était le cas dans Martinez Pineda, la Commission a commis une erreur dans sa décision : elle s’était concentrée sur la menace généralisée à laquelle était exposée la population du Guatemala, en omettant toutefois de prendre en compte la situation particulière du demandeur. Parce que la crédibilité du demandeur n’était pas en cause, il incombait à la Commission d’apprécier rigoureusement le risque personnel auquel le demandeur était exposé afin de procéder à une analyse complète de sa demande d’asile au titre de l’article 97 de la LIPR. Il semble que le demandeur n’avait pas été pris pour cible de la même manière que n’importe quel autre marchand : il était menacé de représailles parce qu’il avait collaboré avec les autorités, qu’il avait refusé de se plier à la volonté du gang et qu’il connaissait les circonstances du décès de M. Vicente.

 

[18]           La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

[19]           Aucune question grave de portée générale n’est soulevée en vue de la certification.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

-           la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3293-10

 

INTITULÉ :                                       GABINO OLEGARIO AGUILAR ZACARIAS

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 19 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Laïla Demirdache

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Korinda McLaine

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Laïla Demirdache

Services juridiques communautaires

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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